Nous, médecins généralistes, demandons le port du masque obligatoire

Plusieurs autorités sanitaires (l’Académie de médecine, la Société Française de Santé Publique, le centre européen de prévention et contrôle des maladies, comité scientifique COVID-19, etc.) ont souligné l’importance du port de masques ou d’ėcrans anti postillons (dits masques « grand-public ») pour limiter la propagation de l’épidėmie de coronavirus. De nombreux pays ont suivi ces avis. Pas la France.

Face aux tergiversations du gouvernement, les acteurs de terrain se doivent de prendre leurs responsabilités et d’avoir une parole claire et sans ambiguïté.

Ce qui nous importe est la santé de nos patients. 

Nous insistons auprès des décideurs nationaux et des responsables locaux (chefs d’entreprises, commerçants, maires, etc.) pour que soit rendu obligatoire le plus rapidement possible le port d’un masque ou d’un écran anti-postillons dans tous les lieux publics fermés (ascenseurs, transports en communs, boutiques et supermarchés, cabinets médicaux et paramédicaux, entreprises de tout type, lieux d’enseignement, etc.) et en extérieur dès lors que la distance d’un mètre ne peut être respectée.

L’éducation au port des masques et à leur recyclage doit débuter sans plus attendre afin que les Français soient prêts à les utiliser correctement lors de leur déconfinement. En l’absence de masques officiels, il est simple et efficace de s’en fabriquer soi-même à l’aide des nombreux tutoriels proposés sur internet, comme recommandé par l’ECDC et les CDC américains. Ces tutoriels sont regroupés sur le site stop-postillons.fr.

Le port d’un masque ne constitue pas une mesure barrière supplémentaire ou accessoire : il s’agit bel et bien du principal geste barrière, pour ce virus transmis par voie aérienne. Il ne se substitue pas aux autres gestes barrières qui restent indispensables : lavage des mains, distanciation sociale, absence de contact physique et, pour les personnes concernées, tousser dans son coude et utiliser des mouchoirs jetables. 

A propos des signataires.

Nous sommes un groupe de soignants de premier recours réunis librement pour réflėchir au rôle de la médecine de terrain au temps du coronavirus. Nous pensons qu’un de nos rôles les plus important est l’éducation du public aux gestes barrières pertinents. Le groupe se compose actuellement de Jean-Baptiste BLANC, Jonathan FAVRE, Stéphane FRAIZE, Jean-Claude GRANGE, Yvon LE FLOHIC, Michaël ROCHOY et Béatrice ROLLAND-BROZZETTI, tous médecins généralistes. Il est ouvert à d’autres. A noter que deux de ses membres (JF, MR) sont co-fondateurs de stop-postillons.fr. Nous n’avons pas d’autre lien d’intérêt à déclarer.

contact @DR_JB_Blanc ou ecransantipostillons@gmail.com

Vous ne nous dérangez pas

300 soignants de premier recours lancent l’alerte :
De très nombreux malades n’ont pas le COVID-19, n’en faisons pas des victimes collatérales.
En cas d’inquiétude médicale, quelle qu’elle soit, appelez vos soignants habituels !

Avec la litanie du nombre de morts égrené quotidiennement, avec les images des soignants exténués, des services de réanimation débordés, avec le confinement, une atmosphère d’extrême urgence règne sur notre pays et dans le monde.

Dans ce contexte particulier nous, 300 soignants de premier recours, médecins généralistes, pharmaciens, psychiatres, IDE, pédiatres, oncologues, gériatres, cardiologues, sages-femmes, Kinés, etc. venant de toutes les régions de France, avons le devoir d’alerter la population française et les autorités sanitaires : les autres problèmes de santé ne doivent pas être négligés.

La plupart des gens pensent que nous sommes débordés et qu’ils vont nous déranger, qu’il faut attendre la fin du confinement. Ils ne veulent pas nous solliciter “pour quelque chose de moins grave”, ils ont peur de la contamination au cabinet, des contrôles policiers ou encore pensent que
ça ne sert à rien de contacter son médecin généraliste pour le Covid-19.

Nous restons disponibles et organisés.

Ne pas consulter quand cela est nécessaire c’est prendre le risque de laisser se dégrader un problème de santé. Nous nous sommes organisés pour faire face. Nous sommes très nombreux à pratiquer la téléconsultation qui évite les déplacements non indispensables. Nous avons réorganisé nos plannings pour que nos patients n’attendent pas en salle d’attente. Nous avons mis
en place les mesures d’hygiène nécessaires. Si nous acceptons de recevoir des patients c’est que nous prenons toutes les précautions qui s’imposent.

Notre rôle dans cette phase épidémique est fondamental.

Pour les patients atteints ou croyant être atteints par le coronavirus notre rôle est d’accompagner les 80% qui n’auront pas besoin d’être hospitalisés et d’aider à la prise en charge en cas de dégradation de leur état.

Pour les personnes avec un traitement régulier pour des pathologies chroniques, notre rôle reste de les suivre et de les conseiller, au téléphone, ou par tout système de communication vidéo, au cabinet ou à domicile, selon ce qui sera le plus pertinent.

Pour les personnes “en bonne santé” mais ayant des symptômes nouveaux, les pathologies aiguës non liées au virus doivent pouvoir continuer à obtenir un avis rapide. Les patients ne savent pas forcément ce qui peut être urgent ou grave. Notre rôle est d’assurer les consultations pour ces
motifs afin de ne pas laisser des situations se dégrader.

Pour les femmes enceintes ou pour les enfants, le suivi reste nécessaire de manière adaptée et avec toutes les précautions qui s’imposent.

Nous sommes prêts à assumer nos responsabilités au sein de la collectivité
et auprès de nos patients que nous connaissons bien. Nous le faisons déjà.

Liste des 300 premiers signataires.

Chronique des jours étranges – Les étapes du deuil

Jeudi 26 mars

Je vois plusieurs copains se lancer dans l’installation de centre de consultation spécialisés, les « Covidromes » près de chez eux.

J’admire leur enthousiasme, leurs capacités d’initiative, leur professionnalisme. Mais je n’arrive pas à adhérer à ce concept dont je ne comprends pas la pertinence en-dehors des déserts médicaux avec de nombreux patients sans médecins traitants. Sauf que, dans ces endroits là, si c’est pour y faire travailler les rares professionnels du coin…

La contagiosité du virus semble très importante (j’ai de plus en plus de mal à croire au taux de reproduction R0 estimé entre 2 et 3) comme le démontre l’incidence très importante chez les soignants des service d’urgence et de réanimation alors même qu’ils disposent de moyens de protection moins limités qu’en médecine de ville.

Je crains vraiment que le rassemblement sur un même lieu de nombreux patients infectés fasse courir un risque majeur, quelle que soient les précautions prises, pour les soignants qui y interviendront. Et pour les patients qui s’y rendront avec des symptômes suspects mais qui s’avèreraient, au final, dûs à une autre cause que le coronavirus.

L’idée semble être également de ne faire venir vers les cabinets habituels que les patients « sains ». Mais avec le nombre importants de porteurs asymptomatiques et avec, pour les autres, la contagiosité qui semble nettement précéder l’apparition des symptômes, on ne peut pas parler de patients « sains » ! Chaque patient est potentiellement infecté et contagieux.

Le risque me semble alors, dans les filières « saines », de relâcher la vigilance et les mesures d’hygiène.

Je reste convaincu que la seule option raisonnable est de limiter au maximum les contacts physiques, y compris dans le domaine du soin. Ne faire venir les patients que lorsque c’est incontournable, en évitant toute attente (ou, au pire, en les faisant attendre à l’extérieur ou dans leur voiture), en limitant les gestes et l’examen clinique au strict nécessaire et en déployant systématiquement les mesures d’hygiène « comme si » le patient et/ou le soignant étaient contagieux.

Toujours l’affaire de la chloroquine. Sur Twitter, certains rappellent les histoires, encore récentes, de médecins « sauveurs » aux promesses miraculeuses qui s’avérèrent d’amers miroirs aux alouettes.

Un article du Monde reprend les données d’une étude italienne qui estime que le virus circulait activement en Lombardie dès le début janvier. La conclusion est terrible :

« Les médecins italiens se gardent bien d’aller au delà dans leurs conclusions. Mais ce travail démontre que les autorités publiques qui ont démarré tôt de telles mesures seront donc à féliciter, en revanche celles qui ont retardé ces mesures, sous des prétextes divers et variés, parfois politiciens, auront probablement à rendre des comptes en fonction de l’état des connaissances au moment de leur prise de décision. »

Vendredi 27 mars

Lundi, on se posait la question de l’existence d’urticaires dans le COVID-19. Nous n’avions pas rêvé !

La presse se fait l’écho du décès d’un jeune de 17 ans à Los Angeles. Econduit du service d’urgence d’une clinique car il n’avait pas d’assurance, et renvoyé vers un hôpital public, il est décédé en route. L’épidémie aux USA sera encore plus dévastatrice qu’en Europe.

Un billet de blog du BMJ « Covid-19 – This too shall pass » m’apporte un peu de réconfort.

(EN) « When it is all over expect an explosion of life and colour. Once again, we will marvel at live theatre, holler for our favourite team in a stadium, and share intergenerational Sunday lunches in restaurants. And we will enjoy these things even more, knowing what it is like to do without.

In times of crisis, we all get to decide. Courage and kindness or looking out for yourself? The first will be what sustains us, individually and collectively. »

(FR) « Quand tout ça sera derrière nous, attendez-vous à une explosion de vie et de couleur. Encore une fois, nous nous émerveillerons dans un théâtre, nous encouragerons notre équipe préférée dans un stade, nous partagerons un repas de famille au restaurant. Et nous en profiterons encore plus, sachant ce que c’était de devoir s’en priver.

Dans les situations de crise, nous devons tous faire des choix. Courage et attentions aux autres, ou bien veiller sur soi-même. La première option est celle qui nous portera, individuellement et collectivement. »

Je fais le bilan de la semaine : 3 consultations présentielles (un vertige, une plaie et un ECG) pour… 49 téléconsultations. Les collègues c’est à peu près pareil.

Ah non, c’est mon tour de faire le samedi matin…

Samedi 28 mars

Matinée de consultations tranquille. 11h50, je téléphone au laboratoire pour savoir s’ils ont le résultat du test prélevé mercredi matin chez mon mari. Toujours pas.

Un article en anglais fait la synthèse du « dossier Raoult ». Etudes bancales, manipulation des résultats, « cherrypicking », fraudes, méthodes tyranniques et, finalement, harcèlement… En même temps, avec Trump, Estrosi ou Joyeux comme supporters…

J’utilise régulièrement la citation de Jacques Monod, dans le domaine de la recherche : « Ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique. »

Evidemment, on ne peut pas inverser la phrase. Le seul caractère scientifique d’une recherche ne suffit pas à la rendre éthique. Mais, si elle n’est pas suffisante, c’est une condition nécessaire, le socle de toute démarche de recherche. Aussi dénuée de risques ou de contraintes qu’elle soit, une étude qui n’a pas de rationnel scientifique solide n’est que futilité.

Un brillant article par Pascal Marichalar, « Savoir et prévoir », dans la Vie des Idées, retrace l’historique des connaissances entourant le COVID-19 depuis début janvier. Là encore, une conclusion cinglante : « Lorsque le temps de la justice et des comptes sera venu, il nous faudra comprendre comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle… »

Dimanche 29 mars

Aujourd’hui, j’ai réussi à passer 30 minutes à faire des exercices scolaires avec notre fille, à jardiner pendant 3 heures et à faire un Test de lecture mensuel de Prescrire. Déjà un début de normalisation ?

J. a envoyé le planning des gardes pour les 6 prochaines semaines. Depuis une dizaine d’années, c’est SOS qui assure les gardes de soirée sur notre secteur, nous ne faisons que les week-ends. Une quinzaine de médecins s’est portée volontaire pour faire un « planning bis » que nous allons communiquer au 15 avec, chaque soir, un médecin qui sera disponible si les effecteurs officiels sont débordés.

Je vois passer un tweet décrivant l’A310 que l’Allemagne utilise pour évacuer des patients depuis les hôpitaux italiens surchargés. 44 lits dont 16 de soins intensifs !

Dans le même temps, la France transfère des patients d’Alsace et de Lorraine vers les hôpitaux de Nouvelle-Aquitaine en TGV médicalisé.

Dans la situation actuelle, ces transferts sont nécessaires. Mais je n’ose imaginer leur coût financier. À mettre en rapport avec les économies faites sur les stocks ou le personnel de nos hôpitaux.

Je relaie deux vidéos qui me semblent remarquables. Tout d’abord l’interview du Pr Gilbert Deray qui fait entendre la voix de la sagesse dans la tempête médiatique.

Et l’intervention de Clément Viktorovitch qui pointe ce que la rhétorique guerrière a d’inacceptable.

Un article de l’Obs revient sur le livre « La Peur en Occident » de 1978, « Pour comprendre la psychologie d’une population travaillée par une épidémie… » Les parallèles sont impressionnants.

Grâce à notre amie, Margaux, je tombe une nouvelle fois sur un texte important et qui m’apporte du réconfort. Il s’agit de l’interview (en anglais) de David Kessler, spécialiste des processus de deuil.

Je trouve son analyse à travers le prisme des différentes phases du deuil remarquable. Je traduis ici quelques passages.

« La perte de la normalité, la peur de l’impact économique, la rupture des liens. Tout ceci nous frappe et nous sommes en deuil. Collectivement. Et nous ne sommes pas habitués à cette sorte de deuil collectif qui nous entoure. (…)

Nous ressentons également un deuil par anticipation. Le deuil par anticipation est ce sentiment que nous avons quand l’avenir est incertain. Généralement c’est centré sur la mort. Nous le ressentons quand quelqu’un apprend un diagnostic sombre (…). Quand il y a quelque chose de menaçant, là, à l’extérieur. Avec un virus, c’est très déroutant pour les gens. Nous sentons qu’il se passe quelque chose de dangereux mais nous ne pouvons pas le voir. Ceci rompt notre sentiment de sécurité. Je ne pense pas que nous ayons déjà tous collectivement ressenti ainsi cette perte de sécurité globale. Individuellement ou au sein de groupes, oui, des gens l’ont ressentie. Mais tous ensemble, c’est nouveau. Nous sommes en deuil sur un plan micro et sur un plan macro. (…)

Comprendre les étapes du deuil est un départ mais il faut se rappeler que ces étapes ne sont pas linéaires et peuvent ne pas se dérouler dans cet ordre. Ce n’est pas une carte mais ça donne des repères dans un monde inconnu. Il y a le déni : Ce virus ne nous atteindra pas. Il y a la colère : Vous me demandez de me confiner et de renoncer à mes activités. Il y a le marchandage : Ok, si on se confine 2 semaines, ça va aller, n’est-ce-pas ? Il y a le découragement : Je ne sais pas combien de temps ça va durer. Et finalement, il y a l’acceptation : C’est vraiment en train de se produire, je dois trouver des solutions pour m’adapter.

L’acceptation, c’est là qu’on reprend le pouvoir, qu’on retrouve le contrôle. Je peux me laver les mains. Je peux garder une distance de sécurité. Je peux apprendre à télétravailler. (…)

Il faut aussi réfléchir à laisser tomber ce qu’on ne peut pas contrôler. Ce que fait votre voisin est hors de votre contrôle. Ce que vous pouvez contrôler c’est de rester à 2 mètres de lui et de vous laver les mains. Concentrez-vous sur ça. (…)

C’est une situation temporaire. Ça aide de se le rappeler. J’ai travaillé 10 ans à l’hôpital, j’ai également étudié la pandémie de grippe espagnole de 1918. Les précautions que nous prenons sont les bonnes. L’Histoire nous dit ça : on peut survivre. Nous survivrons. C’est un moment où il faut se surprotéger mais pas surréagir.

Et je pense que nous y trouverons un sens. (…) En ce moment même, les gens se rendent compte qu’ils peuvent se connecter grâce à la technologie. Ils ne sont pas si isolés qu’ils le pensaient. Ils réalisent qu’ils peuvent avoir de longues conversations au téléphone. Ils apprécient de faire une promenade. Je crois que nous continuerons à y trouver du sens, maintenant et quand ce sera terminé. (…)

Il est absurde de penser que nous ne devrions pas ressentir un deuil en ce moment même. Autorisez-vous à ressentir ce deuil et continuez à avancer. »

Chronique des jours étranges – L’attente

Jeudi 19 mars

Aujourd’hui, j’aurais dû être avec M au Congrès de la Médecine générale et faire la présentation de notre poster. Pas mal de boulot mis entre parenthèses mais on espère que ce n’est que partie remise.

Un torréfacteur de Bordeaux offre une partie de son stock aux soignants. Comme ça. Il ne nous connait même pas mais il connaît quelqu’un qui nous connaît. Pluie de papillons sur sa route.

Beaucoup de cas suspects en téléconsultation aujourd’hui, je me rends compte que c’est plus difficile d’être systématique qu’en consultation classique. Il faut jongler entre les fenêtres : celle de la caméra, le dossier du patient, le site Ameli pour faire l’arrêt de travail, la boite mail… Et puis le dialogue est clairement moins fluide qu’en face à face. Du coup, je m’emmêle un peu les pinceaux. Je décide de me faire une petite check-list en papier pour être sûr de ne rien oublier.

Un patient que j’ai arrêté de manière préventive en raison de ses facteurs de risque me maile un certificat de 2 pages à remplir pour son assurance de maintien de salaire. Alors que même qu’un mastodonte comme la Sécu a réussi en quelques jours à proposer un formulaire pour que les patients à risque fassent eux-mêmes leur arrêt, Groupama pense qu’on a rien d’autre à faire que de compléter leurs certificats à la con. Je refuse de le faire même si c’est un patient que j’aime beaucoup et l’invite à dire à son assureur ce que j’en pense.

Le labo du coin peut enfin prélever des tests PCR, entre autre grâce aux masques FFP2 qu’on leur a filé. Je prescris la première aujourd’hui chez une patiente d’un établissement d’hébergement. La biologiste me dit qu’elle va se débrouiller pour la blouse. Et pour la charlotte ? Euh… je ne vois pas. Je pense qu’il faudra faire sans.

Le soir, M passe dans mon bureau, on papote un peu, on discute des cas qui deviennent plus fréquents avec des plannings qui restent très vides par rapport à l’ordinaire.

Il me dit « Ça fait chier cette espèce d’attente, j’ai hâte d’être dans 15 jours.
– Euh, je ne crois pas qu’on doive avoir hâte. Quand on y sera, on regrettera le calme d’aujourd’hui.
– Oui bien sûr. En fait, ce qui me fait chier c’est de ne pas connaître l’ennemi.

Vendredi 20 mars

En arrivant, je tombe sur l’équipe de ménage du jour, orthophoniste et infirmière dans leur plus belle tenue.

La petite-fille d’Henri m’appelle, fièvre et toux depuis 3 jours. Il habite un peu loin, elle va sur place pour qu’on puisse faire une téléconsultation.

Je le vois allongé sur son lit. Fréquence respiratoire à 26. Il n’arrive compter que jusqu’à 7 avant de devoir reprendre son souffle. J’appelle le 15, une ambulance vient le chercher.

Il a 87 ans et quelques soucis. Mais jusqu’à l’an dernier il nous ramenait plusieurs cageots de légumes de son potager chaque été.

C’est le premier patient que je pense ne pas revoir.

Il y a encore 1 mois, je m’engueulais presque avec J au sujet du projet de CPTS locale. Personne n’était enthousiaste et n’en voyait vraiment l’intérêt. surtout chez nous avec la culture de coopération entre les 5 MSP des environs. Juste un nouveau machin administratif avec des contraintes en plus. J’étais pour boycotter les réunions, elle voulait y être pour ne pas laisser le train démarrer sans nous, ça me mettait en rogne.

C’était il y a 1 mois et aujourd’hui je vois avec enthousiasme les infirmiers libéraux de 3 cantons former un groupe WhatsApp pour s’organiser et structurer une filière pour les prélèvements ou la prise en charge des patients à domicile. Ils et elles décident de mettre en commun le matériel récupéré auprès des mairies ou des garagistes.

C’était il y a 1 mois et je vois les médecins s’échanger les informations et se porter volontaires pour reprendre les gardes de soirées et doubler celles de week-end le temps de la crise.

Ça n’en a pas le nom, c’est sur un territoire plus limité que l’immense machin qui était envisagé et on n’a certainement pas besoin de tous les carcans administratifs. Mais ce n’était peut-être pas si idiot cette idée de CPTS.

Je découvre et partage « Covid-19, chronique d’une émergence annoncée ». Clairement, les articles les plus intéressants, les infos utiles c’est sur Twitter que je les trouve.

A n’est pas venue travailler aujourd’hui : fièvre, courbatures, toux. Elle est allée se faire tester sur le parking du labo. On a pourtant été parmi les premiers à modifier notre fonctionnement, travailler en masques, en blouses, à limiter le passage à la MSP. Putain de virus.

Samedi 21 mars

Depuis plusieurs semaines, les consignes au sujet du port des masques fluctuent. Visiblement plus en lien avec la gestion de la pénurie qu’en fonction d’un intérêt médical réel.

Certains avancent que les masques en tissus seraient plus dangereux que rien. Je ne vois pas comment c’est possible.

Le seul argument raisonnable qui me semble tenir la route serait que le port d’un masque pourrait amener à relâcher la vigilance sur les autres gestes barrière. Pourquoi pas.

Mais, dans la situation de pénurie actuelle, le choix n’est pas entre masque professionnel et certifié ou masque en tissu artisanaux. Le choix est plutôt en général entre masque en tissu artisanal ou rien. Et quelle que soit leur capacité filtrante, je leur vois au moins deux autres intérêts :

– Si on maintient l’idée que seuls les malades doivent porter un masque, on n’évitera pas la stigmatisation des porteurs de masque. Le risque c’est que, comme M me le racontait la semaine dernière, certains malades tousseurs refusent de porter un masque pour éviter d’être pointés du doigt.

– Depuis que j’en porte toute la journée, je me rends compte que c’est un très bon moyen d’éviter tous les gestes machinaux de la main vers le nez ou la bouche or ce sont ces gestes involontaires qui sont les plus à risque. C’est ce que j’appelle la fonction proprioceptive des masques, fussent-ils artisanaux.

Je suis tout content de découvrir l’article « La place des masques en tissus dans la prévention du coronavirus Covid-19 » écrit par une couturière et ingénieur textile. En le lisant, je réalise un truc qui me paraît évident à présent, c’est la fonction électrostatique de la matière : un masque n’est pas juste un filtre mécanique.

Heureusement, les copains sur Twitter arrivent régulièrement à sortir des trucs pour me faire marrer.

Ça paraît de plus en plus difficile de faire les tests même dans les indications officielles. Je ne comprends pas la logique derrière ça. Encore une fois c’est sur Twitter, via le compte d’un biologiste hospitalier que je trouve des éléments de réponse.

Pendant ce temps, la Corée du sud, pratique les tests à très grande échelle.

En même temps, le manque de moyens ne semble pas un problème spécifiquement français. C’est le système économique dans son ensemble, la politique à courte vue, la recherche du profit maximum qui doivent être remis en cause.

Je découvre qu’il y a plusieurs sociétés, françaises, américaines, suisses, coréennes… qui affichent en précommande sur leur site des kits de test rapides pour la détection des anticorps anti-Covid 19. Quand ça sera finalisé et disponible, ce sera la ruée. Et qu’est ce que ça changera la donne pour les soins de première ligne !

Dimanche 22 mars

Annonce du premier décès d’un médecin français du Covid-19. Gâchis.

47 ans, je ne suis pas encore dans la zone rouge mais qu’est-ce que je ressentirais si j’avais 15 ou 20 ans de plus ? Je pense aux copains qui ont passé les 60 ans. Envie de leur dire de se mettre en retrait, de se confiner, de se limiter à de la régulation ou de la télémédecine exclusive. Franchement, il n’y aurait aucune honte.

Mon mari avait des poussées de fièvre jusqu’à mercredi. Par prudence, il avait été mis en arrêt. La fièvre semble avoir disparu mais il se sent essoufflé et « comme du froid sur la poitrine, là ». Pas de toux, il reprend le boulot demain. Sa cadre l’a déjà appelé 2 fois pour changer le planning de la semaine en s’adaptant aux absences qui se multiplient.

Lundi 23 mars

En arrivant à la MSP, je tombe sur S, la psychologue, qui est venue faire le ménage et sur notre infirmière Asalée qui est là pour faire le suivi téléphonique des patients. En les voyant ensemble, je tilte que ce sont les deux plus âgées de l’équipe. Je leur dit que ça ne me paraît pas raisonnable de continuer à venir dans les locaux et de s’exposer si ce n’est pas indispensable. D’autant plus que le suivi téléphonique pourrait être fait à distance.

Le choc est rude. L’une et l’autre tenaient à être rester présentes pour se sentir toujours à la barre. Longue discussion avec les collègues, on parle de responsabilité individuelle, de responsabilité collective, de solidarité nécessaire, de solutions à inventer.

Téléconsultations impossibles ce matin. Les serveurs sont à bout de souffle, visiblement le trafic de téléconsultation a été multiplié par plus de 1000 en 10 jours. Il faut se démerder par téléphone.

On en est à 5 médecins décédés en 2 jours. Mon père s’inquiète en m’envoie un message.

En discutant avec les collègues pendant le repas de midi, on se rend compte qu’on a eu trois cas de Covid-19 avec des épisodes d’urticaires typiques. Je n’ai rien vu passer à ce sujet, je demande à Twitter, ça ne semble pas exceptionnel !

Henri est rentré chez lui, sous antibiotiques. Finalement, il semble bien que je le reverrai ! PCR Covid et scanner thoraciques négatifs. Les autres pathologies sont toujours là.

Les résultats du test de notre coordinatrice ne sont pas encore disponibles, elle ne va pas trop mal.

Mardi 24 mars

3h du matin, insomnie. Je vais voir ce qu’il se passe sur Twitter, je tombe sur un message qui évoque la possibilité de réutiliser les masques FFP2 après 30 minutes à 70°, je creuse un peu et retrouve la synthèse l’Université de Stanford « Répondre à la pénurie de masques » qui donne ces éléments. Je retrouve également un article de l’Université de Cambridge de 2013 qui retrouve une efficacité très similaire des masques en tissus avec filtre confectionné à partir de sacs d’aspirateurs en comparaison des masques chirurgicaux.

La journée est toujours assez calme au cabinet. J’en profite pour finir de mettre en ligne toutes les fiches « suivi Covid-19 » de nos patients pour qu’on puisse tous y accéder, que ce soit depuis le cabinet, le domicile des patients où depuis chez elle pour S, l’infirmière.

Je cherche des ressources pour faciliter la télésurveillance et les explications à donner aux patients pour évaluer leurs constantes. Je me rappelle d’un tweet en anglo-gallois que j’ai vu passer et je découvre le score de Roth qui permet, avec une précision acceptable en « mode dégradé » d’évaluer la saturation des patients à distance.

Comment mesurer sa Fréquence respiratoire ?

Comment mesurer sa Fréquence cardiaque ?

Comment mesurer sa température ?

Décompte à voix haute (Score de Roth)
Prendre une grande inspiration et compter rapidement à voix haute 1, 2, 3, 4, 5, …
– Normal si décompte > 30
– Si décompte < 10 ou 7 secondes => Sat < 95% (avec une sensibilité de 91% et 83%)
– Si décompte < 7 ou 5 secondes => Sat < 90% (avec une sensibilité de 87% et 82%)

A midi, c’est dessert amélioré. Un restaurateur des environs nous a fait déposer du moelleux au chocolat. C’est super touchant. Et délicieux.

Je vois passer, mi effondré mi ébahi, un tweet pour proposer un montage permettant de ventiler simultanément 4 patients avec UN respirateur dans une situation de « do or die ».

17h, mon mari m’envoie un SMS. Il a de nouveau 38°1. Il prend rendez-vous chez son médecin pour demain matin.

18h, le résultat du test de A est négatif. Mais, je vois passer de plus en plus d’infos sur le taux de faux négatifs, entre 20 et 50%. Elle reste chez elle à se reposer et à s’isoler de sa famille.

L’histoire de Raoult et de la chloroquine me rend dingue. Quel que soit le résultat au final, même si ce traitement fonctionne (et je le souhaite même si je n’y crois guère vu la minceur des résultats), ça aura fait des dégâts considérables à la crédibilité de la recherche médicale. Cet article explique bien les principaux problèmes.

Dans la soirée, je découvre que Raoult sort un bouquin dans quelques jours. Je n’ai pas de mots et je n’arrive pas à me sortir de la tête que toute cette affaire n’est qu’un énorme plan com’ sans aucune vergogne.

Mercredi 25 mars

Au petit déjeuner, je découvre une vidéo très bien fichue qui explique de manière simple le problème que pose l’affaire de la chloroquine et les dégâts que ça risque de faire.

Et puis juste après, je tombe sur une vidéo parodique que M a fait passé sur le groupe WhatsApp et qui me fait bien marrer.

Un thread par un virologue américain évoque la dérive génétique du virus et pourquoi ça ne devrait pas être trop alarmant sur le plan immunologique. Si l’immunisation (post-infectieuse et/ou vaccinale) n’est pas définitive, elle devrait quand même nous donner de l’air pour envisager les choses sur plusieurs années.

C’est mon jour off. J’avais pensé aller dans le jardin pour avancer sur les travaux nécessaire. Le soir est arrivé et je ne suis pas sorti.

Dans la matinée, Super-Nounou nous a annoncé qu’elle commençait à tousser et qu’elle était en arrêt.

Mon mari a vu son médecin. C’est dans les locaux de la MSP où il consulte qu’a été positionné le site de prélèvement que les infirmières libérales du secteur ont organisé. Il a directement été testé sur place.

Ça se rapproche.

Chronique des jours étranges – Le reflux

Je ne pensais plus reprendre l’écriture de ce blog. Aujourd’hui j’éprouve le besoin de faire la chronique de ces jours étranges.

Fin février, je consacre mon énergie à mon futur projet de recherche « BioGP » et à la finalisation du poster qu’on présentera avec ma collègue au Congrès de la Médecine générale le 20 mars.

Comme depuis plusieurs années, je suis l’actualité avec une certaine distance. Ce qui focalise le plus mon attention ce sont les primaires démocrates aux USA. Le coronavirus c’est très lointain. La construction en urgence des hôpitaux chinois m’interloque mais je ne creuse pas plus que ça.

Vendredi 28 février

Réunion hebdomadaire de l’équipe de la Maison de Santé. Première fois qu’on parle de l’épidémie de coronavirus. Ça paraît encore loin. Certains proposent de commencer à séparer la salle d’attente en deux. Je suggère d’attendre des consignes nationales.

Pour déconner, je dessine un vieux poste de télé sur le tableau blanc de la salle de réunion avec la citation de Gicquel en 76 « La France a peur. »

Lundi 2 mars

C’est le jour de mon déclic. Le soir, je découvre les titres de la presse qui annoncent un deuxième décès à Crépy-en-Valois. Deux décès dûs à un même virus en quelques jours dans une ville de 15 000 habitants, c’est statistiquement improbable. Je commence à douter de la notion de « grosse grippe » encore généralisée.

Dans les jours qui suivent, je regarde un peu dans le détail, les chiffres pour la France ou l’Italie. J’ai des souvenirs de maths qui remontent, de ce à quoi ressemble le début d’une courbe logarithmique. Je découvre la notion de « super spreader », la probable contagiosité des patients asymptomatiques… Plus ça va, plus je me dis que c’est chaud. Mais on ne parle que des clusters de l’Oise, de Mulhouse et des Alpes, on a encore le temps.

Mardi 3 mars

Notre interne m’appelle pour une possible suspicion de COVID : fébrile et sensation d’oppression thoracique mais pas grand chose d’autre. Pour la première fois, je mets un masque FFP2 : il m’en reste 80, largement périmés, de l’époque de H5N1 que j’avais gardés au cas où.

Je donne un masque chirurgical à la patiente qui plaisante « J’espère que je ne serai pas le patient zéro du département. » Vraiment rien de très inquiétant à l’examen clinique mais elle travaille au contact de personnes fragiles, j’appelle le 15 pour avoir les instructions. Elle ne revient ni de Chine, ni de Singapour, ni de l’Oise, elle ne sera pas testée. Pas de risque de coronavirus a priori « mais, puisque vous avez mis un masque, gardez-le tant qu’à faire. »

Jeudi 5 mars

J’entends à la radio qu’un Député est hospitalisé avec d’autres cas à l’Assemblée nationale. Putain, il y a un truc qui cloche ! Je reprends les chiffres, je calcule un temps de doublement de 3 jours, à la louche. Si c’est ça, ça fait 30 millions de malade dans 6 semaines, je prends conscience des premières alertes concernant la capacité du système de soins.

Je commence à expliquer aux patients que c’est mieux de ne pas les examiner physiquement si ce n’est pas absolument nécessaire.

J’en parle au repas de midi. M se moque gentiment de moi « Héhé ! Il y a Borée qui commence à avoir la trouille. »

J’en discute aussi à la maison le soir. Mon mari a toujours eu de petites compulsions d’achat de nourriture en cas de stress, je me moquais souvent de lui et de ses « réserves Fukushima ». Là, pour la toute première fois, c’est moi qui lui dis d’aller faire les course demain et de faire des stocks pour quelques semaines. On dort mal tous les deux.

Vendredi 6 mars

Réunion d’équipe. On évoque encore notre projet d’agrandissement, la réunion de mercredi prochain à Paris, à laquelle la moitié de l’équipe doit se rendre. L’essentiel de la réunion est tout de même consacrée au COVID-19, on prend les premières décisions : on vide toute la salle d’attente des livres, des revues, des jouets ; on met un affichage à l’entrée avec un bidon de solution hydro-alcoolique et des masques pour les malades ; on disperse les chaises dans les couloirs ; on propose aux patients qui appellent pour un renouvellement de repousser leur rendez-vous.

Les médecins évoquent l’arrêt des consultations libres de fin de journée, le développement de téléconsultations (qu’on avait toujours refusées)… On prévoit de déposer les ordonnances directement à la pharmacie 2 fois par jour. On validera tout ça lundi.

On se prend un peu le bec par moments, j’en fais peut-être de trop. C’est la première fois que c’est moi qui tient ce rôle.

A la fin de la réunion, je ne me sens pas très bien, je rentre sans finir ma paperasse. Des putains de courbatures, un peu mal au bide mais seulement un petit 37°8 et rien d’autre. Si seulement, je pouvais me faire tester… Je n’appelle même pas le 15, je connais la réponse. Fait chier.

Samedi 7 mars

Toujours courbaturé mais ça va.

Je craque, j’appelle mon père à l’autre bout de la France. Je lui dis de faire des courses, de rester à la maison et d’éviter de s’occuper de mes neveux. Ça l’étonne mais il me prend au sérieux : il ne m’avait jamais vu inquiet comme ça.

Dimanche 8 mars

Je lis de plus en plus d’articles qui m’affolent. En particulier cet article du Lancet qui souligne que « Les comportements individuels seront cruciaux pour le contrôle de l’extension du virus. Les actions individuelles, plus que gouvernementales, risquent d’être l’enjeu majeur dans les démocraties occidentales. Une auto-quarantaine précoce, évitant de recourir à un avis médical en-dehors de symptômes sévères, et l’évitement social seront les clés. » Je le partage avec les collègues, ainsi que la synthèse de Dominique Dupagne.

Lundi 9 mars

C’est la rentrée des classes. Je dépose notre fille dans sa classe et je dis à la maîtresse que ce sera la plus courte rentrée de sa vie, elle semble étonnée. Quand je vois les parents agglutinés dans les couloirs, j’ai la trouille.

J’ai des rendez-vous ce matin, je ne touche que deux patients. Pour les autres, chacun reste de part et d’autre du bureau. J’annule les rendez-vous de deux patientes particulièrement à risque, je fais mes premières « téléconsultations » par téléphone.

Je vois une enfant, elle a 38°7, elle tousse, je n’ai rien à l’examen. Sa mère n’a aucun symptôme mais elle est auxiliaire de vie chez des personnes âgées. J’hésite, j’appelle le 15 pour demander où on en est la météo épidémiologique du coin. La gamine ne revient pas de Chine, ni de Singapour, ni de l’Oise, ni de Mulhouse, elle ne sera pas testée. On ne sait pas vraiment me dire la situation épidémiologique mais « C’est sûr, il y a déjà plein de cas dans le département ». La France est toujours en niveau 2 épidémique et on considère toujours officiellement qu’il n’y a que 7 clusters au sein desquels le but des tests est de retracer les chaines de transmission.

A cause de son métier, je décide de mettre la mère en arrêt alors qu’elle n’a rien.

Je pense que c’était mon premier cas de COVID-19.

J’annule mes visites de l’après-midi, je compare les solutions de téléconsultations, je choisis celle du GCS-SARA qui est gratuite et qui ne dépend pas d’une société commerciale. Je demande à mon mari d’aller nous acheter des webcams pour les bureaux des médecins.

Mardi 10 mars

Premières expériences de téléconsultation avec webcam. Ça marche assez bien. Sur la journée j’arrive à en faire 9, pour 3 consultations physiques. Les patients sont étonnés ou soulagés selon les cas. Je commence à annuler un maximum de consultations non urgentes.

Un jeune arrive, il avait pris rendez-vous pour un mal de gorge. Il commence à m’expliquer qu’il revient d’un week-end à Paris, qu’il a mal à la gorge et qu’il tousse un peu. « Il est où votre masque ? – Ah, euh, ben c’est pas trop grave quand même. – Vous savez qu’il y a une épidémie, beaucoup de gens vont mourir, putain ! » Je vais lui chercher un masque, il ne sourit plus du tout.

A et C commencent à transpirer à l’accueil. On se rend compte que c’est à leur niveau que la téléconsultation pose problème en raison des explications nécessaires aux patients. Une patiente leur fait la remarque que « C’est drastique chez vous. »

On prend la décision d’annuler notre déplacement à Paris du lendemain, ça n’a aucun sens.

Je ne suivais plus l’activité sur Twitter qu’en pointillé mais j’y replonge. Durement. Je suis très prudent avec les « Yakafaukon » et je comprends la difficulté à gérer une crise. mais je ne comprends pas les choix qui sont faits pour les tests. Je vois que je ne suis pas le seul.

Mercredi 11 mars

Puisque nous n’allons plus à Paris, nous profitons du temps libéré pour refaire une réunion d’organisation.

Les portes de la MSP sont bloquées en position ouverte. A met des affiches rouges sur toutes les portes « Ne touchez pas aux poignées avec les mains. »

On se retrouve avec les pharmaciennes pour décider du circuit des ordonnances pour éviter que les patients transitent par la MSP.

Puis on rediscute de notre organisation, de ce qui peut être fait en téléconsultation ou de ce qui nécessite un examen physique. M me dit qu’il n’imagine pas ne pas ausculter les poumons d’un patient qui tousse. On commence à établir un algorithme pour les accueillantes. Ça me paraît trop complexe, trop long, j’explose. Pour moi, il faut arrêter de bavasser et ne voir physiquement les patients qu’en cas de nécessité absolue. J me dit de me calmer, qu’on a tous besoin de faire notre chemin et de s’approprier ces évolutions brutales. Elle a raison.

M rajoute qu’elle me suit parce qu’elle me fait confiance mais qu’on est encore très en décalage avec tout ce qu’elle voit autour d’elle. Notre interne confirme que quand elle discute avec ses potes de promo, tout le monde s’étonne de ce qu’on a déjà mis en place.

Les autres professionnel(le)s de la MSP voient nos réunions et la mise en place des nouvelles mesures d’organisation. L’inquiétude grandit, les visages se ferment.

Le soir, j’ai un moment de doute. Je me demande si c’est moi qui me fait un coup de flippe.

Jeudi 12 mars

1 consultation physique pour 12 téléconsultations. Les collègues s’y mettent progressivement.

On rappelle tous les patients des jours à venir pour annuler ou basculer en télémédecine.

Je découvre l’article « Coronavirus: Why You Must Act Now » (traduit en français 3 jours plus tard) qui est limpide et terrifiant, je le partage autant que je peux.

J’apprends la nouvelle de la mort du Dr Stella, médecin généraliste président du Conseil de l’Ordre des médecins de Lombardie. Mort du coronavirus. J’en parle et plombe un peu plus l’ambiance dans la MSP.

La nouvelle court : cas confirmé dans une usine du village d’à côté. Et probablement chez une institutrice du secteur. On commence vraiment à voir des cas suspects.

Le soir, j’écoute l’allocution présidentielle avec S qui est encore là. Le maintien des élections me rend fou de rage.

Je rappelle mon père, il ne sort plus du tout depuis hier.

Je dors de moins en moins bien.

Vendredi 13 mars

La mairie nous a fait porter un lot de masques FFP2 de l’époque de H5N1 qu’ils ont retrouvé au fond de leurs stocks. Nous décidons d’en conserver la moitié et de distribuer discrètement l’autre moitié à nos patients les plus à risque qui ont des rendez-vous extérieurs impératifs, pour les chimios en particulier.

On acte que ce sera notre dernière réunion d’équipe jusqu’à nouvel ordre : ce n’est plus raisonnable de nous réunir à 20 dans une même pièce. On commence à tous porter des masques. Certains pleurent.

Les orthophonistes, les psychologues et l’ostéo décident de cesser totalement leur activité. Ce sera une grosse perte de revenus pour eux. Comme A et C sont déjà en surchauffe à l’accueil et que ça n’ira qu’en s’aggravant, on prévoit d’affecter les subventions de la SISA à rémunérer celles et ceux qui arrêtent leur métier et qui viendront en renfort à l’accueil et au secrétariat.

Les loyers de toutes celles et ceux qui sont impactés sont gelés, on se démerdera.

Nous décidons d’envoyer un mail aux 400 adresses de patients que nous avons pour leur faire passer les consignes.

On reste tous jusqu’au soir à téléphoner, nous organiser. Chacun fait de son mieux pour prendre sa part du travail.

Fou rire en fin de journée quand un jeune du village se pointe juste pour utiliser nos toilettes. S, qui le connait depuis toujours, l’engueule « Mais tu ne vois pas ce qu’il se passe ici ?! »

Je suis trop fier de partir au combat avec cette équipe.

Samedi 14 mars

Le soir, M et W viennent manger à la maison. M, qui faisait le samedi matin, me raconte qu’elle a vu un patient tousseur qu’elle a contraint à mettre un masque. La pharmacienne lui a dit qu’en arrivant chez elle, il ne l’avait déjà plus. Par contre, quand M est rentrée dans la pharmacie avec son masque, pour déposer ses ordonnances, les gens l’ont fusillée du regard avant de comprendre. Porter un masque c’est être pestiféré, du coup certains malades ne veulent pas les porter, il faut que ça change !

On plaisante des stocks qu’a fait mon mari : 10 kilos de viande au congélateur et 15 plaquettes de chocolat. Mais aucun fruit. Le chocolat, ce n’est pas pour le manger mais pour le revendre si ça tourne mal. M rigole et dit que je lui aurait vidé le stock avant ou alors que la seule personne à qui il pourra le revendre ce sera moi.

Dimanche 15 mars

Le maintien des élections me rend fou. Quand tout ça sera fini, il faudra faire les comptes.

Cet article du Washington Post est limpide sur l’intérêt des différentes mesures pour limiter la progression de l’épidémie.

D nous fait passer cette vidéo de l’Institut Pasteur qui est passionnante pour comprendre le début de l’épidémie et où tous les éléments clés sont là. La seule erreur flagrante c’est le péché d’orgueil d’avoir cru que l’Inde et l’Afrique seraient plus en danger que l’Europe. Putain, elle date du 20 février, il y a 25 jours et on en est encore à se balader au parc ou dans les marchés.

Je vais au grenier, ressortir mes vieilles tenues d’interne que j’avais gardées au cas où.

Depuis 5 ans, on fait repas commun, chacun un jour dans la semaine. On a décidé qu’il fallait arrêter. Dimanche soir, je prépare ma gamelle personnelle, ma tasse et mes couverts de la maison, j’ai envie de pleurer.

Notre fille a un coup de blues. J’ai passé le week-end à la maison et je n’ai presque pas joué avec elle. J’en suis désolé mais je me rends compte que je ne suis pas là, que je n’ai aucune disponibilité intellectuelle, que je ne pense qu’à « ça ». Je ne sais pas comment on va gérer les prochaines semaines. On lui explique que Papa et Papou vont avoir beaucoup de travail pour soigner les gens, qu’on s’occupera probablement moins d’elle mais qu’on l’aime très fort. Je la sers dans mes bras.

Lundi 16 Mars

La MSP est sinistre avec le temps gris. La salle d’attente, qui est généralement pleine le lundi matin, est vide. Les rares patients qui viennent sont pris immédiatement.

J’ai mis ma blouse. Dès que je circule dans les couloirs, je retrouve instinctivement ma posture du bloc opératoire avec les deux mains regroupées sur le sternum. R se fout de moi, il trouve que je ressemble à un charcutier.

Le Collège de la médecine générale met en ligne Coronaclic pour servir d’outil aux généralistes de ville.

On voit de plus en plus de cas suspects. Le laboratoire du coin nous confirme qu’ils n’ont toujours pas les moyens techniques de faire les tests, à commencer par le matériel de protection pour les prélèvements. On leur file deux boites de FFP2 du stock de la mairie.

Avec l’annonce d’un probable confinement, les gens se sont rués dans les magasins. J’en vois aussi une dizaine faire la queue à l’extérieur de la pharmacie, c’est absurde.

On rappelle à A et C que, même salariées, elles restent libres de rester chez elles si elles se sentent en danger. Aucune des deux n’y avaient même pensé, elles veulent rester à la barre.

Dernier jour de notre interne qui est réquisitionnée pour l’hôpital à partir de demain.

Mardi 17 mars

Notre société de nettoyage nous a annoncé hier soir qu’elle arrêtait son activité. Quand j’arrive, c’est la coordinatrice et le sage-femme qui sont en train de vider les poubelles et de nettoyer les bureaux.

Beaucoup de demandes administratives, d’arrêts de travail. On ne discute quasiment rien et on se lâche complètement comme tous les copains de Twitter.

Quand un patient sans facteur de risque particulier nous dit que son employeur l’oblige à venir travailler au contact d’autres collègues et qu’il se sent en danger, on ne sait pas trop quoi faire. On l’invite à dire à son employeur qu’il engage sa responsabilité en cas de contagion et de complication. Parfois ça passe, parfois pas et on se résout à faire un arrêt en râlant. C’est dégueulasse car, au final, ce sont les employeurs les plus cons qui font payer les arrêts par l’Assurance Maladie.

Un patient a des symptômes typiques de COVID-19 depuis 3 jours. Il est rentré la veille de Mulhouse en avion. Il me confirme que, même si l’avion était vide aux deux tiers, il n’était pas le seul à tousser. Je comprends complètement qu’il ait voulu retrouver sa famille mais quel naufrage collectif d’avoir laissé ça se faire.

Globalement, activité extrêmement calme. A 4 médecins, on fait 4 consultations physiques et 30 téléconsultations.

Depuis une semaine, on a ce sentiment très étrange de voir la mer se retirer, le calme se faire, et de savoir que la vague va bientôt arriver.

Les premiers diagnostics probables datant de 5 ou 6 jours on devrait bientôt commencer à avoir des cas graves.

On profite du calme relatif pour continuer à se préparer. A, la coordinatrice est sur tous les fronts. D va chercher les deux ordinateurs portables qu’on avait commandés pour les visites à domicile. S va chercher le dernier thermomètre sans contact disponible dans les pharmacies des environs. J, envoie un mail aux autres médecins du secteur de garde pour recenser les volontaires pour doubler les gardes de soirée et de week-end. Quant à moi, j’en profite pour faire une fiche de suivi pour les patients COVID-19 que je diffuse sur Twitter et aux collègues du coin.

Entre hier et aujourd’hui, A l’orthophoniste et S l’infirmière Asalée ont contacté nos 150 patients de plus de 75 ans pour leur rappeler les consignes, vérifier qu’ils avaient des aidants et lister celles et ceux qui étaient isolés pour les signaler à la Mairie.

C’est con : c’est précisément quand on fait attention à garder nos distances que j’ai le plus envie de serrer mes collègues dans les bras.

Le soir, gros lâchage sur le WhatsApp de la MSP : vidéos et blagues idiotes.

Avant de quitter le cabinet, je prends les lingettes désinfectantes offertes par un podologue du coin qui a fermé et je désinfecte mon iPhone et mes clés. En rentrant à la maison, je me déshabille dans l’entrée, je mets ma blouse dans la machine à laver et je vais prendre une douche.

Mercredi 18 mars

Ça fait 2 semaines que j’ai eu mon déclic et c’était il y a un siècle.

C’est mon jour de repos.

Mon mari est à la maison lui aussi, il me laisse tranquille et s’occupe de notre fille. Je sais qu’il est encore plus angoissé que moi et qu’il prend sur lui. Elle, elle est adorable du haut de ses 5 ans et nous voyons bien qu’elle fait des efforts à hauteur de la situation.

Je passe ma matinée sur Twitter et finis avec la chronique du jour de Christian Lehman dans Libération.

Je bloque sur la conclusion.

Une consoeur du village voisin vient d’être testée positive.

J’ai un noeud dans le ventre. Il faut que je verse ça, que je laisse une trace de ces jours étranges, pour moi et pour les copains. Je décide de reprendre mon blog.

« Libérez ma pilule » : liberté pour qui ?

 

 

Quelques réflexions sur le site liberezmapilule.com et la pétition associée…

 

Pourquoi ? À la première lecture de la lettre ouverte, l’impression ressentie est celle d’un texte confus, à l’argumentaire mal construit. De quoi parle-t-on ? D’une pilule progestative ? De toutes les pilules ?

 

A moins, au contraire, que ce texte et ce blog ne soient très bien construits et très habiles ?

 

Reprenons les choses dans l’ordre.

 

1- De quoi parle-t-on ?

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

3- Quels sont les coûts ?

4- A qui profite le projet ?

5- Les procédés rhétoriques

 

1- De quoi parle-t-on ?

 

  •  S’agit-il purement d’une pilule progestative, ou bien songe-t-on à étendre le dispositif aux œstroprogestatives (que l’on abrègera en OP), éventuellement dans une seconde phase ?
  •  Parle-t-on d’une autorisation de prescription de la part du pharmacien, d’une prescription facultative ou d’une vente libre ?

 

Reprenons le texte principal (la lettre ouverte). Toute l’introduction prend l’exemple de la situation US et des recommandations de l’ACOG (d’ailleurs similaires à celles de l’AAFP). Ces recommandations ne se limitent pas aux pilules progestatives, mais concernent bien toutes les familles de pilule. Le questionnaire envisagé explore les contre-indications des œstroprogestatives (voir les références sur l’AAFP).

 

Pour le moment il n’y a pas de pilule en vente libre aux USA. Les associations et organisations militant pour une vente libre (OTC, over-the-counter) envisagent que la première pilule autorisée soit progestative, mais ont pour objectif affiché les deux familles, en se basant sur des études montrant qu’un questionnaire permet d’éviter les contre-indications connues des OP.

 

Dans certains États des US, comme l’Oregon, les pharmaciens ont une autorisation de prescription, qui repose sur un questionnaire rempli avec l’aide du pharmacien. Il ne s’agit pas d’une vente libre.

 

La lettre ouverte ne mentionne les pilules progestatives qu’à deux reprises : pour évoquer une demande d’autorisation d’un laboratoire français aux US (Rx-to-OTC switch), marché potentiellement très fructueux (voir plus bas partie 3), et à la fin, pour demander aux laboratoires de déposer une AMM.

 

Le texte demeure donc très ambigu sur l’objectif à terme, progestatives ou OP, très certainement à dessein. Si l’objectif était uniquement les progestatives, il aurait pu être beaucoup plus explicite sur l’absence de contre-indications cardiovasculaires, par exemple, et beaucoup plus convaincant.

 

Tout en gardant en tête cette ambiguïté, nous privilégierons dans la suite ce qui semble être l’objectif à court terme : une AMM pour une pilule progestative en vente libre.

 

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

 

La santé publique est faite de délicats équilibres, souvent difficile à quantifier, et une idée généreuse peut se révéler nuisible…

 

Il est sans doute impossible de quantifier les rapports bénéfices/risques de la mesure proposée, mais nous pouvons au moins qualitativement examiner ses effets positifs et négatifs.

 

L’effet positif est clairement identifiable : un nouveau canal de diffusion serait disponible pour les pilules progestatives, sans consultation médicale. Certaines femmes ne consultant pas pour une raison ou une autre pourront acheter un contraceptif oral en pharmacie. Cela pourrait être bénéfique dans certaines zones où l’accès à un médecin, une sage-femme ou un centre de planning familial est limité.

 

Du côté des effets négatifs, les effets indésirables d’une pilule progestative sont mineurs et les contre-indications limitées et bien identifiées, et même pour une œstroprogestative, des études qu’il faudrait compléter semblent indiquer qu’un questionnaire auto-administré suffit à les éviter largement.

 

Cependant :

  • Si la délivrance sans ordonnance se limite aux pilules progestatives, le nouveau canal offre un choix limité. Chez une femme jeune et fertile, sans contre-indication aux OP, ce n’est pas forcément le meilleur choix en raison principalement d’une moindre efficacité et d’une plus grande dépendance aux horaires de prise que pour une OP. Un DIU au cuivre ou hormonal, un implant, un anneau peuvent être aussi proposés… À noter qu’une extension aux pilules OP améliorerait ce point, à compenser par un risque peut-être accru d’effets indésirables sérieux, à quantifier.
  • La consultation de prescription de contraception peut être faite par un•e gynécologue, un•e généraliste, un•e sage-femme, en cabinet, au planning familial, etc. Le choix est vaste, et souvent méconnu. Cette consultation ne comporte pas d’examen gynécologique.
  • Cette consultation est l’occasion, en particulier pour la première prescription, d’aborder, outre les diverses options de contraception, divers sujets sur la sexualité, les IST, les violences… S’en dispenser prive de cette occasion.

 

Le choix de prescripteur est suffisamment large pour qu’il n’y ait en réalité guère d’obstacle de disponibilité ou de distance pour cette consultation, sauf peut-être dans certaines zones. Un généraliste qui ne fait pas de gynécologie saura fréquemment renvoyer vers un•e collègue proche. À l’échelle de la France, et en particulier en zone urbaine, c’est principalement l’information qui fait défaut.

 

3- Quels sont les coûts ?

 

Actuellement :

 

  • Pour une personne hors AME/CMU :

– La consultation revient à 6,90 euros (ticket modérateur).

– Un an de pilules = 4 boîtes à environ 3 euros remboursés à 65 %, donc environ 4 euros.

Soit au total environ 11 euros par an.

(en réalité un peu plus pour une OP et un peu moins pour une progestative, à 1-2 euros près).

 

  • Pour une personne bénéficiant de l’AME/CMU, c’est gratuit.

 

  • Pour une pilule en vente libre, si elle est proposée au même prix :

– 4 boîtes à 3 euros, non remboursés : 12 euros.

 

Pas de gain donc, au contraire, en particulier pour les personnes en AME/CMU.

 

MAIS, ce qui est proposé est une nouvelle AMM, pour une spécialité médicale qui sera en vente libre. Il est extrêmement probable que le prix sera différent. Aux USA, une boîte pour un mois coûte entre 20 et 50 dollars hors assurance (5-30 dollars après éventuel remboursement).

 

Si les prix français ne sont pas ceux des USA, tous les médicaments qui ont été déremboursés ces dernières années pour passer en vente libre (parfois du fait des autorités, parfois à la demande des industriels) ont vu leurs tarifs augmenter rapidement de 46% en moyenne et de plus de 90% dans un quart des cas.

 

Par ailleurs, on peut raisonnablement penser que le prix d’une pilule en vente libre serait aligné sur celui des pilules actuellement non remboursées, soit de l’ordre de 10 à 15 € par mois, 120 à 180 € par an.

 

Notons que la lettre ouverte aurait pu demander que l’AMM se fasse dans un cadre remboursable, donc à prix régulé via le dispositif des médicaments « à prescription facultative » (le paracétamol en est un exemple). C’est d’ailleurs ce qui était demandé par le « Collectif des Pharmaciens » dans leur proposition n°4.

Ce n’est pas le cas de Libérez ma pilule.

 

4- À qui profite le projet ?

 

Il est toujours indispensable d’explorer conflits d’intérêts et motivations. Les promoteurs d’un projet comme celui-ci ont toujours une diversité de motivations. La santé publique en sera une, en général, mais il faut se poser la question des autres.

 

Le nom de domaine liberezmapilule.com a été enregistré au nom de Karim Ibazatene, d’après les informations publiquement disponibles. Il s’agit donc visiblement d’un promoteur clé de l’initiative.

Actif sur les réseaux sociaux, blogueur, ce pharmacien de formation déclare travailler pour l’industrie pharmaceutique. Il est qualifié de « spécialiste marketing santé, président de LNA » sur ce site d’école de commerce. En parallèle, il est ou a été gérant d’une multitude de sociétés, ayant en général une activité de conseil auprès de l’industrie pharmaceutique, enregistrées à Paris (LNA, TIM), Londres (LNA Limited), Luxembourg (Kahena), Riga (SIA PLTCare), Chypre (CRT Cyprus Readability Test), Madrid (LNA)…

A noter que son blog et son compte Twitter ont été fermés simultanément dans la nuit du 21 au 22 avril. Le cache Google permet de retrouver la page de présentation et le dernier billet.

 

Une pilule en vente libre, commercialisée autour de 30 euros la boîte de trois plaquettes, représenterait un marché très important pour l’industrie pharmaceutique. Ce promoteur du projet est donc très certainement en conflit d’intérêts majeur, non déclaré sur le site.

 

5- Les procédés rhétoriques

 

Une fois ces points examinés, il est utile de revenir sur le texte même, et sur les annexes (FAQ et autres articles) proposées sur le site web.

 

Ce site, bien conçu, comporte en effet de nombreux articles périphériques, utilisés dans la campagne de presse, et souvent repris dans les articles mentionnant le projet. Les examiner permet de mieux comprendre l’origine de ce projet et ses divers objectifs.

 

On l’a vu, le texte lui-même reste ambigu dans son introduction sur la nature de la pilule concernée, et sur la situation aux US. On pourrait penser à sa lecture que la pilule progestative y est en vente libre. On a vu plus haut que ce n’est pas le cas. En outre, d’après ce qui est actuellement public, HRA Pharma, contrairement à ce qui est annoncé, n’a pas déposé une demande de switch, mais a créé un partenariat avec Ibis Reproductive Health, une association, pour effectuer les recherches permettant de soumettre un dossier « d’ici quelques années ».

 

Un argument utilisé, juste après avoir parlé des USA, est que la délivrance sans ordonnance est une réalité dans de nombreux pays. La carte jointe montre qu’en réalité il s’agit, pour la plupart, de pays où la vente de médicament n’est globalement pas régulée, y compris pour des médicaments tels que des antibiotiques. A l’inverse, les pays où la prescription est nécessaire sont, globalement, les pays les plus développés et offrant le maximum de garanties aux patients/consommateurs/citoyens.

 

Dans la partie « Pourquoi seulement une pilule progestative », le texte fait référence uniquement aux œstroprogestatives de 3e et 4e génération qui sont annoncées comme « délicates à manier« .

(« Pour nous, ces pilules [de 3e et 4e génération] ont encore vocation à être prescrites par un médecin ou une sage-femme », pardon mais, les signataires de la lettre ouverte, vous signez vraiment cette phrase ???)

Il est étonnant de ne pas mentionner ici les œstroprogestatives de 2e génération, les seules qui devraient être prescrites dans l’immense majorité des cas, et dont les effets indésirables sont bien moindres. Mais les laboratoires défendent farouchement ces pilules 3G et 4G, beaucoup plus rentables.

 

La partie « Quels avantages à ne pas imposer une consultation » entretient une confusion entre un suivi gynécologique (« frottis ») et prescription de pilule, deux actes sans aucun rapport en réalité. Elle annonce que le suivi « vise à repérer certaines pathologies particulièrement rares ». Le cancer du col de l’utérus n’est, hélas, pas une pathologie rare. La HAS recommande un suivi entre 25 et 65 ans avec (en simplifiant) un frottis tous les trois ans. Ce texte, tel qu’il est rédigé, peut avoir un effet dissuasif sur un suivi nécessaire, tout en poussant à ne pas consulter pour une prescription de contraception (quelle qu’elle soit) en s’appuyant sur cette confusion. Il s’agit d’un procédé rhétorique à la fois malhonnête et dangereux.

 

 

Conclusion

 

Cette initiative semble partir d’une belle intention et, au premier abord, elle est séduisante. L’accès à la contraception reste problématique pour certaines femmes en France et tout ce qui peut contribuer à l’améliorer sera bienvenu. Le libre accès à une pilule constitue une piste. Parmi d’autres.

 

Plusieurs éléments font cependant que nous ne pouvons pas soutenir la lettre ouverte de Libérez ma pilule :

  • Le caractère positif de l’impact global en termes de santé publique de l’initiative, telle qu’elle est présentée ici, est incertain.
  • Automédication, autonomie des patients qui payent pour obtenir ce qu’ils souhaitent, cette initiative est d’inspiration plutôt libérale, teintée d’une vision consumériste de la médecine que nous ne partageons pas. Ce qui nous semble devoir primer est la discussion lors de la consultation ; la prescription pourrait être renouvelable dix ans au lieu d’un si c’est justifié médicalement.
  • Financièrement, cette initiative profitera surtout à l’industrie pharmaceutique qui, par l’intermédiaire de son syndicat, semble regretter que les prix des médicaments continuent à être régulés.
  • Le texte est ambigu sur ses objectifs, peu informatif, passe sous silence des éléments sans doute pour ne pas se restreindre (ailleurs que dans la phrase finale) aux pilules progestatives.
  • Certains promoteurs semblent en situation de conflit d’intérêts majeur non déclaré.

 

Nous croyons à la sincérité de la grande majorité des signataires de la lettre ouverte mais nous craignons qu’ils n’aient été enrôlés, à leur insu, dans une opération de marketing commercial. Et nous nous interrogeons sur la genèse de ce projet. De qui, précisément, provient l’initiative ? Qui a effectué le travail de recherche, rédigé ces textes et fourni la logistique ?

 

Peut-être faudrait-il lancer une initiative réellement citoyenne, claire sur ses objectifs (éventuellement avec deux étapes, progestatifs puis oestroprogestatifs ?), exposant clairement les bénéfices de chaque option, et très explicite sur ce qui est demandé pour une éventuelle AMM, par exemple avec une AMM remboursable à prescription facultative, donc à prix régulé.

La campagne associée pourrait mettre l’accent sur le découplage entre la prescription d’un contraceptif oral et un suivi gynécologique conforme aux recommandations officielles, ainsi que sur la diversité des acteurs disponibles pour ces deux actes et des solutions disponibles.

 

Au travail !

 

Borée & Hipparkhos

Poing d’étape

L’année 2014 touche à sa fin.

À mon compteur, aucun article.

Ce n’est pourtant pas le reflet de ma vie depuis un an et demi.

Il est donc temps, pour ceux qui ne me suivent pas sur Twitter (et même là, je ne suis présent qu’en pointillés), de donner signe de vie et de dire que ça va bien.

Après avoir quitté mon ancien cabinet, comme je vous l’avais annoncé, je me suis marié, scellant 12 années de vie commune. Ce fut un beau moment.

Marianne

Peu de temps après, en guise de voyage de noce, je suis parti, seul, travailler très loin, dans un endroit très chaud. L’expérience a été aussi passionnante que stressante, formatrice que déroutante. Une parenthèse professionnelle dont j’avais besoin.

Loin

 

Au retour, il a fallu tout mettre dans un camion, déménager et redémarrer dans l’ailleurs que nous avions choisi.

J’ai rejoint une très chouette équipe qui ressemble beaucoup au cabinet idéal dont je rêvais. Ça se passe bien. Les patients et leurs pathologies sont assez différents de ceux de mon ancien village, il y a forcément moins de grosses urgences et je crains d’oublier certains actes techniques, mais ce n’est rien en comparaison du plaisir que j’ai à travailler ici, dans une ambiance réellement fraternelle.

Depuis deux mois, j’ai une interne en stage. Elle est motivée, adorable et intéressante (en même temps, vu qu’elle connaissait le blog, ce n’est pas ici que je vais pouvoir en dire du mal 😉 ).

C’était trop tard pour faire de l’enseignement à la Fac cette année mais ça devrait être pour 2015.

Je suis, comme mes associés, dans un groupe de pairs. C’est peut-être pour ça également que j’ai moins besoin de m’exprimer sur le blog ou sur Twitter.

L'équipe

 

Ma mère est décédée. On savait que c’était inévitable. Puisque ça devait arriver, et même si c’est toujours trop tôt et qu’elle me manque, ça s’est passé aussi bien qu’on pouvait l’espérer. On a pu passer de beaux moments ensemble. Pour la première fois, j’éprouvais, dans les mêmes instants, une tristesse infinie et un immense bonheur familial.

La vie est parfois taquine, c’est peu de temps après qu’est arrivée notre fille. Un doux passage de relais.

Nous avons donc découvert les joies de la paternité avec ce petit être qui se révèle autant un volcan d’amour et d’espoir qu’un gouffre pour le temps et l’énergie.

Elle va bien, elle est magnifique, nous sommes heureux et fiers.

BB1

 

Voilà, désolé, chers lecteurs, pour ce long silence. Je n’ai pas perdu la volonté (l’espoir ?) d’écrire à nouveau mais il me faudra du temps : du temps pour écrire et du temps pour connaître mes nouveaux patients et avoir des histoires à raconter.

Pour ceux qui se le demanderaient, je ne fais pas grève en cette fin d’année. Pour trois raisons.

D’une part parce que mes priorités actuelles, vous l’aurez compris, sont un peu ailleurs.

D’autre part en raison des dates : décréter une grève du 24 au 31 décembre c’est, au choix, s’offrir une grève à bon compte dans un moment où on préfère passer du temps auprès des siens (ce qui n’est pas critiquable en soi) ou bien, pour les syndicats, faire une petite manipulation pour gonfler le nombre de grèvistes qu’on ne peut pas distinguer des vacanciers. Dans tous les cas, ce sont des dates qui ne peuvent que donner des arguments à ceux qui veulent la dénoncer.

Enfin, je ne peux pas me résoudre à me joindre à une grève fondamentalement conservatrice qui vise avant tout à maintenir l’existant, le paiement à l’acte en particulier. Je ne me fais pas d’illusions, nous sommes minoritaires à vouloir sortir de ce système et il n’est pas étonnant que nos syndicats représentatifs défendent les intérêts de la majorité, celle qui, vieillissante, a, pour un grand nombre, bien profité du système. Sans moi, donc.

Ce n’est pas pour autant que j’approuve les réformes qui nous sont concoctées. Ce gouvernement ne me surprend plus guère et je n’en attends plus rien de révolutionnaire ni de courageux mais il faut reconnaître que, pour le coup, la Ministre semble allier la médiocrité à la stupidité.

Des copains, qu’on ne peut certainement pas taxer de conservateurs acharnés ou de laudateurs du libéralisme économique, ont parfaitement illustré les dangers et l’idiotie dogmatique que représente la « mesure phare » de la Ministre, le Tiers Payant Généralisé. Allez donc lire Jaddo, Dominique Dupagne ou l’intraitable, et très politique, Christian Lehmann.

On pourra également lire la position du Syndicat des jeunes généralistes dans laquelle je me retrouve assez bien.

Car si la vraie préoccupation était de favoriser l’accès aux soins pour tous, il faudrait peut-être commencer par envisager de revenir sur les franchises instaurées en 2008, prendre en charge convenablement les soins dentaires, les audioprothèses ou l’optique voire, soyons fous, supprimer le ticket modérateur et unifier les régimes de sécurité sociale (des milliards d’économie à la clé et une gestion considérablement simplifiée autant pour les patients que pour les soignants). Mais il y a trop d’intérêts particuliers et financiers en jeu et ce n’est clairement pas la voie choisie par nos décideurs qui semblent préférer poursuivre dans le sens du désengagement de la Sécurité sociale pour le plus grand bénéfice des Mutuelles, des assureurs privés, de leurs dirigeants et de leurs actionnaires.

 

Allez, c’est bientôt la nouvelle année, ne lâchez rien !

PoingNB

#PrivésDeMG

Médecine générale :

dernier arrêt avant le désert

 

Comment sauver la médecine générale en France et assurer des soins primaires de qualité répartis sur tout le territoire ?

Certains d’entre nous avaient fait en 2012, un certain nombre de propositions dans le cadre de l’opération #PrivésDeDéserts.

Marisol Touraine présente ce lundi sa Stratégie nationale de santé. Cet évènement constitue l’occasion de nous rappeler à son bon souvenir, rappel motivé par l’extraordinaire enthousiasme qui avait accompagné nos propositions (voir plus bas les 600 commentaires) dont aucune n’a été reprise par la Ministre.

Nos idées sont concrètes et réalistes pour assurer l’avenir de la médecine générale et au-delà, des soins primaires de demain.

Notre objectif est de concilier des soins de qualité, l’éthique de notre profession, et les impératifs budgétaires actuels.

Voici une synthèse de ces propositions.

Sortir du modèle centré sur l’Hôpital

Depuis des décennies, l’exercice de la médecine ambulatoire est marginalisé, privé d’enseignants, coupé des étudiants en médecine. La médecine hospitalière et salariée est devenue une norme pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus un exercice ambulatoire qu’ils n’ont jamais (ou si peu) rencontré pendant leurs études.

Cette anomalie explique en grande partie les difficultés actuelles. Si l’hôpital reste le lieu privilégié d’excellence, de recherche et de formation pour les soins hospitaliers, il ne peut revendiquer le monopole de la formation universitaire. La médecine générale, comme la médecine ambulatoire, doivent disposer d’unités de recherche et de formation universitaires spécifiques, là où nos métiers sont pratiqués, c’est-a-dire en ville et non à l’hôpital.

La formation universitaire actuelle, pratiquée quasi-exclusivement à l’hôpital, fabrique logiquement des hospitaliers. Pour sortir de ce cercle vicieux, il nous semble nécessaire de réformer profondément la formation initiale des étudiants en médecine.

Cette réforme aura un double effet :

– Rendre ses lettres de noblesse à la médecine « de ville » et attirer les étudiants vers ce mode d’exercice. Nous ne pouvons reprocher aux étudiants en médecine de ne pas choisir une spécialité qu’ils ne connaissent pas.

–  Apporter des effectifs importants de médecins immédiatement opérationnels dans les zones sous-médicalisées.

Il n’est pas question dans ces propositions de mesures coercitives aussi injustes qu’inapplicables contraignant de jeunes médecins à s’installer dans des secteurs déterminés par une tutelle sanitaire.

Toute mesure visant à obliger les jeunes médecins généralistes à s’installer en zone déficitaire aura un effet repoussoir majeur. Elle ne fera qu’accentuer la désaffection pour la médecine générale, poussant les jeunes générations vers des offres salariées (nombreuses), voire vers un exercice à l’étranger.

Une véritable modernisation de la formation des médecins est nécessaire. Il s’agit d’un rattrapage accéléré d’opportunités manquées depuis 50 ans par méconnaissance de la réalité du terrain. Si la réforme Debré de 1958 a créé les CHU (Centres Hospitaliers et Universitaires), elle a négligé la création de pôles universitaires d’excellence, de recherche et de formation en médecine générale. Ces pôles existent dans d’autres pays, réputés pour la qualité et le coût modéré de leur système de soins.

Idées-forces

Les principales propositions des médecins généralistes blogueurs sont résumées ci-dessous. Elles sont applicables rapidement.

  • Enseignement de la Médecine Générale par des Médecins Généralistes, dès le début des études médicales
  • Construction par les collectivités locales ou les ARS de 1000 maisons de santé pluridisciplinaires qui deviennent aussi des maisons médicales de garde pour la permanence des soins, en étroite collaboration avec les professionnels de santé locaux.
  • Décentralisation universitaire qui rééquilibre la ville par rapport à l’hôpital :

Ces maisons de santé se voient attribuer un statut universitaire. Elles hébergent des externes, des internes et des chefs de clinique (3000 créations de postes). Elles deviennent des MUSt : Maisons Universitaires de Santé qui constituent l’équivalent du CHU pour la médecine de ville.

  • Attractivité de ces MUSt pour les médecins seniors qui acceptent de s’y installer et d’y enseigner :

Statut d’enseignant universitaire avec rémunération spécifique fondée sur une part salariée majoritaire et une part proportionnelle à l’activité.

  • Création d’un nouveau métier de la santé : “Agent de gestion et d’interfaçage de MUSt” (AGI).

Ces agents polyvalents assurent la gestion de la MUSt, les rapports avec les ARS et l’Université, la facturation des actes et les tiers payants. De façon générale, les AGI gèrent toute l’activité administrative liée à la MUSt et à son activité de soin. Ce métier est distinct de celui de la secrétaire médicale de la MUSt. Les nouveaux postes d’AGI pourraient être pourvus grâce au reclassement des visiteurs médicaux qui le souhaiteraient, après l’interdiction de cette activité. Ces personnels trouveraient là un emploi plus utile et plus prestigieux que leur actuelle activité commerciale. Il s’agirait d’une solution humainement responsable. Il ne s’agit en aucun cas de jeter l’opprobre sur les personnes exerçant cette profession.

  • Les « chèques-emploi médecin »

Une solution innovante complémentaire à la création du métier d’AGI pourrait résider dans la création de « chèques-emploi » financés à parts égales par les médecins volontaires et par les caisses.

Il s’agit d’un moyen de paiement simplifié de prestataires de services (AGI, secrétaires, personnel d’entretien). Il libérerait des tâches administratives les médecins isolés qui y passent un temps considérable, sans les contraindre à se transformer en employeur, statut qui repousse beaucoup de jeunes médecins.

Nos propositions et nos visions de l’avenir de la Médecine Générale, postées simultanément par l’ensemble des 86 participants, sur nos blogs et comptes Twitter, le 23 septembre 2013, sont des idées simples, réalistes et réalisables, et n’induisent pas de surcoût excessif pour les budgets sociaux.

L’ensemble des besoins de financement sur 15 ans ne dépasse pas ceux du Plan Cancer ou du Plan Alzheimer ; il nous semble que la démographie médicale est un objectif sanitaire d’une importance tout à fait comparable à celle de la lutte contre ces deux maladies.

Ce ne sont pas des augmentations d’honoraires que nous demandons, mais des réallocations de moyens et de ressources pour rendre son attractivité à l’exercice libéral.

Les participants à l’opération (Noms ou Pseudos Twitter) :

1.     Docteurmilie 2.     Dzb17 3.     Armance64
4.     Matt_Calafiore 5.     Docmam 6.     Bruitdessabots
7.     Ddupagne 8.     Souristine 9.     Yem
10.   Farfadoc 11.   SylvainASK 12.   Docteur Sachs Jr
13.   Méd Gé de L’Ouest 14.   Docteur Gécé 15.   DrKalee
16.   DrTib 17.   Gélule, MD 18.   DocAste
19.   DocBulle 20.   Docteur Selmer 21.   Dr Stephane
22.   Alice Redsparrow 23.   Docteur_V 24.   Dr_Foulard
25.   Kalindéa 26.   DocShadok 27.   Dr_Tiben
28.   Bismuth Philippe 29.   PerrucheG 30.   BaptouB
31.   Juste un Peu Sorcier 32.   Elliot Reid-like 33.   MimiRyudo
34.   SacroStNectaire 35.   DrGuignol 36.   DrLebagage
37.   Loubet Dominique 38.   CaraGK 39.   DocArnica
40.   Jaddo 41.   Acudoc49 42.   AnSo1359
43.   DocEmma 44.   DrPoilAGratter 45.   GrangeBlanche
46.   Docteur Pénurie 47.   Borée 48.   10Lunes
49.   Echocardioblog 50.   OpenBlueEyes 51.   nfkb
52.   Totomathon 53.   SophieSF 54.   SuperGélule
55.   BicheMKDE 56.   Knackie 57.   DocCapuche
58.   John Snow 59.   Babeth_Auxi 60.   Jax
61.   Zigmund 62.   DocAdrénaline 63.   DrNeurone
64.   Cris et chuchotements 65.   YannSud 66.   Nounoups
67.   MademoiselleAA 68.   Boutonnologue 69.   Françoise Soros
70.   Une pédiatre 71.   Heidi Nurse 72.   NBLorine
73.   Stockholm 74.   Qffwffq 75.   LullaSF
76.   DocteurBobo 77.   Martin Minos 78.   DocGamelle
79.   Dr Glop 80.   Ninou 81.   Martin Winckler
82.   UrgenTic 83.   Tamimi2213 84.   Doc L
85.   DrLaeti 86.   LBeu

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Lignes de vie

AurevoirUn petit message pour vous dire que je suis en vie. Et que ça va bien.

Les cartons sont faits, mon cabinet est fermé en attendant que le successeur s’y installe. Les adieux avec mes patients ont été touchants et plein d’émotion. Mais sans vraiment de nostalgie car ce sont les projets d’avenir qui me portent.

De fait, ces dernières semaines ont été un tourbillon, les prochaines le seront également.

Du coup, je n’ai guère eu le temps d’être présent sur ce blog.

Pour quelques semaines, je vais retrouver le rôle de remplaçant. Bientôt, histoire de changer d’air, je partirai pour quelques mois qui devraient marquer une aventure aussi excitante que tropicale !

Et au retour, si tout va bien, je m’installerai dans mon futur « cabinet idéal » que je pense avoir trouvé !

D’ici là, il me sera impossible de relater mes expériences car ce serait incompatible avec l’anonymat. Peut-être que j’écrirai encore quelques textes de portée générale. Peut-être pas.

Quoiqu’il en soit, je ne souhaite pas me contraindre à l’écriture ni me culpabiliser de ne pas le faire. Je préfère donc annoncer que ce blog va rentrer en sommeil pour quelques temps.

En guise de cadeau d’au-revoirs, je vous offre le poème qui fermait mon livre et que je pensais conserver pour la version papier. Mais, ce sont finalement vous, mes lecteurs du blog qui êtes mes compagnons fidèles et il n’y a pas de raison que je ne vous le fasse pas partager. Allez-y, c’est cadeau !

A bientôt.

Et ne vous résignez jamais.

Borée

*

*   *

Voilà huit ans que je me suis installé.
Peu à peu s’accroît mon petit cimetière.
Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, chacun sa pierre.
Des visages qui s’effacent de ma mémoire, des noms au passé.

Juliette, dossier numéro 10, mon tout premier jour et une légère boiterie
Tout premier symptôme, muscle après muscle, gagne la paralysie.
Premier semestre, premier décès.

Amandine, petite fille blonde, qui venait pendant les vacances
Pour que ses parents puissent souffler un peu.
Princesse muette et fragile. Parfois, la vie n’a guère de sens.
Et puis la carte pour me remercier et dire qu’elle ne viendrait plus.

Pierre, pour qui n’avait pas voulu se déplacer son ancien médecin
« On ne fait pas d’infarctus à quatre heures du matin ! »
Deux petits mois ensemble et puis tout s’arrête,
Juste avant que son épouse le rejoigne pour la retraite.

Monique qui avait perdu ses parents et son fils préféré,
N’a pas beaucoup lutté contre la maladie.
À croire qu’elle l’attendait presque avec envie.
Un semestre et l’affaire était pliée.

Des morts brutales ou au ralenti, redoutées ou espérées.
Des moments de colère aussi. D’amertume. De rage indignée.

Quelques erreurs, quelques maladresses.
Pas trop je pense.

Ceux avec qui ça n’a pas accroché.
Pas su les entendre ? Pas voulu leur céder ?
Ceux qui ont déménagé.
Dossiers transmis, dossiers fermés.

Des moments de bonheur, des moments de rire.
Petit à petit, parfois, une vraie complicité.

Sophie et son combat pendant trois ans :
Deux échecs de FIV, presque le deuil d’être maman.
Et cette grossesse totalement imprévue, jolie surprise.
Jubilation en lui annonçant que le test est positif.

Benoît qui n’allait pas très fort, fatigué, énervé pour rien.
Examen, longue discussion, j’ai eu le nez creux.
C’était de son colocataire qu’il était amoureux.
Depuis, il est parti dans une grande ville : je sais qu’il va bien.

Le SMS de Stéphanie pour me dire que le traitement d’Éric a commencé,
Que ça semble bien se passer.
« Nous voulions vous remercier pour tout le chemin parcouru. »

La boite de chocolats amenée par Valentin à sa sortie du CHU
Pour me remercier du mauvais pas dont je l’avais tiré.
Rattrapé sur le fil. Je fais quand même un chouette métier.

Ces vies accompagnées ou juste croisées,
Ces destins d’hommes et de femmes, dans quelle mesure les ai-je modifiés ?
Les ai-je aidés ? Ai-je suivi une bonne direction ?

Étrange phénomène que la mémoire
Qui prend et laisse à son gré.
Je garde peu de souvenirs de ces histoires.
Des sensations, des instants, quelques images brouillées.
Est-ce pour cette raison que je me suis mis à écrire ?
Carnet de bord pour ne pas oublier.