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« Libérez ma pilule » : liberté pour qui ?

 

 

Quelques réflexions sur le site liberezmapilule.com et la pétition associée…

 

Pourquoi ? À la première lecture de la lettre ouverte, l’impression ressentie est celle d’un texte confus, à l’argumentaire mal construit. De quoi parle-t-on ? D’une pilule progestative ? De toutes les pilules ?

 

A moins, au contraire, que ce texte et ce blog ne soient très bien construits et très habiles ?

 

Reprenons les choses dans l’ordre.

 

1- De quoi parle-t-on ?

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

3- Quels sont les coûts ?

4- A qui profite le projet ?

5- Les procédés rhétoriques

 

1- De quoi parle-t-on ?

 

  •  S’agit-il purement d’une pilule progestative, ou bien songe-t-on à étendre le dispositif aux œstroprogestatives (que l’on abrègera en OP), éventuellement dans une seconde phase ?
  •  Parle-t-on d’une autorisation de prescription de la part du pharmacien, d’une prescription facultative ou d’une vente libre ?

 

Reprenons le texte principal (la lettre ouverte). Toute l’introduction prend l’exemple de la situation US et des recommandations de l’ACOG (d’ailleurs similaires à celles de l’AAFP). Ces recommandations ne se limitent pas aux pilules progestatives, mais concernent bien toutes les familles de pilule. Le questionnaire envisagé explore les contre-indications des œstroprogestatives (voir les références sur l’AAFP).

 

Pour le moment il n’y a pas de pilule en vente libre aux USA. Les associations et organisations militant pour une vente libre (OTC, over-the-counter) envisagent que la première pilule autorisée soit progestative, mais ont pour objectif affiché les deux familles, en se basant sur des études montrant qu’un questionnaire permet d’éviter les contre-indications connues des OP.

 

Dans certains États des US, comme l’Oregon, les pharmaciens ont une autorisation de prescription, qui repose sur un questionnaire rempli avec l’aide du pharmacien. Il ne s’agit pas d’une vente libre.

 

La lettre ouverte ne mentionne les pilules progestatives qu’à deux reprises : pour évoquer une demande d’autorisation d’un laboratoire français aux US (Rx-to-OTC switch), marché potentiellement très fructueux (voir plus bas partie 3), et à la fin, pour demander aux laboratoires de déposer une AMM.

 

Le texte demeure donc très ambigu sur l’objectif à terme, progestatives ou OP, très certainement à dessein. Si l’objectif était uniquement les progestatives, il aurait pu être beaucoup plus explicite sur l’absence de contre-indications cardiovasculaires, par exemple, et beaucoup plus convaincant.

 

Tout en gardant en tête cette ambiguïté, nous privilégierons dans la suite ce qui semble être l’objectif à court terme : une AMM pour une pilule progestative en vente libre.

 

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

 

La santé publique est faite de délicats équilibres, souvent difficile à quantifier, et une idée généreuse peut se révéler nuisible…

 

Il est sans doute impossible de quantifier les rapports bénéfices/risques de la mesure proposée, mais nous pouvons au moins qualitativement examiner ses effets positifs et négatifs.

 

L’effet positif est clairement identifiable : un nouveau canal de diffusion serait disponible pour les pilules progestatives, sans consultation médicale. Certaines femmes ne consultant pas pour une raison ou une autre pourront acheter un contraceptif oral en pharmacie. Cela pourrait être bénéfique dans certaines zones où l’accès à un médecin, une sage-femme ou un centre de planning familial est limité.

 

Du côté des effets négatifs, les effets indésirables d’une pilule progestative sont mineurs et les contre-indications limitées et bien identifiées, et même pour une œstroprogestative, des études qu’il faudrait compléter semblent indiquer qu’un questionnaire auto-administré suffit à les éviter largement.

 

Cependant :

  • Si la délivrance sans ordonnance se limite aux pilules progestatives, le nouveau canal offre un choix limité. Chez une femme jeune et fertile, sans contre-indication aux OP, ce n’est pas forcément le meilleur choix en raison principalement d’une moindre efficacité et d’une plus grande dépendance aux horaires de prise que pour une OP. Un DIU au cuivre ou hormonal, un implant, un anneau peuvent être aussi proposés… À noter qu’une extension aux pilules OP améliorerait ce point, à compenser par un risque peut-être accru d’effets indésirables sérieux, à quantifier.
  • La consultation de prescription de contraception peut être faite par un•e gynécologue, un•e généraliste, un•e sage-femme, en cabinet, au planning familial, etc. Le choix est vaste, et souvent méconnu. Cette consultation ne comporte pas d’examen gynécologique.
  • Cette consultation est l’occasion, en particulier pour la première prescription, d’aborder, outre les diverses options de contraception, divers sujets sur la sexualité, les IST, les violences… S’en dispenser prive de cette occasion.

 

Le choix de prescripteur est suffisamment large pour qu’il n’y ait en réalité guère d’obstacle de disponibilité ou de distance pour cette consultation, sauf peut-être dans certaines zones. Un généraliste qui ne fait pas de gynécologie saura fréquemment renvoyer vers un•e collègue proche. À l’échelle de la France, et en particulier en zone urbaine, c’est principalement l’information qui fait défaut.

 

3- Quels sont les coûts ?

 

Actuellement :

 

  • Pour une personne hors AME/CMU :

– La consultation revient à 6,90 euros (ticket modérateur).

– Un an de pilules = 4 boîtes à environ 3 euros remboursés à 65 %, donc environ 4 euros.

Soit au total environ 11 euros par an.

(en réalité un peu plus pour une OP et un peu moins pour une progestative, à 1-2 euros près).

 

  • Pour une personne bénéficiant de l’AME/CMU, c’est gratuit.

 

  • Pour une pilule en vente libre, si elle est proposée au même prix :

– 4 boîtes à 3 euros, non remboursés : 12 euros.

 

Pas de gain donc, au contraire, en particulier pour les personnes en AME/CMU.

 

MAIS, ce qui est proposé est une nouvelle AMM, pour une spécialité médicale qui sera en vente libre. Il est extrêmement probable que le prix sera différent. Aux USA, une boîte pour un mois coûte entre 20 et 50 dollars hors assurance (5-30 dollars après éventuel remboursement).

 

Si les prix français ne sont pas ceux des USA, tous les médicaments qui ont été déremboursés ces dernières années pour passer en vente libre (parfois du fait des autorités, parfois à la demande des industriels) ont vu leurs tarifs augmenter rapidement de 46% en moyenne et de plus de 90% dans un quart des cas.

 

Par ailleurs, on peut raisonnablement penser que le prix d’une pilule en vente libre serait aligné sur celui des pilules actuellement non remboursées, soit de l’ordre de 10 à 15 € par mois, 120 à 180 € par an.

 

Notons que la lettre ouverte aurait pu demander que l’AMM se fasse dans un cadre remboursable, donc à prix régulé via le dispositif des médicaments « à prescription facultative » (le paracétamol en est un exemple). C’est d’ailleurs ce qui était demandé par le « Collectif des Pharmaciens » dans leur proposition n°4.

Ce n’est pas le cas de Libérez ma pilule.

 

4- À qui profite le projet ?

 

Il est toujours indispensable d’explorer conflits d’intérêts et motivations. Les promoteurs d’un projet comme celui-ci ont toujours une diversité de motivations. La santé publique en sera une, en général, mais il faut se poser la question des autres.

 

Le nom de domaine liberezmapilule.com a été enregistré au nom de Karim Ibazatene, d’après les informations publiquement disponibles. Il s’agit donc visiblement d’un promoteur clé de l’initiative.

Actif sur les réseaux sociaux, blogueur, ce pharmacien de formation déclare travailler pour l’industrie pharmaceutique. Il est qualifié de « spécialiste marketing santé, président de LNA » sur ce site d’école de commerce. En parallèle, il est ou a été gérant d’une multitude de sociétés, ayant en général une activité de conseil auprès de l’industrie pharmaceutique, enregistrées à Paris (LNA, TIM), Londres (LNA Limited), Luxembourg (Kahena), Riga (SIA PLTCare), Chypre (CRT Cyprus Readability Test), Madrid (LNA)…

A noter que son blog et son compte Twitter ont été fermés simultanément dans la nuit du 21 au 22 avril. Le cache Google permet de retrouver la page de présentation et le dernier billet.

 

Une pilule en vente libre, commercialisée autour de 30 euros la boîte de trois plaquettes, représenterait un marché très important pour l’industrie pharmaceutique. Ce promoteur du projet est donc très certainement en conflit d’intérêts majeur, non déclaré sur le site.

 

5- Les procédés rhétoriques

 

Une fois ces points examinés, il est utile de revenir sur le texte même, et sur les annexes (FAQ et autres articles) proposées sur le site web.

 

Ce site, bien conçu, comporte en effet de nombreux articles périphériques, utilisés dans la campagne de presse, et souvent repris dans les articles mentionnant le projet. Les examiner permet de mieux comprendre l’origine de ce projet et ses divers objectifs.

 

On l’a vu, le texte lui-même reste ambigu dans son introduction sur la nature de la pilule concernée, et sur la situation aux US. On pourrait penser à sa lecture que la pilule progestative y est en vente libre. On a vu plus haut que ce n’est pas le cas. En outre, d’après ce qui est actuellement public, HRA Pharma, contrairement à ce qui est annoncé, n’a pas déposé une demande de switch, mais a créé un partenariat avec Ibis Reproductive Health, une association, pour effectuer les recherches permettant de soumettre un dossier « d’ici quelques années ».

 

Un argument utilisé, juste après avoir parlé des USA, est que la délivrance sans ordonnance est une réalité dans de nombreux pays. La carte jointe montre qu’en réalité il s’agit, pour la plupart, de pays où la vente de médicament n’est globalement pas régulée, y compris pour des médicaments tels que des antibiotiques. A l’inverse, les pays où la prescription est nécessaire sont, globalement, les pays les plus développés et offrant le maximum de garanties aux patients/consommateurs/citoyens.

 

Dans la partie « Pourquoi seulement une pilule progestative », le texte fait référence uniquement aux œstroprogestatives de 3e et 4e génération qui sont annoncées comme « délicates à manier« .

(« Pour nous, ces pilules [de 3e et 4e génération] ont encore vocation à être prescrites par un médecin ou une sage-femme », pardon mais, les signataires de la lettre ouverte, vous signez vraiment cette phrase ???)

Il est étonnant de ne pas mentionner ici les œstroprogestatives de 2e génération, les seules qui devraient être prescrites dans l’immense majorité des cas, et dont les effets indésirables sont bien moindres. Mais les laboratoires défendent farouchement ces pilules 3G et 4G, beaucoup plus rentables.

 

La partie « Quels avantages à ne pas imposer une consultation » entretient une confusion entre un suivi gynécologique (« frottis ») et prescription de pilule, deux actes sans aucun rapport en réalité. Elle annonce que le suivi « vise à repérer certaines pathologies particulièrement rares ». Le cancer du col de l’utérus n’est, hélas, pas une pathologie rare. La HAS recommande un suivi entre 25 et 65 ans avec (en simplifiant) un frottis tous les trois ans. Ce texte, tel qu’il est rédigé, peut avoir un effet dissuasif sur un suivi nécessaire, tout en poussant à ne pas consulter pour une prescription de contraception (quelle qu’elle soit) en s’appuyant sur cette confusion. Il s’agit d’un procédé rhétorique à la fois malhonnête et dangereux.

 

 

Conclusion

 

Cette initiative semble partir d’une belle intention et, au premier abord, elle est séduisante. L’accès à la contraception reste problématique pour certaines femmes en France et tout ce qui peut contribuer à l’améliorer sera bienvenu. Le libre accès à une pilule constitue une piste. Parmi d’autres.

 

Plusieurs éléments font cependant que nous ne pouvons pas soutenir la lettre ouverte de Libérez ma pilule :

  • Le caractère positif de l’impact global en termes de santé publique de l’initiative, telle qu’elle est présentée ici, est incertain.
  • Automédication, autonomie des patients qui payent pour obtenir ce qu’ils souhaitent, cette initiative est d’inspiration plutôt libérale, teintée d’une vision consumériste de la médecine que nous ne partageons pas. Ce qui nous semble devoir primer est la discussion lors de la consultation ; la prescription pourrait être renouvelable dix ans au lieu d’un si c’est justifié médicalement.
  • Financièrement, cette initiative profitera surtout à l’industrie pharmaceutique qui, par l’intermédiaire de son syndicat, semble regretter que les prix des médicaments continuent à être régulés.
  • Le texte est ambigu sur ses objectifs, peu informatif, passe sous silence des éléments sans doute pour ne pas se restreindre (ailleurs que dans la phrase finale) aux pilules progestatives.
  • Certains promoteurs semblent en situation de conflit d’intérêts majeur non déclaré.

 

Nous croyons à la sincérité de la grande majorité des signataires de la lettre ouverte mais nous craignons qu’ils n’aient été enrôlés, à leur insu, dans une opération de marketing commercial. Et nous nous interrogeons sur la genèse de ce projet. De qui, précisément, provient l’initiative ? Qui a effectué le travail de recherche, rédigé ces textes et fourni la logistique ?

 

Peut-être faudrait-il lancer une initiative réellement citoyenne, claire sur ses objectifs (éventuellement avec deux étapes, progestatifs puis oestroprogestatifs ?), exposant clairement les bénéfices de chaque option, et très explicite sur ce qui est demandé pour une éventuelle AMM, par exemple avec une AMM remboursable à prescription facultative, donc à prix régulé.

La campagne associée pourrait mettre l’accent sur le découplage entre la prescription d’un contraceptif oral et un suivi gynécologique conforme aux recommandations officielles, ainsi que sur la diversité des acteurs disponibles pour ces deux actes et des solutions disponibles.

 

Au travail !

 

Borée & Hipparkhos

In love


Je suis amoureux.

Et je crois qu’elle m’aime aussi.

Bien sûr, les mauvaises langues argumenteront que notre différence d’âge est trop grande pour être raisonnable. Et qu’elle n’a pas toute sa tête.

En plus, elle dépend de la MGEN, on me reprochera que c’est de la folie, que ça ne peut pas coller entre nous.(1)

Et puis, il y a l’autre : Édouard, qui vient la voir tous les jours.

Je sais que sa place restera toujours la première, c’est son fils après tout, mais son coeur à elle est assez vaste pour plusieurs hommes. Et je ne suis pas jaloux.

Peu importe de toute façon, nous nous aimons.

Je ne la vois pourtant pas aussi fréquemment qu’elle le voudrait. On me rapporte que bien souvent elle m’appelle. Parfois parce qu’elle est angoissée, parfois parce qu’elle a simplement envie de compagnie.

Elle est douce et amusante. Comme le jour où s’était mise à hurler dans les couloirs, personne n’a su pourquoi, « Je veux du cannabis thérapeutique ! »

Quand je rentre dans sa chambre, elle ne me reconnaît pas toujours immédiatement. Nous jouons notre petite partie.

— Qui est là ?

— C’est le docteur !

— Quel docteur ?

— Le meilleur !

— Aaaaaah ! Docteur Borée !

De temps en temps, pour lui faire plaisir, je lui parle en anglais et elle me raconte New York. Sa mémoire n’est plus tout à fait excellente, mais les vieilles histoires restent et elle n’a pas perdu l’usage de la langue qu’elle a enseigné pendant tant d’années.

Il y a quelques semaines, elle m’a récité en entier « Daffodils » de William Wordsworth. Édouard, à côté, avait le recueil jauni de poésie britannique sur les genoux et la relançait lorsqu’elle faiblissait.

Quand vient la fin de ma visite, elle rechigne souvent à lâcher ma main. Doucement, et sans grand enthousiasme, je lui dis que j’ai d’autres patients à voir et qu’Édouard sera bientôt là pour prendre le relai. Parfois, elle attrape mon cou pour rapprocher ma tête et me faire une bise sur la joue en me disant « Je vous aime ! ». Je me laisse faire de bon cœur.

Elle a 98 ans, une petite voix chevrotante et le sourire éternel.

Elle me manquera beaucoup.

(1) C’est une PLAISANTERIE ! A ne surtout pas prendre au premier degré.

On l’appelait Gygy

Je ne suis pas un grand habitué des conversations de filles. Je n’en suis pas une et je n’en ai pas à la maison.

Je ne fréquente pas non plus beaucoup les forums de nanas et de mamans.

Mais parfois, au détour d’un clic ou sur Twitter, je les vois parler de « gygy ».

« Gygy », un petit nom gentil qui respire la complicité et l’intimité. Un peu comme « Doudou » ou « Loulou ». Presque un parfum d’enfance.

À qui donc est destinée cette tendre appellation ? À leur mari ? À leur amant ?

Non.

Si vous êtes une fille, vous avez probablement déjà deviné : elles parlent de leur gynécologue.

Eh bien, quand je lis ce mot, mes yeux saignent (et je ne vous raconte pas lorsqu’il en est fait usage dans les commentaires sur mon propre blog ou que ça se passe chez l’ami Winckler). Je suis même sûr qu’à chaque fois qu’il est prononcé, quelque part dans le monde, un chaton meurt.

Merde, quoi ! Pourquoi essayer de faire avancer la cause des femmes, en particulier dans le domaine de la médecine si c’est pour constater que certaines sont les premières à se rabaisser à cette infantilisation ?

En écrivant ce billet je me suis demandé ce qu’il fallait en penser.

La vie privée, amoureuse en particulier, a toujours vu fleurir les mignons petits diminutifs. Un vocabulaire rarement très élégant mais affectueux. Est-ce que le « gygy » était à mettre dans le même panier que d’autres locutions qui fleurissent sur Facebook ou sur Doctissimo ? De la même eau que « zhom », « bb1. », « merki » ou « kikoo » ?

Je pense que non car, avec le « gygy », on n’est clairement plus dans le champ du cercle familial. Pour s’occuper de votre santé, de votre corps, de votre intimité, que cherchez-vous ? Un copain ? Un maître ? Ou alors un professionnel compétent ?

De quelle autre spécialité parleriez-vous ainsi ? Vous viendrait-il seulement à l’idée d’aller consulter un gégé(néraliste), un gaga(stro-entérologue), un neuneu(rologue) ou un pépé(diatre) ?

Ce qui me gêne, c’est de voir ainsi utiliser un registre de vocabulaire intime, et un peu régressif, pour parler d’un professionnel de santé. Quand bien même ce serait un pro de votre « intimité ». Pour une relation de soin équilibrée, ça se pose là.

A croire qu’en adoptant ce vocabulaire de gamin, vous acceptiez par avance un comportement autoritaire. Comme si ce n’était pas, déjà, assez fréquent que vous soyez mal-traitées, que l’on décide à votre place ce qui est bon pour vous ou que votre pudeur soit méprisée.

Alors, s’il vous plaît, arrêtez de parler de votre « gygy » et parlez de votre « gynécologue ». Ce n’est pas grand-chose, mais ce sera toujours un petit pas pour vous faire respecter. Et pour vous respecter vous-même.

Sinon, panpan cucul.

***

Post-scripum (24/09 23h)

Après une déferlante de commentaires, il me semble utile de préciser quelques points.

Tout d’abord, je suis désolé si j’ai blessé certaines personnes, ce n’était pas mon but. En écrivant ce billet, certes provocant, peut-être en partie maladroit, j’ai voulu donner l’occasion d’une réflexion et d’une discussion. Au moins pour le second point, c’est réussi.

Je n’ai pas voulu davantage « attaquer Doctissimo » et ses forumeuses comme j’ai pu le lire ici ou là. Je suis parfaitement convaincu du rôle que jouent le web et les communautés en ligne, en particulier dans la capacité pour les patients de se saisir de leurs problèmes de santé. Même si je ne retrouve pas nécessairement dans le ton, Doctissimo participe bien sûr à ce mouvement. Mais, visiblement, il n’y a pas que les mâles chez qui l’esprit grégaire laisse peu de place à la réflexion et à l’échange.

Sur le fond.

Comme je le disais dans le billet, je me suis sincèrement interrogé sur la signification de ce mot de « gygy » et sur sa singularité parmi tout un vocabulaire régressif qui fleurit sur le web (vocabulaire avec lequel j’ai globalement du mal mais c’est un autre débat).

J’ai proposé une lecture. Elle n’est probablement pas la seule et un sociologue du web pourrait probablement faire une thèse sur le sujet.

J’entends bien certaines explications.

Je comprends qu’il peut s’agir là d’une manière « d’apprivoiser » un domaine désagréable, gênant ou un peu effrayant. L’argument de l’autodérision me paraît tout à fait recevable.

J’entends qu’il s’agirait d’un « code » propre à une communauté. Sauf que le propre d’un code c’est que les nouveaux venus doivent s’y plier pour adhérer pleinement au groupe (bien sûr je sais que personne ne va chasser une forumeuse qui utiliserait « gynéco », je parle d’un phénomène naturel d’imitation/adhésion). Plusieurs témoignages montrent bien que ce vocabulaire n’a rien d’évident ou de plaisant pour certaines mais qu’elles finissent par faire avec. La liberté d’utiliser ou pas les mots que l’on choisit est-elle donc si totale ?

Et puis il faudra quand même me dire de quelle communauté on parle parce que ces mots débordent largement des forums de filles (cf. le lien que je mets vers Winckler).

Par contre, le coup du « c’est plus simple à écrire », bof. « Gynéco » (qui est une abréviation) c’est deux lettres de plus que « gygy » (qui n’est pas une abréviation mais une réduplication) c’est vraiment la mort ? Même si je sais que je suis déjà un vieux pour la génération sms.

Au final, bien sûr, libre à chacun et à chacune d’utiliser les mots qu’il veut. Que les Doctinautes continuent à parler de leurs « gygys » si ça leur chante.

Mais si on pouvait un peu réfléchir au sens des mots que l’on utilise, parfois sans même s’en rendre compte, ce ne serait pas plus mal. Et je suis vraiment heureux d’avoir donné l’occasion de ces échanges où, finalement, je note beaucoup de remarques constructives (dans les deux sens).

Tiens, pour le coup, je vais embarquer ma copine Jaddo !

En tout cas, c’est sûr, aujourd’hui ça aura été une hécatombe de chatons. Et de poneys roses.

Ctrl + Z

Jane est venue me voir pour la première fois il y a quatre ans.

On peut dire qu’on a une relation complexe.

Elle est arrivée avec son dossier. On venait de lui enlever un sein.

Elle demeurait un peu loin du cabinet, dans un village aux limites du canton. Ma secrétaire lui avait dit qu’en principe je ne prenais aucun nouveau patient qui habitait là-bas.

Je m’occupais cependant déjà d’une de ses amies et de son frère, un bon gros nounours heureux de vivre. Elle m’a touché avec son histoire, je lui ai dit oui. Elle a pleuré.

Avant la retraite, elle dirigeait un centre de naturo-aromathérapie. Venir me voir, moi, cartésien et adepte de la médecine fondée sur les preuves ! Ce n’était pas gagné que nous réussirions à conjuguer nos points de vue.

Mais je crois que Jane a quand même conscience des limites de l’aromathérapie et que, contre son cancer, mieux vaut tout de même assurer ses arrières.

C’est ainsi que nous nous sommes apprivoisés, je la sentais bien souvent éclatée entre les convictions qui ont fait sa vie et la confiance qu’elle nous accorde, à moi et aux spécialistes.

Elle avait tout un tas d’effets indésirables, aussi diffus et imprécis que non répertoriés dans les notices. Pourtant, elle continuait, j’en suis certain, à suivre les prescriptions que je lui proposais.

Moi, perdu dans ma rationalité, j’avais du mal à m’y retrouver. Je tâchais de lui offrir une oreille attentive et de réduire les ordonnances à ce qui me semblait le strict minimum.

Petit à petit, les choses s’étaient apaisées.
J’ai vu Jane en août de l’an dernier. J’ai écrit dans son dossier : « Pense avoir remarqué une tuméfaction de la zone de cicatrice mammaire. À la palpation, je pense que ce n’est rien d’autre que l’extrémité d’une côte avec peut-être un peu d’arthrose. Mais du moment qu’elle pense avoir remarqué un changement => échographie. »

J’écris toujours beaucoup dans mes dossiers.

Elle est revenue me voir fin novembre. Je l’avais si bien rassurée qu’elle a mis trois mois pour faire l’échographie prescrite.

Celle-ci était assez inquiétante. Ce coup-ci, c’est moi qui ai pris le téléphone pour organiser une biopsie. Les résultats sont revenus positifs.

Saloperie.

J’ai relu ce que j’avais noté. Rien à redire. Je l’avais examinée. J’avais prescrit le bilan nécessaire. J’avais évité de l’alarmer inutilement.

Putain ! Je l’avais tellement bien rassurée qu’elle a mis trois mois à la faire son échographie.

Trois mois de perdus.

Et si j’avais utilisé d’autres mots ? Et si j’avais pris le rendez-vous moi-même ?

D’autres ont déjà écrit sur cette responsabilité qui est la nôtre, ce poids qui repose sur nous, les enjeux des décisions que nous prenons. Dans bien des cas, si nous nous trompons, les conséquences ne seront pas bien méchantes, mais parfois c’est vraiment une question de vie ou de mort. Au sens premier de ces mots.

Si j’avais agi autrement, est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Probablement pas. Mais qui peut en être sûr ? Certes, vu le diagnostic, les études nous disent que quelques semaines de plus ou de moins, ça ne modifie rien. Mais ce ne sont que des statistiques.

Si mes paroles ou mon attitude avaient été différentes ce jour-là, est-ce que le destin de Jane aurait pris un autre embranchement ? Je ne le saurai jamais.

Le passé ne se réécrit pas. Nous ne pouvons que composer avec.

Et vivre avec nos remords.

Alma mater

« Etrange chose que d’être mère ! Ils ont beau nous faire du mal, nous n’avons pas de haine pour nos enfants. »

Sophocle

Elles ont trente ans, cinquante ans ou quatre-vingts.

Je la soigne pour un cancer. Elle ne voit pas pourquoi elle devrait se battre puisque sa fille est morte il y a deux ans.

Elle rencontre le compagnon de son fils unique en cachette lorsque, de passage dans le coin, ils logent à l’hôtel. Son mari le sait, mais il n’accepte que le fils à la maison. Je lui renouvelle son antidépresseur.

Elle a un enfant trisomique de soixante ans. Elle me dit « Tout ce que j’espère, c’est que je vivrai un jour de plus que lui. »

Son enfant est mort il y a bien des années. Elle s’est battue avec le reste de la famille pour pouvoir exhumer ce petit corps du vieux et lointain caveau familial, l’incinérer et disperser les cendres dans sa jolie prairie.

Elle me parle de son fils qui est la huitième Merveille du monde. Tout le village sait que c’est un poivrot et qu’il lui pompe la moitié de sa retraite. Mais il n’y a que lui qui compte.

Elle a perdu son premier enfant à la maternité. Elle a peur pour le suivant. Je pensais avoir su l’apprivoiser et je n’ai pas réussi.

Elle souffre. Elle souffre d’un fils qui boit et qui fume depuis le viol de sa sœur jumelle. Par son meilleur ami. J’ai fait tous les bilans, essayé tous les traitements, sa toux fluctue au gré des périodes d’alcoolisation et de rémission.

Elle est mère seule d’un enfant sans père. Elle jongle entre le travail, la nounou et ce garçon auquel elle n’était pas préparée.

Elle n’est pas mère. À quarante ans passés, elle va retourner une dernière fois en Tchéquie pour donner une ultime chance à ses embryons congelés. Elle me sollicite pour l’échographie préalable.

Elle m’amène son père âgé en consultation. Au passage, elle me parle de son fils et me décrit les symptômes d’une bouffée délirante en train d’éclore. Je passe chez eux, j’explique que ce n’est plus d’homéopathie et de yoga qu’il a besoin, je lui demande si elle veut bien faire le certificat pour une hospitalisation en psy. Je la vois osciller entre la peur de l’inconnu et le soulagement d’un diagnostic.

Elle a quatre-vingt-quatre ans. Son fils unique et son petit-fils sont morts il y a quatre ans. Elle va doucement mieux et me raconte avec fierté qu’elle vient de repeindre ses volets.

Elle refuse tous les vaccins pour ses enfants depuis que le dernier a fait une réaction bizarre après un ROR. Elle veut les protéger, mais je pense qu’elle a tort. J’ai conscience de la violence que je lui inflige en insistant pour au moins le tétanos. Je sens sa peur derrière son acceptation.

Elle se dit que ses enfants, c’est la seule chose de bien qu’elle a réussi dans sa vie. Elle est dévorée par la honte de ne pas pouvoir acheter un ordinateur pour l’ado qu’il lui reste à la maison. Je lui propose d’essayer une psychothérapie pour retrouver un peu de confiance en elle.

Elle est mère et grand-mère et arrière-grand-mère. Ses douleurs, ça va beaucoup mieux depuis que son fils est à la retraite et qu’il passe du temps chez elle.

Elle a trente ans, cinquante ans ou quatre-vingts. Elle est mère, d’une fille ou, peut-être plus souvent, d’un fils. Elle me parle de ce lien si fort, si présent.

Ces drames, ces bonheurs, ce poids sur le cœur.

Il ne me semble pas avoir été un mauvais fils. Mais, de les entendre et de les voir en consultation, je crois que je pense un peu plus fréquemment à lui dire que je l’aime. À la mienne, de mère..

Modèle parental

Bien souvent, les parents servent de modèles. De manière choisie ou bien subie. « Mes parents ont toujours fait ce qu’il fallait pour qu’on ne manque de rien, pour mes enfants à moi, ce sera pareil. » « Vous voyez, Docteur, dans la famille, tout le monde est nerveux. Ma mère était ner-veuuuse ! Alors, forcément… moi… »

Elle a soixante-cinq ans.

Je la vois tous les trois mois pour renouveler son traitement. Elle me répète souvent qu’elle ne veut pas trop d’examens complémentaires. Ça me va plutôt bien. Je limite les explorations à ce qui est nécessaire et, du coup, elle les fait avec assiduité. Comme la bonne élève qu’elle est.

Elle me parle un peu de ses enfants. Et de sa mère qui a une maladie d’Alzheimer et qu’elle garde chez elle. Comme elles habitent un peu loin du cabinet, c’est un autre confrère qui vient s’en occuper à domicile. Je ne l’ai jamais vue.

Toujours très élégante, bien maquillée, des bijoux. Elle parle d’une manière distinguée que ne laissent présager ni son nom ni son prénom. « Paulette Bidochon », on ne s’attend pas vraiment à ce qu’elle articule en arrondissant la bouche.

Et elle est mince. Vraiment mince. En matière médicale, elle s’approche de la maigreur.

Depuis trois ans que je la connais, son poids n’a quasiment pas varié. Cinquante-sept kilos au plus haut, cinquante-quatre au plus bas. Aujourd’hui, c’était cinquante-cinq.

Cela fait longtemps qu’elle a une alimentation très frugale à laquelle elle est habituée.

Elle me répète à chaque fois combien ce poids est important et pourquoi.

« Si vous connaissiez ma mère. Elle a toujours été énorme ! Toujours. Je me suis juré que je ne serai jamais comme elle. Jamais ! »

Positifs ou non. Tournés vers l’avenir ou enkystés dans le passé. Guides ou repoussoirs. Dans tous les cas, les modèles et contre-modèles représentés par nos parents sont des moteurs extrêmement puissants.

P.S. Désolé pour ce long silence. Ce n’est pas l’inspiration qui me manque mais le temps de me poser pour mettre mes idées en mots. Dans ma région touristique, l’été est une période de forte activité (autant que lors des épidémies hivernales) et j’ai une actualité personnelle un peu bousculée.
Promis, je serai plus régulier lorsque l’automne arrivera.

Médecine, sexe et pouvoir

J’ai eu une externe de 4ème année en stage. Charmante et intelligente. Un vrai plaisir comme bien souvent.
Je me souviens d’une consultation avec une jeune femme. C’était en fin de journée, il faisait beau, on avait le temps et tout le monde était de bonne humeur.

On parle gynécologie. La patiente me dit l’exigence de son gynéco de lui faire des frottis tous les ans et qu’elle n’aime pas bien ça.
Je me tourne vers l’externe, je lui demande ce qu’elle en pense. La conversation s’engage à trois.

Cette externe, qui sera bientôt médecin, déjà une soignante et qui, j’en suis sûr, sera une soignante attentive, nous explique que c’est son gynécologue qui lui prescrit sa contraception et qu’elle le voit donc tous les ans. Qu’il exige qu’elle ait, chaque année, un examen au speculum avec un frottis. Que, sinon, il refuse de lui renouveler sa pilule. Qu’il lui demande toujours de se déshabiller intégralement et qu’il lui fait une palpation des seins.

Et je découvre, stupéfait, que tout ceci lui paraît absolument naturel. Une obligation désagréable certes, mais une obligation évidente qu’il n’y a même pas à questionner.

Les échanges lors de cette consultation et par la suite ont été, je crois, une vraie révélation mutuelle et cette stagiaire, qui n’imaginait pas qu’une consultation gynécologique puisse se dérouler différemment, a fait un vrai travail de recherche sur la manière dont ça pouvait se passer, ailleurs, et sur le ressenti des femmes.

Et je lui ai validé son stage. (Oui, bon… j’ai toujours validé les stages… disons que je l’ai validé avec enthousiasme.)

Je passerai rapidement sur l’inutilité de pratiquer un examen gynécologique chez une jeune femme de moins de 25 ans qui ne se plaint de rien. C’est même assez inacceptable avant 20 ans, à un âge où l’on est encore dans la découverte de son corps et de la sexualité.
Si on veut installer l’idée que le sexe, plutôt qu’une source de plaisir amoureux, est un danger permanent qu’il convient de médicaliser et, ainsi, de « génitaliser », c’est même un très bon moyen.

Je ne m’attarderai pas davantage sur le pur scandale que représente ce chantage à exiger que le patient se plie aux contraintes qu’on entend lui imposer sous peine de se voir refuser toute prise en charge.
Rappeler à une femme de 30 ans que le frottis c’est important, c’est notre boulot. Refuser de lui prescrire sa contraception si elle n’accepte pas de s’y prêter, c’est lui placer un revolver sur la tempe. C’est une relation de pouvoir et non pas une relation de soin.

Ce que j’ai trouvé vraiment édifiant dans ce dialogue, c’est combien certaines de nos maltraitances pouvaient être perpétuées non pas parce que les soignants français seraient fondamentalement malveillants (il y a bien quelques connards sadiques dans le lot mais je suis sûr qu’ils sont minoritaires), mais parce que, tout simplement, ils n’interrogent pas leurs pratiques.
Même pétris d’une réelle volonté de bien faire, des soignants peuvent pourtant être maltraitants au nom du simple « on a toujours fait comme ça ».

Il est donc temps, de clore cette trilogie que je n’avais pas anticipée par deux gestes que je n’ai pas encore abordés.
La palpation des seins tout d’abord.
L’habitude de déshabiller intégralement les femmes ensuite.

***

Faut-il tâter les tétons ?

(Je n’aborderai pas ici la question de la mammographie de dépistage – qui n’est de toute manière justifiée pour la population générale que de 50 à 70 ou 75 ans et uniquement dans un cadre organisé -, ni celle des femmes à haut risque en raison de leur terrain familial.)

La palpation des seins est pratiquée de longue date dans l’espoir de permettre le dépistage précoce de cancers du sein. L’idée sous-jacente est que « plus tôt on détecte, plus tôt on traite, mieux c’est ».

Cette technique paraît intéressante : elle est simple, gratuite, sans risque direct et généralement pas trop pénible.

Elle est même tellement simple qu’il a été proposé de l’enseigner aux femmes elles-mêmes et de les encourager à pratiquer régulièrement des autopalpations. Idée séduisante mais qui se heurte à la réalité.

Deux essais comparatifs réalisés en Russie et en Chine (reprises dans cette Méta-analyse et dans une synthèse Cochrane) ont regroupé au total 380 000 femmes (pour les non connaisseurs : c’est énorme et ça donne généralement des résultats très fiables).

La conclusion est malheureusement claire : aucun bénéfice n’a été retrouvé.

Par contre, la pratique des autopalpations a considérablement augmenté le nombre de consultations médicales, de biopsies négatives, d’examens invasifs et probablement l’anxiété de ces femmes.

Cette pratique – qui est pourtant encore régulièrement proposée – est donc, malheureusement, inutile et certainement même nuisible.

Ce qui n’empêche pas, bien évidemment, qu’une femme qui remarque une modification d’un de ses seins, une douleur ou toute autre anomalie suspecte doive consulter sans tarder. C’est la base d’une stratégie promue dans les pays anglo-saxons, plus particulièrement au sein de la profession infirmière : le « breast awareness« .

Ce terme n’a visiblement pas encore trouvé son équivalent en français. On pourrait parler de « mammo-vigilance » (si quelqu’un trouve un terme plus heureux, ce sera parfait).

Cette stratégie manque de preuves solides pour l’appuyer mais elle semble de bon sens et propose une démarche plus globale et moins systématique. Vous pouvez trouver ici la version francophone (mais oui !) de la brochure que propose le NHS (l’assurance maladie britannique) sur le sujet.

Bon, oui, ok, l’autopalpation ce n’est pas bien. Mais la palpation par un professionnel, ça fait tout de suite beaucoup plus sérieux, non ? C’est sûr que, ça, ça doit être efficace et sauver des vies.

Eh bien, on n’en sait rien. Rien du tout.

Aucune étude convenable n’a étudié les performances de la palpation de manière isolée. Les seules études ont été faites dans le cadre de stratégies associant ou non des mammographies. Une étude philippine avait démarré mais a rapidement été stoppée en raison de difficultés de suivi.

Il faudra donc probablement attendre la fin d’une grande et passionnante étude indienne (150 000 femmes de 35 à 64 ans, suivies dans des conditions très proches de ce que l’on pourrait faire dans la « vraie vie ») dont une analyse intermédiaire est parue récemment.

En-dehors d’un examen couplé à une mammographie, palper les seins d’une femme n’est certainement pas une faute. Ne pas les palper non plus puisqu’on ne dispose d’aucune preuve scientifique de l’intérêt de cet examen effectué seul.

Encore faut-il, si on souhaite proposer une palpation, se rapprocher du (faible) cadre que nous donnent les quelques études disponibles (uniquement dans le cadre de comparaisons avec la mammographie, je le rappelle) :

  • des femmes d’au moins 40 ans (les cancers du sein, bien que dramatiques, sont rarissimes avant 30-35 ans),
  • en respectant un protocole très précis (palpation et examen visuel nécessitant au minimum 3 minutes par sein),
  • par des professionnels qui ont suivi une formation spécifique.

En-dehors de ceci, la palpation des seins ne repose vraiment sur rien.

Il n’est donc pas illogique de la proposer avec prudence si on pense savoir la pratiquer convenablement. On peut raisonnablement la faire à une femme qui est demandeuse et que ça peut rassurer.

Mais l’imposer, en particulier à une très jeune femme, relève davantage du droit de pelotage que d’un acte médical.

***

A poil et couche-toi là.

De toutes les pratiques de certains gynécologues ou généralistes, il en est une qui me scandalise plus que tout…

Je discutais un jour avec un gynéco. Un jeune, de ma génération. Même pas l’excuse d’être un vieux rabougri.

« Ah bon ? Tu les fais déshabiller intégralement tes patientes ?

– Ouais, bon, elles ont le droit de garder les chaussettes hein !

– Mais pourquoi ?

– Ben, c’est comme ça. C’est quand même plus simple. Qu’est-ce que ça change ? De toute façon elles me montrent bien leur chatte. Et puis elles ont été habituées comme ça. »

Le cadre n’était pas à la polémique. Ce confrère était tellement loin du moindre questionnement que je n’ai pas voulu mener la bataille. J’ai donc lâchement changé de conversation et je me suis dit simplement que jamais je ne lui adresserai de patiente.

Mais j’avais quand même envie de lui hurler que ça changeait tout. Que se retrouver à poil, allongée à la disposition du médecin, c’était accepter clairement une position de soumission totale. Que c’était un mépris complet de la pudeur de ses patientes.

Et, surtout, que ça n’avait aucune, mais alors aucune, justification. Que ça ne servait à rien de rien.

Ah ! Si… à faire gagner peut-être 30 secondes au praticien.

Parce que, si vraiment on veut faire un examen génital et palper les seins, il faut quand même le faire en deux fois. Même le plus habile des gynécologues n’arrivera pas à faire les deux choses simultanément. Et il n’est donc tout de même pas très compliqué d’enlever le bas, faire l’examen génital. Laisser la femme remettre son pantalon ou sa jupe, puis enlever le haut pour examiner les seins.

Alors, oui… ça prendra peut-être un tout petit peu plus de temps mais ça me semble tout de même infiniment plus respectueux.

Considérer que ce petit gain de son temps est plus précieux que l’humiliation inutile subie par notre patiente, c’est avoir décidément une très haute opinion de soi-même et faire bien peu de cas de l’autre. Ou alors, si ce n’est pas une question de gain de temps, c’est encore pire : une attitude, peut-être même inconsciente, visant clairement à asseoir la domination du praticien (que ce soit un homme ou une femme n’y change rien) sur son patient.

C’est pourquoi, lors d’un examen gynécologique, refusez de vous déshabiller intégralement si ça doit susciter la moindre gêne chez vous. Car rien ne le justifie.

Et n’hésitez pas à changer de médecin s’il veut vous l’imposer. Ce n’est rien d’autre qu’un viol de votre intimité et ce n’est pas parce que l’autre porte le titre de « Docteur » qu’il ou elle en a le droit.

La noblesse de la médecine, c’est de prendre soin de nos patients. Ce n’est pas d’exercer notre pouvoir sur eux.

Le toucher vaginal est-il de la mauvaise médecine ?

Les commentaires du précédent billet sont vraiment passionnants et instructifs.

Docteurdu16 a publié un commentaire dans lequel il citait un article paru dans le BMJ (pour les non-initiés, le BMJ est l’une des trois principales revues médicales de référence sur le plan international). Cet article aborde la question d’examens pratiqués en routine en gynécologie et, en particulier, la question du toucher vaginal.

Plutôt que de laisser la discussion se développer dans les commentaires du billet sur la « position anglaise », il m’a semblé nécessaire de faire ce billet à part.

Je recopie donc ci-dessous le commentaire de Docteurdu16 avec, pour que tout le monde en profite, la traduction française de la référence citée. J’y joins aussi le commentaire que ‘S’ (mon « formateur ») a laissé à la suite.

Merci à eux deux.

***

Docteurdu16

Bon, voici un article de Des Spence dans le BMJ qui n’est pas tout à fait adapté au post de Borée, mais qui est adapté à la bad medicine, et au toucher vaginal. En anglais, malheureusement.
Pour ceux qui sont abonnés, ils trouveront le texte et des commentaires ici : http://www.bmj.com/content/342/bmj.d1342.full

Je n’ai pas le droit mais voici :

Mon ami me fixa anxieusement. Le professeur était cramoisi, les veines de son cou étaient saillantes, le visage de la colère. Bizarre qu’un simple mot comme « pourquoi » puisse provoquer une telle réaction allergique. Mais « pourquoi » est le mot le plus important en médecine.

Et, donc : pourquoi les médecins font-ils habituellement des touchers vaginaux et des examens au spéculum ? J’ai cherché les flèches dorées des sites de recommandations afin de me guider mais je me suis retrouvé à fouiller dans les poubelles de l’internet.

Concernant le toucher vaginal.

Il peut permettre de repérer des masses pelviennes mais quels sont les risques d’erreur ? Pour les patientes de gynécologie examinées durant une anesthésie générale, un tiers des masses n’a pas été détecté et les erreurs étaient encore plus importantes concernant les anomalies des annexes. Si nous extrapolons ces conclusions à une population consciente et avec une faible prévalence de pathologies, alors le risque de faux-positifs et de faux-négatifs est si élevé que ce n’est pas acceptable et qu’il rend le toucher vaginal pratiquement inutile comme examen de dépistage.

Le toucher vaginal est également sensé repérer les « irritations cervicales », un symptôme traditionnel des pathologies pelviennes inflammatoires. Mais l’irritation cervicale est tellement aspécifique qu’elle n’a aucune valeur de dépistage.

C’est pourquoi dans les pays riches, le toucher vaginal n’a aucune place dans les soins de première ligne. Les femmes doivent plutôt bénéficier rapidement d’examens fiables tels qu’une échographie. (De fait, les technologies modernes permettent de convertir un smartphone en échographe basique, c’est pourquoi on ferait mieux d’apprendre les techniques d’échographie à nos étudiants.)

Toute femme présentant des signes d’irritation pelvienne devrait donc pouvoir bénéficier de techniques fiables et sensibles.

Concernant l’examen au speculum.

Cet examen a clairement sa place lorsqu’il s’agit d’examiner le col de l’utérus ou de retirer un tampon coincé. Mais l’examen au speculum est couramment pratiqué pour de simples problèmes de pertes vaginales alors que les faits nous indiquent que ce n’est pas nécessaire. La plupart des pertes sont physiologiques et les patientes doivent simplement être rassurées. Par ailleurs, les infections vaginales banales, bactériennes ou candidosiques, rentrent souvent dans l’ordre spontanément mais ont tendance à récidiver, c’est pourquoi un simple traitement empirique paraît raisonnable.

Si un diagnostic de certitude paraît nécessaire, alors un auto-prélèvement par écouvillon semble une alternative logique au prélèvement obtenu au speculum. Concernant les chlamydiae et le gonocoque, les techniques indirectes, largement répandues, sont plus sensibles que la traditionnelle culture du prélèvement endocervical, en particulier en soin primaire. C’est pourquoi les examens nécessaires devant des pertes vaginales, sans douleur pelvienne, ne nécessitent pas d’examen au speculum. Ceci serait beaucoup plus acceptable pour les patientes et beaucoup plus simple pour le médecin.

Pourquoi continuer à pratiquer ces examens invasifs, non scientifiques, désagréables et illogiques ?

Il est temps de reconnaître que ces examens de routine en gynécologie sont de la mauvaise médecine.

***

S

Enfin, le sujet vraiment tabou est abordé.

J’avais prévu d’aborder le sujet du “toucher vaginal” très prochainement, et je ne peux que sauter sur l’occasion : cet examen a disparu de ma pratique depuis de nombreuses années, d’abord parce qu’il me dérange, comme le “toucher rectal” d’ailleurs qui devrait être systématique d’après mes cours, et surtout il ne m’apporte aucune information utile comme gynécologue.

Les très rares indications que je conserve se retrouvent en salle de travail pour le diagnostic de ce dernier et son évolution.

Et encore, travaillant avec des sages-femmes en première ligne, je fais confiance à leur expertise puisque c’est un geste qu’elles pratiquent régulièrement, au contraire de moi.

Ces dix dernières années, aucune, je dis bien aucune, faute de non-diagnostic n’est revenue à mes oreilles (et je vous promets qu’on ne m’aurait pas fait de cadeaux parmi mes confrères en cas contraire…).

Osons revisiter nos certitudes en nous appuyant sur la rigueur scientifique, point central de notre fonction de soignant, générant par là l’espace de confiance indispensable au soigné.

L’examen « à l’anglaise » – et autres mises au point gynécologiques

Je vous avais déjà raconté la première fois que j’avais fait un examen gynécologique en « position anglaise » (ou en « décubitus latéral ») en m’étant inspiré de ce qu’avait dit Martin Winckler dans Le Choeur des Femmes.

Je vous avais dit aussi que j’avais fini par me remettre à la position classique après quelques essais un peu lamentables.

Mais, comme annoncé, je suis allé passer une journée auprès d’un ami gynécologue qui, depuis qu’il a lui aussi lu ce livre, ne travaille pratiquement plus que de cette manière.

Merci à lui de m’avoir accueilli à ses côtés, et à ses patientes d’avoir accepté ma présence.

En fait, c’est super facile !

Je me suis donc décidé à faire le billet que j’aurais aimé trouver après avoir refermé Le Choeur des Femmes.

Plus précisément, ce billet a pour objet d’aborder trois choses différentes mais qui se rejoignent :

l’examen gynécologique en décubitus latéral

la pose de DIU selon la technique « directe »

l’utilisation (ou non) d’une pince de Pozzi.

 

***

L’examen gynécologique

en décubitus latéral

(« à l’anglaise »)

En réalité, la position que je vais décrire n’est pas exactement celle qu’évoque Martin Winckler.

Comme il l’avait expliqué, j’avais fait des essais en demandant à la patiente de se coucher sur le côté et en remontant les deux genoux vers le torse (en « chien de fusil »). Ce n’est pas forcément très pratique pour le médecin et ce n’est pas le plus confortable pour la patiente.

La position que je vous propose est donc la suivante : la patiente s’allonge sur le côté, la jambe qui est au contact de la table d’examen reste étendue et seule l’autre vient se replier (un peu plus haut que dans la PLS).

Cette position est plus stable, plus confortable pour la patiente et probablement moins gênante (la patiente a moins l’impression de nous « tendre les fesses ») que celle décrite dans Le Choeur des Femmes.

On obtient donc quelque chose dans ce style :

Pour le médecin, on est bien sûr un peu moins à l’aise que dans la position classique : il faut rester debout, sur le côté de la table d’examen, derrière les cuisses de la patiente. Et se pencher un peu.

Une table qui peut monter assez haut vous rendra les choses moins acrobatiques. Pensez également à la qualité de l’éclairage (une bonne frontale à LED achetée dans un magasin de sport fait très bien l’affaire).

Un médecin droitier sera probablement un peu plus à l’aise avec une patiente allongée sur le côté gauche et inversement. Mais je l’ai fait dans les deux sens et ce n’est pas très différent.

Idéalement, on peut recouvrir la partie inférieure du corps par un drap et n’écarter que ce qui est strictement nécessaire. La gestion du linge n’est cependant pas très facile en cabinet de ville et un morceau de drap d’examen en papier fait un honorable pis-aller.

D’une main, on va alors soulever la fesse et la grande lèvre supérieures pour dégager la vulve et introduire le spéculum avec l’autre main.

(Si vous avez du mal à visualiser la position du médecin, imaginez que vous entrebâillez un coffre et que vous vous penchez pour voir le trésor, tout en maintenant le couvercle de votre main gauche.)

Après avoir lubrifié le spéculum bien sûr mais, ça, vous le savez.

Ce qui avait rendu mes premiers essais assez lamentables, c’est que je cherchais à aller beaucoup trop vers l’arrière.

En fait, le spéculum doit venir s’appuyer sur la fourchette postérieure (qui est peu sensible) et se diriger, en gros, selon l’axe du corps.

Comme dans la position classique, on fait pivoter le spéculum à mi course avant d’ouvrir les valves.

(Sur ce dessin, le speculum est figuré dans la position où il est présenté à la vulve. En même temps qu’on le pousse vers l’intérieur, on fait pivoter le manche vers les fesses.)

Je ne sais pas si j’ai eu de la chance ou si c’est lié à la position mais je n’ai pas galéré une seule fois de la journée pour que le col vienne gentiment se caler entre mes deux lames de spéculum.

Voilà, c’est fait ! A ce stade, vous pouvez déjà faire un frottis.

***

La pose d’un DIU

par la méthode directe

Alors, déjà pour commencer, on va oublier le mot stérilet qui est un vilain archaïsme franco-français qui sert juste à faire peur aux femmes. Nous utiliserons donc l’acronyme DIU (Dispositif Intra-Utérin) qui n’est pas le plus facile à prononcer mais qui correspond à un usage international et qui est beaucoup plus neutre.

En France, et tout particulièrement dans le domaine de la gynécologie, on se dit souvent que si c’est compliqué et, si possible, douloureux, c’est sûrement mieux.

Donc, pour poser un DIU, je faisais comme j’avais appris consciencieusement : pose d’une Pozzi (j’y reviendrai), hystéromètre pour mesurer la profondeur utérine, réglage de la bague du DIU, je mets le tube inserteur (quand il n’y a pas un spasme à cause du passage de l’hystéromètre…), je recule le tube en maintenant le poussoir, je repousse le tout, je retire le poussoir, je retire le tube.

Et, bien souvent, je me plante sur une étape.

A la décharge des médecins, il faut bien reconnaître que c’est le protocole qui est décrit de cette manière dans les notices officielles des DIU.

J’avais déjà entendu parler de la technique de pose directe, également appelée, de manière plus martiale, « technique de la torpille » (chez BlueGyn, par exemple). A ma connaissance, elle est très peu connue et utilisée en France.

Et pourtant, elle est super simple.

Pour commencer, on va introduire un hystéromètre le plus fin possible. On ne le pousse pas à fond, le but n’est absolument pas de mesurer la profondeur utérine mais uniquement de déterminer l’axe du col.

Quand j’avais lu ça, ça me paraissait un peu mystérieux : ne vous laissez pas impressionner. Il suffit de pousser délicatement l’hystéromètre et de le lâcher une fois qu’il a passé le col pour voir la direction qu’il prend naturellement.

(Petit détail technique : je vous recommande fortement l’hystéromètre souple CH10 de CCD. Il est très effilé et, bizarrement, nettement plus fin que d’autres hystéromètres également notés « CH10 » : le CCD fait 2 mm à son bout et 3 mm au plus large, au lieu de 4 mm pour un « CH10 Prince Medical », par exemple. Ça ne paraît pas grand chose mais ça fait une section 40% plus petite.)

On ressort l’hystéromètre et on va alors présenter le DIU au niveau du col. On se fout totalement du réglage de la bague qui sert simplement à repérer l’axe des ailettes.

Il suffit ensuite de pousser le tube inserteur jusqu’à l’isthme du col en suivant la direction qu’on avait repérée.

Là aussi, avant de le faire sous le regard bienveillant de mon formateur, je me demandais si j’allais savoir repérer cet « isthme ».

En fait, c’est en gros quand on sent une légère résistance à environ 2 ou 3 cm de l’entrée du col. Pareil : ne vous laissez pas angoisser, d’autant plus que, avec cette technique, on n’est pas à 4 ou 5 mm près.

Une fois qu’on y est, il suffit de pousser à fond le poussoir, tranquillement mais fermement. Le DIU va alors se positionner tout seul dans la cavité utérine en ouvrant ses ailettes.

C’est tout doux. Il est presque impossible de se louper, sauf anomalie anatomique ou si l’on a mal repéré l’axe du col.

On ne doit normalement presque pas faire mal. Si c’est vraiment douloureux, c’est généralement qu’on n’a pas poussé le tube inserteur assez loin et que l’on essaie de libérer le DIU dans l’isthme du col. Il suffit alors généralement de le remettre dans l’inserteur et de réessayer.

Pour le fun, vous pouvez aller voir la petite animation qu’a faite BlueGyn.

Au fait, un petit scoop : l’efficacité du DIU reposant sur un mécanisme chimique (cuivre) ou hormonal (Mirena©), on se moque totalement de sa position. S’il est « de travers » ou « pas bien au fond », il marchera tout aussi bien !

Ceci dit, on a aussi le droit de rester raisonnable : si vous n’arrivez pas à poser le DIU chez une patiente en décubitus latéral, n’hésitez pas non plus à la faire repasser en position classique où l’on a tout de même des repères plus simple et une visibilité meilleure.

***

Pince de Pozzi

C’est un instrument que je ne montre jamais à mes patientes ! Il s’agit d’une pince très longue qui se termine par deux crocs qui permettent d’agripper fermement un organe. Elle a un côté très médiéval…

En gynécologie, elle sert généralement à attraper le col de l’utérus pour tirer dessus et redresser l’utérus lorsqu’il est coudé.

Le col de l’utérus est supposé être peu sensible. C’est plus ou moins vrai chez une femme qui a déjà accouché par voie basse. Ce n’est pas vrai du tout chez une nullipare.

Lorsque j’en posais, parfois en effet, la femme ne sentait rien. Parfois c’était tout de même assez sensible et ça générait un spasme du col qui m’empêchait de passer le DIU. C’est ce qui avait dû se produire chez Isabelle.

D’après Martin Winckler, l’utilisation d’une Pozzi n’est pas nécessaire pour poser un DIU.

Je dirais plutôt que, sauf aptitudes manuelles exceptionnelles, l’utilisation d’une Pozzi n’est généralement pas nécessaire.

Lors de ma journée, il a fallu l’utiliser une fois sur les sept poses de DIU.

Par contre, si on doit l’utiliser, il y a un seul endroit où l’on « a le droit » de la fixer parce que cette petite zone est, effectivement quasi-insensible.

C’est une petite zone ligamentaire située sur le versant externe de la « lèvre supérieure » du col. Si on a besoin d’utiliser une Pozzi pour tracter le col, il faut impérativement la positionner à cet endroit, parallèlement au bord du col.

(Sur le dessin, la patiente est, bien entendu, allongée sur le côté. La « lèvre supérieure » du col se trouve donc à droite. 😉 )

Mais, encore une fois, elle ne sera le plus souvent pas nécessaire.

***

Conclusion

On m’a déjà demandé s’il existait un registre des gynécologues ou des généralistes travaillant « à l’anglaise ». La réponse est non et, de toute manière, ces professionnels sont encore très rares.

Si vous êtes un médecin (ou une sage-femme) et que vous pratiquez des actes de gynécologie, j’espère que ce billet vous sera utile pour vous décider à franchir le pas. C’est beaucoup moins compliqué que ce que l’on imagine au premier abord.

Pour commencer, choisissez une patiente avec laquelle vous avez un bon contact et expliquez-lui le sens de la démarche. Elle sera certainement indulgente pour vos tâtonnements.

Si vous êtes une patiente, n’hésitez pas à imprimer ce texte (Ici en format PDF) et à le montrer à votre généraliste ou à votre gynécologue.

Peut-être  qu’il aura une réaction de rejet et qu’il refusera d’en discuter. Il fait peut-être partie de ces gynécologues qui vous demandent aussi de vous déshabiller intégralement pour faire un frottis et qui, globalement, n’ont pas un très grand respect pour leurs patientes. Voilà éventuellement l’occasion d’en changer.

Peut-être qu’il vous expliquera que, oui mais non, qu’il craint de ne pas réussir, qu’il est désolé mais qu’il préfère rester classique. Si vous vous sentez à l’aise et en confiance avec lui, gardez-le, ce n’est pas bien grave.

Mais peut-être aussi qu’il sera soulagé que vous ayez fait ce premier pas et qu’il sera heureux d’essayer de faire évoluer sa technique grâce à vous.

En médecine, nous sommes bien souvent amenés à pratiquer des gestes désagréables, douloureux ou qui heurtent la pudeur. Parfois, ces gestes sont indispensables.

Ces gestes incontournables, douloureux ou gênants, il y en a déjà bien assez. Il n’est vraiment pas nécessaire d’en rajouter quand on peut faire autrement.

***

Encore merci à Martin Winckler et à S. de se préoccuper du bien-être de leurs patientes et de partager leurs connaissances. Merci de m’avoir consacré du temps.
Un prêté pour un rendu : à mon tour de me faire passeur de savoir.
***
Edition du 19 mars
Martin Winckler vient de publier ce texte/manifeste sur son blog.
Il m’a paru être un parfait complément au présent billet.

Marmottes

AliceIl y a quelques jours, en parcourant le quotidien local, je suis tombé par hasard sur une annonce nécrologique qui m’a ému. Celle de Georges, 81 ans.

Elle était publiée par « René, son compagnon » et les autres membres de sa famille.

J’ai pensé à ce vieux Monsieur qui était maintenant seul. Peut-on dire veuf  ?

S’il ne peut plus rester seul, trouvera-t-il une maison de retraite pour l’accueillir avec respect ?

J’ai rapidement imaginé Georges et René, la vie qu’ils avaient pu avoir à une époque où, vivre ensemble lorsque l’on était deux hommes, à la campagne qui plus est, c’était certainement une autre histoire qu’aujourd’hui.

Et j’ai eu une pensée reconnaissante pour les pionniers de la « normalité », militants ou simples individus qui ne s’étaient pas dissimulés, qui avaient permis aux générations suivantes de vivre mieux.

***

Elle a soixante-et-un ans et c’est une très bonne élève.

Elle est gentille comme tout et son diabète est un plaisir à prendre en charge. Ça change.

Vingt-trois ans de diabète et onze d’insuline, mais elle garde son poids stable, fait ses quatre injections quotidiennes, ses surveillances glycémiques et ses prises de sang. Son hémoglobine glycquée ne bouge pas de la zone 7 – 7,5.

Si j’aime beaucoup Mylène, j’ai encore plus de tendresse pour Alice.

Alice est la compagne de Mylène. Depuis trente-six ans.

Et, autant Mylène pourrait aisément donner le change, autant Alice est un stéréotype sur pieds. Le visage rond comme le corps, les cheveux courts, elle fume et sa voix rocailleuse a un amusant accent parisien. Toujours bougonne, mais le cœur sur la main, elle passe son temps à râler du haut de son mètre cinquante-six. Avec sa voix de clopeuse, elle me lance des expressions que je ne connais pas.

— Oh lalalalalaaa ! Encore une prise de sang ! C’est le bruuuun…
    Et je dois revenir dans un mois ?

— Oui. Entre votre diabète, votre bronchite chronique, vos reins et vos yeux, il y a trop de problèmes pas réglés chez vous.

— Et Mylène, elle, c’est pour trois mois que vous lui faites l’ordonnance. C’est la bonne élève, et moi le cancre… je sais.

J’appelle Alice « mon gentil bouledogue ». Ça nous fait rire.

Je crois que je n’ai jamais su comment elles ont atterri dans notre trou paumé où elles n’ont aucune attache. Elles habitent dans notre micro-cité HLM et donnent un coup de main au Secours Pop’.

Il y a un mois, elles m’ont demandé de passer chez elles : Alice avait une bronchite et était trop mal fichue pour conduire.

Elle était installée dans son canapé. La télé allumée diffusait une sorte de vidéogag. Le chat ronronnait sur son fauteuil. Le buffet était encombré des bibelots habituels : poupées en porcelaine avec plumes et paillettes, boules à neige… Un poster de Johnny Hallyday décorait le mur. Il y avait encore le sapin de Noël.

Je me suis posé à côté d’Alice, j’ai écouté ses poumons, rien de catastrophique. Après lui avoir pris la tension, nous sommes restés une minute ou deux, assis et silencieux, à regarder les gags qui défilaient à l’écran.

J’ai fini par sursauter.

— Bon… euh… ben, je crois qu’il n’y a rien de bien méchant. Je vous fais une ordonnance pour du paracétamol.

— Bon, ben alors ça va. — me répond Alice — Dis voir, la vieille, tu me ferais une Marmotte ?

— C’est quoi une Marmotte ?

— C’est une tisane de chez elle.

— Et vous l’appelez « la vieille » alors qu’elle a cinq ans de moins que vous ?

— Rhrhrhrhr ! Ça fait trente-six ans que je l’appelle la vieille !

Alice s’est alors levée pour me montrer une ancienne photo encadrée, en noir et blanc : Mylène, vingt-cinq ans, mince, blonde, très jolie et avec le même visage que je lui connais.

— Et vous avez aussi une photo de vous quand vous étiez jeune ?

— Ah ouais, celle de mon permis, je vous la cherche.

Et elle m’a rapporté cet improbable cliché d’une jeune femme de vingt ans, vraiment très sexy, avec de superbes boucles brunes et un air mutin.

— Oh ! Ben, vous étiez drôlement belle également !

— N’est-ce pas ? Rhrhrhrhrhrh !
    Au fait, vous voulez une Marmotte vous aussi ?

 

***

Post-scriptum (24/02/13)

Alice et Mylène ont déménagé, mais je les vois toujours. Au nom de l’amitié que j’ai pour elles, en raison de la confiance que je leur fait (leur nouvel éloignement y jouant aussi), je leur ai parlé de ce blog et de mon livre. Elles ont aimé ce texte et nous en avons ri.

Alice m’a autorisé à reprendre la fameuse photo du permis de conduire qui vient donc remplacer la photo de Greta Garbo que j’avais initialement choisie.

Guère de crainte pour son anonymat : ne la reconnaîtront que ceux qui l’ont connue jeune !