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Mémoire

Au cours des deux dernières semaines, Claude, notre mécanicien, a consacré la plus grande partie de ses journées à des opérations de déneigement de fin d’hiver.

Il s’agissait en particulier de retirer la neige accumulée par le vent dans les deux fosses que constituent les rampes d’accès à nos « caves ».

Ce dimanche, après un déjeuner *un peu* lourd, nous sommes partis faire une balade digestive avec Claude et Jacopo pour voir le résultat de son travail et découvrir ces lieux que je ne connaissais pas encore.

Nous avons commencé par la « balloon cave ».

Son nom provient de sa technique de construction particulière, importée de Scandinavie : on creuse une fosse, on y gonfle un gigantesque ballon, on remet de la neige par dessus, petit à petit en la laissant se tasser et, au bout de quelques semaines, on retire le ballon. Il n’y a plus qu’à fermer l’entrée et on a notre cave !

Celle-ci sert à abriter nos véhicules pendant l’hiver en les protégeant du vent, de la neige et en limitant l’expoition au froid (en-dehors de la couche de surface, la glace sur laquelle notre station est posée a une température constante correspondant à la température moyenne annuelle de -51°C).

En effet, tous ces véhicules sont inutilisables en-dessous de -45°C car les plastiques casseraient et les carburants deviendraient pâteux. Seule notre robuste et antique « chargeuse », entièrement métallique, fonctionne pendant l’hiver (et encore, en étant stockée et démarrée « au chaud, c’est-à-dire à -30°C).

La rampe d’accès
L’entrée de la balloon cave

En voyant cette photo, vous réaliserez peut-être le travail réalisé par Claude : la neige accumulée (certes, non tassée) atteignait la surface, une dizaine de mètres au-dessus de nos pieds !

La porte de la balloon cave (des élingues la retiennent en été)
Les Pisten Bully
Jacopo & Claude dans la fosse

En sortant de la balloon cave, nous avons marché un petit kilomètre et traversé le camp d’été pour rejoindre la seconde cave.

La technologie est ici un peu différente puisque les parois sont métalliques. Il s’agit de la cave « Turbosider » du nom de la société fabriquant cette structure.

On visualise mieux ici les cristaux de glace se développant sur la paroi et qui donnent un aspect assez féérique au lieu.

Entrée du Turbosider
Les parois du Turbosider
Les machines en hivernage
C’est joli !
Cristaux de glace
Cristaux de glace

Si le contenu de la première partie du Turbosider ressemble à celui de la balloon cave (des véhicules en hivernage), au fond, il y a une porte.

Et derrière cette porte, il y a un long couloir glacé où sont empilées des dizaines de caisses. Celles-ci contiennent en particulier les « archives » de Concordia : les réserves de carottes de glace prélevées lors des opérations de forage destinées à l’étude du climat passé de notre planète.

Concordia a en effet été bâtie sur le site du premier forage profond « EPICA« . Certains des fragments contenus dans ces caisses sont vieux de 740 000 ans !

Un nouveau forage est en cours depuis 3 ans, sur le site de « Little Dome C », à 37 km de Concordia. Ce camp, qui ne fonctionne qu’en été (de novembre à janvier) est en effet le site qui a été choisi pour le projet « Beyond EPICA » dont l’objectif est d’atteindre la plus ancienne glace du monde : certainement plus de 1 million d’années et peut-être 1,5 millions !

Ces caves et ces caisses sont également la préfiguration d’un autre projet scientifique qui est en cours de développement à Concordia : le projet « Ice Memory » destiné à entreposer ici, à l’abri, des échantillons de carottes de glace provenant de l’Artique et des glaciers du monde entier afin de les préserver pour les générations futures.

Le couloir des carottes
Les caisses de carottes
La sortie de secours
Les carottes
Le camp d’été en sortie d’hiver
Claude
Stéphane

Remise de diplômes

Je réalise que j’ai pris beaucoup de retard dans la rédaction de ce blog. Entre les inventaires à boucler et l’entrée dans la nuit permanente qui nous ralentit et nous ramollit, ce n’était pas si évident de trouver temps et énergie pour s’y mettre.

L’une des tâches d’un médecin des bases australes ou antarctiques c’est de former une équipe pour l’épauler, voire le suppléer.

Je suis un peu privilégié par rapport à mes collègues des autres bases des TAAF puisque, à Concordia, il y a deux médecins. En effet, notre station est un des meilleurs analogues possibles pour les voyages spatiaux au long cours ou pour ce que seraient les futures bases lunaires ou martiennes et, depuis l’origine de la station, l’Agence spatiale européenne (l’ESA) finance un poste de médecin de recherche chargé de suivre les (nombreux) programmes menés sur les hivernants.

Ce médecin de recherche n’est pas sensé s’occuper de soin mais c’est tout de même précieux de bénéficier de sa présence et de ses compétences. Notre organisation fait que, en cas de nécessité, il est également chargé de diriger l’équipe de secours extérieurs pendant que je prépare l’accueil de la victime. Cette année, ce médecin de recherche est Sascha, un jeune neurochirurgien allemand.

La première étape a été de recruter une équipe de volontaires pour nous assister, Sascha et moi. Alors que, cette année, l’équipe de secours est essentiellement française, mes aides médicaux sont tous italiens : Jacopo, notre cuisinier, Domenico, notre astronome (qui, avant Concordia, était ingénieur en robotique) et Luca, le glaciologue italien (qui est chimiste de formation).

Il a fallu ensuite imaginer un programme pour, en quelques semaines, amener ces personnes qui n’avaient aucune formation médicale préalable à être capables d’assurer des soins de manière semi-autonome : mesurer les « constantes médicales », faire un électrocardiogramme ou une radio, faire les analyses de sang, préparer des perfusions, ou des médicaments injectables et faire des injections, faire des sutures simples, gérer l’hygiène et l’asepsie du bloc opératoire, être aide-opératoire auprès de Sascha ou aide-anesthésiste auprès de moi…

Presque autant de challenge que lorsqu’il s’agit de doter un généraliste ou un urgentiste de compétences chirurgicales ou dentaires !

Et, vous savez quoi ? Ils l’ont relevé, ce défi, et ont été largement à la hauteur. Petit à petit (mais en à peine 3 mois), ils ont acquis des gestes, des notions, des raisonnements, qui leur étaient totalement étrangers auparavant.

Début mai, nous avons organisé un grand exercice de 3 heures qui a permis de mettre en pratique les compétences acquises.

Et, puisque mes « étudiants » avaient fait leur preuve, j’ai logiquement organisé une cérémonie de « remise de diplômes ».

Graduation ceremony – launch video

C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de, enfin, sortir les badges que Julien Dubedout m’avait concoctés avec talent (Merci ! Merci ! Merci !).

Il y en avait pour la Medical team, bien sûr mais, comme c’est une chaîne qui implique tout le monde, il y en avait aussi pour l’équipe de secours et pour ceux qui doivent rester et assurer la coordination générale (le Station leader, le Responsable informatique et communications et le Chef technique).

Une belle équipe !

Remise des badges
Claude
Rudy
Jacopo

La pelle de la glace

Il y a quelques jours, j’ai accompagné Damien pour une de ses sorties.

Damien, c’est un de nos deux glaciologues (il y a un Français et un Italien). Bon… à l’origine, il n’est pas glaciologue : il est ingénieur en systèmes cryogéniques. C’est le seul d’entre nous à travailler ici dans un « environnement » plus chaud que son « environnement » professionnel habituel !

(En réalité, aucun des hivernants scientifiques ne travaille vraiment dans son champ de compétence d’origine. Pourquoi ? Parce que toutes les expérimentations sont installées en été. Le travail des hivernants, c’est d’entretenir les installations, de récupérer les données et de les transmettre. Il faut donc avoir une bonne culture scientifique mais pas nécessairement être spécialiste du domaine concerné.)

Deux fois par semaine, Damien doit se rendre à la « Clean area » pour faire des prélèvements. Il s’agit d’une grande zone dont l’accès est par ailleurs interdit afin de préserver la pureté de la neige.

Mais, avant de sortir, il faut bien se couvrir car il fait -64°C et, comme il y a un peu de vent, la température ressentie est à -81°C.

D’abord la cagoule de soie… © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
… puis la cagoule en polaire… © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
… puis le tour de cou… © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
… et enfin le masque et la chapka ! © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

Damien essaie un masque que lui a prêté Vincent. Il est sensé limiter les problèmes de buée dans le masque.

Il fait surtout de jolis panaches de respiration.

© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

Il est 14h20, le soleil est déjà en train de se coucher derrière « Astro shelter ».

Et, après 15 minutes de marche, nous arrivons à « Atmos shelter ».

Coucher de soleil sur Astro shelter © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
Arrivée à Atmos shelter © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

Malgré l’anti-buée consciencieusement appliqué avant de partir, je suis presque aveugle en arrivant.

© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

Petite pause au chaud, le temps que Damien fasse quelques manip’ et prépare les tubes et sachets nécessaires aux trois différents types de prélèvements qu’il doit faire aujourd’hui.

© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
Les sachets calibrés © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

Les premiers prélèvements concernent les nitrates et les sulfates de l’atmosphère, qui se déposent avec la neige. Tant qu’on ne fait pas pipi dans la neige (!), il n’y a pas vraiment de risques de contamination et ils peuvent donc être prélevés directement à côté de l’abri. Leurs résultats seront corrélés aux mesures d’ozone atmosphérique effectuées par une des machines du shelter.

Il faut récupérer la couche de neige la plus superficielle. Pour ceci, Damien commence par racler la surface avec une spatule de magasin de bricolage et récupère la petite crête ainsi formée à l’aide d’une pelle à bonbons ! (Comme souvent ici, on a un mélange de technologie de pointe ultra-précise et d’éléments de bricolage… mais qui fonctionnent !)

© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

Il est temps de se rendre dans la Clean Area. Nous empruntons un chemin balisé par des piquets, dont il ne faut pas dévier.

A chaque série de prélèvement, Damien pose un repère et la prochaine série sera faite 10 pas plus loin. Cette année, c’est à gauche du chemin, l’année dernière c’était à droite.

En route vers la Clean area © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

Une fois arrivée au repère du jour, Damien part à angle droit pour faire 5 paires de prélevements tous les 10 pas. Ces prélèvements sont destinés, d’une part à l’étude des isotopes de l’eau, et d’autre part à mesurer la densité de la neige.

Pour cette dernière mesure, il faut creuser un petit trou puis faire deux prélèvements (en surface et à 7 centimètres de profondeur) à l’aide d’une petite sonde dont le volume est très précisément calibré (quand la neige est trop compacte, il faut la massette pour l’enfoncer !).

A 10 pas d’écart, la densité peut changer considérablement et, pour la première fois depuis son arrivée, un des prélèvements n’a pas été possible tellement la surface était dure.

© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
La petite sonde permettant de prélever un volume précis de neige © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
Damien dépose son prélèvement dans les sachets calibrés © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

Au bout d’une demi-heure, les prélèvements sont terminés, le soleil est passé sous l’horizon et il fait vraiment froid. Il est temps de revenir vers le shelter.

© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
Damien est content ! © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

15h50, retour vers la station avec des couleurs assez incroyables. Il fait -82°C, nous sommes épuisés.

© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
Sur le chemin du retour © Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA
© Stéphane Fraize / Institut Polaire Français / PNRA

C’est l’Amérique !

Je vais vous présenter l’un des édifices les plus fascinants, et les plus dangereux, de la Station Concordia : la Tour américaine.

Pas facile de trouver des informations précises sur cette tour. Il s’agit d’une des plus anciennes constructions de la base. Au début des années 2000, avant même la construction de la station permanente, cette tour a été construite pour accueillir un projet scientifique de la NASA.

Par la suite, nos amis américains se sont dit qu’ils avaient assez à faire avec leurs stations McMurdo et South Pole et ils sont partis en laissant cet étrange échafaudage aux Français et aux Italiens.

Implantée à 1 km de la base, elle faisait alors 35m de haut avant d’être rehaussée d’une quinzaine de mètres.

Elle accueille aujourd’hui de nombreux instruments de mesure en météorologie, d’autres dédiés au suivi des mouvements et de la température de la couche neigeuse ainsi qu’une installation de l’ESA : DOMEX qui sert de site de calibration pour des satellites de radiométrie étudiant l’humidité des sols ou la salinité des océans.

Damien, l’un de nos glaciologues, et Davide, notre chef de mission, doivent s’y rendre régulièrement pour entretenir l’installation et, en particulier, pour dégivrer les instruments de mesure. C’est une opération qui doit être menée au moins une fois par semaine.

En ce moment, c’est encore au soleil, avec des températures réelles de -40°C au plus « chaud » de la journée, ce qui donne des températures ressenties de -50 à -65°C en tenant compte de l’effet du vent. Et au sommet de la tour ? Eh bien, en ce moment, c’est pire. (Pendant la nuit polaire, c’est plus compliqué : il fait souvent plus chaud au sommet de la tour qu’à la base, mais avec plus de vent, alors…)

Je vous laisse imaginer ce que cet exercice de dégivrage représentera au cours de la nuit polaire quand nous aurons encore perdu 20 ou 30°C de température.

C’est pour cette raison que c’est une des deux installations où il est obligatoire de se rendre à deux personnes au minimum, et trois lorsqu’il fera nuit.

Il y a 4 jours, c’est moi qui ai accompagné Davide.

Davide, est italien. D’ordinaire, il dirige un laboratoire de physique des particules à Padoue. A Concordia, il tient le poste scientifique un peu fourre-tout de « Electronics for science ». Il est chargé de l’entretien de tout un tas d’installation scientifiques dans des domaines très divers : sismologie, géomagnétisme, observation de l’atmosphère, météorologie…

Il est aussi celui qui a été désigné comme Chef de mission de la DC19 et on ne pouvait pas imaginer meilleur choix. Mais je vous raconterai ça une autre fois…

Pour le moment, il est temps de nous accompagner en direction de la Tour américaine !

Vous voyez tous les petits paliers ? C’est à chaque fois environ 2m de haut.
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA

Comme chaque installation scientifique, la Tour américaine est dotée d’un « shelter », un abri qui est chauffé (selon les situations, à +4°C, +8°C ou +15°C). Certains sont sous la neige, d’autres en surface. Et d’autres encore, comme celui de la Tour américaine, étaient en surface à l’origine et se retrouvent à présent bien en-dessous du niveau de la neige.

La première étape est de descendre dans le shelter pour nous équiper de harnais. A la base de la tout, nous accrochons nos harnais à une « ligne de vie » qui monte jusqu’au sommet de la tour.

©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA

©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA

Nous pouvons alors démarrer notre ascencion et Davide entreprend de dégivrer gaines et instruments au fur et à mesure. Normalement il utilise un gros pinceau mais celui-ci était cassé et, ce jour là, il a tout fait avec ses sous-gants. Heureusement que nous avions nos chaufferettes dans les moufles.

Il n’y a plus la NASA mais il y a l’ESA !
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
Ce n’est pas trop givré, ça va.
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA

Et ainsi, palier après palier, nous sommes arrivés au sommet de la tour. Ou presque car les deux derniers paliers ne portent pas d’instruments et qu’on n’allait pas faire du zèle.

Le temps était plutôt calme mais, malgré ça, on sentait bien le sommet bouger !

La Station Concordia, à 1 km.
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
Vue sur les shelters « Physics », « Atmos », « Neige » (sous « Atmos » mais quasiment invisible car il est entièrement sous la… neige) et « Sismo ».
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
Vers le nord, le grand blanc.
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut Polaire Français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA
©Stéphane Fraize/Institut polaire français/PNRA