Archives de catégorie : La consultation du Dr Borée

Marmottes

AliceIl y a quelques jours, en parcourant le quotidien local, je suis tombé par hasard sur une annonce nécrologique qui m’a ému. Celle de Georges, 81 ans.

Elle était publiée par « René, son compagnon » et les autres membres de sa famille.

J’ai pensé à ce vieux Monsieur qui était maintenant seul. Peut-on dire veuf  ?

S’il ne peut plus rester seul, trouvera-t-il une maison de retraite pour l’accueillir avec respect ?

J’ai rapidement imaginé Georges et René, la vie qu’ils avaient pu avoir à une époque où, vivre ensemble lorsque l’on était deux hommes, à la campagne qui plus est, c’était certainement une autre histoire qu’aujourd’hui.

Et j’ai eu une pensée reconnaissante pour les pionniers de la « normalité », militants ou simples individus qui ne s’étaient pas dissimulés, qui avaient permis aux générations suivantes de vivre mieux.

***

Elle a soixante-et-un ans et c’est une très bonne élève.

Elle est gentille comme tout et son diabète est un plaisir à prendre en charge. Ça change.

Vingt-trois ans de diabète et onze d’insuline, mais elle garde son poids stable, fait ses quatre injections quotidiennes, ses surveillances glycémiques et ses prises de sang. Son hémoglobine glycquée ne bouge pas de la zone 7 – 7,5.

Si j’aime beaucoup Mylène, j’ai encore plus de tendresse pour Alice.

Alice est la compagne de Mylène. Depuis trente-six ans.

Et, autant Mylène pourrait aisément donner le change, autant Alice est un stéréotype sur pieds. Le visage rond comme le corps, les cheveux courts, elle fume et sa voix rocailleuse a un amusant accent parisien. Toujours bougonne, mais le cœur sur la main, elle passe son temps à râler du haut de son mètre cinquante-six. Avec sa voix de clopeuse, elle me lance des expressions que je ne connais pas.

— Oh lalalalalaaa ! Encore une prise de sang ! C’est le bruuuun…
    Et je dois revenir dans un mois ?

— Oui. Entre votre diabète, votre bronchite chronique, vos reins et vos yeux, il y a trop de problèmes pas réglés chez vous.

— Et Mylène, elle, c’est pour trois mois que vous lui faites l’ordonnance. C’est la bonne élève, et moi le cancre… je sais.

J’appelle Alice « mon gentil bouledogue ». Ça nous fait rire.

Je crois que je n’ai jamais su comment elles ont atterri dans notre trou paumé où elles n’ont aucune attache. Elles habitent dans notre micro-cité HLM et donnent un coup de main au Secours Pop’.

Il y a un mois, elles m’ont demandé de passer chez elles : Alice avait une bronchite et était trop mal fichue pour conduire.

Elle était installée dans son canapé. La télé allumée diffusait une sorte de vidéogag. Le chat ronronnait sur son fauteuil. Le buffet était encombré des bibelots habituels : poupées en porcelaine avec plumes et paillettes, boules à neige… Un poster de Johnny Hallyday décorait le mur. Il y avait encore le sapin de Noël.

Je me suis posé à côté d’Alice, j’ai écouté ses poumons, rien de catastrophique. Après lui avoir pris la tension, nous sommes restés une minute ou deux, assis et silencieux, à regarder les gags qui défilaient à l’écran.

J’ai fini par sursauter.

— Bon… euh… ben, je crois qu’il n’y a rien de bien méchant. Je vous fais une ordonnance pour du paracétamol.

— Bon, ben alors ça va. — me répond Alice — Dis voir, la vieille, tu me ferais une Marmotte ?

— C’est quoi une Marmotte ?

— C’est une tisane de chez elle.

— Et vous l’appelez « la vieille » alors qu’elle a cinq ans de moins que vous ?

— Rhrhrhrhr ! Ça fait trente-six ans que je l’appelle la vieille !

Alice s’est alors levée pour me montrer une ancienne photo encadrée, en noir et blanc : Mylène, vingt-cinq ans, mince, blonde, très jolie et avec le même visage que je lui connais.

— Et vous avez aussi une photo de vous quand vous étiez jeune ?

— Ah ouais, celle de mon permis, je vous la cherche.

Et elle m’a rapporté cet improbable cliché d’une jeune femme de vingt ans, vraiment très sexy, avec de superbes boucles brunes et un air mutin.

— Oh ! Ben, vous étiez drôlement belle également !

— N’est-ce pas ? Rhrhrhrhrhrh !
    Au fait, vous voulez une Marmotte vous aussi ?

 

***

Post-scriptum (24/02/13)

Alice et Mylène ont déménagé, mais je les vois toujours. Au nom de l’amitié que j’ai pour elles, en raison de la confiance que je leur fait (leur nouvel éloignement y jouant aussi), je leur ai parlé de ce blog et de mon livre. Elles ont aimé ce texte et nous en avons ri.

Alice m’a autorisé à reprendre la fameuse photo du permis de conduire qui vient donc remplacer la photo de Greta Garbo que j’avais initialement choisie.

Guère de crainte pour son anonymat : ne la reconnaîtront que ceux qui l’ont connue jeune !

Nouvelles du front

Un an.

Un an seulement, un an déjà, que je me suis lancé dans cette aventure et que vous m’y accompagnez.

C’est donc l’occasion de prendre un petit moment pour se retourner et de vous donner quelques nouvelles du front…

Gérard et Madeleine ne vont pas trop mal. Madeleine, malgré ses douleurs d’arthrose, conduit toujours. Et cahin-caha, après quelques réglages de son pace-maker, Gérard arrive à mener sa vie sans trop de difficultés. Du coup, Madeleine semble un peu plus sereine. Tous les deux ou trois mois, ils me ramènent une boîte de rillettes ou de foie gras de leur stock.

J’ai revu Isabelle de temps en temps. Je lui reposais la question pour son DIU : elle n’arrivait jamais à trouver le bon moment pour qu’on réessaie de le poser… J’ai fini par lui demander « Mais, en fait, est-ce que vous avez vraiment besoin d’une contraception ? » Elle m’a répondu que non, en fait. Probablement pas vu qu’elle n’a plus de rapports avec son mari depuis plus d’un an. Mais qu’elle n’osait pas trop en parler parce qu’elle avait un peu honte et qu’elle ne savait pas trop si c’était normal de ne pas avoir de rapports avec son conjoint.

Je lui ai répondu que, dans ce domaine, rien n’était normal ou anormal, que l’essentiel c’était qu’elle fasse comme elle le sentait. Qu’en effet, pour le moment, on allait la laisser tranquille et qu’elle m’en reparlerait si, un jour, elle avait de nouveau besoin d’une contraception. Elle a eu l’air soulagée.

Après quelques essais, pas très réussis, d’examens gynécologiques en position anglaise, je suis revenu à la position traditionnelle. J’ai pensé qu’il était mieux pour mes patientes d’avoir un médecin calme, détendu et rassurant, même avec deux pattes en l’air, plutôt qu’un médecin stressé, transpirant et cherchant avec peine leur col de l’utérus…

Qu’on soit bien d’accord, je pense que c’est uniquement lié à un manque de pratique de ma part. Je n’ai d’ailleurs pas renoncé puisque je vais bientôt passer une journée entière de perfectionnement avec un ami gynécologue (j’en ai peu, mais j’en ai) qui ne travaille plus que « à l’anglaise ».

Un des deux minets de René s’est fait écraser… Sa fille râle quand elle prend René chez elle parce qu’il veut très vite repartir pour rentrer chez lui et retrouver le chat restant. Il me raconte combien la bête est douce et intelligente. Il ne va pas trop mal !

Robert est toujours à la maison de retraite. Finalement, il se rendait bien compte lui-même que son comportement posait souci. Il a donc parfaitement accepté les injections trimestrielles d’anti-testostérone et, de fait, ça va beaucoup mieux. Il se roule bien encore quelques galoches au milieu des couloirs avec une autre pensionnaire mais elle est aussi demandeuse que lui et ça ne va pas plus loin.

Germaine est toujours convaincue que la SNCF connaît parfaitement son dossier médical. Celui-ci s’est un peu alourdi depuis que, après avoir un peu trop picolé, elle s’est cassé la figure et qu’on a dû l’opérer d’une hémorragie méningée. Elle s’en est bien remise.

L’état psychique et neurologique de Rose se dégrade doucement. Elle oublie de plus en plus, fait quelques bêtises, mange régulièrement de la nourriture avariée. Elle n’a plus aucun traitement en-dehors du Paracétamol et d’un unique comprimé quotidien de Seresta. Elle a refusé à deux reprises de monter dans le VSL qui devait l’emmener pour un bilan gériatrique en Hôpital de jour.

Nous nous sommes mis d’accord avec son fils, qui vient tous les week-ends, que, tant que ça tiendrait comme ça, on la laisserait tranquille.

Mme Bidule (pas très inspiré pour ce choix de nom…) déambule toujours dans la maison de retraite mais tout le monde s’y est habitué et ça ne dérange pas plus que ça. Ce qui n’est pas le cas de l’infirmière râleuse qui, elle, a fini par contrarier tout le reste de l’équipe et dont le contrat ne sera plus renouvelé.

Henriette est toujours dans son château. Miraculeusement. Elle vient de fêter ses 89 ans. J’ai du mal à croire qu’elle atteigne les 90 mais vu que ça fait trois ans que je me dis ça…

Paulo va plutôt bien. Il a été à tous les rendez-vous spécialisés que je lui ai pris, il fait remarquablement bien ses surveillances glycémiques, son HbA1C est passée de 10,7 à 7,0%. Et, surtout, il a modifié son alimentation et, malgré l’insuline, il a réussi à perdre 3 kg en quatre mois !

Bob et sa prostate aussi vont bien. Plus ça va, et plus je prends le temps d’expliquer à mes patients, ce que je pense du dosage des PSA. Quelques uns, malgré tout, demandent à faire le dosage et je le leur prescris. Mais la plupart comprennent et sont finalement d’accord pour ne plus faire ce dosage.

Je viens tout juste de recevoir une carte de postale de Thérèse. Elle va bien. Jacky aussi.

Je ne suis pas très sûr par contre que notre planète et nos sociétés soient dans le même état. L’hommage à Médecins du Monde est toujours d’actualité et le sera encore pour un moment… Parmi les bonnes résolutions de l’année débutante, vous pouvez aussi faire comme moi et envoyer un petit don à MSF ou à la CIMADE, ou bien encore à des tas d’autres associations qui sa battent pour que le monde soit un peu moins laid.

La patiente du Dr Moustache que j’ai fait hospitaliser en urgence est rentrée à la maison. Après avoir pensé à une tumeur neuroendocrine, finalement l’hôpital ne lui a rien trouvé d’autre qu’une surcharge en médicaments anti-hypertenseurs et ils ont simplement allégé son traitement.

Comme je le disais dans un commentaire, le Dr Notos n’a pas fini de faire des dégâts… Gilles a tout de même été voir le gastro-entérologue qui lui a confirmé qu’il n’avait pas d’hémochromatose. Le seul effet positif de cette lamentable histoire, c’est que Gilles a tellement eu la trouille qu’il s’est repris sur le plan alimentaire et qu’il a perdu 5 kg. Reste à voir si ce sera durable.

Voilà, finalement ils ne vont pas trop mal mes patients.

Pour ma part, je continue ma route à leurs côtés.

Les vieux jours

Voici trois ans que je m’occupe d’André. Et autant que je suis le médecin traitant officiel de Paulette, son épouse. Mais, elle, je ne l’ai pas vue souvent.

Il y a six mois, j’étais de garde et on m’a appelé un dimanche pour André qui avait fait une attaque.

Une vilaine attaque, en fait, qui a touché le cervelet. Ça n’a pas tué André et ça aurait peut-être mieux valu pourtant.
Il en garde des troubles de l’équilibre, une surdité d’un côté et surtout des tremblements incontrôlables qui lui pourrissent la vie. Et contre lesquels on ne peut à peu près rien faire.

Le mois dernier, je suis allé le voir à domicile pour renouveler son traitement.

Dehors, des ouvriers démontaient des clapiers devenus inutiles. André était installé dans la cuisine, sa femme était là, le poêle à bois chauffait la pièce.

J’avais à peine fini de prendre la tension que Paulette a attaqué :

— Docteur, ça commence à être vraiment difficile, j’ai de plus en plus de mal à l’habiller et à le mettre au lit.

— Ah ? Mais il ne peut pas le faire seul ?

— Mais pensez-vous ! Si je le laissais faire, il se coucherait n’importe comment dans son lit. Je ne peux pas le laisser sans couvertures !

— Tu parles ! Avec elle, il faut que je sois bien droit, bien en ordre, avec la couverture bien bordée et remontée sous le menton. Elle ne supporte pas que je me couche comme je veux et comme je peux.

— Eh bien, ça n’a pas l’air d’aller très fort entre vous. Peut-être, Mme Paulette, qu’il faudrait laisser votre mari se débrouiller un peu plus. Il est encore capable de faire l’essentiel. Et, vous, M. André, laissez votre épouse vous aider un peu quand elle le propose.

Paulette m’interrompt.

— Mais vous ne savez rien Docteur ! On n’est pas un couple normal. Je ne vous en dis pas plus. Notre fils nous a déjà demandé pourquoi on n’avait pas divorcé. Ça ! Si j’avais eu les moyens, ça ferait longtemps que je serai partie. Mais je ne touche rien, alors je suis bien obligée de rester.

On ne s’aime pas, c’est sûr, mais je veux avoir bonne conscience et qu’on ne puisse pas me reprocher de ne pas m’être occupée de mon mari.

Et pourtant, il m’en a fait baver…

— Ne l’écoutez pas, Docteur ! C’est une sale bête. Avec elle, je ne peux jamais ouvrir la bouche, elle veut toujours avoir raison. Et il faut toujours lui obéir, toujours faire comme elle a décidé.

D’ailleurs, elles sont toutes comme ça les femmes dans sa famille. Des sales bêtes, je vous dis !

Et qui aiment l’argent. Ah ! Quand la pension arrive, elle est toute contente et tout va bien pendant trois jours et puis après, ça recommence…

Et ils ont continué à vider leur sac et à se déchirer devant le témoin muet et abasourdi que j’étais devenu.

Après quelques minutes, Paulette a décidé qu’elle devait aller voir les ouvriers et j’ai pu finir mon ordonnance.

Hier, elle m’a téléphoné pour me dire que je devrai repasser pour les médicaments, mais que c’était de plus en plus difficile : André en fait de moins en moins et, même si lui demande à demeurer à la maison, bientôt elle n’en pourrait plus et il faudrait bien trouver une solution.

Je ne sais pas encore comment je vais gérer ça et comment je vais pouvoir les aider à vivre le temps qu’il reste.
Au final, j’ai bien le sentiment que, dans cette affaire, il n’y a aucun coupable, mais deux victimes.

Deux victimes d’une époque où ça ne se faisait pas de divorcer et où, de toute façon, être une épouse à domicile liait aussi sûrement elle à lui que lui à elle.

Pour le meilleur et pour le pire.

 

Blog participatif : « le bilan général »

Les mésaventures de Gilles, m’ont décidé à faire ce billet auquel je pensais depuis un moment.

Régulièrement, des patients me demandent un « bilan complet ».

Je leur réponds habituellement qu’un « bilan complet », ça n’existe pas. Que, même si on leur pompait leurs 5 litres de sang, je ne suis pas sûr qu’on puisse faire tous les tests possibles. Que les prises de sang, contrairement aux entrailles de poulet, ça ne permet pas de forcément tout voir et deviner. Et que, en plus d’être assez inutile, ça peut même être dangereux.

Cependant, comme tous les médecins de France (enfin… je pense), je prescris régulièrement des « bilans de base » à des patients en bonne santé.

Je me suis demandé s’il existait des recommandations à ce sujet. Je n’en ai pas trouvé de sérieuses et argumentées. Ni en français, ni en anglais.

Si quelqu’un en connaît, je suis preneur.

C’est quand même un peu gênant pour quelque chose que l’on fait si couramment et qui doit quand même, au final, coûter quelques sous.

Je me suis donc décidé à tenter cette expérience de blog participatif : le présent billet sera finalement écrit grâce à la participation de tous les lecteurs. Qui le voudront bien.

Voici la question :

Vous avez devant vous un patient (homme ou femme) de 30 à 70 ans qui vient pour un rhume banal. Il n’a aucun problème de santé particulier, aucun antécédent particulier, ne prend aucun traitement habituel.

Il n’a pas eu de bilan sanguin depuis au moins dix ans.

Lui prescrivez-vous un bilan sanguin « de routine » ?

Si oui, quelle fréquence vous semble justifiée ?

Que prévoyez-vous dans ce bilan ?

***

Pour la question de la fréquence, vous pouvez utiliser les sondages ci-dessous.

J’ai distingué deux tranches d’âge, imaginant que les résultats pourraient différer.

[poll id= »4″]

[poll id= »5″]

***

Pour le contenu du bilan, la question est ouverte mais merci d’argumenter vos propositions.

Si vous pensez qu’il convient de distinguer en fonction du sexe ou de l’âge (dans la tranche d’âge proposée), là aussi, merci d’argumenter.

***

Voici ma proposition de bilan :

Ce que je fais, et je pense qu’il faut le faire :

Créatinine – Glycémie à jeun – Lipides

Arguments :

– les dyslipidémies et le diabète sont des pathologies/anomalies qui restent longtemps silencieuses, pour lesquels on dispose de traitements efficaces. Il me semble dangereux d’attendre d’en arriver aux complications cliniquement parlantes.

– l’insuffisance rénale n’est symptomatique qu’à un stade très avancé. De plus, il est nécessaire d’avoir une idée de la fonction rénale de base du patient pour le cas où l’on serait amené à lui prescrire un traitement potentiellement néphrotoxique.

Ce que je fais, je pense qu’il faut le faire mais je ne suis pas sûr à 100% :

TGO, TGP et GGT – NFS

– Je me dis qu’il est probablement utile de doser les enzymes hépatiques pour ne pas méconnaître une hépatopathie chronique. Mais je ne suis pas très sûr de la « rentabilité » de ces dosages. Pas très sûr non plus de l’intérêt de doser TGO et TGP ou GGT et pas les PAL.

– Pour la NFS : recherche d’anémie, de macrocytose, d’hémopathie ? Là non plus, je ne suis pas très sûr de la « rentabilité ».

Ce que je fais, mais je suis en train de l’abandonner petit à petit :

CRP

Je la faisais faire traditionnellement mais je me demande vraiment si ce n’est pas un pur « grigri » et je suis en train de lutter avec moi-même pour laisser tomber progressivement.

Ce que je ne fais pas :

Tout le reste

***

Et vous ?

P.S. Merci à G. pour la photo

Folie à deux

La folie à deux est une pathologie psychiatrique manifestée par la transmission de symptômes psychotiques d’un individu à un autre. La vision délirante du monde du patient souffrant de cette affection est adoptée par d’autres individus avec lesquels il est en contact.

— Bonsoir Maître.

— Bonsoir jeune Padawan.

— Maître, je voulais vous poser une question… Quelles sont les qualités indispensables pour devenir un bon médecin généraliste tel que vous ?

— Eh bien, jeune Padawan. Avant tout, de l’empathie il te faudra : comprendre les sentiments de ton patient et les prendre en compte tu devras.

Ensuite, faire preuve de rationalité et de la plus grande rigueur scientifique, car la Force n’est pas matière à improvisations hasardeuses. Également, garder ton calme et ta sérénité : ne pas te laisser déborder par tes propres peurs.

Sans lui mentir, de toujours chercher à rassurer ton patient tu n’oublieras pas : point n’est utile de rajouter de l’anxiété à la souffrance. Enfin, constamment respecter son autonomie et lui préserver sa liberté.

— Tout ceci a l’air bien compliqué et abstrait Maître.

— Mais pas du tout ! Laisse ton Maître te conter une anecdote et à la lumière tu accéderas…

Je vais te raconter l’histoire de Gilles.

À cinquante-cinq ans, Gilles est un maçon qui aime le travail bien fait et la table bien mise. Tous les six mois, il va voir son généraliste, le Dr Borée pour renouveler son traitement pour la goutte et la tension. Il faut dire qu’il n’aime pas bien ça. Comme beaucoup d’hommes, l’affection qu’il porte aux médecins est inversement proportionnelle à l’anxiété qu’il peut nourrir au sujet de sa santé.

Ah, ça ! C’est un angoissé. Du genre à guetter le cancer du poumon derrière une banale bronchite.

Il a donc été voir le Dr Borée parce que son genou avait bizarrement enflé. Le praticien lui expliqua que ce n’était rien de bien méchant : une simple bursite avait-il dit. Que l’essentiel était d’éviter de s’appuyer sur ce genou. Et que si, malgré tout, la tuméfaction devait persister de trop, il serait toujours temps de reconsidérer les choses.

Au passage, il lui proposa d’augmenter un peu la dose d’amlodipine espérant mieux réguler la tension qu’elle ne l’était.

Deux semaines plus tard, Gilles qui n’était guère patient décida d’aller voir le Dr Notos qui pratiquait à vingt-cinq kilomètres de là et qui avait une sérieuse réputation en ce qui concernait les maux des os et des articulations. Peut-être aurait-il une panacée miraculeuse qui ferait disparaître l’enflure ?

Hélas, non. Il confirma les dires de son confrère.

L’examinant, il avisa les jambes et les trouva un peu gonflées. « Oh ! Oh ! — s’exclama-t-il en substance — Voilà qui ne me plaît guère ! Peut-être cela vient-il de votre amlodipine, mais je ne peux exclure qu’il y ait plus dangereux là-dessous. Ne craignez rien, je m’en occupe. »

Décrochant son téléphone sur le champ, il demanda — et obtint — un rendez-vous en urgence auprès d’un confrère angiologue afin de faire réaliser un examen doppler des veines.

Puis il prit son stylo et s’avisa qu’il était nécessaire de pratiquer un bilan sanguin et urinaire « complet ». Le précédent, que Gilles avait pris soin d’apporter, outre qu’il paraissait bien sommaire, était décidément trop ancien : cinq mois !

Au demeurant, la plume ne servit qu’à signer la prescription puisque celle-ci était la photocopie toute prête d’un bilan modèle aux vertus universelles  :
•    NFS, plaquettes et réticulocytes
•    Vitesse de sédimentation et CRP
•    Temps de Quick et taux de prothrombine
•    Glycémie à jeun et HbA1C (Gilles n’étant pas diabétique, mais des fois que…)
•    Créatinine et acide urique
•    Cholestérol total, HDL et LDL, Triglycérides
•    Bilirubine totale, TGO, TGP, GGT et lipase
•    Natrémie, kaliémie, chlorémie, protides totaux, calcémie
•    Fer et ferritine
•    CPK
•    Électrophorèse des protéines
•    T3, T4, TSH, anticorps anti TPO et anticorps anti TG
•    Acide folique et vitamine B12
•    Protéinurie et microalbuminurie de 24 h

Si avec ça, on ne savait pas d’où venaient ces satanés œdèmes, ce serait à n’y rien comprendre !

En attendant d’avoir ces résultats, il était urgent d’aller donc chez l’angiologue pour le doppler. « Et — précisa le Dr Notos — appelez-moi en sortant sur mon portable. Même à vingt-deux heures ! »

Hélas ! L’angiologue confirma ses pires craintes en concluant son examen par « Absence d’anomalie sur les trajets explorés en dehors d’une insuffisance veineuse plus nette à droite. On peut conseiller une contention élastique, mais il faut certainement rechercher une autre cause (en particulier compressive abdominopelvienne) pouvant participer à la symptomatologie. »

Et voilà ! L’absence de tout élément vraiment inquiétant lors de cet examen ne pouvait signifier qu’une chose : il y avait bien plus grave en dessous, et ce serait certainement d’autant plus redoutable que c’était bien caché…

« Ne vous inquiétez pas ! — dit-il au téléphone — Je m’occupe d’organiser le scanner en urgence. Vous, faites la prise de sang. Et venez me voir jeudi à seize heures avec les résultats. »

Ainsi fut fait. Si le scanner ne révéla rien d’autre qu’un foie un peu gras, en harmonie avec le patient, il n’en était pas de même de la prise de sang…

Celle-ci montrait une ferritine augmentée à 1 600 ng/ml ! Et des Gamma GT à 84 ! Et des Triglycérides à 2,66 grammes !

Par chance, le reste du bilan était normal… Pour combien de temps encore ?

Et le Dr Notos d’expliquer à Gilles qu’il souffrait probablement d’une terrible maladie appelée « hémochromatose ».

Qu’elle attaquait son foie et qu’il faudrait certainement lui faire des saignées durant le restant de sa vie.

Il prit donc logiquement un rendez-vous chez un gastro-entérologue hospitalier, prescrit une nouvelle analyse sanguine complémentaire (NFS à nouveau, temps de saignement, TCA, facteur V, bilirubine, lipase [oui, oui, encore], fer, transferrine, immunoélectrophorèse, facteur II, facteur VII et facteur X). Oui, voilà, ça a l’air bien.

Il tendit une ordonnance pour des semelles en précisant « Ça n’a rien à voir, mais prenez rendez-vous chez M. Lasole qui est podologue, il vous fera des semelles, vous en avez besoin… Et puis revenez me voir le 3 à dix-sept heures. Ça fera trente-cinq euros, merci. »

Heureusement pour lui, Gilles avait une épouse qui était tout de même moins encline à l’affolement. Elle avait eu la précaution de lire les notices des médicaments et avait pris sur elle de demander à son homme de revenir à l’amlodipine 5 mg qu’il avait auparavant. Depuis, ses œdèmes avaient disparu.

Elle lui avait également dit qu’il serait peut-être opportun de revoir le Dr Borée pour faire le point.

Lorsque celui-ci découvrit le désastre, il se désola et trouva que c’était allé décidément bien loin pour une simple bursite de genou. Et qu’il était temps d’arrêter ce manège infernal.

Voilà, jeune Padawan, comprends-tu mieux à présent ce que ton vieux Maître voulait dire ?

— Je crois, Maître… Empathie, rationalité, rigueur scientifique, sérénité, réassurance et liberté du patient… Le Dr Notos a tout fait à l’envers ! Mais ce n’est là qu’une caricature imaginaire, heureusement.

— Je n’en jurerais pas…

***

P.S. Quelques remarques pour les non-médecins.

 Je suis désolé pour vous, vous risquez de ne pas apprécier tout l’aspect extravagant des bilans demandés par le Dr Notos. Ils sont vraiment extravagants.

 Jaddo avait déjà publié un billet abordant, sous un autre angle, la réalisation de ce type de bilans biologiques plus-que-complets. Elle avait déjà pointé combien c’était non seulement idiot et inutile mais, surtout, dangereux. J’y reviendrai probablement à l’avenir.

 De la même manière, il faudra que je parle de ce qu’est une « norme » biologique. Vous pourrez trouver une ébauche dans le commentaire que j’ai fait dans ce même billet de Jaddo.

— La Ferritine qui a tellement affolé le Dr Notos constitue en quelque sorte les réserves en fer de l’organisme. En gros, la moelle osseuse y puise le fer nécessaire à fabriquer l’hémoglobine des globules rouges. Les chiffres « normaux » sont déjà très fluctuants d’une personne à une autre et d’un moment à un autre (la « norme » varie d’un facteur 1 à 10).

Elle peut être augmentée dans tout un tas de situations de gravité et de significations très, très hétérogènes.

Bref, autant quand elle est basse, on peut le plus souvent dire que ça signe un manque de fer, autant quand elle est « trop haute », c’est la bouteille à l’encre.

En l’occurrence, la ferritine est habituellement majorée chez les personnes obèses et trop « bien portantes ».

L’hyperferritinémie est un des éléments classiques de ce que l’on appelle de manière générale les « surcharges métaboliques ».

Gilles présentait ce tableau de manière flagrante (obésité, hypertension, goutte). C’était donc tout sauf un scoop.

Bien évidemment, en aucun cas, le dosage de la ferritine ne fait partie du bilan de base d’œdèmes des jambes.

Quant à l’hémochromatose que le Dr Notos a annoncée à Gilles, il s’agit d’une maladie génétique dans laquelle l’organisme n’arrive pas à se débarrasser du fer. Dans ce cas, la ferritine est vraiment très augmentée (chez un homme de l’âge de Gilles) et il y a d’autres anomalies, indispensables à rechercher, avant d’évoquer le diagnostic.

Cette pathologie est d’ailleurs la seule indication qu’il reste à la très médiévale saignée.

— L’amlodipine que prend Gilles pour son hypertension fait partie des traitements de la tension les plus utiles. Cette famille de médicaments présente malheureusement un effet secondaire assez fréquent (jusqu’à 30 % des patients) : les œdèmes, des jambes en particulier. Il s’agit d’un effet indésirable bénin, mais gênant. Il suffit généralement de diminuer la dose pour faire disparaître ces œdèmes.

Ce qu’a spontanément fait l’épouse de Gilles.

***

Pour le livre, l’ami Le Burp a réalisé ce dessin. Merci !

Soir de garde

Un soir, de garde. Le téléphone sonne vers vingt-trois heures.

— Bonjour, ici la régulation du 15. Pouvez-vous voir une dame de quatre-vingt-sept ans qui a fait un malaise et qui se sent oppressée ?

— Groumpf ! Ok, eh bien, j’y vais.

Douze kilomètres de voiture plus tard, j’arrive devant la maison. Le mari m’attend à la porte-fenêtre.

Son épouse est sur le canapé. Elle fait bien quinze ans de moins que son âge.

— Bonsoir ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— J’ai fait un malaise. Je suis tombée d’un seul coup, plus rien ne me tenait, mais je n’ai pas perdu connaissance…

Lui : Elle est tombée comme ça, ici. J’ai essayé de la rattraper, mais je n’avais pas assez de force.

— Bon, d’accord. Et, là, vous vous sentez comment ?

— Un peu oppressée dans la poitrine. Mais ça va mieux.

Lui : C’est arrivé il y a déjà une heure. On ne savait pas quoi faire. Comme elle trouvait que son cœur battait vite, elle a pris un Atarax que lui prescrit le Dr Moustache.

J’examine la dame, je lui fais un électrocardiogramme. Je me félicite qu’il y ait un ancien tracé à la maison pour vérifier si les anomalies que je trouve y étaient déjà. Oui, bon.

— Vous avez combien de tension d’habitude ? Parce que là vous avez 20 sur 9…

— Le Dr Moustache me dit tout le temps qu’elle est normale. Mais il faut que je vous avoue : il y a six mois, le cardiologue a voulu me changer le traitement. Mais j’avais peur que ça augmente les diarrhées que j’ai toujours. Du coup j’ai arrêté le médicament qu’il me disait, mais je n’ai pas pris le nouveau qui…

Lui : Il faut que tu lui expliques tout ! Alors, voilà, il y a trois ans, elle a vu le cardiologue, qui lui a prescrit un médicament qui…

— Bon, d’accord, mais on va rester sur l’urgence, là, si vous voulez bien. Madame : vous avez un peu d’eau dans les poumons et les jambes gonflées, je pense que vous faites une petite poussée d’insuffisance cardiaque. Et de toute manière, un malaise comme vous avez fait, ce n’est peut-être rien de méchant, mais il faut le prendre comme un signal d’alerte. Je vous envoie à l’hôpital.

Lui : En cardiologie ?

— Probablement en cardiologie, mais elle va d’abord transiter par les Urgences pour voir un peu mieux ce qu’il se passe.

— Ah non ! les Urgences, j’y étais il y a deux ans pour mon infarctus. J’y ai traîné trois jours. Avec des lumières, du bruit, partout. S’il m’arrivait de nouveau quelque chose, je préfère crever à la maison que d’aller aux Urgences.

— Oui, mais, là, c’est pour votre épouse.

Elle : C’est vrai que tu ne me remontes pas beaucoup le moral.

Lui : Et ça ne peut pas attendre demain matin ? … Comment je vais faire, moi, à quatre-vingt-sept ans ?!

— Non, ça ne serait pas raisonnable de la laisser ici jusqu’à demain matin.

Dans l’attente de l’ambulance, la consultation s’est poursuivie de la même manière.

Elle qui essayait de ne pas paniquer, mais que je voyais fébrile.

Et lui qui parlait. Beaucoup. Dur, presque dans l’agressivité. Et qui ne parlait que de lui.

L’ambulance est arrivée. Ils ont pris la dame en charge.

Au moment de sortir de la maison, je les ai aperçus s’embrasser. Il avait les yeux rouges et ses larmes coulaient.

Et j’ai mieux compris. Ce n’était probablement pas un homme égoïste et dur. C’était simplement un homme qui avait la trouille.

Venez donc avec !

(Je ne mets pas que des infirmières blondes et légèrement vêtues.)

Lorsque j’ai choisi de fuir la ville pour m’installer au vert, je me suis demandé comment ça allait se passer.

Comment « ça » allait passer.

J’étais venu reconnaître le terrain avant de sauter le pas. Dix jours plus tard, nous y étions retournés en couple pour prendre la décision à deux.

En nous promenant dans le village, nous avions croisé le maire.

— Bonjour M. le Maire !

— Ah ! Bonjour Dr Borée, vous allez bien ? Content de vous revoir !

Il me serre vigoureusement la main puis tend la sienne à mon ami. « Ah, voilà, je vous présente mon ami. »

Il y eut une seconde d’arrêt. Et j’ai imaginé les réflexions dans la tête de notre brave édile rural… « Son ami ? Eh bien ! Voilà autre chose. Mais, bon, un an qu’on n’a plus de toubib dans le village et que les électeurs me tannent avec ça. J’en ai trouvé un, je ne le lâche pas. Tant pis, on gérera. »

La seconde de réflexion passée, grand sourire et poignée de main énergique « Eh bien, soyez le bienvenu ! »

Nous nous sommes donc installés dans le village et, ma foi, ça ne s’est pas mal passé. Les petits vieux des environs nous portaient leurs légumes et discutaient du beau temps. Régulièrement, mon ami allait récupérer notre chat chez la voisine.

Je savais bien que d’autres faisaient entendre des sons de cloche différents. J’en avais parfois quelques échos. Le Dr Moustache n’a pas pu s’empêcher de baver un peu et on me le rapportait. N’empêche que quand j’étais de garde et qu’ils avaient besoin d’un médecin, il n’y en a jamais eu pour faire les difficiles. Même l’équipe de rugby n’a pas rechigné : bien contents d’avoir quelqu’un pour leur faire les licences avant les entraînements.

Pour moi, l’affaire s’est close un an après mon installation lorsque Madeleine est venue me consulter. Elle m’avait déjà proposé de passer boire un apéritif. Je n’avais pas encore donné suite, un peu par manque de temps, un peu parce que j’évite de trop mélanger travail et familiarité.

Du haut de ses quatre-vingt-sept ans, elle avait décidé de me relancer.

— Je sais que vous êtes chargé, Docteur, mais venez prendre un verre à la maison un de ces jours. On ouvrira une bouteille de champagne.

— C’est gentil, Mme Madeleine, je vais essayer. Mais, vous savez, je n’ai pas énormément de temps.

— Bah ! Vous le trouverez. Et puis… vous avez un petit copain ?!

— Euh… oui, en effet.

— Mais venez donc avec !

C’est ainsi que nous y sommes finalement allés tous les deux et que nous avons passé un bon moment à papoter tous les quatre.

Depuis notre déménagement dans un village voisin, on me demande régulièrement des nouvelles : « Comment va votre ami ? Il a trouvé un travail ? C’est un tellement gentil garçon. »

L’an dernier, Gérard et Madeleine ont tenu à nous inviter pour leurs noces de platine. Très fiers, ils m’ont rapporté la photocopie de l’édition du journal régional relatant cet évènement. Avec grande photo en couleur. « Regardez Docteur, comme vous êtes beaux tous les deux sur la photo ! »

***

P.S. Le joli docteur qui illustre ce billet est vraiment médecin. Il s’agit du Dr Frank Spinelli qui exerce à New York. La loi américaine n’étant pas du tout aussi restrictive que la loi française, il a choisi de profiter de sa belle mine pour développer un créneau porteur dans une optique « communautaire » à l’anglo-saxonne.

Je n’ai pas cette ambition.

Edition du 30/08/2011

L’ami David Gilson m’a gratifié d’un tendre dessin pour illustrer ce billet :

Cher ami hospitalier

Oui, Cher ami hospitalier,

J’opte donc pour la forme écrite afin de te faire part de mon, petit, agacement.

Je te l’aurais bien dit de vive voix, mais, justement, ta secrétaire, ou une infirmière du service, m’a une nouvelle fois expliqué que je ne pouvais pas, mais alors vraiment pas, te parler parce que (au choix) :

  • tu n’étais pas encore arrivé
  • tu étais en « staff »
  • tu faisais la visite
  • tu n’étais pas dans le service
  • tu étais en train de manger
  • tu étais en consultation
  • tu étais parti, merci de rappeler demain « en journée » parce que, là, il est déjà 16 h 58.

Et, vraiment, vraiment, je dois te dire que lorsqu’on me soutient qu’on ne PEUT pas te déranger quand tu es en consultation, mais qu’on peut noter mon numéro et que tu me rappelleras « plus tard », ça m’énerve.

Oui, je sais, ce n’est jamais agréable d’être interrompu en cours de consultation ou de visite. Moi-même, ça me pèse quand le téléphone sonne et que je suis avec un patient.

Mais, en général, quand je cherche à te joindre et que j’insiste un peu, c’est vraiment que j’ai un problème. Avec un patient, qui est bien souvent le tien aussi d’ailleurs. Et qui est en face de moi.

Et quand tu me rappelleras « plus tard », l’ennui, c’est que ce sera à mon tour d’être « en consultation ».

Je sais bien que mes consultations de généraliste n’en sont pas des vraies et que c’est beaucoup moins important de les interrompre que celles des spécialistes, mais quand même. Et puis le souci, c’est que le patient qui me posait problème, lui, il sera reparti, que j’aurai peut-être son voisin ou sa belle-sœur en face de moi et que ce sera beaucoup plus compliqué de se parler tranquillement.

Et si, après notre discussion, il faut que je dise quelque chose à mon patient, si je dois le réexaminer, ou lui faire une lettre ou une ordonnance, il va falloir que je le rappelle, peut-être que je le fasse revenir. Ça ne sera pas très confortable pour lui et probablement pas tellement pour moi non plus.

Donc voilà, si tu pouvais faire passer un petit message à ta secrétaire pour lui dire que, quand un généraliste te téléphone et qu’il insiste en semblant avoir un problème, ça mérite, sauf impossibilité absolue, qu’on vienne te déranger. Ce serait vraiment, vraiment sympa. Merci d’avance.

Bisous,

Borée

P.-S. Ça m’ennuie un peu de dire ça par rapport à mes convictions personnelles, mais ça se passe quand même différemment avec les spécialistes libéraux. Eux, sauf absence ou intervention en cours, ils répondent toujours. Quand ils disent qu’ils rappellent, eh bien… ils rappellent. Ils ne font jamais sentir qu’on les emmerde même quand c’est pour une question idiote. Et ils sont souvent joignables même à ces heures extravagantes où il m’arrive d’être encore en consultation et d’avoir des problèmes à gérer, du genre 18h30 ou même 19h passées !

P.-P.-S. Que ce billet soit aussi l’occasion de rendre un hommage sincère aux confrères hospitaliers, modestes assistants ou chefs de services de CHU,  qui me répondent systématiquement quand je les appelle et qui acceptent de prendre un peu de leur temps pour m’aider.

Très franchement, sachez combien je vous en suis reconnaissant et que je vous apprécie pour ça. Comme il n’y a pas de hasard, vous êtes aussi bien souvent ceux qui sont les plus disponibles pour vos/nos patients. Honneur à vous.

La relève

Thérèse est venue me faire ses adieux. Elle part vivre sur la Côte. Elle m’a raconté son petit appartement qui l’attend au troisième étage avec vue sur la mer.

Voilà trois ans que je l’ai connue. Un peu chic, bien maquillée mais avec un drôle de profil de ballon de rugby et un nez en forme de bille. Elle est venue me trouver quand son ancien médecin traitant était parti à la retraite.

En me remettant son dossier, elle avait pris les devants « Il était très gentil le Dr Panier mais, quand même, il exagère ! Il a noté « alcoolisme mondain » dans mon dossier !

– Ah bon ?

– Oui, tout de même, c’est très exagéré.

– Vous buvez un peu d’alcool quand même ?

– Oh ben oui, un peu. Comme tout le monde. Mais que du vin blanc et des kirs. Trois ou quatre par jour, ce n’est pas tellement n’est-ce pas ? Avant, je buvais parfois un peu plus avec des amis. Il faut bien profiter de la vie. Sinon, à quoi ça sert ? »

Thérèse prenait toujours rendez-vous en même temps que Jacky. Ils passaient l’un après l’autre.

J’ai fini par comprendre au bout de 6 mois qu’ils étaient voisins et que, Thérèse n’ayant pas le permis, elle profitait des consultations de Jacky pour venir à mon cabinet.

Jacky aussi il aime bien boire. Gentiment.

Bien bourru, bien sympa, il a le tutoiement facile : « Salut Borée ! Comment vas-tu ?

– Euh… bien M. Jacky, merci. Et vous ? »

En fait, c’est au bout d’un an et demi que j’ai appris qu’ils n’étaient pas seulement voisins mais, surtout, qu’ils avaient été mariés avant de divorcer. A l’amiable.

Et ce n’est rien de le dire.

Thérèse m’avait expliqué que, vraiment, elle n’en pouvait plus de vivre avec un homme, de lui faire à manger, de nettoyer les WC après son passage et, surtout, de son bazar. Mais que, sinon, elle l’aimait bien Jacky.

Comme c’est elle qui avait la maison, au moment du divorce, elle lui avait laissé la grange avec un peu de terrain. Ils l’avaient aménagée en petite maisonnette et Jacky avait pu transformer une partie en un grand atelier. « Comme ça il peut y mettre tout le bazar qu’il veut. »

Thérèse continuait à faire le repassage de Jacky « Vous pensez bien qu’il n’en serait pas capable ! » et le dimanche ils mangeaient ensemble. Pour les Fêtes, quand les enfants de l’un ou de l’autre venaient, ils se refaisaient les repas de famille comme avant. Dans la maison de Thérèse parce que la grange ça aurait été un peu petit.

Et quand Jacky faisait une gastro, c’est sur le canapé de Thérèse qu’il allait agoniser et se faire dorloter en attendant que j’arrive.

Thérèse est donc venue me faire ses adieux, me raconter le petit appartement avec vue sur la mer et le bonheur qu’elle aura à retrouver une vie sociale « Parce que, là, ça s’arrête à Jacky ma vie sociale ». Et en plus, elle sera à peine à 20 km des enfants de Jacky !

Mais surtout, elle m’a confié son soulagement de pouvoir partir avec l’esprit tranquille « Ça y est ! Il s’est enfin trouvé une femme ! Ah, ça, je suis contente. Et puis elle est épatante ! Ça m’aurait quand même embêtée de le laisser tout seul. Rien que pour le linge et la cuisine, je ne sais pas comment il aurait fait.

Mais, c’est bon, je peux partir tranquille, j’ai une relève ! »

***

Edition du 01/04/12

BlaguiBlago m’a fait l’amitié d’illustrer ce texte !

Chère Roselyne (bis),

Je me dépêche de t’envoyer ce petit mot : je ne suis pas sûr qu’il t’arrive encore si j’écris au Ministère dans quelques semaines.

Voilà quelques mois que je t’avais écris. J’espère que tu as bien reçu les doses de vaccins que je t’avais envoyées et que tu en as fait bon usage.

Je voulais simplement te dire que, décidément, les efforts que tu as déployés en compagnie des divers « experts » n’ont pas fini de donner leurs fruits. C’est ce qu’on appelle du travail sur le long terme et il faut te rendre cet hommage à une époque où l’on accuse trop facilement les hommes politiques de se contenter de naviguer à courte vue.

En effet, je croyais (naïf que j’étais !) que l’on en avait enfin fini avec ces polémiques autour de H1N1. Eh bien, non !

La moitié des petits vieux que je vois en ce moment me pose à peu près les mêmes questions « Au fait, docteur, je n’ai pas trop envie de me vacciner contre la grippe cette année, il paraît qu’ils ont mis le H1N1 dedans. D’ailleurs, c’est marqué sur la boîte. »

Et là, je sais que je suis parti pour une longue et laborieuse exégèse. Expliquer à de braves agriculteurs ce que sont des variants grippaux, des mutations génétiques, l’OMS, les adjuvants vaccinaux et la politique de santé en France, tu conviendras que c’est un exercice pédagogique de haute voltige.

Je prends une grande respiration et j’essaie donc de leur dire que oui, mais non, qu’il y a en effet du H1N1 dans le vaccin mais qu’on s’en fiche un peu. Que tous les ans il y a des variétés différentes et qu’on ne fait pas vraiment attention à ça. Que H1N1 ou H3N2 ou H127N526, ça n’a pas vraiment d’importance. Que la polémique de l’an dernier c’était à cause de la fabrication des vaccins et des « adjuvants » mais que, cette année, les vaccins sont fabriqués comme d’habitude et qu’il n’y a pas plus de craintes à avoir que d’ordinaire. Que, ça, on a bien raison de dire que c’est le bazar et que ce n’est pas étonnant que personne ne comprenne rien à rien mais que ce n’est pas une raison pour ne pas faire ce qu’il faut. Bref.

En général, ça fini avec des yeux un peu ronds, des gros points d’interrogation qui semblent flotter au-dessus des têtes et un « Bon, mais alors, vous pensez qu’il faut le faire ?

– Mais oui !

– Bon, ben d’accord alors, on le fait.

– Voilà ! »

Jusqu’à présent, je crois que j’ai à peu près réussi à rattraper le coup mais, crois-moi, ça me les brise quand même. Et pas qu’un peu.

Alors voilà, chère Roselyne, si je t’écris ce petit mot aujourd’hui, c’est pour te demander une chose s’il te reste un tout petit peu de commisération pour les généralistes français. Cette année, s’il-te-plaît, surtout ne nous organise pas de campagne médiatique autour de la vaccination antigrippale. Parce que, vraiment, ça n’aide pas.

Bisous,