« HbA1C du 12/01 à 10.8%…
Glycémies à jeûn acceptables : 1.10 à 1.20
1.40 à 1.90 en journée
En fait, me dit au passage, la bouche en coeur, qu’il ne prend pas le Glibenclamide du déjeuner parce que c’est le seul médicament qu’il a à midi et que c’est plus simple comme ça.
Il me rend fou ! » (*)
que j’ai écrit dans son dossier.
Ce n’est même pas vraiment vrai. Il n’arrive plus à me rendre fou.
C’est un de mes cancres.
Je les aime bien mes cancres. Tous des hommes. Tous sympas et bon vivants. Mais comme patients, ils sont vraiment nuls.
Ils sont cardiaques, diabétiques et assez obèses. Parfois ils continuent à fumer.
Ils veulent bien prendre les médicaments en général. Mais pas toujours.
Quant aux habitudes de vie, ils veulent bien faire des efforts. Un peu. Et pas trop longtemps.
De consultation en consultation, ils me racontent leurs écarts, leurs bonnes bouffes et de quoi les arroser. En toute sincérité et avec le sourire. Même pas besoin de leur demander. « Ah, tiens, vous avez encore pris 2 kg ?! » « Oh ben, vous savez, on avait les petits-enfants en vacances / c’était les Fêtes / je mange des sandwichs sur la route / le midi, je suis au restaurant avec les clients / ma femme, elle sait cuisiner ! »
Au début, je fais comme j’ai l’habitude : j’explique tout bien, je fais des schémas, des dessins, j’imprime des fiches conseils, je leur fais faire des enquêtes alimentaires qui ressemblent aux menus étape d’ici…
Et puis, au bout d’un moment, j’arrête.
Comme ce sont des cancres sympas, je ne les envoie pas au coin, je les laisse à leur place. Tant qu’ils se tiennent tranquilles, qu’ils prennent à peu près leurs médicaments, qu’ils font leurs prises de sang, leurs fonds d’œil, … j’arrête de les embêter. Je reste basique et l’ordonnance c’est pour trois mois. Ça leur va.
Ça m’embête quand même un peu. Parce qu’ils sont sympas et que je n’ai pas vraiment envie que leur infarctus ou leur AVC arrive trop vite.
Mais vraiment, il y en a, je ne sais pas comment faire. Je n’arrive pas à trouver les bons mots, les bons leviers à activer. Je ne sais même pas s’il y en a, ni si un autre ferait mieux que moi.
Peut-être pas, peut-être qu’il n’y a rien d’autre à faire que de limiter les dégâts en attendant qu’ils se créent leur propre déclic.
Ou peut-être que si, que c’est juste moi qui ne sait pas m’y prendre avec eux. Et en fait, c’est ça qui me rend fou.
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Mon papa est un cancre. Un vrai de vrai. De ceux qui arrêtent leurs médocs quelques mois après le premier AVC parce que ça sert à rien tout ça (en continuant à fumer et boire évidemment…), qui refont un second AVC et ne vont même pas à l’hosto, à part quand quelques mois après des amis menacent d’appeler les pompiers s’il ne veut pas y aller…
J’aimerais bien que vous ayiez des recettes magiques pour ça, ou que vous les engueuliez même, avec votre blouse de médecin qui a plus raison qu’eux et leur vieille vision du monde parfait sans médicaments (et médecins?). Nous en tant qu’enfants, on a aucune autorité. A part quand le second AVC réduit assez les capacités pour qu’on puisse le disputer comme un enfant, et l’obliger à ce qu’une infirmière vienne lui préparer ses médicaments (parce qu’il les prend soit-disant très bien tout seul, même quand 3min après avoir avalé le cachet il le cherche de partout sur la table parce qu’il ne se souvient pas l’avoir pris … )
C’est énervant quand ces cancres font partie de la famille. Et qu’ils disent même oui à tout aux gentils médecins et leurs bons conseils. Pour continuer à cloper avec un bon verre de vin, et un gros bout de fromage par dessus un repas déjà trop gras.
« Tu sais papa, tu devrais ptetre pas….. -Oh mais c’est pas gras du tout ça, j’ai presque rien mis d’huile! Et un verre de vin par jour ça fait de mal à personne. Et puis je fume pas trop, un après manger, un au café, et c’est tout … *tout en rallumant un autre cigarillo* »
Aïe.
A noter que ceci n’est pas du tout un reproche sur votre pratique, et en tant qu’enfant de cancre, je comprends que trop bien la situation.
Et je crois qu’effectivement, limiter les dégâts est le mieux que vous puissiez faire. Parce qu’imposer un rythme de vie qui ne correspond pas à ces personnes qui voient la bonne santé justement dans le fait de bien manger et boire, c’est vouer cela à l’échec en moins d’un mois…
Je préfère que mon père tente réellement de fumer moins, en continuant à aller voir son généraliste tous les mois pour qu’il « nettoie » après lui, plutot qu’il essaie une enième fois d’arrêter en vain, et qu’il reprenne de plus belle en se disant « t’facon les médecins disent que d’la merde, j’fais c’que j’veux, et d’ailleurs je retournerai pas le voir », pour ne pas se faire disputer.
Ah ah.
Désolée pour ce gros écart/racontage de vie.
Blog très intéressant en tout cas, j’en ai beaucoup appris. A voir maintenant si l’argument d’autorité « Borée a dit que j’pouvais » passera dans d’autres cabinets 🙂
Une suggestion : et si le rôle d’un professionnel de santé était essentiellement d’informer, le plus clairement possible et avec le plus d’actualité sur ce qu’il peut proposer au patient, sans attendre de celui-ci qu’il « gobe » (littéralement) ?
Pour moi, « prendre en charge » la santé d’une personne (c’est plus facile pour moi, elles sont plutôt en bonne santé), c’est l’accompagner dans cette facette de vie, au sens premier. Accompagner sans diriger, sans attendre d’être suivi, mais plutôt en suivant.
Ca m’amène juste à une autre réflexion : j’aime beaucoup cette pensée qui demande : « pourquoi continuer une relation si elle vous fait du mal ? » et j’aime à la mettre en parallèle de la notion de limite que l’on peut (doit ?) se fixer quand on est en relation (et qu’est-ce que c’est sinon, entre un patient et un professionnel de santé ?). A quel moment ce n’est plus possible pour moi ?
Expliquer à la personne que l’on a en face de soi que la relation comme elle se passe ne me convient pas, c’est me respecter, et c’est la respecter. Après, à chacune des 2 parties de voir comment on peut s’en accomoder, ou pas.
Merci pour tous ces billets que je lis dans mon coin, d’habitude 🙂
Merci pour ce commentaire. Je suis bien évidemment d’accord. Ne pas perdre de vue que mes billets sont forcément un peu caricaturaux.
Quant à la question des limites, je l’avais abordée dans « Ligne rouge« .
Ce n’est pas le médecin qui ne convient pas, il s’agit d’un choix de vie du patient. Continuer à assister à un naufrage de la santé de ces patients est difficile , et nous baissons tous les bras devant aussi peu de motivation.
Joli billet, je m’y voyais …
Bonjour,
Je découvre votre blog et j’admets que suis un peu cancre sur les bords. Le tabac, le gras, etc. Pas de maladie pour le moment, mais ça a des chances de venir, mon cousin médecin me le répète régulièrement. De même que les étiquettes sur les paquets de tabac. Et les pubs à la télé. Etc.
N’empêche, je fûme, je bois, je baffre. Oh, certes, j’essaye de me modérer, mais je sais que je n’arrêterai pas. Parce que mes « écarts de conduite » sont trop plaisant, donne trop de goût à ma vie. Peut-être même que je préfère ne vivre que 60ans et éviter ainsi les souffrances de la vieillesse, mais avoir vécu et bien vécu mes 60années. Pas d’enfants à charge pour me culpabiliser. Peut-être même que si j’ai droit un jour au « lacher de ballons », je refuserait les soins du docteur et je les laisserai m’emporter, ne serait-ce que pour donner tort à mon cousin médecin qui me dit que des gens comme moi coûtent une fortune en soins à la sécu. » J’[aur]ai vécu dix fois plus vite, voilà tout. » (H. Lafont).
Vous pouvez dire à votre cousin qu’il a tort : les patients tels que vous coûtent en fait généralement beaucoup moins cher à la collectivité que les modèles de vertu.
Pourquoi ?
Parce qu’en multipliant les facteurs de risques, les « cancres » réduisent singulièrement leur espérance de vie et épargnent à la collectivité des années, sinon des décennies, de prestations sociales et d’annuités de retraite. Dominique Dupagne avait déjà calculé ça.
Mais ce n’est que pour contredire cet argument financier infondé.
Ce n’est pas une raison pour vous conseiller de poursuivre ce mode de vie. 😉
La réalité c’est que lorsque les « cancres » commencent à avoir de gros problèmes de santé, j’en ai rarement entendu dire « Je ne regrette rien », c’est malheureusement plus souvent l’inverse « Qu’est-ce que j’ai été con. »