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Car, voyez-vous, je vais me marier

Lettre au Dr Patrick WOLFF

Président du Conseil Départemental de l’Ordre des médecins de l’Hérault

 

Cher Confrère,

Il est souvent d’usage dans notre profession de se tutoyer au nom, j’imagine, de la confraternité. Pour ce qui vous concerne, je n’arriverai pas à m’y résoudre : le « cher Confrère » me coûte déjà.

Vous êtes donc gynécologue et président d’un Conseil départemental de l’Ordre. Cette double qualité n’est certes pas de nature à m’inciter aux a priori les plus favorables à votre égard. Pour autant, j’étais prêt à en faire abstraction.

Dans la « Lettre de l’Ordre des médecins de l’Hérault » n° 23, de ce joli mois de mai, vous signez le traditionnel éditorial. Rebondissant sur l’affaire Cahuzac, vous nous rappelez le devoir d’exemplarité attaché à cette noble profession qui est la nôtre. Une exigence qui a pour fonction de préserver notre image collective puisque, je vous cite, « Chaque médecin doit se sentir personnellement responsable de la considération du corps médical. »

Cette parole est d’or, assurément. C’est pourquoi je ne peux que regretter la vomissure que vous commettez à la page 5 de cette même lettre.

Je laisse mes lecteurs découvrir ce beau moment d’humanité :

(Vous pouvez cliquer pour zoomer)

P Wolff

Oui, vraiment, un beau morceau de tolérance et d’ouverture d’esprit. Certes, le ton oscille entre la salle de garde et la cour de récréation. Certes, l’illustration choisie est un peu (si peu !) caricaturale. Mais, quoi, on est entre nous, non ?

En vous lisant ici, c’est avec émotion que j’imagine le gynécologue profondément humain que vous deviez être et tout le respect que vous deviez témoigner envers vos patientes. N’est-ce pas ?

Plus sérieusement, croyez-vous vraiment, abusant de votre position en vous autorisant cet exercice inhabituel pour cette « Lettre », faire l’honneur de notre profession et du poste éminent que vous occupez ? Pensez-vous sincèrement que ce vocabulaire de charretier fasse notre dignité ?

Comment imaginez-vous que les médecins homosexuels de votre département, il y en a forcément, aient ressenti cette virile saillie ?

Quel est le message que vous souhaitiez envoyer à leurs patients ?

Si je me félicite d’une chose aujourd’hui, c’est de ne pas vous avoir pour président de mon propre Conseil Départemental. Car, malgré les précautions d’usage, c’est bien la « Lettre » de tous les médecins de l’Hérault, leur Conseil Départemental à tous, que vous empestez de vos flatulences.

Dans l’immédiat, cher Confrère, je vous réserve la primeur d’une annonce.

Par amitié pour mes lecteurs, j’aurais aimé une forme plus joyeuse et primesautière. Mais nécessité fait loi. À défaut d’un bouquet de roses, ce faire-part sera donc un poing dressé.

Car, voyez-vous, cher Confrère, je vais me marier. Le 7 septembre prochain. Et c’est un grand bonheur de pouvoir le faire.

Et, voyez-vous, cher Confrère, nous espérons même avoir des enfants et, croyez-le, nous tâcherons de les élever avec amour.

Avec amour, avec humanité et avec toute notre dignité. De ces qualités dont vous semblez manquer.

Je vous adresse, cher Confrère, l’expression de toute ma commisération.

 

P.-S. Merci à l’ami qui a attiré mon attention sur ce document

Déontologie ? Où ça ?

J’ai reçu récemment un aimable message de mon Conseil de l’Ordre. Une « circulaire » plus précisément.

Nous y apprenions que des Conseils départementaux avaient été sollicités en février par l’Université McGill de Montréal – certainement une microscopique université de seconde zone dans un pays de pingouins (1) – afin de diffuser une enquête du département de neurosciences auprès des médecins de France.

Il s’agissait du volet français d’une étude portant sur « Les placebos dans la pratique de la santé » menée par le Pr Amir Raz, un psychiatre formé dans des universités probablement aussi subalternes qu’étrangères (Jerusalem, Cornell, Columbia). Cette étude visait à identifier les déterminants de la prescription de placebos par les médecins.

Tout à leur sagesse, les Conseils départementaux avaient sollicités le Conseil national pour savoir s’il était possible de diffuser cette enquête.

Les grands manitous se sont donc penchés sur les aspects déontologiques de la chose. C’est normal, c’est leur boulot. Sauf qu’ils auraient tout aussi pu considérer plus raisonnable de refuser cette demande et d’aider les auteurs de l’étude à s’orienter vers d’autres voies de diffusion plus adéquates (Facs, organisations professionnelles…). Ces chercheurs canadiens, peu habitués à notre très-français système « d’Ordre », ne le savaient probablement pas mais est-il de la mission du Conseil de l’Ordre de faire l’intermédiaire entre les chercheurs et les médecins ?

Plutôt que de dénaturer éventuellement un travail scientifique en rendant impossible toute comparaison internationale, peut-être auraient-ils mieux fait de ne pas s’occuper de ça.

Mais, non. Haussant les sourcils, dodelinant de la tête, ajustant leurs lunettes, ils ont analysé l’étude, ont sursauté et ont demandé que deux questions de l’enquête soient modifiées.

Il s’agissait de la question n°17 « J’ai prescrit ou administré un placebo au cours de situations suivantes : » dont une des options proposées était « afin que le patient cesse de se plaindre » ; et de la question n°19 « Les placebos ont plus de chance d’avoir un effet thérapeutique puissant pour les catégories de personnes suivantes : » dont un des items était « les patients dont l’héritage culturel n’est pas occidental ».

En effet, d’après nos conseillers ordinaux « Ces deux affirmations, dans leur rédaction, sont contraires au principe de notre déontologie médicale qui rappelle que le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience, toutes personnes quelle que soient leur origine, leurs moeurs et leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. »

A ce stade, nous pourrons constater qu’il n’a pas paru particulièrement anti-déontologique à l’Ordre que des médecins aient pu prescrire des antibiotiques pour une infection qu’ils savaient virale, injecter une solution saline en intramusculaire (question n°10), qu’ils aient pu mentir au patient en affirmant qu’un placebo est un vrai médicament (question n°12) ou qu’ils aient cédé à une demande injustifiée pour une médication (question n°17). Ni qu’ils considèrent qu’un placebo puisse être davantage efficace chez les femmes, les patients de faible niveau scolaire ou les malades mentaux (question n°19).

Mais, bon, passons…

L’auteur de l’étude a accepté de modifier les deux items incriminés et finalement, le Conseil de l’Ordre a bien voulu diffuser ce questionnaire :

  • dans sa version originale non rectifiée (c’était bien la peine de se donner tout ce mal pour se mélanger dans les fichiers),
  • dans une version pdf pour une enquête destinée à être remplie en ligne… mais sans indiquer l’adresse web (elle est tronquée sur les documents transmis).

Bravo, bravo, on sent que nous sommes à la pointe des nouvelles technologies.

Bon, je me moque, je me moque mais, jusque là, il n’y a pas vraiment de quoi fouetter un chat. Ni en faire un billet de blog.

Ce qui m’a vraiment atterré dans cette affaire, c’est bien cette « censure » qu’a voulu imposer le Conseil de l’Ordre au nom de la déontologie.

Plutôt que de se poser des questions légitimes, de chercher à comprendre les mécanismes de la prescription médicale, on préfère nier le problème en évitant tout simplement de poser la question. Un mécanisme de type « arrêtducrime » en novlangue orwélienne.

Prescrire un placebo « pour que le patient arrête de se plaindre » : quel médecin ne l’a jamais fait ? Et les ordonnances de Daflon « pour les jambes lourdes », de Ginko « pour la mémoire », de Vastarel « pour les vertiges », c’est quoi ?

Mais d’après le Conseil de l’Ordre, ça n’existe pas, ça ne PEUT pas exister, puisque ce n’est pas déontologique.

Prenons l’exemple du « syndrome méditerranéen », dont j’ai entendu parler dès mon premier stage d’externe : que vaut-il mieux ? Essayer de comprendre sur quelles croyances médicales il repose, le confronter à la réalité, éventuellement le dénoncer s’il s’agit d’un concept erroné ou, s’il y a une réalité, l’étudier pour lui donner une définition moins condescendante ? Ou alors se contenter de dire que c’est un mythe, que jamais aucun médecin n’a pu parler de « syndrome méditerranéen » puisque c’est contraire à la déontologie, et qu’il n’y a donc aucune question à se poser ? Circulez, il n’y a rien à voir.

Vraiment, ça me met en rogne de lire que les préoccupations déontologiques de nos représentants portent sur ceux qui interrogent les éventuels problèmes plutôt que sur les problèmes eux-mêmes. Qu’on casse le thermomètre pour ignorer la fièvre.

Soyez rassurés, braves gens, les médecins français ont toujours un comportement irréprochable (si vous suivez mon blog, vous le saviez déjà). L’inverse est tout bonnement impossible puisque ce ne serait pas conforme au code de déontologie.

Le plus amusant, c’est qu’avant de faire de la recherche médicale, le Pr Amir Raz avait fait une carrière de magicien.

Il est donc bien surprenant que les conseillers de l’Ordre ne lui aient pas réservé meilleur accueil. Après un aussi joli coup de bonneteau déontologique, ils auraient pu se trouver bien des points communs.

***

Si vous êtes médecin, je vous encourage à participer à cette étude dont le questionnaire original (en français) est en ligne ICI.

Pour ceux qui seraient trop chastes ou respectueux de l’autorité, ils peuvent quand même participer en répondant au questionnaire caviardé ici.

 

(1) En réalité, l’Université McGill est au 19ème rang mondial des Universités. La meilleure « université » française est… 33ème et notre glorieuse Polytechnique, 36ème. En médecine c’est encore mieux : McGill est classée 13ème mondiale quand aucune Faculté française ne figure dans les… 150 premières. Cocorico !