Tu fais chier, Winckler

Cher Marc, (1)

Je l’ai déjà raconté dans un billet : c’est en lisant La Maladie de Sachs, alors que j’étais en 6ème année et que je me torturais pour savoir quelle spécialité choisir, que je me suis décidé pour la médecine générale. Autant dire que tu ne comptes pas pour rien dans mon choix de vie.

Dans mon activité de blogueur non plus. Bien souvent, on a souligné les liens de filiation qui pouvaient exister entre certaines de mes prises de position et les tiennes. Ce n’est rien de dire que j’en ai éprouvé de la fierté.

Tu sais l’affection que je te porte. Tu sais combien j’apprécie ta disponibilité et le temps que tu as déjà su consacrer à me répondre.

Tu sais aussi le bonheur immense que tu m’as fait en acceptant de rédiger cette préface.

Et pourtant.

Et pourtant, parfois, tu m’énerves un peu.

Il y a quelques années, je discutais avec un ami médecin. Il m’avait dit « Oui, bon, Winckler il fait chier à nous cracher dessus comme ça. Il est bien gentil avec ses grands principes mais ça ne colle pas avec les réalités. Et d’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’il a fini par décrocher sa plaque. »

Ça m’avait interpellé. Surtout que c’était quelqu’un de bien qui disait ça. J’avais répondu que, non, il ne fallait pas dire ça. Que beaucoup de médecins méritaient tes reproches et qu’il y en avait marre de cette confraternité qui tenait de l’omerta. Que la profession était tellement conservatrice qu’il fallait se féliciter d’entendre une voix différente qui proposait une alternative. Que j’en avais assez de l’eau tiède et que c’était toujours les révolutionnaires qui faisaient avancer le monde.

Et en moi-même, j’avais espéré qu’il avait tort. Que le modèle que tu proposais était viable. Qu’il était possible de faire de la médecine comme le Docteur Sachs.

Je le sais aujourd’hui, Sachs est un personnage de roman et la vie n’est pas un roman.

Oh ! Il ne s’agit pas de le rejeter. C’est toujours une source d’inspiration importante, une étoile à suivre. Mais, comme d’autres, j’ai bien compris que, quels que soient mes efforts, je ne l’atteindrai jamais.

Et j’en fais des efforts ! J’essaie d’être compatissant et scientifiquement solide, de ne pas juger et d’expliquer mes décisions, de respecter l’autonomie de mes patients et même de l’encourager. J’essaie d’être fidèle à la promesse que je me suis faite.

Et pourtant.

Et pourtant, lorsque j’ai lu ta série sur les médecins maltraitants, j’ai ressenti comme un malaise.

Phobique, burn-outé, distant, égocentrique, terroriste, méprisant ou manipulateur ? Je pense n’être rien de tout cela. J’espère en tout cas. Mais, pour chacun de tes portraits, il m’est revenu au moins une situation pour laquelle le patient aurait pu m’appliquer la description que tu faisais. Soit que je n’aie pas été bon ce jour-là, que j’aie adopté une attitude qui me semblait conforme à la situation, ou que le patient me l’ait prêtée parce que c’était sa vision.

Et je me suis dit que mes patients auraient pu te lire (ça pourrait bien arriver puisque je fais régulièrement de la pub pour ton blog) et que, suivant tes conseils, ils auraient bien pu me faire une lettre comme tu le leur recommandes.

Auraient-ils eu raison ? Peut-être. Ou peut-être pas. Ce que je peux te dire en tout cas c’est que ça m’aurait certainement profondément blessé.

Tout récemment, le ton est monté avec une mère qui ne comprenait pas que je ne « veuille pas soigner » la rhinopharyngite de sa fille (qui toussait mais n’avait pas de fièvre et me souriait de toutes ses dents). J’ai passé 30 minutes à essayer de lui expliquer, à marquer mon empathie « Je sais que c’est pénible et désagréable. », à lui imprimer les fiches-conseils de Prescrire. Mais, non, décidément elle voulait un SIROP et a conclu « On m’avait bien dit à l’école que vous ne vouliez pas soigner les bronchites des enfants. Je n’avais pas voulu le croire mais… ».

Ça ne voulait rien dire. Je savais que j’étais scientifiquement fondé, que j’avais eu – ou au moins essayé d’avoir – une attitude ouverte et compréhensive. Mais ça m’a vraiment fait mal d’entendre ça et de sentir cette injustice. Et c’était probablement dit dans ce but.

Cette maman aurait très bien pu, après t’avoir lu, décider d’aller un peu plus loin et de me faire une lettre. Je pense que je l’aurais vraiment très mal vécu. Peut-être même aurait-elle pu suivre ton conseil et décider de ne pas me régler puisque « je n’avais pas rempli la fonction » qu’elle attendait.

Quand je vois que ton édito sur les patients responsables peut être repris dans les commentaires d’un de mes billets pour justifier la non vaccination d’un enfant contre le tétanos, je me dis qu’il y a un souci. J’imagine que ce n’est pas ce que tu voulais dire et que tu ne soutiendrais pas une telle position. Mais, à te faire l’avocat d’un patient parfait, tu sembles en oublier à quoi ça peut mener.

Oui, les patients ont besoin d’être défendus. Oui, ils ont été méprisés par l’ancien système et la corporation médicale, dans sa globalité, n’a pas eu le beau rôle.

Je continuerai à parler de ton blog, à offrir le Choeur des Femmes à mes stagiaires, à revendiquer avec fierté ma filiation symbolique.

Mais je crois qu’il est important de dire aux autres médecins, et plus particulièrement aux plus jeunes, que ce que tu proposes est une utopie. Qu’il faut en faire une source d’inspiration mais ne pas se désespérer de ne pas réussir à incarner cette perfection.

Parce que, de toute façon, nos patients ne ressemblent que rarement à tes patients de roman, idéaux et responsables.

Il y a des médecins qui sont des sales cons, c’est une réalité et il ne faut pas hésiter à le dire.

Il y aussi des sales cons parmi les patients.

Tu dénonces les médecins pervers et manipulateurs ? Nous en avons déjà tous rencontrés parmi nos patients.

Et bien sûr qu’il y a des patients irresponsables !

Ce n’est pas parce qu’ils sont des patients qu’il n’en existe pas des pervers, manipulateurs, irresponsables, incohérents, inconstants, menteurs ou malhonnêtes. C’est normal, ce sont des êtres humains et nous devons faire avec.

Alors, je ne voudrais pas être considéré comme une vulgaire Monica Lewinsky se retournant contre son Pygmalion ou, pire, comme Brutus ou Judas, mais je me dis que s’il m’arrive de culpabiliser de ne pas être à la hauteur, je ne dois pas être le seul.

C’est pourquoi, je te le dis : continue à nous inspirer, à nous proposer une direction mais, si tu veux que nous te suivions, s’il te plaît soit un peu moins intransigeant, un peu moins dur, avec nous.

Parce que, c’est vrai, parfois tu fais quand même chier, Winckler.

(1) Martin Winckler est le nom de plume du Dr Marc Zaffran.

***

Post-scriptum

(édité le 6 octobre à 17h50)

Les nombreux commentaires et réactions à ce billet m’ont permis d’affiner ma réflexion et de la préciser.

Je n’ai apparemment pas été le seul à ressentir un malaise, en particulier parmi la génération des « filles et fils de Sachs ». Si ce billet a permis au moins à certains (moi compris) de perdre un peu de culpabilité en se rendant compte qu’ils n’étaient pas seul(e)s à partager ces sentiments, je suis heureux de l’avoir écrit.

Bien sûr que Martin Winckler a une position assumée d’emmerdeur et que cette fonction de poil à gratter est tout aussi désagréable qu’indispensable. Et, de fait, le problème n’est probablement pas dans ce que pense Winckler mais dans la manière dont il l’écrit. Plus encore, dans la façon dont il va être lu et interprété.

Je pense qu’un grand nombre de médecins français sont « d’honnêtes médecins ». Peut-être pas toujours au top scientifiquement, peut-être pas toujours avec le recul nécessaire sur leurs pratiques mais, fondamentalement, honnêtes.

Et l’idée que l’un d’entre eux reçoive un courrier d’un patient qui, ayant « mal digéré » les écrits de Martin Winckler, l’accuse de « maltraitance » là où il n’y aurait qu’une parole malhabile, oui, ça m’ennuie un peu.

Winckler ne nous propose que des archétypes (c’est son propre terme). Soit, d’une part, de médecins de romans idéaux (Sachs, Karma) qui ont des failles, certes, mais uniquement personnelles et jamais professionnelles. Soit, d’autre part, d’épouvantables médecins maltraitants (qui existent, c’est indéniable mais qui sont minoritaires). Soit, également, de patients tout aussi idéaux dotés eux-mêmes d’une forte capacité d’analyse et de recul (et on peut raisonnablement penser que c’est le cas de la majorité de ceux qui font l’effort de le lire mais que ce n’est peut-être pas vrai de la population générale).

Ce travail est certainement utile pour aider les patients à se repérer et à se défendre mais, par sa nécessaire simplification, il prend le risque de devenir réducteur. Je crois qu’une grande part du malaise que nous pouvons éprouver, nous médecins, c’est que nous avons conscience que nous ne parviendrons jamais à l’idéal positif et que, du coup, nous sommes troublés de n’avoir comme alternative de représentation que l’extrême inverse.

Alors que, dans la réalité, nous sommes tous entre les deux et même, probablement  pour les lecteurs de Winckler ou de ce blog, plutôt du côté clair de la Force. Au final, le sentiment peut être que Winckler ne parle pas vraiment de nous et de nos réalités et la crainte que ses lecteurs, ne nuançant pas suffisamment ses écrits, ne nous jugent à l’aune de ces archétypes.

Et, bien sûr, ce malaise n’existe que parce que nous apprécions Winckler et que nous accordons du poids à ce qu’il dit. Venant d’un vieux con, ça nous affecterait certainement beaucoup moins.

Cherche (toujours) associé(e)

Bon, ma précédente petite annonce ne m’a pas permis, malgré quelques contacts, de conclure.

Il est vrai aussi que de l’avoir mise en ligne au moment des départs pour les grandes vacances n’était peut-être pas la plus riche idée.

Elle est donc toujours valable. Je vais rajouter quelques détails.

Je cherche toujours un(e) associé(e) pour me rejoindre dans un environnement rural dans le sud-ouest, superbe mais assez isolé (les hôpitaux, spécialistes et cinémas sont à une quarantaine minutes de route, en revanche l’accès aux grandes lignes ferroviaires et autoroutières est assez bon).

Le départ à la retraite du Dr Moustache n’a fait que renforcer le besoin d’un nouveau généraliste même si notre secteur n’est pas considéré comme un désert médical.

Plus précisément, je suis à la recherche d’un troisième généraliste pour intégrer notre Maison de santé pluridisciplinaire qui va ouvrir ses portes début 2012. Outre les trois MG, elle accueillera onze autres professionnels de soins. C’est donc un projet assez solide, intéressant sur le plan financier mais ne dépendant d’aucune subvention de fonctionnement.

Pour tous les détails, vous pouvez toujours me contacter ici.

Pardon Alphonse

Pardon.

Pardon, Alphonse.

Il faut dire que, dans l’échelle de mon cœur, tu ne commençais pas avec beaucoup d’atouts en main.

Quand le Dr Moustache est parti à la retraite, tu es venu me trouver.

Avec un dossier aussi lacunaire que ton ordonnance était surchargée d’inutiles potions. Des symptômes compliqués et spécifiques de rien, je m’étais déjà crispé un peu.

Et puis avec ton gilet Lacoste et ta petite moustache fine, coupée au carré, qui surligne simplement ta lèvre et te donne cet air d’officier revêche, j’ai eu du mal à me sentir en empathie.

Et, bien sûr, il fallait que tu sois un prof à la retraite. Car s’il y a une corporation qui est à peine moins déplaisante à soigner que les professions médicales, ce sont quand même les enseignants.

Ah, ça, non, dès la première consultation, j’ai vraiment eu des difficultés à m’enthousiasmer.

Si, au moins, tu avais été un sale con, j’aurais su pourquoi je t’en voulais. Avec mon caractère de cochon, on aurait été au clash et ça aurait été réglé.

Mais, non, tu étais simplement pénible. Pénible comme peut l’être un dépressif dévoré d’angoisses. Pénible comme peut l’être un anxieux dont mon prédécesseur avait cultivé l’hypocondrie, comme on entretient sa vache à lait. Pénible comme peut l’être un prof qui sait beaucoup de choses sauf de se mettre en retrait lorsque ses émotions brouillent les pistes.

Il y a deux semaines, tu as fait venir le médecin de garde en soirée pour un malaise. Le médecin, c’était moi. Le malaise, c’était une attaque de panique qui t’avait submergé. Je n’avais déjà pas été très bon.

Et voilà que tu m’as appelé cet après-midi. Pour me voir en urgence. Parce que ça n’allait pas du tout. Moi, je faisais ma tournée hebdomadaire de visites à domicile, ça ne m’arrangeait pas.

Mais on s’est quand même vus et tu m’as expliqué. Tes insomnies, tes oppressions le soir, tes vertiges. L’ORL que tu as consulté deux fois en quinze jours et qui t’as prescrit du Pipidechat après avoir essayé du Perlimpimpim.

Tu m’as redemandé une nouvelle fois, s’il ne fallait pas revenir à l’antihypertenseur que t’avait arrêté le cardiologue puisque tu avais dix-sept de tension. Et qu’un autre médecin de garde, vu pendant le week-end, t’avait dit de le reprendre. Tu as ajouté que, de toute façon, c’était sûr que ce coup-ci tu l’avais ton cancer.

Je n’ai pas été très pro. Ou même carrément mauvais.

Je crois que je t’ai presque engueulé. Que ça n’avait aucun sens de se mesurer la tension comme ça, quinze fois par jour. Que je t’avais déjà dit de ranger ton satané tensiomètre ou de t’en débarrasser carrément. Que tu te comportais comme un poulet sans tête qui court dans toutes les directions, se cogne et trébuche. Que ton problème c’était la dépression et les angoisses. Que tu n’avais pas de cancer et qu’il fallait laisser un peu de temps aux traitements pour agir.

Et puis j’ai eu honte. Honte de m’en prendre à toi comme ça. Parce que tu souffres vraiment. Pas de ce que tu penses mais, oui, tu souffres. Honte de me rendre compte de la tentation que j’avais d’être encore plus désagréable. Dans l’espoir qu’avec de la chance tu partirais en claquant la porte, que tu te trouverais un autre médecin et que je serai débarrassé de toi.

Je me suis efforcé de me calmer, de t’expliquer. On a passé presque une heure ensemble à tâcher de te rassurer et de dégager une solution. Je ne suis pas sûr qu’on y soit arrivé. Je n’ai quand même pas dû être très bon mais j’ai essayé.
Mais qu’est-ce que j’ai du mal.

Je sais que tu n’es pas bien. Pour de vrai. Je sais que tu appelles au secours. Que, quand tu flippes à vingt-et-une heures, même si tu n’as objectivement rien de méchant, tu es réellement malade.

Je sais que tu mérites d’avoir un médecin, des soignants, qui s’occupent de toi. Comme les autres.

Je ne verrais même pas à qui te confier. Je les connais les confrères du secteur. Je suis à peu près sûr que la plupart n’hésitera pas à te rajouter calmant sur calmant, un scanner à une IRM, un spécialiste à un autre. Je ne crois pas que ce soit ce dont tu as besoin. Et puis, au nom de quoi, t’aurais-je envoyé ailleurs ?

Alors, puisque tu m’as choisi, je vais essayer de le faire mon boulot. Le mieux que je pourrai. Et j’espère que j’y arriverai. Que je parviendrai à t’offrir l’écoute et l’empathie que tu mérites, à garder la tête froide et à m’occuper de toi aussi bien que possible.

Alors que tu me pèses. Et que je ne t’aime pas.

P.S. Je dédicace ce billet à E. Merci de m’avoir poussé, peut-être sans le savoir, à mettre mes émotions en mots.

Alma mater

« Etrange chose que d’être mère ! Ils ont beau nous faire du mal, nous n’avons pas de haine pour nos enfants. »

Sophocle

Elles ont trente ans, cinquante ans ou quatre-vingts.

Je la soigne pour un cancer. Elle ne voit pas pourquoi elle devrait se battre puisque sa fille est morte il y a deux ans.

Elle rencontre le compagnon de son fils unique en cachette lorsque, de passage dans le coin, ils logent à l’hôtel. Son mari le sait, mais il n’accepte que le fils à la maison. Je lui renouvelle son antidépresseur.

Elle a un enfant trisomique de soixante ans. Elle me dit « Tout ce que j’espère, c’est que je vivrai un jour de plus que lui. »

Son enfant est mort il y a bien des années. Elle s’est battue avec le reste de la famille pour pouvoir exhumer ce petit corps du vieux et lointain caveau familial, l’incinérer et disperser les cendres dans sa jolie prairie.

Elle me parle de son fils qui est la huitième Merveille du monde. Tout le village sait que c’est un poivrot et qu’il lui pompe la moitié de sa retraite. Mais il n’y a que lui qui compte.

Elle a perdu son premier enfant à la maternité. Elle a peur pour le suivant. Je pensais avoir su l’apprivoiser et je n’ai pas réussi.

Elle souffre. Elle souffre d’un fils qui boit et qui fume depuis le viol de sa sœur jumelle. Par son meilleur ami. J’ai fait tous les bilans, essayé tous les traitements, sa toux fluctue au gré des périodes d’alcoolisation et de rémission.

Elle est mère seule d’un enfant sans père. Elle jongle entre le travail, la nounou et ce garçon auquel elle n’était pas préparée.

Elle n’est pas mère. À quarante ans passés, elle va retourner une dernière fois en Tchéquie pour donner une ultime chance à ses embryons congelés. Elle me sollicite pour l’échographie préalable.

Elle m’amène son père âgé en consultation. Au passage, elle me parle de son fils et me décrit les symptômes d’une bouffée délirante en train d’éclore. Je passe chez eux, j’explique que ce n’est plus d’homéopathie et de yoga qu’il a besoin, je lui demande si elle veut bien faire le certificat pour une hospitalisation en psy. Je la vois osciller entre la peur de l’inconnu et le soulagement d’un diagnostic.

Elle a quatre-vingt-quatre ans. Son fils unique et son petit-fils sont morts il y a quatre ans. Elle va doucement mieux et me raconte avec fierté qu’elle vient de repeindre ses volets.

Elle refuse tous les vaccins pour ses enfants depuis que le dernier a fait une réaction bizarre après un ROR. Elle veut les protéger, mais je pense qu’elle a tort. J’ai conscience de la violence que je lui inflige en insistant pour au moins le tétanos. Je sens sa peur derrière son acceptation.

Elle se dit que ses enfants, c’est la seule chose de bien qu’elle a réussi dans sa vie. Elle est dévorée par la honte de ne pas pouvoir acheter un ordinateur pour l’ado qu’il lui reste à la maison. Je lui propose d’essayer une psychothérapie pour retrouver un peu de confiance en elle.

Elle est mère et grand-mère et arrière-grand-mère. Ses douleurs, ça va beaucoup mieux depuis que son fils est à la retraite et qu’il passe du temps chez elle.

Elle a trente ans, cinquante ans ou quatre-vingts. Elle est mère, d’une fille ou, peut-être plus souvent, d’un fils. Elle me parle de ce lien si fort, si présent.

Ces drames, ces bonheurs, ce poids sur le cœur.

Il ne me semble pas avoir été un mauvais fils. Mais, de les entendre et de les voir en consultation, je crois que je pense un peu plus fréquemment à lui dire que je l’aime. À la mienne, de mère..

Anormale normalité

« – Allo Docteur ? Vous avez vu les résultats de ma prise de sang ?

– Oui, tout est bien, sinon je vous aurais téléphoné.

– Ah ? Mais pourtant il y a plusieurs petites étoiles. »

 

« – 145 de tension ?!? Mais ce n’est pas de trop ?

– Oh, ben non, pas vraiment. Toutes les autres fois, vous aviez 120 ou 130, on ne va pas s’affoler. »

 

La langue française est une belle langue. Mais elle contient son lot de pièges et de faux-amis. Surtout lorsque l’on mélange le langage commun et des vocabulaires spécifiques.

C’est le cas de la notion de « norme » et de « normale ».

Si vous avez déjà regardé une feuille de résultats de prise de sang, vous avez vu qu’il y a le résultat de l’analyse et, généralement, des « valeurs de référence » avec une borne inférieure et une borne supérieure (ou, parfois, seulement une des deux). Ce qui donne quelque chose du genre :

Glycémie : 1.05      (valeurs de référence 0.82 – 1.15)

Bien souvent, l’ordinateur du laboratoire inscrit en gras ou avec une petite * les résultats qui sont en-dehors de ces valeurs de référence.

Comment ces « valeurs de référence » sont-elles définies ? Et que signifient-elles ?

Prenons un exemple simple à comprendre. Quelle est la taille « normale » des hommes en France ? Comment la définir ?

En fait, c’est assez facile.

On va prendre au hasard 1 000 hommes a priori en bonne santé et on va les mesurer. Une fois que l’on aura reporté toutes les tailles, on va les mettre dans un tableau et on pourra même faire une courbe. Il y a de grandes chances que cette courbe ressemble à ça :

C’est ce qu’on appelle une « courbe de Gauss » ou « courbe normale » ou, plus prosaïquement, une « courbe en cloche ».

Si, parmi les lecteurs, il y en a pour qui la formule  évoque autre chose que de l’art abstrait, ils peuvent se reporter à l’article de Wikipedia pour approfondir la question.

On voit que, parmi ces 1 000 hommes, il y en a quelques uns qui sont vraiment petits, d’autres vraiment grands, et qu’il y en a un grand nombre autour de valeurs moyennes.

Bon. Et, donc c’est quoi la norme ?

Eh bien, par convention (et il est très important de comprendre qu’on parle d’une convention arbitraire), on va enlever les 2,5% les plus petits (par exemple qui mesurent moins de 1m65) et les 2,5% les plus grands (par exemple qui mesurent plus de 1m85) et on va dire que la « norme », ce sont les 95% qui sont entre ces deux bornes.

Voilà. Pour toutes les données biologiques, le raisonnement est le même et on aura toujours une courbe de répartition de ce type (plus « pointue » ou plus étalée selon qu’il s’agisse d’une valeur biologique plus ou moins finement régulée par l’organisme).

Ce raisonnement peut s’appliquer dans bien d’autres domaines d’ailleurs. En météorologie par exemple.

Et donc ?

Est-ce que cela signifie que si l’on mesure 1m64 ou 1m89, on est « anormal » ou, pire encore, « malade » ? Non, certainement pas. A la limite, on peut simplement dire que l’on est « hors norme ».

Si on est vraiment très loin de la norme, que l’on mesure 1m20 ou 2m10, c’est qu’il y a peut-être un problème.

Si l’on mesure 1m91 et que l’on a le crâne chauve, des canines qui dépassent et des oreilles pointues, il y a assurément un problème…

Mais, encore une fois, dans la majorité des cas, avoir simplement, de manière isolée, un chiffre légèrement en-dehors des « valeurs de référence » ne signifie rien de pathologique.

Mieux.

Par définition, la « norme » ce sont les 95% qui sont autour de la moyenne. A contrario, cela veut donc dire que, pour une valeur donnée, 5% des personnes en bonne santé sont « hors norme ».

Si l’on fait un bilan biologique à rallonge avec, par exemple, 30 ou 40 lignes de résultats, il est donc très probable que, par le seul jeu des statistiques, il y ait 2 ou 3 chiffres qui tombent en-dehors des clous. Par le seul fait du hasard et des probabilités.

Donc, non, quelques « * » sur votre résultat de prise de sang ne veulent pas dire que vous êtes malade.

Et c’est une nouvelle occasion de répéter que les bilans biologiques « pêche à la ligne » quand on ne sait pas vraiment ce qu’on cherche, c’est une mauvaise idée. Que c’est bien souvent ouvrir une boite de Pandore au fond de laquelle, plutôt que l’espérance, on ne trouvera que l’inquiétude inutile.

Dernier détail.

Il existe un phénomène que l’on appelle « régression à la moyenne ».

La plupart des valeurs biologiques présentent des fluctuations dans le temps. Il est très possible que, occasionnellement, elles « dépassent les bornes ». « 145 de tension ?!? Mais ce n’est pas de trop ? »



Il n’est en effet pas impossible que ce chiffre « anormal » soit annonciateur d’une vraie hypertension artérielle, que les chiffres suivants soient eux aussi pathologiques et qu’il faille démarrer un traitement.

Mais, statistiquement, le plus probable, c’est qu’il s’agisse d’une simple oscillation autour du « vrai chiffre » du patient qui est représenté par la moyenne de toutes les mesures. Il y a donc de grandes chances, dans cet exemple, que les valeurs suivantes soient à nouveau dans la zone normale :

… une « régression à la moyenne ».

Dans ce genre de situation, pas besoin de s’affoler. Plutôt que d’un médecin stressé et stressant qui va dégainer immédiatement un médicament avec ses possibles effets secondaires, il suffit généralement de laisser le temps faire son oeuvre.

C’est bien connu, le temps soigne beaucoup de choses.

Pas seulement les bleus à l’âme mais, bien souvent aussi, les anomalies biologiques.

Petite cérémonie

Deuxième entorse à ma ligne directrice « médicale », je souhaitais partager avec vous le texte de la cérémonie que nous avons organisée.

Nous avons voulu en effet marquer l’évènement et ne pas nous contenter d’une cérémonie à la va-vite. Lorsqu’il a été question d’en imaginer le déroulé, j’ai trouvé un cérémonial laïc qui nous a servi de trame. Nous l’avons ensuite adapté à notre manière.

Je le mets donc en ligne s’il peut servir de source d’inspiration à d’autres, homos ou hétéros.

***

Objets à prévoir :

  • Les anneaux nuptiaux ;
  • Un bouquet de fleurs ;
  • Une bougie : le réconfort et la chaleur ;
  • L’eau, le sel, le pain : la nourriture ;
  • Une bouteille de vin, ouvre-bouteille et gobelets ;
  • L’épi de blé : l’union entre les hommes ;
  • Le livre d’or.

DÉROULEMENT DE LA CÉRÉMONIE

B… et C… seront cachés en arrière de la scène.

Vers 16h, le Maître de Cérémonies et son assistant invitent le public à prendre place.

Lorsque l’assemblée est placée, le Maître de Cérémonies lance la première musique et invite les quatre témoins à partir chercher C… & B…

Pendant que les témoins reviennent avec B… & C…, le Maître de Cérémonie et son assistant débouchent la bouteille de vin et servent 8 gobelets.

Ils les offrent et trinquent avec C…, B… et les témoins le temps que la musique se termine et tout le monde prend place.

 

Musique : Petite messe solennelle – Juliette


 

Le Maître des Cérémonies :

C…, B…, parents et amis. C’est pour moi une grande joie de vous accueillir, au nom de tous les présents.

Je vais, au nom des Femmes et des Hommes procéder à la célébration de votre union.

Vous me direz que, pour ce qui est de la forme républicaine et civile, elle a déjà été consacrée devant notaire puisqu’en réalité, c’est la seule forme légale prévue au Code Civil de la République. Mais il n’est pas inutile de rappeler devant cette assemblée qui nous accompagnera tout au long de cet événement, qu’il s’y trouve des laïques et des croyants de diverses spiritualités qui croient aux vertus de Liberté, de Tolérance et de Fraternité inscrites dans les Lois de notre République, Une, Indivisible, Sociale et Laïque.

Chers B… et C…, vous avez été déclarés unis par les liens civils d’un PACS et cette démarche ne sera pas pour vous qu’une vaine formalité administrative à laquelle on se soumet dans une hâte distraite, comme à une chose dont on désire se débarrasser au plus vite, avant de passer aux affaires plus importantes.

Non, le choix de cette union civile est un évènement fondamental, et elle seule donne force et garantie de la Loi aux Devoirs, mais aussi aux Droits des compagnons à l’égard l’un de l’autre, tels qu’ils sont prévus par le Code Civil.

Toutefois, ces articles du Code Civil, dans leur froide précision, ne définissent que les dispositions légales, qui sont certes précieuses, mais qui ne font aucune référence aux liens affectifs, aux conduites dictées par le sentiment qui se trouvent à la base de l’union que vous avez contracté.

De ce point de vue, les textes légaux ne sont pas suffisants. Alors faisons place à cette cérémonie…

Musique : Housewife – J. Branan


 

Le Maître des Cérémonies :

La vraie aventure de vie, le défi clair et haut, n’est pas de fuir l’engagement mais de l’oser. Libre, n’est pas celui qui refuse de s’engager. Libre, est celui qui, ayant regardé en face la nature de l’amour, ses abîmes, ses passages à vide et ses jubilations, se met en marche, décidé à en vivre coûte que coûte l’odyssée.

Libre, est celui qui, sans refuser ni les écueils, ni le sublime, est prêt à perdre plus qu’il ne craignait pour gagner l’inestimable : La promesse tenue, l’engagement honoré dans la traversée sans feinte d’une vie de deux Hommes.

L’assistant du Maître des Cérémonies :

L’amour commence lorsque l’on préfère l’autre à soi-même, lorsque l’on accepte sa différence et le respect de sa liberté. Accepter que ses pensées soient habitées par d’autres présences que la nôtre, c’est vouloir, comme la plus haute preuve d’amour, que l’autre soit fidèle à lui-même.

Dans la plus amoureuse étreinte, c’est un être libre que nous étreignons, avec tous ses possibles, même ceux qui nous échappent.

Musique : Pas d’ami comme toi – S. Eicher


 

Le Maître des Cérémonies :

C… et B…, vous vous êtes choisis, déclarés destinés l’un à l’autre et capables de traverser la vie avec ses joies et ses épreuves. Vos regards rayonnent de confiance. Tous, nous partageons vos espoirs.

L’assistant du Maître des Cérémonies :

B… et C…, vous désirez prendre l’engagement de conformer votre vie de couple aux idéaux républicains et laïques, Nous vous demandons d’écouter toujours la voix de votre conscience et d’être contents partout, de tout et avec tout, si l’honneur n’y est pas contraire.

Le Maître des Cérémonies :

B… et C…, vous avez voulu que des personnes qui partagent vos idéaux, parents ou amis, soient les témoins privilégiés de votre engagement. Vous les avez choisies librement et en toute confiance.

C…, dis-nous qui sont tes témoins ?

C… : J’ai choisi pour témoins M… et F…

B…, dis-nous qui sont tes témoins ?

B… : J’ai choisi pour témoin Y… et O…

M…, F…, Y… et O…, veuillez vous lever. Vous engagez-vous à offrir à B… et C…, les conseils de votre expérience s’ils le désirent et à leur donner votre affection s’ils ont besoin de sympathie, de consolation ou de réconfort ?

Vous, M… / Y… / F… / O…, le promettez-vous ?

Les témoins

Vous pouvez vous asseoir.

J’invite maintenant celles et ceux qui le souhaitent à partager quelques textes et réflexions à votre intention et qui caractérisent votre engagement.

***

Lectures

Musique de fond : Legend of Zelda, Hyrule Symphony – BO


Le Maître des Cérémonies appelle à tour de rôle les assistants qui demandent la parole.

***

Le Maître des Cérémonies :

Vous vous aimez et en ce jour qui voit votre union, votre joie est profonde. Pour que cette joie demeure, soyez vigilants partout et toujours. Des événements de différentes natures vous attendent. Ce ne sont pas eux les maîtres de votre destin ; ils l’influencent, mais n’en décideront pas définitivement. Chaque homme est l’artisan de son bonheur. Veillez à ce que ces événements soient heureux et trouvez-y votre bonheur. Quant aux situations pénibles, faites en sorte que l’amour soit votre guide.

Si vous choisissez d’être parents, penchez-vous avec une bienveillance éclairée sur vos enfants, soyez attentifs, mais pensez aussi que tendresse n’est pas faiblesse, qu’amour n’est pas aveuglement, que compréhension n’est pas abdication. En tout être, dans celui de votre conjoint, dans celui de vos enfants, respectez la dignité de la personne humaine.

L’assistant du Maître des Cérémonies :

C…, B…, les propos que vous venez d’écouter ont éveillé chez vous, nous le souhaitons, une émotion certaine. Nous vous invitons à vous lever et à confirmer votre engagement.

Le Maître des Cérémonies :

B…, persistes-tu à réclamer de tous, au nom de vous deux, la reconnaissance de votre union ?

B… : oui

C…, persistes-tu à réclamer de tous, au nom de vous deux, la reconnaissance de votre union ?

C… : oui

En signe de libre acceptation de vos nouvelles responsabilités, je vous invite à vous passer mutuellement l’anneau au doigt.

Signe aux témoins qui détiennent les anneaux

C… :

B…, par cet anneau témoignage de mon amour, je promets de te respecter et de te protéger, de vivre avec toi dans la vérité, de te demeurer attaché dans les bons et les mauvais jours, dans la prospérité et la détresse, aussi longue que sera notre route.

B… :

C…, par cet anneau témoignage de mon amour, je promets de te respecter et de te protéger, de vivre avec toi dans la vérité, de te demeurer attaché dans les bons et les mauvais jours, dans la prospérité et la détresse, aussi longue que sera notre route.

Musique : Hymne à l’amour – E. Piaf


 

Le Maître des Cérémonies :

B… et C…, au terme de cette cérémonie si émouvante, j’ai l’immense plaisir, au nom de tous ici présents, de vous souhaiter nos vœux les plus chaleureux de bonheur et de prospérité. Gardez précieusement l’affection qui vous réunit. Veillez à ce qu’elle se précise et se renforce au cours de votre vie commune.

Nous restons convaincus que, guidés par la liberté de conscience qui est la vôtre, votre couple constituera un exemple enviable. Nous formons tous des vœux ardents pour qu’il en soit ainsi.

Toute cette festive assemblée est invitée à signer le livre d’or, témoignage de votre bonheur et à nous rejoindre pour le verre de l’amitié.

Tout le monde se lève et se dirige tranquillement vers le buffet pendant la musique finale :

Musique : Feeling Good – M. Bublé


Cadeau

Aujourd’hui, je me suis pacsé. Chez le notaire. Et samedi ce sera la grande fête.

Je n’avais pas l’intention d’en parler sur ce blog auquel je veux conserver son aspect strictement médical.

Mais il se trouve que j’ai un homme extraordinaire.

Il m’a offert hier soir un cadeau superbe et inattendu : le recueil de l’ensemble de mes billets de 2010  édités  sous la forme d’un petit livre tiré à 40 exemplaires.

Déjà ça, ce serait un joli cadeau.

Mais il y a tous les bonus merveilleux qu’il s’est donné  du mal pour regrouper. Et que d’autres se sont donné du mal à écrire et dessiner.

Martin Winckler en personne m’honore d’une préface.  – Attendez, je répète… – Martin Winckler a écrit une préface rien que pour moi !!!!!

Et plusieurs dessinateurs que nous admirons ont bien voulu illustrer mes billets. Vraiment, merci à  tous pour ce cadeau extraordinaire.

Il me reste à vous le faire partager.

La couverture est illustrée par l’ami Yann Wehrling. Merci pour ce très joli cadeau de Pacs. Une belle célébration pour presque 20 ans d’amitié :

Ensuite la préface de Maître Winckler :

« Vraiment moins seul

Soigner, c’est pas de la tarte.

D’abord, il faut écouter les autres nous raconter leur vie. En morceaux. Par bribes. Ce qu’ils veulent bien nous en raconter. Et ça n’est pas facile de dire qui on est. Soigner, c’est un travail d’interprète. La musique, c’est le chant des patients.

Et puis, il faut les regarder. Enfin, regarder ce qu’ils veulent bien nous montrer. Et c’est pas facile de se mettre à poil devant un étranger. Soigner, c’est un travail de photographe. Les paysages, c’est le corps des patients.

Après, il faut répondre aux questions. Explicites ou implicites. Et donc, parfois, deviner. Soigner, c’est un travail de détective. Le mystère, souvent, même le patient ne le connaît pas.

Autant dire que ça ne se fait pas comme ça.

C’est long, c’est lent, on avance dans le brouillard et on trébuche sans cesse alors qu’on est censé tenir la lampe.

Eh bien, ce boulot pas simple, il y a des gens qui le choisissent. Et, qui plus est, qui choisissent de faire ce qu’il y a de plus difficile :non seulement ils vont soigner, mais ils vont vivre au milieu des gens qu’ils soignent. Dans un village. Et leur adresse est la même que celle de tout le monde : « Le Bourg ».

Ils sont fous, ou quoi, ces types-là (ici, le mot « type » est un terme générique non sexiste. Comme en anglais le mot « guy », qui s’applique aussi bien aux femmes qu’aux hommes) ?

Qu’est-ce qui leur prend de vivre la vie des gens, au beau milieu d’eux, et de se mettre à écouter toutes leurs misères ? Qu’est-ce qui leur prend de s’exposer de plein fouet aux injustices, aux abus de pouvoir, au mépris que les habitants du Bourg, peu ou prou, subissent – et particulièrement quand ils sont malades – de la part de leur famille, de leur médecin maltraitant, de leur maison de retraite, de l’administration ? Qu’est-ce qui leur prend de vouloir jouer les redresseurs de torts avec les enfants qu’on ne veut pas vacciner et les prescripteurs de chat aux vieillards qui souffrent ? Ils sont fous, ou quoi ?

Là, la réponse est délicate. Peut-être. Et peut-être pas.

Et la question qui vient ensuite c’est : « Et d’ailleurs, s’ils sont pas fous comment font-ils pour tenir le coup ? »

Et là, la réponse est simple. Ils écrivent. Jaddo, Scarabée la Carabine, le Fils du Dr Sachs, Borée. Ils écrivent et ils donnent à lire.

Ah oui ? Mais ça sert à quoi, d’écrire ? Ça change rien à la vie des gens, ça fait pas avancer le schmilblic. C’est juste un peu de masturbation intellectuelle pour celui ou celle qui le fait. Et pour un qui a la chance de se faire publier un jour, combien y en-a-t-il qui restent dans le silence à accumuler les carnets noircis ?

Oui, certes. On peut voir les choses comme ça. Mais quand même. « A quoi ça sert d’écrire ? » Mmmhh. Ça sert. C’est pas facile de dire à quoi, exactement, parce que ça sert à beaucoup de choses. Et d’abord, à tenir le coup. À ne pas y rester, dans le silence. Parce que, même si on n’est pas beaucoup lu, on est lu, quand même. Surtout aujourd’hui, avec les blogs. Il n’y avait pas de blog, en 1992 quand j’écrivais mon bouquin. Et encore moins en 1983, quand j’exerçais dans le Bourg. J’écrivais sur des cahiers (pour l’ordinateur, il m’a fallu attendre cinq ans). Et je le tapais à la machine moi-même ensuite. Je donnais des trucs à taper (de la doc pour les patients) à ma secrétaire, mais je n’aurais jamais osé lui faire lire ce que j’écrivais sur les patients. Question de discrétion, vous comprenez.

La beauté du blog, c’est que c’est un cahier accessible à toutes et à tous, en toute discrétion. Un cahier dans lequel on peut exploser.

« Ah, oui, c’est ça, ça défoule. Et alors ? A quoi bon ? »

Je n’ai pas de réponse à ça, parce que ça dépend des situations. On sait à peu près à quoi ça sert pour soi : on n’est pas pareil quand on peut écrire, quand on peut maîtriser un semblant de petit peu ce qu’on a vu ou ressenti. On se sent moins… plus… Enfin, on se sent et on tolère de se sentir. On arrive à se sentir, et à se regarder dans la glace le matin. Et, parfois, on voit que ça sert aussi à quelqu’un d’autre. Aux habitants du Bourg, bien sûr, qui ne nous regardent plus de la même manière quand ils voient qu’on les regarde autrement, qu’on subit moins vivement leur malheur. Qu’on est plus présent, moins à vif, plus rassurant. Parce qu’écrire, au fond, ça nous rassure. Entre autres bienfaits. Et ils le sentent, même s’ils ne nous lisent pas.

Et puis, ça sert aux autres folles, aux autres fous. Si, si, je vous assure. D’ailleurs, Borée, le Fils du Dr Sachs, Jaddo, Scarabée la Carabine, je suis sûr qu’ils s’entrelisent, ça leur permet de pas s’enliser, ça leur fait du bien. Ils se sentent moins seuls, vraiment moins seuls. Et ça, c’est vraiment pas rien.

Je me souviens du jour où je me suis senti vraiment moins seul.

J’étais assis à une table de librairie derrière une pile de bouquins. C’était un roman. Il racontait sensiblement les mêmes choses que le blog de Borée. Il venait de sortir, quelques semaines plus tôt. Personne n’en avait entendu parler, ou presque. Enfin, si, il y avait eu  cinq minutes à France Inter, au journal, quinze jours plus tôt.

Bref, je signais aux deux ou trois copains qui étaient venus (la librairie se trouvait en ville, pas loin du Bourg où j’avais exercé) et je vois entrer trois personnes. Une jeune femme d’une trentaine d’années et un couple qui avait l’air d’être ses parents. Elle vient vers moi, souriante, elle me tend un bouquin tout fatigué, un bouquin identique à ceux de la pile, et elle me dit : « Je l’ai déjà lu, je vous ai entendu à la radio pendant que je faisais une visite à domicile, je suis allé l’acheter et je l’ai lu tout de suite. Voulez-vous me le signer ? »

Ravi (bien sûr), je me mets à écrire de ma belle plume sur la page de garde du bouquin et je la vois qui en prend un autre et qui attend. Quand j’ai terminé, elle me tend le deuxième bouquin et elle dit : « Celui-ci, c’est pour mes parents. Je leur ai prêté le mien mais je tiens à ce qu’ils aient le leur. »

Je me penche sur le deuxième volume, et je l’entends faire un petit bruit d’inspiration, comme les gens du Bourg qui, juste avant de se lever, hésitent à dire la chose qu’ils retiennent depuis qu’ils sont entrés. Je lève la tête.

« … Je peux vous raconter quelque chose ? »

Je lui fais un sourire grand format et avant que j’aie pu ouvrir la bouche, bien sûr, elle se lance :

« J’étais interne, je me spécialisais. On m’a proposé des remplacements dans le cabinet privé d’un des assistants du service. Et la première fois que j’ai fait un remplacement, je me suis dit : ‘Je ne veux pas faire ça. Je ne veux pas voir des gens qui se ressemblent tous entrer pour me parler toujours des mêmes problèmes. Je vais étouffer. Je vais mourir.’ Alors, j’ai décidé de faire de la médecine générale. Mes parents (elle se tourne vers eux) n’ont pas compris. Ils pensaient que j’allais être spécialiste et avoir un beau bureau en ville ou à l’hôpital, que je finirais mes consultations le soir, que je ne serais jamais obligée de travailler le dimanche et les jours fériés. Ils m’ont dit ‘C’est vraiment ça que tu veux, ma fille, vivre au milieu des gens, aller les voir chez eux, entrer dans leur cuisine et leur chambre à coucher, les recevoir à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ?’ Et j’ai répondu ‘Oui, c’est ça que je veux.’ Et bien sûr, ils ne comprenaient pas. »

Et là, elle regarde sa mère qui, en souriant, me dit : « C’est vrai, je ne comprenais pas. Et puis, il y a quelques jours (elle désigne le bouquin) elle m’a fait lire le Blog de Borée, et j’ai compris. »

Quoi ? Un lapsus calami? Pas du tout!

Un bouquin, un blog, c’est pareil.

C’est pas la forme, ni la date, ni même l’auteur qui compte.

C’est le cœur.

Martin Winckler »

Voici enfin, dans l’ordre, les dessins illustrant des billets :

Mon amie Gélule a illustré le billet « Ça glisse, Alice ! ». Rien d’étonnant de la part d’une autre militante d’une médecine moderne et respectueuse des femmes.

La dessinatrice professionnelle, Laurel, m’a carrément gratifié de deux dessins pour illustrer les aventures de René  dans « Chacun cherche… » et dans « Décalage ».

Derek a illustré  « Y’a pas de miracles (contrepoint) ». Merci, vraiment. J’espère, autant pour moi que pour tous les internautes, que tu retrouveras du temps pour ton blog.

Camomille a choisi d’illustrer « Expectative ». C’est vraiment très gentil de ta part. Allez visiter son blog dont j’adore l’ambiance pharmaceutico-poético-geek !

Maître Boulet a pris sa plume pour « Tous les chemins mènent au Blog ». Quel honneur ! Je sais que je vais faire bien des jaloux(ses).

Et, last but not least, David Gilson a accepté  d’illustrer « Venez donc avec ! ». Je ne crois pas que ce soit rabaisser les autres de dire que j’ai une affection toute particulière pour ce dessin, tant à cause de l’histoire que du contexte. Ce dessin tendre et drôle restera certainement gravé comme le symbole de cette étape de ma vie.

Voilà. Encore merci à tous. Je sais combien le temps est rare et précieux. Merci à tous ces artistes de nous en avoir offert avec talent.

Merci surtout, au final, à  mon homme. Je t’aime.

Modèle parental

Bien souvent, les parents servent de modèles. De manière choisie ou bien subie. « Mes parents ont toujours fait ce qu’il fallait pour qu’on ne manque de rien, pour mes enfants à moi, ce sera pareil. » « Vous voyez, Docteur, dans la famille, tout le monde est nerveux. Ma mère était ner-veuuuse ! Alors, forcément… moi… »

Elle a soixante-cinq ans.

Je la vois tous les trois mois pour renouveler son traitement. Elle me répète souvent qu’elle ne veut pas trop d’examens complémentaires. Ça me va plutôt bien. Je limite les explorations à ce qui est nécessaire et, du coup, elle les fait avec assiduité. Comme la bonne élève qu’elle est.

Elle me parle un peu de ses enfants. Et de sa mère qui a une maladie d’Alzheimer et qu’elle garde chez elle. Comme elles habitent un peu loin du cabinet, c’est un autre confrère qui vient s’en occuper à domicile. Je ne l’ai jamais vue.

Toujours très élégante, bien maquillée, des bijoux. Elle parle d’une manière distinguée que ne laissent présager ni son nom ni son prénom. « Paulette Bidochon », on ne s’attend pas vraiment à ce qu’elle articule en arrondissant la bouche.

Et elle est mince. Vraiment mince. En matière médicale, elle s’approche de la maigreur.

Depuis trois ans que je la connais, son poids n’a quasiment pas varié. Cinquante-sept kilos au plus haut, cinquante-quatre au plus bas. Aujourd’hui, c’était cinquante-cinq.

Cela fait longtemps qu’elle a une alimentation très frugale à laquelle elle est habituée.

Elle me répète à chaque fois combien ce poids est important et pourquoi.

« Si vous connaissiez ma mère. Elle a toujours été énorme ! Toujours. Je me suis juré que je ne serai jamais comme elle. Jamais ! »

Positifs ou non. Tournés vers l’avenir ou enkystés dans le passé. Guides ou repoussoirs. Dans tous les cas, les modèles et contre-modèles représentés par nos parents sont des moteurs extrêmement puissants.

P.S. Désolé pour ce long silence. Ce n’est pas l’inspiration qui me manque mais le temps de me poser pour mettre mes idées en mots. Dans ma région touristique, l’été est une période de forte activité (autant que lors des épidémies hivernales) et j’ai une actualité personnelle un peu bousculée.
Promis, je serai plus régulier lorsque l’automne arrivera.

Anticipation

Site DMP.gouv.fr – 5 juin 2011

Outil de coordination des soins, le DMP (Dossier Médical Personnel) est un service public proposé gratuitement à tous les bénéficiaires de l’assurance maladie. Il est mis en place par l’ASIP Santé (Agence des systèmes d’information partagés de santé), placée sous l’égide du ministère en charge de la santé.

Le DMP est un service vous permettant d’accéder simplement et rapidement, en toute sécurité, aux données de santé et aux informations pertinentes pour la prise en charge de votre patient.

Le DMP enrichit le dialogue avec votre patient : il vous permet d’accéder simplement et rapidement aux informations qui le concernent, tout en respectant le secret professionnel.

Si vous prenez en charge un patient en situation d’urgence, vous pouvez accéder directement à son DMP sans avoir à obtenir son accord. Il s’agit dans ce cas de la fonction « bris de glace ». Cette possibilité offre une aide concrète au diagnostic en situation d’urgence.

Le patient garde à tout moment la possibilité de le fermer, de supprimer tout ou partie des documents qu’il contient, ou de masquer certaines données de santé. De ce point de vue, le DMP, qui est à la fois personnel et partagé, est conforme aux droits des patients qui posent comme principes l’information, le consentement et la confidentialité. Il est strictement réservé au patient et aux professionnels de santé autorisés.

Libération – 21 décembre 2016

Dossier Médical Personnel et candidats à l’embauche : la Cour européenne saisie

Olivier Bloch a annoncé qu’il allait saisir la Cour européenne des droits de l’Homme suite au rejet de sa plainte par la Cour de Cassation. En effet, celle-ci a estimé qu’il n’était pas illégal de la part d’un employeur de demander aux candidats à l’embauche à ce que le médecin du travail puisse avoir accès à leur DMP (Dossier Médical Personnel) « dès lors qu’il existe des raisons sérieuses à s’assurer de la santé des candidats à l’embauche au regard des risques inhérents aux postes de travail brigués. » Par ailleurs, la cour a insisté sur le fait que l’accès au DMP par le médecin du travail « n’avait pas de caractère obligatoire et que le candidat était libre d’en refuser l’accès. »

Elle a ainsi rejeté les arguments de l’avocat de M. Bloch qui estimait que « cette liberté est virtuelle sur un marché du travail aussi déséquilibré, où le taux croissant du chômage place les prétendants à l’embauche dans une situation de fragilité et où un tel refus implique automatiquement de renoncer au poste envisagé. »

Google News– 16 mai 2017

Drame de Touleaux : plus jamais ça !

À la suite du drame de Touleaux survenu la semaine dernière, au cours duquel un déséquilibré a parcouru la ville en tirant au hasard occasionnant la mort de onze personnes, dont une fillette de six ans et son frère de neuf ans, le Président de la République, tout juste élu, a fait une déclaration dans laquelle il dit partager l’émotion et le sentiment d’horreur de la population. Il a annoncé que toutes les mesures nécessaires seraient prises pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise. Sans attendre, il a interpellé la Ministre de la Santé, lui enjoignant de se saisir des questions concernant les informations figurant sur le DMP (Dossier Médical Personnel).

L’enquête de police a en effet révélé que le déséquilibré avait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique pour des accès délirants en lien avec une schizophrénie. Il avait demandé à son médecin traitant officiel, comme la loi l’y autorisait, à supprimer ces données de son DMP. Profitant des vacances de ce généraliste, il avait consulté un autre praticien pour obtenir sa licence de tir sportif, sans le tenir avisé de ses lourds antécédents. Le Premier Ministre s’est rendu sur place pour présenter ses condoléances aux familles des victimes. Aux parents des deux enfants tués, il a déclaré que le gouvernement allait abroger cette possibilité de dissimulation d’informations médicales essentielles. « Plus jamais ça » a-t-il conclu.

Le Quotidien Médical – 30 janvier 2022

Des puces RFID pour le DMP ?

Le Quotidien a rencontré M. Henry Forster, PDG de la société Soma inc. qui est en cours de discussion avec l’Assurance Maladie afin de présenter son nouveau dispositif  de DMUP (Dossier Médical Ultra-Personnel).

Le Quotidien : En quoi consiste cette nouvelle technologie ?

H. Forster : Il s’agit d’une micropuce RFID ou transpondeur que nous proposons d’implanter directement sous la peau des patients et qui reprend l’ensemble des informations existantes sur le classique et, disons-le, un peu obsolète DMP. Les données peuvent être décryptées de manière automatique grâce à des lecteurs placés à quelques dizaines de centimètres de la personne.

L’implantation se fait à l’aide d’une aiguille à peine plus grosse que celle utilisée pour une injection intramusculaire. Grâce à un patch anesthésiant, le processus est totalement indolore. Ce transpondeur est tellement petit qu’il ne provoque aucune gêne : les patients l’oublient totalement.

Le Quotidien : Quel est l’intérêt de ce nouveau dispositif ?

H. Forster : Le DMP classique ne répond plus aux exigences actuelles. Trop souvent, les gens n’ont pas leur Carte VitalePlus sur eux et il n’est pas possible pour les médecins d’accéder à des informations pourtant cruciales. C’est tout particulièrement vrai dans le cadre de l’urgence. Des vies pourraient être sauvées si les secouristes pouvaient obtenir sans délai les données médicales des patients ! D’après nos estimations, ce ne sont pas moins de mille deux cents décès qui pourraient ainsi être évités chaque année grâce à ce dispositif. Nous devons tout faire pour prévenir de tels drames.

Le Fig Online – 24 août 2033

Le DMUP bientôt obligatoire

Le gouvernement a annoncé qu’il avait opté pour la procédure d’urgence afin d’adopter la proposition de loi cosignée par deux députés de la Droite Populaire et Nationale. Cette proposition vise à priver de droits sociaux les assurés refusant l’implantation d’un DMUP (Dossier Médical UltraPersonnel). Malgré les larges mesures de délégation aux assureurs privés, le déficit de la Sécurité Sociale a battu un nouveau record cette année. La députée du Var, Marinelle Luca a mis en avant le « coût faramineux, estimé à 800 millions de NéoFrancs , que représentent les examens inutiles et redondants dont profitent les assurés qui refusent l’implantation d’un DMUP. Un effort que la collectivité ne peut plus supporter. » Quant au député du Rhône, Christian Vannisch, il a insisté sur « les 150 millions de NéoFrancs que coûtent à la solidarité nationale les immigrés illégaux qui profitent des possibilités de fraude » offertes par le traditionnel DMP, avant d’ajouter « Il est temps pour certains d’assumer les conséquences financières de leur égoïsme. »

Le chef parlementaire de l’opposition, Arnaud Zay, s’est élevé contre cette « attaque sans précédent envers les libertés fondamentales » et a reproché au gouvernement de « profiter de la torpeur estivale pour mettre un nouveau coup de boutoir aux fondements de notre société. »

Fox News France – 10 novembre 2038

Un nouveau réseau « d’effaceurs » démantelé dans le Gers

La Police Nationale vient de procéder à l’arrestation de deux médecins et d’un informaticien qui étaient à la tête d’un important réseau « d’effaceurs » basé dans le Sud-Ouest. Les Drs Gras et Fantou effectuaient l’ablation des DMUP avant d’implanter des transpondeurs trafiqués par l’informaticien de la bande. Le réseau, qui semble avoir agi pour des motifs idéologiques, était essentiellement fréquenté par des immigrés clandestins et des rebelles de l’ultra-gauche, membres du groupuscule « Droit à l’oubli ». Le directeur de la Police Nationale a confirmé que des ordinateurs ont été saisis. Ceci devrait permettre de remonter jusqu’à des femmes qui ont pu ainsi faire disparaître de leurs données personnelles les avortements qu’elle avaient pratiqué à l’époque où ceci était encore autorisé et à des toxicomanes qui avaient suivi de soi-disant traitements de substitution.

Ne manquez pas les images de l’arrestation dans notre édition de 20 heures avec George O’Brien.

***

Seul le premier paragraphe est authentique. Le reste ne constitue qu’un exercice de pure fiction.

Toute ressemblance avec des faits ou des personnes réels n’est cependant pas vraiment fortuite.

Pour illustrer ce billet, j’ai choisi l’affiche du film « Bienvenue à Gattaca ». Il figure dans ma top-liste cinématographique. Je ne peux qu’encourager celles et ceux qui ne le connaissent pas à le visionner. Ils comprendront certainement pourquoi je ne suis pas prêt d’alimenter le DMP de mes patients au-delà des allergies et du groupe sanguin.

Tous mes patients « lourds » disposent de la version papier de leur dossier médical. Je l’actualise une à deux fois par an et je leur demande de la garder avec eux au cas où ils auraient un problème en mon absence.

Je conclurai en reprenant la citation mise en exergue par le blog Police :

« Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre. »
Thomas Jefferson

***

Edition du 17/06 – 0h20

Je voulais développer quelques arguments suite à certains commentaires. Ma réponse prenant du volume, il m’a semblé plus judicieux d’en faire un post-scriptum.

J’ai choisi de m’attaquer à l’un des questionnements éthiques soulevés par la question du DMP.

Il existe aussi une multitude d’arguments très pragmatiques qui pourraient être mis en avant. L’aspect usine à gaz, la fiabilité technique, l’implication et la motivation des professionnels de soins, etc… mais d’autres en ont déjà parlé bien mieux que moi.

Bien sûr qu’il est déjà faisable, pour qui le veut vraiment, de connaître les données médicales d’autrui. Le site Ameli offre déjà des possibilités. Mon cabinet n’est pas très dur à cambrioler. Les barbouzes ont toujours existé.

Mais ceci n’a rien à voir avec un fichier centralisé, détaillé, complet et sans limites de temps.

On peut penser que j’ai tort, même si j’aurais tendance à considérer que l’évolution de nos sociétés depuis 20 ans va dans ce sens : on peut imaginer des tas de protections, garanties et limitations aujourd’hui. Je veux bien croire, en effet, en la bonne foi de la majorité des décideurs ou techniciens actuels.

Mais je n’ai guère confiance pour l’avenir. Je suis convaincu que, progressivement, au gré de faits divers et des bouffées émotionnelles de l’opinion, ces barrières sauteront. Les unes après les autres. Et je trouve bien aventureux de se doter d’outils qui pourraient aussi aisément être détournés en tablant sur l’honnêteté, l’intégrité et le caractère démocratique de nos sociétés pour les cent ans à venir.

Bien sûr, ces problèmes existent déjà largement ailleurs et c’est un inquiétant phénomène global. Les banques, les administrations, Facebook nous ont largement devancé. En revanche, dans ce cas précis, ce sont les médecins généralistes qui seront les chevilles ouvrières du dispositif.

Sur le reste, je n’ai pas plus de prise que n’importe quel citoyen. Mais là-dessus, oui, je peux agir à mon petit niveau.

En ce qui concerne le fond : qu’il y ait des problèmes de communication dans notre système de santé, bien sûr !

Mais plutôt qu’un problème technique, c’est une affaire de volonté. Et de moyens.

Mes patients me rapportent fréquemment l’étonnement de certains correspondants, anesthésistes compris, face à mes courriers longs et détaillés reprenant l’ensemble des antécédents et des traitements, quelques données importantes et les derniers bilans biologiques. Le mérite est relatif : la plupart des logiciels médicaux permettent de faire ceci simplement et rapidement.

Mais ça prend quand même un peu de temps.

Comme il prend du temps le fait d’alimenter son propre dossier, de le tenir à jour, de vérifier que les données y sont et qu’elles sont actualisées.

Comme il prend du temps d’appeler les confrères pour récupérer les lettres qui se sont égarées où qu’ils n’ont pas pris le temps de faire.

Et, je l’ai déjà exprimé, on sait que notre système ne rémunère pas la qualité et surtout pas la qualité qui prend du temps. Pas étonnant que la communication se fasse mal.

Peut-être qu’avant d’imaginer que la déesse Technologie va nous apporter la solution là où la responsabilité individuelle ne suffit pas toujours, on pourrait imaginer d’autres pistes, simples, pragmatiques. Sans même pousser le raisonnement aussi loin que Philippe Ameline le propose dans ses commentaires ci-dessous (et son analyse est très intéressante).

Pourquoi ne pas imaginer une rémunération de quelques euros pour chaque lettre rédigée sous condition qu’elle renferme certaines informations impératives (antécédents, traitement avec les posologies complètes, allergies…) ?

Aujourd’hui, la Sécurité sociale offre une humiliante prime de 4 euros pour une « consultation annuelle approfondie » pour nos patients en Affection de Longue Durée avec remise d’un document de synthèse.

Pourquoi le réserver aux patients en ALD ? Croit-on sérieusement qu’il y a beaucoup de médecins pour produire un dossier de synthèse sérieux pour une somme aussi ridicule ?

Que l’on rémunère convenablement la qualité. Que l’on valorise sérieusement l’indispensable travail de coordination. Eventuellement, que l’on sanctionne ceux qui travaillent comme des porcs en faisant courir des risques à leurs patients.

Mais que l’on ne me fasse pas croire que la technologie pourrait à moindre coût combler ces défaillances.

Tellement de risques pour si peu de bénéfices.

Il est drôle (pas tellement en fait) de voir certains parmi les commentateurs reprendre très précisément le raisonnement que j’ai caricaturé dans le billet. Il sera TOUJOURS possible d’imaginer des situations, en effet parfois dramatiques, qu’on aurait, peut-être, éventuellement, pu éviter avec un dispositif de type DMP.

Dans un premier temps, il faudrait démontrer que la réalité verrait s’accomplir les promesses faites sur le papier. On peut avoir quelques doutes.

Mais surtout, se pose la question, beaucoup plus large, déjà entraperçue dans Mauvais Sang, de la capacité à vivre le risque qu’ont encore, ou pas, notre société et les individus qui la composent.

L’actualité nous fournit sans cesse de nouveaux exemples. Parce qu’il y a un violeur sur cent qui récidive après sa peine (et il y en aura toujours, l’un ou l’autre, c’est aussi imprévisible qu’inévitable), faut-il laisser les 99 autres enfermés jusqu’à leur mort ?

Jusqu’où est-on prêt à aller dans la remise en cause de certaines valeurs fondamentales dans le but (chimérique ?) d’éliminer tout risque ?