L’examen « à l’anglaise » – et autres mises au point gynécologiques

Je vous avais déjà raconté la première fois que j’avais fait un examen gynécologique en « position anglaise » (ou en « décubitus latéral ») en m’étant inspiré de ce qu’avait dit Martin Winckler dans Le Choeur des Femmes.

Je vous avais dit aussi que j’avais fini par me remettre à la position classique après quelques essais un peu lamentables.

Mais, comme annoncé, je suis allé passer une journée auprès d’un ami gynécologue qui, depuis qu’il a lui aussi lu ce livre, ne travaille pratiquement plus que de cette manière.

Merci à lui de m’avoir accueilli à ses côtés, et à ses patientes d’avoir accepté ma présence.

En fait, c’est super facile !

Je me suis donc décidé à faire le billet que j’aurais aimé trouver après avoir refermé Le Choeur des Femmes.

Plus précisément, ce billet a pour objet d’aborder trois choses différentes mais qui se rejoignent :

l’examen gynécologique en décubitus latéral

la pose de DIU selon la technique « directe »

l’utilisation (ou non) d’une pince de Pozzi.

 

***

L’examen gynécologique

en décubitus latéral

(« à l’anglaise »)

En réalité, la position que je vais décrire n’est pas exactement celle qu’évoque Martin Winckler.

Comme il l’avait expliqué, j’avais fait des essais en demandant à la patiente de se coucher sur le côté et en remontant les deux genoux vers le torse (en « chien de fusil »). Ce n’est pas forcément très pratique pour le médecin et ce n’est pas le plus confortable pour la patiente.

La position que je vous propose est donc la suivante : la patiente s’allonge sur le côté, la jambe qui est au contact de la table d’examen reste étendue et seule l’autre vient se replier (un peu plus haut que dans la PLS).

Cette position est plus stable, plus confortable pour la patiente et probablement moins gênante (la patiente a moins l’impression de nous « tendre les fesses ») que celle décrite dans Le Choeur des Femmes.

On obtient donc quelque chose dans ce style :

Pour le médecin, on est bien sûr un peu moins à l’aise que dans la position classique : il faut rester debout, sur le côté de la table d’examen, derrière les cuisses de la patiente. Et se pencher un peu.

Une table qui peut monter assez haut vous rendra les choses moins acrobatiques. Pensez également à la qualité de l’éclairage (une bonne frontale à LED achetée dans un magasin de sport fait très bien l’affaire).

Un médecin droitier sera probablement un peu plus à l’aise avec une patiente allongée sur le côté gauche et inversement. Mais je l’ai fait dans les deux sens et ce n’est pas très différent.

Idéalement, on peut recouvrir la partie inférieure du corps par un drap et n’écarter que ce qui est strictement nécessaire. La gestion du linge n’est cependant pas très facile en cabinet de ville et un morceau de drap d’examen en papier fait un honorable pis-aller.

D’une main, on va alors soulever la fesse et la grande lèvre supérieures pour dégager la vulve et introduire le spéculum avec l’autre main.

(Si vous avez du mal à visualiser la position du médecin, imaginez que vous entrebâillez un coffre et que vous vous penchez pour voir le trésor, tout en maintenant le couvercle de votre main gauche.)

Après avoir lubrifié le spéculum bien sûr mais, ça, vous le savez.

Ce qui avait rendu mes premiers essais assez lamentables, c’est que je cherchais à aller beaucoup trop vers l’arrière.

En fait, le spéculum doit venir s’appuyer sur la fourchette postérieure (qui est peu sensible) et se diriger, en gros, selon l’axe du corps.

Comme dans la position classique, on fait pivoter le spéculum à mi course avant d’ouvrir les valves.

(Sur ce dessin, le speculum est figuré dans la position où il est présenté à la vulve. En même temps qu’on le pousse vers l’intérieur, on fait pivoter le manche vers les fesses.)

Je ne sais pas si j’ai eu de la chance ou si c’est lié à la position mais je n’ai pas galéré une seule fois de la journée pour que le col vienne gentiment se caler entre mes deux lames de spéculum.

Voilà, c’est fait ! A ce stade, vous pouvez déjà faire un frottis.

***

La pose d’un DIU

par la méthode directe

Alors, déjà pour commencer, on va oublier le mot stérilet qui est un vilain archaïsme franco-français qui sert juste à faire peur aux femmes. Nous utiliserons donc l’acronyme DIU (Dispositif Intra-Utérin) qui n’est pas le plus facile à prononcer mais qui correspond à un usage international et qui est beaucoup plus neutre.

En France, et tout particulièrement dans le domaine de la gynécologie, on se dit souvent que si c’est compliqué et, si possible, douloureux, c’est sûrement mieux.

Donc, pour poser un DIU, je faisais comme j’avais appris consciencieusement : pose d’une Pozzi (j’y reviendrai), hystéromètre pour mesurer la profondeur utérine, réglage de la bague du DIU, je mets le tube inserteur (quand il n’y a pas un spasme à cause du passage de l’hystéromètre…), je recule le tube en maintenant le poussoir, je repousse le tout, je retire le poussoir, je retire le tube.

Et, bien souvent, je me plante sur une étape.

A la décharge des médecins, il faut bien reconnaître que c’est le protocole qui est décrit de cette manière dans les notices officielles des DIU.

J’avais déjà entendu parler de la technique de pose directe, également appelée, de manière plus martiale, « technique de la torpille » (chez BlueGyn, par exemple). A ma connaissance, elle est très peu connue et utilisée en France.

Et pourtant, elle est super simple.

Pour commencer, on va introduire un hystéromètre le plus fin possible. On ne le pousse pas à fond, le but n’est absolument pas de mesurer la profondeur utérine mais uniquement de déterminer l’axe du col.

Quand j’avais lu ça, ça me paraissait un peu mystérieux : ne vous laissez pas impressionner. Il suffit de pousser délicatement l’hystéromètre et de le lâcher une fois qu’il a passé le col pour voir la direction qu’il prend naturellement.

(Petit détail technique : je vous recommande fortement l’hystéromètre souple CH10 de CCD. Il est très effilé et, bizarrement, nettement plus fin que d’autres hystéromètres également notés « CH10 » : le CCD fait 2 mm à son bout et 3 mm au plus large, au lieu de 4 mm pour un « CH10 Prince Medical », par exemple. Ça ne paraît pas grand chose mais ça fait une section 40% plus petite.)

On ressort l’hystéromètre et on va alors présenter le DIU au niveau du col. On se fout totalement du réglage de la bague qui sert simplement à repérer l’axe des ailettes.

Il suffit ensuite de pousser le tube inserteur jusqu’à l’isthme du col en suivant la direction qu’on avait repérée.

Là aussi, avant de le faire sous le regard bienveillant de mon formateur, je me demandais si j’allais savoir repérer cet « isthme ».

En fait, c’est en gros quand on sent une légère résistance à environ 2 ou 3 cm de l’entrée du col. Pareil : ne vous laissez pas angoisser, d’autant plus que, avec cette technique, on n’est pas à 4 ou 5 mm près.

Une fois qu’on y est, il suffit de pousser à fond le poussoir, tranquillement mais fermement. Le DIU va alors se positionner tout seul dans la cavité utérine en ouvrant ses ailettes.

C’est tout doux. Il est presque impossible de se louper, sauf anomalie anatomique ou si l’on a mal repéré l’axe du col.

On ne doit normalement presque pas faire mal. Si c’est vraiment douloureux, c’est généralement qu’on n’a pas poussé le tube inserteur assez loin et que l’on essaie de libérer le DIU dans l’isthme du col. Il suffit alors généralement de le remettre dans l’inserteur et de réessayer.

Pour le fun, vous pouvez aller voir la petite animation qu’a faite BlueGyn.

Au fait, un petit scoop : l’efficacité du DIU reposant sur un mécanisme chimique (cuivre) ou hormonal (Mirena©), on se moque totalement de sa position. S’il est « de travers » ou « pas bien au fond », il marchera tout aussi bien !

Ceci dit, on a aussi le droit de rester raisonnable : si vous n’arrivez pas à poser le DIU chez une patiente en décubitus latéral, n’hésitez pas non plus à la faire repasser en position classique où l’on a tout de même des repères plus simple et une visibilité meilleure.

***

Pince de Pozzi

C’est un instrument que je ne montre jamais à mes patientes ! Il s’agit d’une pince très longue qui se termine par deux crocs qui permettent d’agripper fermement un organe. Elle a un côté très médiéval…

En gynécologie, elle sert généralement à attraper le col de l’utérus pour tirer dessus et redresser l’utérus lorsqu’il est coudé.

Le col de l’utérus est supposé être peu sensible. C’est plus ou moins vrai chez une femme qui a déjà accouché par voie basse. Ce n’est pas vrai du tout chez une nullipare.

Lorsque j’en posais, parfois en effet, la femme ne sentait rien. Parfois c’était tout de même assez sensible et ça générait un spasme du col qui m’empêchait de passer le DIU. C’est ce qui avait dû se produire chez Isabelle.

D’après Martin Winckler, l’utilisation d’une Pozzi n’est pas nécessaire pour poser un DIU.

Je dirais plutôt que, sauf aptitudes manuelles exceptionnelles, l’utilisation d’une Pozzi n’est généralement pas nécessaire.

Lors de ma journée, il a fallu l’utiliser une fois sur les sept poses de DIU.

Par contre, si on doit l’utiliser, il y a un seul endroit où l’on « a le droit » de la fixer parce que cette petite zone est, effectivement quasi-insensible.

C’est une petite zone ligamentaire située sur le versant externe de la « lèvre supérieure » du col. Si on a besoin d’utiliser une Pozzi pour tracter le col, il faut impérativement la positionner à cet endroit, parallèlement au bord du col.

(Sur le dessin, la patiente est, bien entendu, allongée sur le côté. La « lèvre supérieure » du col se trouve donc à droite. 😉 )

Mais, encore une fois, elle ne sera le plus souvent pas nécessaire.

***

Conclusion

On m’a déjà demandé s’il existait un registre des gynécologues ou des généralistes travaillant « à l’anglaise ». La réponse est non et, de toute manière, ces professionnels sont encore très rares.

Si vous êtes un médecin (ou une sage-femme) et que vous pratiquez des actes de gynécologie, j’espère que ce billet vous sera utile pour vous décider à franchir le pas. C’est beaucoup moins compliqué que ce que l’on imagine au premier abord.

Pour commencer, choisissez une patiente avec laquelle vous avez un bon contact et expliquez-lui le sens de la démarche. Elle sera certainement indulgente pour vos tâtonnements.

Si vous êtes une patiente, n’hésitez pas à imprimer ce texte (Ici en format PDF) et à le montrer à votre généraliste ou à votre gynécologue.

Peut-être  qu’il aura une réaction de rejet et qu’il refusera d’en discuter. Il fait peut-être partie de ces gynécologues qui vous demandent aussi de vous déshabiller intégralement pour faire un frottis et qui, globalement, n’ont pas un très grand respect pour leurs patientes. Voilà éventuellement l’occasion d’en changer.

Peut-être qu’il vous expliquera que, oui mais non, qu’il craint de ne pas réussir, qu’il est désolé mais qu’il préfère rester classique. Si vous vous sentez à l’aise et en confiance avec lui, gardez-le, ce n’est pas bien grave.

Mais peut-être aussi qu’il sera soulagé que vous ayez fait ce premier pas et qu’il sera heureux d’essayer de faire évoluer sa technique grâce à vous.

En médecine, nous sommes bien souvent amenés à pratiquer des gestes désagréables, douloureux ou qui heurtent la pudeur. Parfois, ces gestes sont indispensables.

Ces gestes incontournables, douloureux ou gênants, il y en a déjà bien assez. Il n’est vraiment pas nécessaire d’en rajouter quand on peut faire autrement.

***

Encore merci à Martin Winckler et à S. de se préoccuper du bien-être de leurs patientes et de partager leurs connaissances. Merci de m’avoir consacré du temps.
Un prêté pour un rendu : à mon tour de me faire passeur de savoir.
***
Edition du 19 mars
Martin Winckler vient de publier ce texte/manifeste sur son blog.
Il m’a paru être un parfait complément au présent billet.

La misère du monde

Je connaissais déjà un peu la famille Groseille.

Ils sont suivis par le Dr Nounours. Sauf le petit-fils dont je m’occupais officiellement.

La dernière fois que je l’avais vu c’était dans l’arrière-cuisine d’un restaurant. Il était venu y régler un compte et moi on m’avait appelé pour essayer de le calmer.
Il avait encore pété un plomb.
D’une main, j’appelais le 15, de l’autre je ramassais les paniers de couteaux et les passais à la serveuse qui attendait à la porte. Il en avait déjà glissé un dans son survêtement, c’était bien assez.

Ça s’était fini tranquillement en HO. La fois d’avant, c’était une HDT. (1)

C’était il y a un an et demi. Depuis, pour ce que j’en sais, il navigue entre des foyers, la rue et l’hôpital psychiatrique. Il n’est plus revenu dans le coin en tout cas.

Mais, ça, c’était juste pour planter un peu le décor.

Ce soir, c’est le père Groseille qui m’a appelé. A 19h15. J’étais de garde. Il fallait que je vienne assez vite pour son père qui était tombé et qui « n’était pas bien ». On lui avait donné de l’Equanil et il ne répondait pas de trop.

Je suis arrivé une demi-heure plus tard. J’ai reconnu la maison.

Les parents Groseille étaient dans la véranda, leur fille à leurs côtés. Elle, je ne la connais que de vue mais je suis sûr qu’il y a un truc qui cloche dans son génome.
Les trois sont assis côte à côte devant leur table vêtue d’une nappe en toile cirée. Ils bâfrent tranquillement en regardant une petite télé posée devant eux, la bouteille de vin est ouverte, un gros pot de crème attend son tour, une boîte de gésier laisse échapper sa graisse.
Arrivé à la porte-fenêtre, le père se décide quand même à se lever et à venir m’ouvrir. Un labrador obèse et un roquet au poil rare viennent me renifler les jambes.

Le père se rassoit aussitôt et c’est son épouse qui me montre le chemin. Nous traversons un capharnaüm avant d’arriver dans la chambre du grand-père.

Un lit médicalisé avec des barrières, un vieux fauteuil, une armoire. Et un papier peint défraîchi qui se décolle en grands lambeaux.

Une infirmière libérale du coin est là, en train de l’aider à enfiler son pyjama. Il n’a pas l’air d’aller trop mal, elle n’a pas l’air inquiète. Il a 92 ans.

Je me tourne vers la belle-fille et je lui demande ce qui s’est passé. Elle sent l’alcool, elle est grosse, elle est sale. Et visiblement assez bête pour ne pas chercher à louvoyer.
Elle se met à parler très vite en avalant la moitié des mots :

« Ben il est tombé, là, sur l’fauteuil. P’is j’pouvais pas le relever seule alors les pompiers sont venus pour m’aider mais y’sont r’partis.
– Ah ? Les pompiers étaient là tout à l’heure ? Mais pourquoi est-ce que vous m’avez demandé de venir alors ? Qu’est-ce qui vous inquiète ?
– Mais ça va plus, r’gardez le, ça va plus ! Faut qu’il aille à l’hôpital. En repos. Au moins trois mois !
– Donc, vous m’avez fait venir parce que les pompiers n’ont pas voulu l’emmener et que le Dr Nounours est en congés, c’est ça ?
– Oui, faut qu’il se repose ! Au moins trois mois. Ça peut plus aller. Faut qu’il aille en maison de repos. Pour trois mois. C’est mieux.
– Mieux pour lui ou mieux pour vous ?

Visiblement, elle ne comprend pas vraiment le sens de la question.

– Non mais c’est mieux. Là, ça peut plus aller. J’ai l’stress qui monte, j’ai l’stress qui monte ! P’is faut qu’j’fasse mes conserves, j’peux pas m’en occuper.

L’infirmière a fini d’habiller le papi. Elle reste assise à côté de lui et lui tient la main. J’essaie de l’examiner mais ses bras sont agités par de grands tremblements, je ne peux prendre ni pouls ni tension. Il radote en boucle « soixante-ans, soixante-dix-ans, cent-ans, cent-dix-ans, cent-vingt-ans, cent-cinquante-ans, quarante-ans,… ».

J’appelle le père Groseille qui est resté à sa table un étage plus bas. Moins alcoolisé, un peu moins bovin que sa femme, il convient qu’il n’y a rien de très nouveau sur le plan médical mais que ce qu’ils attendent c’est que le papi aille en maison de repos. « Pour trois mois ».
« Et donc, vous m’avez appelé parce que les pompiers n’ont pas voulu l’emmener. » « Oui. »

Je leur demande de redescendre finir leur repas, que j’ai besoin de discuter avec l’infirmière.

Papi Groseille continue sa litanie « Quarante-ans, cinquante-ans, soixante-ans, cent-ans, cent-dix-ans, … »

L’infirmière me confirme la misère ambiante. Que le papi n’a pas le droit de sortir de sa chambre en-dehors des deux repas. Qu’elle avait dû menacer la famille pour que le chauffage soit mis en route début décembre (comme pour le reste de la maison au demeurant). Qu’ils avaient toujours refusé de discuter d’une maison de retraite…

Je lui dis que je suis bien embêté, que je ne veux pas céder à cette demande de se débarrasser du grand-père mais que la situation a l’air tendue et que c’est peut-être l’occasion de déclencher une enquête sociale qui pourrait – espérons – faire avancer les choses. Elle a l’air soulagée et me dit que ça lui semble une bonne idée.

Papi Groseille a arrêté de trembler. Je peux lui prendre la tension. Son mantra se calme.

Et je l’ai donc fait hospitaliser avec une lettre de quatre pages pour essayer d’exposer la situation.
Je ne sais pas trop si j’ai bien fait. Je pense que oui.

Mais je sais qu’il arrive que, malgré les meilleures intentions, on prenne le risque de bousculer un équilibre, certes précaire, mais pour aboutir à une situation encore pire.

Je sais aussi que, parfois, on n’a que ce qu’on mérite et que lorsque l’on creuse les histoires familiales, on se rend compte que le vieux grand-père qui nous émeut parce qu’aucun de ses enfants ne s’en occupe, était un père maltraitant ou pire…

Je sais combien peut être difficile la prise en charge d’une personne âgée démente, combien ça peut être épuisant, d’autant plus lorsque l’on manque de ressources financières et morales.
Je me suis dit qu’il était bien difficile de juger cette famille. Que, du fond de ses pauvres capacités, lorsque Mme Groseille me parlait de ses conserves, elle me confiait sa détresse entre le grand-père dément et le fils schizophrène. Ce que d’autres auraient simplement dit de manière plus élégante ou plus habile.

Et je me suis remémoré cet éprouvant billet de Maître Mô.

Je me suis dit combien il pouvait être difficile pour moi – qui suis raisonnablement intelligent mais, plus encore, qui ait eu la chance de grandir au chaud et d’être aimé – combien il pouvait être difficile, non seulement de juger, mais tout simplement de comprendre où étaient les limites.

Combien dans un tel milieu se mêlaient les tares physiques et psychiatriques, la pauvreté intellectuelle et morale, la misère financière et sociale.
Combien il était difficile de parler de bêtise ou de méchanceté face à un tel dénuement psychologique et à d’évidentes carences affectives.
Combien il était difficile de faire une distinction entre les victimes et les coupables. Combien cette distinction n’avait tout simplement probablement aucun sens.

Face à cette misère, nous ne pouvons pas juger. Nous ne pouvons qu’agir, modestement, pour réintroduire un peu d’humanité.

(1) HO : « Hospitalisation d’Office » – HDT : « Hospitalisation à la Demande d’un Tiers »
Ce sont deux modes d’hospitalisation contrainte en secteur psychiatrique. L’HO relève de l’autorité publique en cas de péril imminent pour le patient ou pour la sécurité d’autrui. L’HDT, comme son nom l’indique, relève de la demande d’un tiers, généralement un proche du patient. Dans les deux cas, un certificat médical est nécessaire.

Changement de peau

Vous l’aurez remarqué, après un an de bons et loyaux services du thème SimplicityDark Plus, j’ai décidé changer le costume de mon blog.

Je ne suis pas programmateur et il y avait de petites imperfections qui m’énervaient et que je ne savais pas corriger.

Dorénavant, le blog de Borée sera donc optimisé pour le Thème ‘Elegant Grunge’.

S’il ne vous plaît pas, ou si vous avez la nostalgie de l’ancien, vous avez la possibilité d’en changer grâce au menu figurant en bas de la barre latérale !

Un petit conseil :

    ne vous amusez pas à sélectionner le thème « I-phone » !


Il est uniquement destiné à un usage pour les smartphones. Il ne gère pas les widgets et vous ne pourriez pas revenir en arrière !
Pour les étourdis qui l’auraient tout de même tenté, le seul moyen de revenir en arrière est d’aller effacer les cookies du ‘Blog de Borée’ dans votre navigateur.

Marmottes

AliceIl y a quelques jours, en parcourant le quotidien local, je suis tombé par hasard sur une annonce nécrologique qui m’a ému. Celle de Georges, 81 ans.

Elle était publiée par « René, son compagnon » et les autres membres de sa famille.

J’ai pensé à ce vieux Monsieur qui était maintenant seul. Peut-on dire veuf  ?

S’il ne peut plus rester seul, trouvera-t-il une maison de retraite pour l’accueillir avec respect ?

J’ai rapidement imaginé Georges et René, la vie qu’ils avaient pu avoir à une époque où, vivre ensemble lorsque l’on était deux hommes, à la campagne qui plus est, c’était certainement une autre histoire qu’aujourd’hui.

Et j’ai eu une pensée reconnaissante pour les pionniers de la « normalité », militants ou simples individus qui ne s’étaient pas dissimulés, qui avaient permis aux générations suivantes de vivre mieux.

***

Elle a soixante-et-un ans et c’est une très bonne élève.

Elle est gentille comme tout et son diabète est un plaisir à prendre en charge. Ça change.

Vingt-trois ans de diabète et onze d’insuline, mais elle garde son poids stable, fait ses quatre injections quotidiennes, ses surveillances glycémiques et ses prises de sang. Son hémoglobine glycquée ne bouge pas de la zone 7 – 7,5.

Si j’aime beaucoup Mylène, j’ai encore plus de tendresse pour Alice.

Alice est la compagne de Mylène. Depuis trente-six ans.

Et, autant Mylène pourrait aisément donner le change, autant Alice est un stéréotype sur pieds. Le visage rond comme le corps, les cheveux courts, elle fume et sa voix rocailleuse a un amusant accent parisien. Toujours bougonne, mais le cœur sur la main, elle passe son temps à râler du haut de son mètre cinquante-six. Avec sa voix de clopeuse, elle me lance des expressions que je ne connais pas.

— Oh lalalalalaaa ! Encore une prise de sang ! C’est le bruuuun…
    Et je dois revenir dans un mois ?

— Oui. Entre votre diabète, votre bronchite chronique, vos reins et vos yeux, il y a trop de problèmes pas réglés chez vous.

— Et Mylène, elle, c’est pour trois mois que vous lui faites l’ordonnance. C’est la bonne élève, et moi le cancre… je sais.

J’appelle Alice « mon gentil bouledogue ». Ça nous fait rire.

Je crois que je n’ai jamais su comment elles ont atterri dans notre trou paumé où elles n’ont aucune attache. Elles habitent dans notre micro-cité HLM et donnent un coup de main au Secours Pop’.

Il y a un mois, elles m’ont demandé de passer chez elles : Alice avait une bronchite et était trop mal fichue pour conduire.

Elle était installée dans son canapé. La télé allumée diffusait une sorte de vidéogag. Le chat ronronnait sur son fauteuil. Le buffet était encombré des bibelots habituels : poupées en porcelaine avec plumes et paillettes, boules à neige… Un poster de Johnny Hallyday décorait le mur. Il y avait encore le sapin de Noël.

Je me suis posé à côté d’Alice, j’ai écouté ses poumons, rien de catastrophique. Après lui avoir pris la tension, nous sommes restés une minute ou deux, assis et silencieux, à regarder les gags qui défilaient à l’écran.

J’ai fini par sursauter.

— Bon… euh… ben, je crois qu’il n’y a rien de bien méchant. Je vous fais une ordonnance pour du paracétamol.

— Bon, ben alors ça va. — me répond Alice — Dis voir, la vieille, tu me ferais une Marmotte ?

— C’est quoi une Marmotte ?

— C’est une tisane de chez elle.

— Et vous l’appelez « la vieille » alors qu’elle a cinq ans de moins que vous ?

— Rhrhrhrhr ! Ça fait trente-six ans que je l’appelle la vieille !

Alice s’est alors levée pour me montrer une ancienne photo encadrée, en noir et blanc : Mylène, vingt-cinq ans, mince, blonde, très jolie et avec le même visage que je lui connais.

— Et vous avez aussi une photo de vous quand vous étiez jeune ?

— Ah ouais, celle de mon permis, je vous la cherche.

Et elle m’a rapporté cet improbable cliché d’une jeune femme de vingt ans, vraiment très sexy, avec de superbes boucles brunes et un air mutin.

— Oh ! Ben, vous étiez drôlement belle également !

— N’est-ce pas ? Rhrhrhrhrhrh !
    Au fait, vous voulez une Marmotte vous aussi ?

 

***

Post-scriptum (24/02/13)

Alice et Mylène ont déménagé, mais je les vois toujours. Au nom de l’amitié que j’ai pour elles, en raison de la confiance que je leur fait (leur nouvel éloignement y jouant aussi), je leur ai parlé de ce blog et de mon livre. Elles ont aimé ce texte et nous en avons ri.

Alice m’a autorisé à reprendre la fameuse photo du permis de conduire qui vient donc remplacer la photo de Greta Garbo que j’avais initialement choisie.

Guère de crainte pour son anonymat : ne la reconnaîtront que ceux qui l’ont connue jeune !

Nouvelles du front

Un an.

Un an seulement, un an déjà, que je me suis lancé dans cette aventure et que vous m’y accompagnez.

C’est donc l’occasion de prendre un petit moment pour se retourner et de vous donner quelques nouvelles du front…

Gérard et Madeleine ne vont pas trop mal. Madeleine, malgré ses douleurs d’arthrose, conduit toujours. Et cahin-caha, après quelques réglages de son pace-maker, Gérard arrive à mener sa vie sans trop de difficultés. Du coup, Madeleine semble un peu plus sereine. Tous les deux ou trois mois, ils me ramènent une boîte de rillettes ou de foie gras de leur stock.

J’ai revu Isabelle de temps en temps. Je lui reposais la question pour son DIU : elle n’arrivait jamais à trouver le bon moment pour qu’on réessaie de le poser… J’ai fini par lui demander « Mais, en fait, est-ce que vous avez vraiment besoin d’une contraception ? » Elle m’a répondu que non, en fait. Probablement pas vu qu’elle n’a plus de rapports avec son mari depuis plus d’un an. Mais qu’elle n’osait pas trop en parler parce qu’elle avait un peu honte et qu’elle ne savait pas trop si c’était normal de ne pas avoir de rapports avec son conjoint.

Je lui ai répondu que, dans ce domaine, rien n’était normal ou anormal, que l’essentiel c’était qu’elle fasse comme elle le sentait. Qu’en effet, pour le moment, on allait la laisser tranquille et qu’elle m’en reparlerait si, un jour, elle avait de nouveau besoin d’une contraception. Elle a eu l’air soulagée.

Après quelques essais, pas très réussis, d’examens gynécologiques en position anglaise, je suis revenu à la position traditionnelle. J’ai pensé qu’il était mieux pour mes patientes d’avoir un médecin calme, détendu et rassurant, même avec deux pattes en l’air, plutôt qu’un médecin stressé, transpirant et cherchant avec peine leur col de l’utérus…

Qu’on soit bien d’accord, je pense que c’est uniquement lié à un manque de pratique de ma part. Je n’ai d’ailleurs pas renoncé puisque je vais bientôt passer une journée entière de perfectionnement avec un ami gynécologue (j’en ai peu, mais j’en ai) qui ne travaille plus que « à l’anglaise ».

Un des deux minets de René s’est fait écraser… Sa fille râle quand elle prend René chez elle parce qu’il veut très vite repartir pour rentrer chez lui et retrouver le chat restant. Il me raconte combien la bête est douce et intelligente. Il ne va pas trop mal !

Robert est toujours à la maison de retraite. Finalement, il se rendait bien compte lui-même que son comportement posait souci. Il a donc parfaitement accepté les injections trimestrielles d’anti-testostérone et, de fait, ça va beaucoup mieux. Il se roule bien encore quelques galoches au milieu des couloirs avec une autre pensionnaire mais elle est aussi demandeuse que lui et ça ne va pas plus loin.

Germaine est toujours convaincue que la SNCF connaît parfaitement son dossier médical. Celui-ci s’est un peu alourdi depuis que, après avoir un peu trop picolé, elle s’est cassé la figure et qu’on a dû l’opérer d’une hémorragie méningée. Elle s’en est bien remise.

L’état psychique et neurologique de Rose se dégrade doucement. Elle oublie de plus en plus, fait quelques bêtises, mange régulièrement de la nourriture avariée. Elle n’a plus aucun traitement en-dehors du Paracétamol et d’un unique comprimé quotidien de Seresta. Elle a refusé à deux reprises de monter dans le VSL qui devait l’emmener pour un bilan gériatrique en Hôpital de jour.

Nous nous sommes mis d’accord avec son fils, qui vient tous les week-ends, que, tant que ça tiendrait comme ça, on la laisserait tranquille.

Mme Bidule (pas très inspiré pour ce choix de nom…) déambule toujours dans la maison de retraite mais tout le monde s’y est habitué et ça ne dérange pas plus que ça. Ce qui n’est pas le cas de l’infirmière râleuse qui, elle, a fini par contrarier tout le reste de l’équipe et dont le contrat ne sera plus renouvelé.

Henriette est toujours dans son château. Miraculeusement. Elle vient de fêter ses 89 ans. J’ai du mal à croire qu’elle atteigne les 90 mais vu que ça fait trois ans que je me dis ça…

Paulo va plutôt bien. Il a été à tous les rendez-vous spécialisés que je lui ai pris, il fait remarquablement bien ses surveillances glycémiques, son HbA1C est passée de 10,7 à 7,0%. Et, surtout, il a modifié son alimentation et, malgré l’insuline, il a réussi à perdre 3 kg en quatre mois !

Bob et sa prostate aussi vont bien. Plus ça va, et plus je prends le temps d’expliquer à mes patients, ce que je pense du dosage des PSA. Quelques uns, malgré tout, demandent à faire le dosage et je le leur prescris. Mais la plupart comprennent et sont finalement d’accord pour ne plus faire ce dosage.

Je viens tout juste de recevoir une carte de postale de Thérèse. Elle va bien. Jacky aussi.

Je ne suis pas très sûr par contre que notre planète et nos sociétés soient dans le même état. L’hommage à Médecins du Monde est toujours d’actualité et le sera encore pour un moment… Parmi les bonnes résolutions de l’année débutante, vous pouvez aussi faire comme moi et envoyer un petit don à MSF ou à la CIMADE, ou bien encore à des tas d’autres associations qui sa battent pour que le monde soit un peu moins laid.

La patiente du Dr Moustache que j’ai fait hospitaliser en urgence est rentrée à la maison. Après avoir pensé à une tumeur neuroendocrine, finalement l’hôpital ne lui a rien trouvé d’autre qu’une surcharge en médicaments anti-hypertenseurs et ils ont simplement allégé son traitement.

Comme je le disais dans un commentaire, le Dr Notos n’a pas fini de faire des dégâts… Gilles a tout de même été voir le gastro-entérologue qui lui a confirmé qu’il n’avait pas d’hémochromatose. Le seul effet positif de cette lamentable histoire, c’est que Gilles a tellement eu la trouille qu’il s’est repris sur le plan alimentaire et qu’il a perdu 5 kg. Reste à voir si ce sera durable.

Voilà, finalement ils ne vont pas trop mal mes patients.

Pour ma part, je continue ma route à leurs côtés.

Les vieux jours

Voici trois ans que je m’occupe d’André. Et autant que je suis le médecin traitant officiel de Paulette, son épouse. Mais, elle, je ne l’ai pas vue souvent.

Il y a six mois, j’étais de garde et on m’a appelé un dimanche pour André qui avait fait une attaque.

Une vilaine attaque, en fait, qui a touché le cervelet. Ça n’a pas tué André et ça aurait peut-être mieux valu pourtant.
Il en garde des troubles de l’équilibre, une surdité d’un côté et surtout des tremblements incontrôlables qui lui pourrissent la vie. Et contre lesquels on ne peut à peu près rien faire.

Le mois dernier, je suis allé le voir à domicile pour renouveler son traitement.

Dehors, des ouvriers démontaient des clapiers devenus inutiles. André était installé dans la cuisine, sa femme était là, le poêle à bois chauffait la pièce.

J’avais à peine fini de prendre la tension que Paulette a attaqué :

— Docteur, ça commence à être vraiment difficile, j’ai de plus en plus de mal à l’habiller et à le mettre au lit.

— Ah ? Mais il ne peut pas le faire seul ?

— Mais pensez-vous ! Si je le laissais faire, il se coucherait n’importe comment dans son lit. Je ne peux pas le laisser sans couvertures !

— Tu parles ! Avec elle, il faut que je sois bien droit, bien en ordre, avec la couverture bien bordée et remontée sous le menton. Elle ne supporte pas que je me couche comme je veux et comme je peux.

— Eh bien, ça n’a pas l’air d’aller très fort entre vous. Peut-être, Mme Paulette, qu’il faudrait laisser votre mari se débrouiller un peu plus. Il est encore capable de faire l’essentiel. Et, vous, M. André, laissez votre épouse vous aider un peu quand elle le propose.

Paulette m’interrompt.

— Mais vous ne savez rien Docteur ! On n’est pas un couple normal. Je ne vous en dis pas plus. Notre fils nous a déjà demandé pourquoi on n’avait pas divorcé. Ça ! Si j’avais eu les moyens, ça ferait longtemps que je serai partie. Mais je ne touche rien, alors je suis bien obligée de rester.

On ne s’aime pas, c’est sûr, mais je veux avoir bonne conscience et qu’on ne puisse pas me reprocher de ne pas m’être occupée de mon mari.

Et pourtant, il m’en a fait baver…

— Ne l’écoutez pas, Docteur ! C’est une sale bête. Avec elle, je ne peux jamais ouvrir la bouche, elle veut toujours avoir raison. Et il faut toujours lui obéir, toujours faire comme elle a décidé.

D’ailleurs, elles sont toutes comme ça les femmes dans sa famille. Des sales bêtes, je vous dis !

Et qui aiment l’argent. Ah ! Quand la pension arrive, elle est toute contente et tout va bien pendant trois jours et puis après, ça recommence…

Et ils ont continué à vider leur sac et à se déchirer devant le témoin muet et abasourdi que j’étais devenu.

Après quelques minutes, Paulette a décidé qu’elle devait aller voir les ouvriers et j’ai pu finir mon ordonnance.

Hier, elle m’a téléphoné pour me dire que je devrai repasser pour les médicaments, mais que c’était de plus en plus difficile : André en fait de moins en moins et, même si lui demande à demeurer à la maison, bientôt elle n’en pourrait plus et il faudrait bien trouver une solution.

Je ne sais pas encore comment je vais gérer ça et comment je vais pouvoir les aider à vivre le temps qu’il reste.
Au final, j’ai bien le sentiment que, dans cette affaire, il n’y a aucun coupable, mais deux victimes.

Deux victimes d’une époque où ça ne se faisait pas de divorcer et où, de toute façon, être une épouse à domicile liait aussi sûrement elle à lui que lui à elle.

Pour le meilleur et pour le pire.

 

Blog participatif : « le bilan général »

Les mésaventures de Gilles, m’ont décidé à faire ce billet auquel je pensais depuis un moment.

Régulièrement, des patients me demandent un « bilan complet ».

Je leur réponds habituellement qu’un « bilan complet », ça n’existe pas. Que, même si on leur pompait leurs 5 litres de sang, je ne suis pas sûr qu’on puisse faire tous les tests possibles. Que les prises de sang, contrairement aux entrailles de poulet, ça ne permet pas de forcément tout voir et deviner. Et que, en plus d’être assez inutile, ça peut même être dangereux.

Cependant, comme tous les médecins de France (enfin… je pense), je prescris régulièrement des « bilans de base » à des patients en bonne santé.

Je me suis demandé s’il existait des recommandations à ce sujet. Je n’en ai pas trouvé de sérieuses et argumentées. Ni en français, ni en anglais.

Si quelqu’un en connaît, je suis preneur.

C’est quand même un peu gênant pour quelque chose que l’on fait si couramment et qui doit quand même, au final, coûter quelques sous.

Je me suis donc décidé à tenter cette expérience de blog participatif : le présent billet sera finalement écrit grâce à la participation de tous les lecteurs. Qui le voudront bien.

Voici la question :

Vous avez devant vous un patient (homme ou femme) de 30 à 70 ans qui vient pour un rhume banal. Il n’a aucun problème de santé particulier, aucun antécédent particulier, ne prend aucun traitement habituel.

Il n’a pas eu de bilan sanguin depuis au moins dix ans.

Lui prescrivez-vous un bilan sanguin « de routine » ?

Si oui, quelle fréquence vous semble justifiée ?

Que prévoyez-vous dans ce bilan ?

***

Pour la question de la fréquence, vous pouvez utiliser les sondages ci-dessous.

J’ai distingué deux tranches d’âge, imaginant que les résultats pourraient différer.

[poll id= »4″]

[poll id= »5″]

***

Pour le contenu du bilan, la question est ouverte mais merci d’argumenter vos propositions.

Si vous pensez qu’il convient de distinguer en fonction du sexe ou de l’âge (dans la tranche d’âge proposée), là aussi, merci d’argumenter.

***

Voici ma proposition de bilan :

Ce que je fais, et je pense qu’il faut le faire :

Créatinine – Glycémie à jeun – Lipides

Arguments :

– les dyslipidémies et le diabète sont des pathologies/anomalies qui restent longtemps silencieuses, pour lesquels on dispose de traitements efficaces. Il me semble dangereux d’attendre d’en arriver aux complications cliniquement parlantes.

– l’insuffisance rénale n’est symptomatique qu’à un stade très avancé. De plus, il est nécessaire d’avoir une idée de la fonction rénale de base du patient pour le cas où l’on serait amené à lui prescrire un traitement potentiellement néphrotoxique.

Ce que je fais, je pense qu’il faut le faire mais je ne suis pas sûr à 100% :

TGO, TGP et GGT – NFS

– Je me dis qu’il est probablement utile de doser les enzymes hépatiques pour ne pas méconnaître une hépatopathie chronique. Mais je ne suis pas très sûr de la « rentabilité » de ces dosages. Pas très sûr non plus de l’intérêt de doser TGO et TGP ou GGT et pas les PAL.

– Pour la NFS : recherche d’anémie, de macrocytose, d’hémopathie ? Là non plus, je ne suis pas très sûr de la « rentabilité ».

Ce que je fais, mais je suis en train de l’abandonner petit à petit :

CRP

Je la faisais faire traditionnellement mais je me demande vraiment si ce n’est pas un pur « grigri » et je suis en train de lutter avec moi-même pour laisser tomber progressivement.

Ce que je ne fais pas :

Tout le reste

***

Et vous ?

P.S. Merci à G. pour la photo

Folie à deux

La folie à deux est une pathologie psychiatrique manifestée par la transmission de symptômes psychotiques d’un individu à un autre. La vision délirante du monde du patient souffrant de cette affection est adoptée par d’autres individus avec lesquels il est en contact.

— Bonsoir Maître.

— Bonsoir jeune Padawan.

— Maître, je voulais vous poser une question… Quelles sont les qualités indispensables pour devenir un bon médecin généraliste tel que vous ?

— Eh bien, jeune Padawan. Avant tout, de l’empathie il te faudra : comprendre les sentiments de ton patient et les prendre en compte tu devras.

Ensuite, faire preuve de rationalité et de la plus grande rigueur scientifique, car la Force n’est pas matière à improvisations hasardeuses. Également, garder ton calme et ta sérénité : ne pas te laisser déborder par tes propres peurs.

Sans lui mentir, de toujours chercher à rassurer ton patient tu n’oublieras pas : point n’est utile de rajouter de l’anxiété à la souffrance. Enfin, constamment respecter son autonomie et lui préserver sa liberté.

— Tout ceci a l’air bien compliqué et abstrait Maître.

— Mais pas du tout ! Laisse ton Maître te conter une anecdote et à la lumière tu accéderas…

Je vais te raconter l’histoire de Gilles.

À cinquante-cinq ans, Gilles est un maçon qui aime le travail bien fait et la table bien mise. Tous les six mois, il va voir son généraliste, le Dr Borée pour renouveler son traitement pour la goutte et la tension. Il faut dire qu’il n’aime pas bien ça. Comme beaucoup d’hommes, l’affection qu’il porte aux médecins est inversement proportionnelle à l’anxiété qu’il peut nourrir au sujet de sa santé.

Ah, ça ! C’est un angoissé. Du genre à guetter le cancer du poumon derrière une banale bronchite.

Il a donc été voir le Dr Borée parce que son genou avait bizarrement enflé. Le praticien lui expliqua que ce n’était rien de bien méchant : une simple bursite avait-il dit. Que l’essentiel était d’éviter de s’appuyer sur ce genou. Et que si, malgré tout, la tuméfaction devait persister de trop, il serait toujours temps de reconsidérer les choses.

Au passage, il lui proposa d’augmenter un peu la dose d’amlodipine espérant mieux réguler la tension qu’elle ne l’était.

Deux semaines plus tard, Gilles qui n’était guère patient décida d’aller voir le Dr Notos qui pratiquait à vingt-cinq kilomètres de là et qui avait une sérieuse réputation en ce qui concernait les maux des os et des articulations. Peut-être aurait-il une panacée miraculeuse qui ferait disparaître l’enflure ?

Hélas, non. Il confirma les dires de son confrère.

L’examinant, il avisa les jambes et les trouva un peu gonflées. « Oh ! Oh ! — s’exclama-t-il en substance — Voilà qui ne me plaît guère ! Peut-être cela vient-il de votre amlodipine, mais je ne peux exclure qu’il y ait plus dangereux là-dessous. Ne craignez rien, je m’en occupe. »

Décrochant son téléphone sur le champ, il demanda — et obtint — un rendez-vous en urgence auprès d’un confrère angiologue afin de faire réaliser un examen doppler des veines.

Puis il prit son stylo et s’avisa qu’il était nécessaire de pratiquer un bilan sanguin et urinaire « complet ». Le précédent, que Gilles avait pris soin d’apporter, outre qu’il paraissait bien sommaire, était décidément trop ancien : cinq mois !

Au demeurant, la plume ne servit qu’à signer la prescription puisque celle-ci était la photocopie toute prête d’un bilan modèle aux vertus universelles  :
•    NFS, plaquettes et réticulocytes
•    Vitesse de sédimentation et CRP
•    Temps de Quick et taux de prothrombine
•    Glycémie à jeun et HbA1C (Gilles n’étant pas diabétique, mais des fois que…)
•    Créatinine et acide urique
•    Cholestérol total, HDL et LDL, Triglycérides
•    Bilirubine totale, TGO, TGP, GGT et lipase
•    Natrémie, kaliémie, chlorémie, protides totaux, calcémie
•    Fer et ferritine
•    CPK
•    Électrophorèse des protéines
•    T3, T4, TSH, anticorps anti TPO et anticorps anti TG
•    Acide folique et vitamine B12
•    Protéinurie et microalbuminurie de 24 h

Si avec ça, on ne savait pas d’où venaient ces satanés œdèmes, ce serait à n’y rien comprendre !

En attendant d’avoir ces résultats, il était urgent d’aller donc chez l’angiologue pour le doppler. « Et — précisa le Dr Notos — appelez-moi en sortant sur mon portable. Même à vingt-deux heures ! »

Hélas ! L’angiologue confirma ses pires craintes en concluant son examen par « Absence d’anomalie sur les trajets explorés en dehors d’une insuffisance veineuse plus nette à droite. On peut conseiller une contention élastique, mais il faut certainement rechercher une autre cause (en particulier compressive abdominopelvienne) pouvant participer à la symptomatologie. »

Et voilà ! L’absence de tout élément vraiment inquiétant lors de cet examen ne pouvait signifier qu’une chose : il y avait bien plus grave en dessous, et ce serait certainement d’autant plus redoutable que c’était bien caché…

« Ne vous inquiétez pas ! — dit-il au téléphone — Je m’occupe d’organiser le scanner en urgence. Vous, faites la prise de sang. Et venez me voir jeudi à seize heures avec les résultats. »

Ainsi fut fait. Si le scanner ne révéla rien d’autre qu’un foie un peu gras, en harmonie avec le patient, il n’en était pas de même de la prise de sang…

Celle-ci montrait une ferritine augmentée à 1 600 ng/ml ! Et des Gamma GT à 84 ! Et des Triglycérides à 2,66 grammes !

Par chance, le reste du bilan était normal… Pour combien de temps encore ?

Et le Dr Notos d’expliquer à Gilles qu’il souffrait probablement d’une terrible maladie appelée « hémochromatose ».

Qu’elle attaquait son foie et qu’il faudrait certainement lui faire des saignées durant le restant de sa vie.

Il prit donc logiquement un rendez-vous chez un gastro-entérologue hospitalier, prescrit une nouvelle analyse sanguine complémentaire (NFS à nouveau, temps de saignement, TCA, facteur V, bilirubine, lipase [oui, oui, encore], fer, transferrine, immunoélectrophorèse, facteur II, facteur VII et facteur X). Oui, voilà, ça a l’air bien.

Il tendit une ordonnance pour des semelles en précisant « Ça n’a rien à voir, mais prenez rendez-vous chez M. Lasole qui est podologue, il vous fera des semelles, vous en avez besoin… Et puis revenez me voir le 3 à dix-sept heures. Ça fera trente-cinq euros, merci. »

Heureusement pour lui, Gilles avait une épouse qui était tout de même moins encline à l’affolement. Elle avait eu la précaution de lire les notices des médicaments et avait pris sur elle de demander à son homme de revenir à l’amlodipine 5 mg qu’il avait auparavant. Depuis, ses œdèmes avaient disparu.

Elle lui avait également dit qu’il serait peut-être opportun de revoir le Dr Borée pour faire le point.

Lorsque celui-ci découvrit le désastre, il se désola et trouva que c’était allé décidément bien loin pour une simple bursite de genou. Et qu’il était temps d’arrêter ce manège infernal.

Voilà, jeune Padawan, comprends-tu mieux à présent ce que ton vieux Maître voulait dire ?

— Je crois, Maître… Empathie, rationalité, rigueur scientifique, sérénité, réassurance et liberté du patient… Le Dr Notos a tout fait à l’envers ! Mais ce n’est là qu’une caricature imaginaire, heureusement.

— Je n’en jurerais pas…

***

P.S. Quelques remarques pour les non-médecins.

 Je suis désolé pour vous, vous risquez de ne pas apprécier tout l’aspect extravagant des bilans demandés par le Dr Notos. Ils sont vraiment extravagants.

 Jaddo avait déjà publié un billet abordant, sous un autre angle, la réalisation de ce type de bilans biologiques plus-que-complets. Elle avait déjà pointé combien c’était non seulement idiot et inutile mais, surtout, dangereux. J’y reviendrai probablement à l’avenir.

 De la même manière, il faudra que je parle de ce qu’est une « norme » biologique. Vous pourrez trouver une ébauche dans le commentaire que j’ai fait dans ce même billet de Jaddo.

— La Ferritine qui a tellement affolé le Dr Notos constitue en quelque sorte les réserves en fer de l’organisme. En gros, la moelle osseuse y puise le fer nécessaire à fabriquer l’hémoglobine des globules rouges. Les chiffres « normaux » sont déjà très fluctuants d’une personne à une autre et d’un moment à un autre (la « norme » varie d’un facteur 1 à 10).

Elle peut être augmentée dans tout un tas de situations de gravité et de significations très, très hétérogènes.

Bref, autant quand elle est basse, on peut le plus souvent dire que ça signe un manque de fer, autant quand elle est « trop haute », c’est la bouteille à l’encre.

En l’occurrence, la ferritine est habituellement majorée chez les personnes obèses et trop « bien portantes ».

L’hyperferritinémie est un des éléments classiques de ce que l’on appelle de manière générale les « surcharges métaboliques ».

Gilles présentait ce tableau de manière flagrante (obésité, hypertension, goutte). C’était donc tout sauf un scoop.

Bien évidemment, en aucun cas, le dosage de la ferritine ne fait partie du bilan de base d’œdèmes des jambes.

Quant à l’hémochromatose que le Dr Notos a annoncée à Gilles, il s’agit d’une maladie génétique dans laquelle l’organisme n’arrive pas à se débarrasser du fer. Dans ce cas, la ferritine est vraiment très augmentée (chez un homme de l’âge de Gilles) et il y a d’autres anomalies, indispensables à rechercher, avant d’évoquer le diagnostic.

Cette pathologie est d’ailleurs la seule indication qu’il reste à la très médiévale saignée.

— L’amlodipine que prend Gilles pour son hypertension fait partie des traitements de la tension les plus utiles. Cette famille de médicaments présente malheureusement un effet secondaire assez fréquent (jusqu’à 30 % des patients) : les œdèmes, des jambes en particulier. Il s’agit d’un effet indésirable bénin, mais gênant. Il suffit généralement de diminuer la dose pour faire disparaître ces œdèmes.

Ce qu’a spontanément fait l’épouse de Gilles.

***

Pour le livre, l’ami Le Burp a réalisé ce dessin. Merci !

Inexium. Avec un ‘x’ comme multiplier.

Dans un commentaire du billet « Cher ami hospitalier », Erwan écrivait :

« Je voudrais comprendre pourquoi, sur quelles obscures recommandations, sur quelle étude en double aveugle sur échantillon représentatif, à quelle sourate du coran ils se réfèrent pour faire ressortir tous mes patients traités par IPP et hospitalisés munis d’une ordonnance d’inexium…
Aux chiottes les lanzo, omé et autres panto ! Au pinacle l’ésomé (certains prennent bizarrement la peine de le prescrire en DCI…hypocrisie ?).
Et moi pauvre capiste qui doit repasser derrière pour tout remettre en état et expliquer aux patients mon refus systématique (et antérieur au capi) de prescrire cette molécule.
On me dit que l’hôpital a un contrat avec le labo et que le seul IPP disponible chez eux est celui là.
Certes, je peux comprendre que dans un but louable d’économies, et par un habile mais obscur système d’échanges le pharmacien ait fait ce choix.
Mais pourquoi diable donc les médecins l’entérinent ils ?
Par flemme ?
Non…impossible… » (*)

Comme je l’ai déjà indiqué, il me semble que ce commentaire est en-deça de la réalité. Ce ne sont pas seulement les « patients traités par IPP » qui reviennent avec de l’Inexium, ce sont presque systématiquement TOUS les patients.

L’explication est en fait assez simple et pas si obscure que ça.

Le médicament à l’hôpital ne suit pas du tout les mêmes règles qu’en ville. Depuis 1987, son prix n’est plus réglementé (il existe simplement, depuis 2004, un encadrement pour les traitements « coûteux »). Le pharmacien hospitalier lance des appels d’offres pour acquérir les produits dont il a besoin au niveau de son établissement.

Généralement, il va référencer une, voire deux, substance par classe. Il n’est pas nécessaire d’avoir tous les IEC sous la main mais seulement un ou deux puisqu’ils sont assez largement interchangeables. Idem pour les macrolides, les ARA2 et… les IPP.

Le pharmacien hospitalier lance donc un appel d’offres du type « Qui me fait le meilleur prix pour 1 000 boîtes d’IPP pleine dose ??? »

M. Astrazeneca répond un truc du genre : « 1 000 boîtes ? Pas de problème ! Je vous offre 1 000 boîtes d’Inexium. Non, non, non, ne dites rien, ça me fait plaisir. C’est pour moi. Et puis, c’est Noël ! »

Le pharmacien hospitalier se dit alors quelque chose comme : « 1 000 boîtes gratuites ! Oo Chic alors, la bonne affaire que voilà ! Avec toutes ces économies, je vais peut-être pouvoir payer les trithérapies et les chimios qui me coûtent un max (et qui ne sont pas, elles, interchangeables). »

Le médecin de l’hôpital, lorsqu’il y a besoin d’un IPP note donc « Inexium » puisque c’est le seul qu’il a sous la main et que, en effet, c’est aussi efficace.

Lors de la sortie, c’est bien souvent l’interne qui rédige la prescription et qui va généralement recopier sur l’ordonnance le traitement qui était celui donné durant le séjour :

  • Parce que, en effet, ça peut être pénible et compliqué, de retrouver le traitement d’avant et que « c’est pareil ». Le terme de « flemme » qu’utilise Erwan me semble donc juste mais un poil excessif.
  • Parce que dans la logique d’un interne (et de beaucoup de médecins généralistes), le traitement donné lors de l’hospitalisation est forcément le meilleur possible, celui qu’on a soigneusement et laborieusement optimisé (et c’est en grande partie vrai) et qu’il est donc parfaitement raisonnable de le poursuivre lors de la sortie.

Comme beaucoup de généralistes n’osent pas modifier un traitement mis au point à l’hôpital par peur (« S’il arrive quelque chose et que j’ai changé le traitement, on me le mettra sur le dos. ») ou par manque de temps/de courage (changer une prescription hospitalière nécessite un vrai travail d’explication et de conviction), ils maintiennent l’Inexium. Pendant des années.

Et M. Astrazeneca, qui est bien plus malin que philanthrope, se dit qu’il a bien eu raison d’offrir ces 1 000 boîtes puisqu’elles vont finalement générer la vente de 10 000 autres boîtes en ville. Payées au prix fort.

Ceci marche aussi, par exemple, en remplaçant « Inexium » par « Coversyl » et « M. Astrazeneca » par « M. Servier ».

Pour moi, le vrai mystère est ailleurs. Je ne comprends pas pourquoi les patients hospitalisés sont presque systématiquement mis sous IPP. J’imagine qu’il doit y avoir une sorte de terreur de « l’ulcère de stress » qui me semble relever plus du loup-garou que d’une démarche scientifiquement validée (si quelqu’un connait des études, je suis preneur).

Alors, oui, c’est vraiment pénible mais il faut reconnaître qu’avec le fonctionnement actuel c’est assez imparable. Il nous reste surtout à espérer que les hospitaliers soient un peu plus vigilants sur la question de l’optimisation des coûts de leurs prescriptions (à qualité égale, autant prendre le moins cher) ce qui n’est pas du tout dans leur culture.

Surtout, ils devraient prendre l’habitude de se poser la question lors des sorties d’hospitalisation : « Bon… ce médicament qu’il avait durant son séjour à l’hôpital, est-il encore nécessaire à domicile ? »

Parce qu’au-delà de l’Inexium, énervant mais sans gravité, ça éviterait aussi quelques conneries avec les somnifères chez les patients âgés. Et, là, c’est vraiment un problème médical.

Quant aux généralistes, ils devraient être un peu plus confiants en eux-même : les prescriptions hospitalières ne sont pas forcément parole d’Evangile et on a le droit de les modifier si on a de bonnes raisons de le faire.

(*) Pour les non médecins : les IPP sont les Inhibiteurs de la Pompe à Proton. Il s’agit d’une famille de médicaments qui existe depuis une vingtaine d’années et qui a révolutionné la prise en charge de certains problèmes gastriques (ulcères, reflux gastrique, …) car ils sont remarquablement efficaces et globalement très bien tolérés.
Leur vrai nom se termine en ‘prazole’ : oméprazole, pantoprazole, rabéprazole, etc…
Pour contrecarrer la perte du brevet du Mopral© (oméprazole), les laboratoires Astra Zeneca nous ont sorti un coup de boneteau en 2000 (avec la bénédiction des autorités du médicament) l’Inexium© (ésoméprazole) qui n’est jamais rien d’autre qu’une variante chimique de l’oméprazole. Ceci mériterait un billet en soi.

Soir de garde

Un soir, de garde. Le téléphone sonne vers vingt-trois heures.

— Bonjour, ici la régulation du 15. Pouvez-vous voir une dame de quatre-vingt-sept ans qui a fait un malaise et qui se sent oppressée ?

— Groumpf ! Ok, eh bien, j’y vais.

Douze kilomètres de voiture plus tard, j’arrive devant la maison. Le mari m’attend à la porte-fenêtre.

Son épouse est sur le canapé. Elle fait bien quinze ans de moins que son âge.

— Bonsoir ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— J’ai fait un malaise. Je suis tombée d’un seul coup, plus rien ne me tenait, mais je n’ai pas perdu connaissance…

Lui : Elle est tombée comme ça, ici. J’ai essayé de la rattraper, mais je n’avais pas assez de force.

— Bon, d’accord. Et, là, vous vous sentez comment ?

— Un peu oppressée dans la poitrine. Mais ça va mieux.

Lui : C’est arrivé il y a déjà une heure. On ne savait pas quoi faire. Comme elle trouvait que son cœur battait vite, elle a pris un Atarax que lui prescrit le Dr Moustache.

J’examine la dame, je lui fais un électrocardiogramme. Je me félicite qu’il y ait un ancien tracé à la maison pour vérifier si les anomalies que je trouve y étaient déjà. Oui, bon.

— Vous avez combien de tension d’habitude ? Parce que là vous avez 20 sur 9…

— Le Dr Moustache me dit tout le temps qu’elle est normale. Mais il faut que je vous avoue : il y a six mois, le cardiologue a voulu me changer le traitement. Mais j’avais peur que ça augmente les diarrhées que j’ai toujours. Du coup j’ai arrêté le médicament qu’il me disait, mais je n’ai pas pris le nouveau qui…

Lui : Il faut que tu lui expliques tout ! Alors, voilà, il y a trois ans, elle a vu le cardiologue, qui lui a prescrit un médicament qui…

— Bon, d’accord, mais on va rester sur l’urgence, là, si vous voulez bien. Madame : vous avez un peu d’eau dans les poumons et les jambes gonflées, je pense que vous faites une petite poussée d’insuffisance cardiaque. Et de toute manière, un malaise comme vous avez fait, ce n’est peut-être rien de méchant, mais il faut le prendre comme un signal d’alerte. Je vous envoie à l’hôpital.

Lui : En cardiologie ?

— Probablement en cardiologie, mais elle va d’abord transiter par les Urgences pour voir un peu mieux ce qu’il se passe.

— Ah non ! les Urgences, j’y étais il y a deux ans pour mon infarctus. J’y ai traîné trois jours. Avec des lumières, du bruit, partout. S’il m’arrivait de nouveau quelque chose, je préfère crever à la maison que d’aller aux Urgences.

— Oui, mais, là, c’est pour votre épouse.

Elle : C’est vrai que tu ne me remontes pas beaucoup le moral.

Lui : Et ça ne peut pas attendre demain matin ? … Comment je vais faire, moi, à quatre-vingt-sept ans ?!

— Non, ça ne serait pas raisonnable de la laisser ici jusqu’à demain matin.

Dans l’attente de l’ambulance, la consultation s’est poursuivie de la même manière.

Elle qui essayait de ne pas paniquer, mais que je voyais fébrile.

Et lui qui parlait. Beaucoup. Dur, presque dans l’agressivité. Et qui ne parlait que de lui.

L’ambulance est arrivée. Ils ont pris la dame en charge.

Au moment de sortir de la maison, je les ai aperçus s’embrasser. Il avait les yeux rouges et ses larmes coulaient.

Et j’ai mieux compris. Ce n’était probablement pas un homme égoïste et dur. C’était simplement un homme qui avait la trouille.