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Miettes

Cher confrère de l’hôpital,

Merci de t’être occupé de Michel. A 85 ans, sa situation n’était pas simple et tu es parvenu, au moins temporairement, à le remettre sur pieds.

C’est simplement un peu dommage de lui avoir laissé, une nouvelle fois, un somnifère qu’il n’avait jamais pris jusque là. Entre l’hospitalisation et la convalescence, ça fait cinq semaines qu’il le prend et il est déjà accro : on a essayé de l’enlever et il n’y arrive pas.

Tellement classique mais toujours un peu dommage.

Surtout, je voulais te féliciter. Ou, plus précisément, féliciter tes infirmières pour être particulièrement habiles et précises.

Ce qui n’est pas vraiment le cas de Michel avec ses mauvais yeux et ses gros doigts.

C’est pourquoi, je me dis que ce n’était pas une très bonne idée de l’avoir laissé rentrer avec un nouveau traitement anticoagulant sous la forme de « Minisintrom 3/4 par jour ».

Parce que « Minisintrom 3/4 par jour », ça donne ceci :

Et, ça, pour Michel, c’est juste pas possible.

P.S. Grange Blanche avait déjà évoqué le sujet des comprimés d’AVK il y a quelques années.

Sinistres Tropiques

La douceur des plages de sables blanc, le bercement de la mer aux eaux turquoises, l’accueil amical et rieur des habitants, les Antilles françaises sont un petit bout de paradis de l’autre côté de l’Atlantique.

Guadeloupe, Martinique, les Saintes, Marie-Galante, la Désirade… des noms qui invitent au rêve.

S’allonger sous un cocotier, siroter un ti-punch, plonger sa main dans une corbeille de fruits frais. Coco ? Goyave ? Ananas ? Le choix est large. Va pour une banane !

Ah ! La banane des Antilles ! Si savoureuse. Un concentré de soleil et de plaisir.

Bonne pour vous, bonne pour la terre.

« Notre filière Banane de Guadeloupe & Martinique a été l’une des premières filière fruit à chercher des solutions concrètes pour réduire son empreinte environnementale. Mobilisée depuis plus de 10 ans, elle s’engage à faire continuellement évoluer ses pratiques pour mieux préserver l’air, l’eau et la terre, pour économiser les énergies, gérer ses déchets et développer la biodiversité dans ses plantations.

-72%  : c’est le pourcentage de diminution de l’usage des produits phytosanitaires par la filière en 10 ans. »

-72% ! Mazette ! Assurément le signe que nous avons affaire à des producteurs dont la conscience écologique est prégnante. Sans compter leur conscience sociale.

Laissez-moi vous raconter une petite histoire.

Une histoire dont les médias français se sont fait l’écho en 2007 mais qui est déjà largement oubliée. Une histoire mentionnée par la Revue Prescrire mais tout le monde n’y est pas abonné et, s’agissant d’une revue médicale, elle ne s’est pas appesantie sur le contexte sociopolitique. Une histoire que j’ai, pour ma part, découverte il y a un an. La belle, longue et triste histoire de la… chlordécone.

Derrière ce nom un peu ridicule, se cache un pesticide organochloré de la famille du DDT.

Brevetée en 1952, elle est commercialisée à partir de 1958 par Allied Signal (depuis, intégré au groupe Honeywell) sous un nom commercial à l’allure beaucoup plus rebelle et davantage utilisé par les anglo-saxons : la Képone©.

La chlordécone est un pesticide absolument merveilleux !

Déjà, elle tue à peu près toutes les salles petites bêtes qui empêchent de faire des cultures bien propres, bien ordonnées (question biodiversité, on repassera). A commencer par le charançon de la banane, l’ennemi juré des planteurs de banane antillaise.

Surtout, cette molécule a tout de Superman et de Hulk réunis : c’est une molécule super-stable qui résiste à tout. Aux UV, à l’eau, au vent, aux microorganismes, au temps qui passe. Et qui a une affinité toute particulière pour les sols riches en matière organique.

Du coup, c’est un pesticide très reposant qui dispense d’avoir à effectuer des épandages aussi réguliers que fastidieux.

Pensez-donc ! Selon les conditions d’environnement, il faut plusieurs dizaines d’années pour que la moitié du produit soit éliminée. Si bien que, selon leur nature, il faudra de 60 à 700 ans pour que les sols soient dépollués. Une notion à laquelle on est davantage habitués lorsque l’on parle de l’industrie nucléaire.

Un des soucis, c’est que la chlordécone n’est pas mauvaise que pour le charançon.

Commercialisée à partir de 1958, les premiers doutes concernant une toxicité humaine sont soulevés dès 1961. La chlordécone peut être absorbée à travers la peau et doit être manipulée avec précautions.

Le 29 novembre 1969, la Commission d’Etudes de l’Emploi des Toxiques en Agriculture propose le rejet du Kepone©. Le compte-rendu souligne : « On pose ici le problème de l’introduction d’un nouveau composé organochloré toxique et persistant. Bien qu’il n’y ait pratiquement pas de résidus dans les bananes, il y a quand même les risques de contamination du milieu environnant ». Et le 5 décembre, l’homologation du Kepone© est refusée.

Au début des années 1970, éclate le scandale de la James River. De graves troubles sont décrits chez les ouvriers de l’usine de Hopewell en Virginie, là où est produite la chlordécone. Les mêmes pathologies sont retrouvées au sein des familles des ouvriers ainsi que chez les riverains de la James River dans laquelle l’usine relarguait d’importantes quantités du pesticide. Des problèmes hépatiques et, surtout, de graves atteintes neurologiques.

Dès cette époque, des études démontrent de probables effets cancérigènes sur l’animal.

En 1978, le « rapport Epstein » américain ne laisse guère de doutes : « Le Kepone est très toxique et provoque une toxicité à effets cumulatifs et différés ; il est neurotoxique et reprotoxique pour un grand nombre d’espèces, incluant les oiseaux, les rongeurs et les humains ; il est cancérigène pour les rongeurs. « 

Pourtant, en 1972, le Ministère de l’agriculture français délivre une autorisation « provisoire » d’utilisation de la chlordécone aux Antilles.

Une autorisation que, en 2005, le ministre Bussereau déclarait ne plus retrouver (annexe I-A du rapport parlementaire). Une autorisation en théorie « provisoire » alors que tout démontre que le produit est utilisé sans interruption durant toutes les années 70 et 80.

Aux Antilles, tout va bien.

Le produit est largement utilisé. Et c’est bien souvent par avions ou hélicoptères que sont faits les épandages. On ne va pas chipoter.

Malheureusement, le scandale survenu en Virginie mène à l’interdiction du produit aux Etats-Unis en 1977. Il y a bien encore quelques stocks mais comment assurer la suite ?

Qu’à cela ne tienne ! Comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, une entreprise basée en Martinique et liée aux grands planteurs antillais, la société « Laurent de Laguarigue » obtient en 1981, une autorisation de production de chlordécone, sous le nom de marque Curlone©. Produit qui sera dès lors synthétisé par une usine brésilienne.

Et la Sicabam (l’ancien syndicat des planteurs antillais) qui, aujourd’hui, nous vante les qualités écologiques de la banane antillaise, d’écrire, en 1982 « Curlone© (…) est reconnu par l’industrie bananière et les instituts de recherche comme l’insecticide le plus efficace et le plus sûr pour un contrôle certain, durable et sélectif du charançon du bananier. » Sûr et sélectif…

C’est finalement en… 1990 que cette autorisation sera, tout de même, officiellement retirée. Quatorze ans après les Etats-Unis.

1990… Ah, non ! Attendez…

En 1990, le ministre Henri Nallet (dans cette histoire, la gauche n’a pas été beaucoup plus glorieuse que la droite) accorde une dérogation de deux années supplémentaires pour « écouler les stocks ».

Stocks qui devaient être confortable puisque, en 1992, c’est le nouveau ministre, Louis Mermaz, qui accorde « à titre dérogatoire », un délai supplémentaire d’un an jusqu’à février 1993.

Mais la chlordécone, c’est pire que l’héroïne : ça rend vraiment accro. Et en février 1993, le ministre Soisson octroit une nouvelle rallonge de six mois, tout en interdisant aux planteurs de faire publiquement mention de cette autorisation (annexe I-N du rapport parlementaire).

C’est ainsi qu’au moins 180 tonnes de chlordécone sont utilisées aux Antilles après 1980 et la fin de l’approvisionnement américain.

Malgré ces apparences, et heureusement, les autorités françaises ne sont pas restées inactives. Elles ont fait comme bien souvent quand la situation est explosive : elles ont… commandé des missions d’enquête et des rapports.

Mission Snegaroff 1977, Rapport Kerrmarec 1980, Rapport Vilardebo 1984, Rapport Unesco 1993,  Rapport Balland-Mestres-Fagot 1998… l’un après l’autre, ils pointent les doutes puis les certitudes, tant pour ce qui concerne l’ampleur des contaminations que la dangerosité du produit.

C’est ainsi qu’en une vingtaine d’année, une grande partie des sols de Martinique et de Guadeloupe vont être contaminé de manière durable.

On estime qu’aujourd’hui, ce sont 25% des terres agricoles de ces îles qui sont « moyennement » ou fortement contaminés.

Et lourdement contaminés.

Ce n’est qu’à la fin des années 90 que sont menées les premières campagnes de mesures destinées à évaluer l’ampleur de la pollution des eaux et des sols.

En 1998, 100% des échantillons d’eau dépassent les normes admises. Le pic  de contamination représente 103 fois la norme.

Certains échantillons de sol présentent des contaminations pouvant aller jusqu’à 100 000 fois les normes admises pour l’eau !

C’est à ce moment là, faute d’avoir cherché à les évaluer plus tôt, qu’on « découvre » l’ampleur des dégâts. Les principales ressources d’eau utilisées pour la consommation humaine sont fortement contaminées. Pas seulement par la chlordécone d’ailleurs. On y trouve un cocktail de pesticides tous plus appétissants les uns que les autres.

Ce n’est que dans les années 2000 que de lourds investissements sont consentis pour assurer la potabilisation de l’eau via des dispositifs de filtration sur charbon actif.

Pour autant, la chlordécone du milieu aquatique risque bien de se retrouver malgré tout dans votre estomac puisque l’on en retrouve dans les poissons et crustacés, largement consommés. Le produit a la propriété de pouvoir s’accumuler dans la chair des poissons pour pouvoir atteindre, dans certains cas, des teneurs 60 000 fois supérieures à celles du milieu naturel. Pas seulement les poissons d’eau douce d’ailleurs, mais également, les poissons de mer, crabes et autres langoustes.

Sans oublier la pollution des sols en particuliers avec l’accumulation de chlordécone dans certains légumes couramment consommés (patate douce, ignames, chou caraïbe, carotte…), ainsi que dans la graisse des animaux d’élevage, ou dans le lait.

Comment a-t-on pu en arriver là ?

Les Antilles françaises sont encore largement dominées, tant politiquement qu’économiquement, par les Békés, les descendants des premiers colons de Métropole. Ils détiennent l’essentiel des leviers économiques et, pour ce qui nous intéresse ici, contrôlent tant le circuit des produits phytosanitaires, que celui des machines agricoles.

Ce sont également parmi eux que l’on trouve les grands propriétaires terriens qui ne représentent que 10% des cultivateurs de bananes mais qui possèdent les 2/3 des terres et assurent 70% de la production.

Ils ont leur relais dans notre système politique, à l’Assemblée Nationale en particulier, et jusqu’auprès des instances européennes via une instance de lobbying spécifique.

Rien d’étonnant donc à ce qu’une telle situation ait pu se produire et perdurer, allant d’exception coupable en dérogation complice.

Quelles sont les conséquences sur la santé ?

La toxicité neurologique (tremblements, myoclonies, troubles de la coordination…) de la chlordécone était connue dès le début des années 70.

En 1979, le Centre de recherche internationale sur les cancers la classe comme « cancérogène possible ».

Comme d’autres organochlorés, il s’agit également d’un perturbateur endocrinien aux propriétés oestrogéniques. Les conséquences sur la fertilité, masculine en particulier, semblent donc assez évidentes.

C’est aussi pour cette raison que la chlordécone est soupçonnée de jouer un rôle important dans l’augmentation du risque de cancer de la prostate dont l’incidence atteint les plus fort taux mondiaux en Martinique et Guadeloupe (ainsi, cependant, que dans d’autres populations afro-américaines à haut niveau de vie). Cette étude suggère que les hommes les plus exposés à la chlordécone présentent un risque de cancer de la prostate multiplié par 2,5.

Pas seulement de la prostate, d’ailleurs. Une étude suggère ainsi une association entre l’exposition à ce toxique et l’augmentation du risque de myélome multiple.

Quant au foie, la chlordécone ne semble que modérément toxique par elle-même, sauf à atteindre des taux extrêmes. Mais elle présente l’amusante propriété de majorer fortement la toxicité d’autres substances. C’est ainsi que la toxicité de certains solvants peut être augmentée de 6 700 % lorsqu’ils sont associés à ce pesticide.

Plusieurs études et suivis de cohortes sont toujours en cours afin de préciser le risque et, dans la mesure du possible, d’essayer de le maîtriser.

Les Antillais se retrouvent ainsi avec une épée de Damoclès. Pour longtemps.

L’Etat s’est finalement décidé à mettre plusieurs dizaines de millions d’euros sur la table pour financer des plans d’actions spécifiques. De nombreuses recherches sont en cours, en particulier dans le cadre de l’INRA ou des CHU de Fort-de-France et de Pointe-a-Pitre.

Comme bien souvent en France, comme avec l’amiante, le Mediator ou les prothèses PIP, ce sont ainsi des fonds publics qui viennent éponger, ou tenter de le faire, les dégâts causés par la rapacité et l’impéritie d’intérêts privés.

En revanche, il y a tout de même quelques différences par rapport à ces récents scandales : les Antilles, c’est loin. Et c’est plein d’Antillais.

Autant dire que c’est beaucoup moins important que les coupe-faims ou les prothèses mammaires utilisés en métropole. Pas étonnant donc, que nous en ayons finalement peu entendu parler et que ce soit déjà largement oublié.

Si un tel scandale, avait eu lieu en Corrèze ou dans l’Aveyron, nous pouvons être sûrs qu’il aurait fait les gros titres des mois durant.

Si j’étais Martiniquais ou Guadeloupéen, je crois que je l’aurais quand même assez mauvaise.

***

Je n’ai livré ici aucun élément nouveau. Je me suis contenté de faire un petit résumé de l’affaire. L’essentiel des données peut être retrouvé à travers les différentes sources mises en lien, en particulier le Rapport d’Information parlementaire n°2430 de 2005, dont l’un des buts est cependant d’exonérer les pouvoirs publics de leurs responsabilités. On pourra également consulter le Rapport de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques de 2009, riche d’éléments d’information mais qui, lui aussi, botte un peu facilement en touche pour ce qui concerne les responsabilités. La synthèse de l’INRA de juillet 2010 complètera cette documentation de base.

L’ensemble du dossier est abordé dans le livre de Louis Boutrin et Raphaël Confiant : « Chronique d’un empoisonnement annoncé ». Les auteurs sont antillais, leur livre est clairement un ouvrage militant, mais il a l’intérêt de mettre en lumière les éléments sociaux et économiques relatifs aux Antilles françaises qu’ignorent les rapports strictement scientifiques.

Rien de vraiment nouveau donc mais, vu que le procès a l’air de s’enliser et que les responsables de l’affaire ne sont pas près de répondre de leurs actes devant un juge, il ne m’a pas semblé inutile de participer, modestement, à rafraîchir les mémoires.

Décroissance

Phloroglucinol, carbocistéine, Exacyl, buflomedil

Tous ces produits que j’ai appris pendant mes stages d’internat ou lors de mes remplacements, mon clavier a fini par les oublier. Petit à petit.

Je repense à mes premières ordonnances du début. À l’époque où, faute de mieux, je tâchais d’imiter mes maîtres, de recopier les prescriptions des médecins que je remplaçais. À l’époque où je découvrais tout juste la revue Prescrire et qu’elle me semblait décidément bien aride.

Gingko, trimétazidine, Hexaquine, acetyl-leucine…

Plus je lisais, plus je comprenais ce que je faisais, plus je m’appropriais mes prescriptions, m’éloignant du recopiage et de l’imitation.

Je saisissais l’inutilité de certaines molécules quand ce n’était pas de « familles thérapeutiques » entières. Convaincu moi-même, je me sentais plus à l’aise pour l’expliquer à mes patients.

J’ai appris à négocier. « Bon, je vous laisse le Tanakan inscrit sur l’ordonnance et je vous propose de ne pas le prendre aujourd’hui. Mais si vous trouvez vraiment que ça va moins bien d’ici deux ou trois semaines, vous pourrez aller le chercher. Ce sera à vous de décider. » Et le plus souvent, à la consultation suivante, cette ligne disparaissait de l’ordonnance chronique.

Coquelusedal, thiocolchicoside, Lysopaïne, diosmine…

J’ai encore du progrès à faire. Je me sens toujours un peu sale quand je continue à noter des « pschitts » pour le nez. Je me dis que, si je les enlève, il ne restera généralement plus que le paracétamol sur les prescriptions des patients qui viennent me voir pour leurs rhino-broncho-laryngo-pharyngites.

Il m’arrive de lâcher sur certains de ces produits lorsque, vraiment, le patient insiste de trop et qu’ils sont dénués d’effets indésirables sérieux.

Et il reste bien encore un peu d’Ikorel sur quelques ordonnances.

Je ne me sens pas encore assez sûr de moi pour mener ces batailles et franchir ces derniers pas. Mais je pense que, petit à petit, j’y parviendrai dans les prochaines années.

Hexaspray, nifuroxazide, Pivalone, beta-histine…

Immense privilège du médecin installé par rapport au remplaçant que j’étais, je peux infléchir progressivement les prescriptions de mes patients chroniques, les habitudes des autres pour les petites pathologies aiguës.

De la même manière, j’ai appris à me concentrer sur une seule molécule, parfois deux, pour chaque famille de médicaments. Mon IEC, c’est le ramipril, mon macrolide, c’est la spiramycine, mon anticalcique, l’amlodipine, mes benzo, l’alprazolam ou le clotiazepam.

Je les maîtrise bien, leurs dosages, leurs indications, leurs présentations.

Les autres, je les connais plus vaguement. En cas de besoin, je sais où chercher les informations, mais je ne m’en surcharge pas l’esprit.

Troxérutine, heptaminol, magnésium, Hélicidine…

C’est beaucoup plus facile pour moi en fait. Plus confortable aussi.

Année après année, j’ai arrêté de prescrire tous ces produits. Mes patients ne s’en portent visiblement pas plus mal. Peut-être mieux. Ils ne mettent en tout cas pas plus de temps à guérir de leurs rhumes ou de leurs vertiges paroxystiques.

Petit à petit, mes ordonnances se simplifient.

L’une après l’autre disparaissent babioles et fanfreluches.

Je me concentre sur l’essentiel et me dépouille de l’inutile.

Post-scriptum : quelques chiffres

On m’a plusieurs fois posé la question pour savoir si le fait d’avoir signé le CAPI avait modifié ma pratique.

Histoire d’alimenter la discussion et les réflexions de chacun, je vous livre ici une bonne part des données statistiques concernant mon CAPI, puisées sur le site de la caisse (je n’ai pas tout mis pour ne pas trop alourdir mais les autres données sont exactement du même ordre).

A noter que la présentation en pourcentage peut-être trompeuse : les statistiques portent souvent sur des pools de patients assez réduits (pas plus de 30 diabétiques par exemple) et un patient en plus ou en moins peut vite donner une impression de changement notable.

A chacun de voir dans quelle mesure la signature du CAPI a constitué un conflit d’intérêts et a influencé mes manières de faire.

Mais je n’ai pas la prétention d’être représentatif de tous les médecins.

Données CAPI

Les conseilleurs et les payeurs

Bon. Mon ami Dominique Dupagne s’est fendu, comme pour le CAPI, d’une nouvelle affiche pour dénoncer l’intégration d’une « Prime à la performance » dans la nouvelle convention des Syndicats médicaux.

Bien sûr, lorsque j’ai découvert cette affiche, j’ai un peu grincé des dents. Cette manière angélique de présenter les médecins qui refuseraient cette nouvelle disposition mène forcément à présenter en négatif ceux qui l’accepteraient.

Parler de « commissionnement » est peut-être juste sur le plan étymologique, mais c’est un peu comme si je parlais de rémunération « à la passe » pour le système actuel. Pas très élégant.

Bref, je m’étais dit que je n’allais pas refaire le débat du CAPI puisque, pour l’essentiel, les arguments et contre-arguments sont les mêmes.

Je pensais qu’on allait rester sur une belle déclaration de principe.

Quoi qu’on en pense, ceux qui refuseront la rémunération à la performance seront extrêmement minoritaires. D’une part, parce que l’acceptation est tacite et que c’est la renonciation qui demande une démarche volontaire. D’autre part, parce que cette renonciation représenterait un gros sacrifice financier pour beaucoup de médecins (et, j’en suis sûr, en particulier pour ceux qui pourraient se retrouver dans les arguments de Dominique Dupagne ou du SMG).

Je pensais donc, qu’on allait en rester à un de ces coups de gueule, le plus souvent salutaires, auxquels Dominique nous a habitués.

Et, finalement, je me retrouve à écrire ce billet et à endosser, parce qu’il en faut bien un, le mauvais rôle pour m’opposer à ceux qui aspirent à la béatification.

Car je viens de découvrir, un peu stupéfait, que deux jeunes consoeurs, pour qui j’ai amitié et estime, ont vraiment cru à ce combat et s’apprêtaient à faire leur lettre de renonciation.

Comme si ça allait changer quoi que ce soit pour les caisses.

Comme si les quelques âmes pures et admirables (sans ironie) et autres militants chevronnés allaient faire changer la convention signée entre l’assureur maladie et des syndicats médicaux ultra-majoritaires.

Je ne vais même pas parler du bien fondé ou non de cette rémunération à la performance. Mes arguments ne sont pas fondamentalement différents de ceux portant sur le CAPI.

Je n’ai (plus) aucune tendresse ni aucune naïveté vis-a-vis des Caisses maladies. J’ai pu expérimenter personnellement combien leurs statistiques pouvaient, à l’occasion, être fantaisistes, combien les critères choisis pouvaient, pour certains, être discutables, combien les médecins étaient mal armés pour se défendre, pots de terre contre marmite de fer.

Je n’en ai pas davantage vis-a-vis des syndicats médicaux dits représentatifs. Syndicats qui sont marqués, à des degrés divers, par un épouvantable conservatisme et une absence dramatique de capacités d’imagination, sans même parler de l’orientation politique de certains d’entre eux qui me révulse.

Mais ce sont aussi les principes de la démocratie. Je suis syndiqué, je vote à toutes les élections professionnelles, mais ensuite j’accepte d’être minoritaire.

Cette nouvelle convention, contrairement au CAPI, elle a été négociée entre nos syndicats « représentatifs » et l’Assurance maladie.

Il est totalement illusoire d’imaginer qu’on va la faire changer. C’est elle qui constituera dorénavant notre cadre professionnel.

Et il faut quand même souligner que cette nouvelle prime va constituer une importante avancée financière pour les généralistes alors que nous sommes habitués, depuis vingt ans, à péniblement quémander des revalorisations de 5 F ou d’1 € qui mettent des années à venir. Nous n’avons pas à nous excuser de cette revalorisation. A moins d’être des ça-fait-rien, la seule comparaison avec les pays étrangers pourrait suffire à clore le débat.

Il n’y aura pas, à court ou moyen terme, d’autre revalorisation que cette nouvelle prime et y renoncer représente donc un gros sacrifice.

(Pour parler en toute transparence, le montant de cette prime pourrait s’échelonner de zéro, si on s’acharne vraiment à travailler comme le Docteur Moustache, à 7 ou 8 000 euros pour un médecin dans mon genre. Et je rappelle que c’est une somme brute, et non pas du net qui tombe dans notre poche.)

Reste donc la seule question qui vaille : accepter cette prime constitue-t-il une telle atteinte à ma déontologie qu’il mérite que je renonce à ces x milles euros ?

On peut estimer que oui, et je le respecte.

J’aurais cependant tendance à penser que notre déontologie subit bien d’autres menaces probablement plus inquiétantes (parmi lesquelles le principe même du paiement à l’acte qui est, en soi, un sacré conflit d’intérêts). Mais, admettons.

Ce que je sais, c’est que n’iront au bout de cette démarche que quelques militants acharnés pour lesquels j’ai la plus sincère amitié et admiration, et ceux qui, installés depuis longtemps ou travaillant en secteur 2 avec dépassements d’honoraires, auront les reins financiers assez solides pour passer ce sacrifice par pertes et profits. Bravo à eux d’aller ainsi au bout de leurs convictions. Tant mieux pour eux d’avoir les moyens de se le permettre.

Ce seront là des démarches individuelles, personnelles. Comme pourrait l’être le fait de percevoir cette prime pour la reverser à MSF ou à la Cimade.

Faire croire que ça puisse déboucher sur un mouvement collectif qui ferait changer les choses est une escroquerie.

C’est pourquoi je trouve quand même un peu scandaleux qu’en se donnant ainsi en exemple et en prenant une telle posture, ils entraînent de jeunes confrères, justement parmi les plus sincères et les plus engagés, dans cette lutte de principe, perdue d’avance.

Car ceux-là n’ont certainement pas les réserves financières pour pouvoir se permettre un tel sacrifice.

Et quand je parle de sacrifice, je ne parle pas forcément de renoncer à acheter « des sacs à main ou des playmobils » mais, par exemple, d’investir dans leur matériel et l’aménagement de leur cabinet afin d’offrir les meilleures conditions d’accueil à leurs patients. Ou bien encore de pouvoir embaucher une secrétaire. Et de la rémunérer correctement.

Culpabiliser de jeunes médecins sincères et dévoués en les invitant à se pénaliser aussi considérablement me pose un vrai problème.

J’ai décidément toujours un peu de mal quand les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

Business as usual

Le médicament n’est pas un produit anodin. Il répond à une définition précise, obéit à une réglementation très stricte, et s’inscrit dans un circuit hautement qualifié et surveillé. (1)

 

« Allo Dr Borée ? Bonjour, c’est la pharmacie PiluleDorée.

– Oui, bonjour.

– Dites-voir, Melle Sophie, pour sa pilule… Vous lui avez renouvelé sa Varnoline continue mais elle est en rupture ? Je peux lui mettre quoi à la place ? »

Ce genre de coups de fils n’est pas rare. Je dirais même qu’il semble être de plus en plus fréquent. C’est pénible et, parfois, ça peut carrément poser problème dans le cadre d’un traitement chronique précis.

Naïvement, je me disais que c’était ce qui arrivait dans le cadre d’une industrie de haute technologie. D’autant plus que la mode est aux flux tendus et que, du coup, chaque grain de sable peut gripper la machine.

Je savais bien que, parfois, ce n’était pas très clair. Ainsi du vaccin DTPolio© qui, avant d’être retiré pour des raisons un peu mystérieuses, a été chroniquement en rupture, ne nous laissant que le Revaxis© qui n’est pourtant pas officiellement indiqué chez l’enfant et qui, surtout, vaut presque deux fois plus cher. Mais je pensais que c’était une exception.

Benêt que j’étais !

Les pharmaciens sont informés par leurs grossistes, en temps réel grâce à l’informatique, ou sous format papier chaque semaine, de la liste des médicaments « en rupture ». Cette liste est impressionnante : il y a en permanence plusieurs centaines de produits sur la liste. Pas que des produits de première nécessité, souvent des génériques du laboratoire A alors que le laboratoire B continue à fournir, mais quand même, ça fait du monde.

Dans le tas, il s’agit en effet parfois de problèmes de fabrication :

PRIMPERAN GTT BUV EN FL60ML => Etat : PROBLEME DE FABRICATION

On se dit que c’est bien dommage de payer aussi cher des armées de chercheurs, de chimistes et de techniciens pour se retrouver avec ce genre de difficultés. Mais on peut le comprendre.

Parfois, le motif de rupture nous ramène à l’époque de la Roumanie de Ceausescu :

XANAX CPR SECA 0MG25 BT30 => Etat : PENURIE

CELESTENE AMP INJ 4MG 1ML BT3 => Etat : RUPTURE DE STOCK

Ça, c’est quand le laboratoire a tellement bien serré ses lignes de production, qu’il se retrouve à essayer de compenser en livrant un peu chaque répartiteur et chaque région à tour de rôle.

Mais pas toujours.

1. L’exportation (illégale) des stocks français

L’Europe étant un marché unique où la concurrence est « libre et non faussée », certains font le choix de privilégier tel ou tel marché au gré de la concurrence et des prix proposés. C’est ainsi que des médicaments prévus pour le marché français sont exportés vers des pays où les tarifs sont plus intéressants (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas…).

Si les grossistes français sont autorisés à exporter légalement une partie de leurs stocks, ils sont également tenus de respecter certaines obligations de service public et de ne pas toucher à un stock réservé au marché national. Mais comme leur calculettes ne marchent pas toujours très bien, c’est pas de chance, il leur arrive de dépasser leurs quotas d’exportations et de puiser dans le stock théoriquement réservé à la France pour augmenter leur marges en les vendant à l’étranger. Voilà qui ne fait pas nos affaires.

Mais il y a plus amusant.

2. Les labos se défendent et créent la pénurie

Car, bien souvent, ces ruptures de stocks sont parfaitement voulues par le laboratoire.

CELEBREX GEL 200MG BT30 => Etat : MANQUE QUOTA FOURNISSEUR

Bien plus agressifs que les classiques grossistes-répartiteurs, et jouant aux marges de la légalité, de nouveaux acteurs  sont apparus pour profiter de ce marché ouvert : les short liners qui se spécialisent sur des gammes restreintes de produits et qui pratiquent des exportations à « prix cassé » d’un pays à l’autre.

C’est pourquoi les laboratoires, pour se défendre contre ces pratiques et maintenir leurs marges bénéficiaires, vont fréquemment limiter volontairement les quantités fournies afin d’assécher ces filières parallèles (qui ne représentent en fait guère plus de 2 ou 3% du marché).

Un autre exemple ?

3. Se passer du grossiste et se répartir les bénefs

Le Crestor© (un traitement contre le cholestérol) est actuellement en « rupture quota fournisseur » chez plusieurs des sept grossistes français et, donc, chez leurs clients pharmaciens. Mais pour les pharmacies qui s’adressent directement à AstraZenecca, pas de problème, il y en a ! Cette manoeuvre permet de zapper le grossiste-répartiteur et de se partager sa marge habituelle de 1,57 € par boîte. Généralement, 40% de cette économie va au pharmacien et 60% au laboratoire. Pour les patients de ces pharmaciens malins, et la Sécu, bien sûr, ça ne change rien.

Quant aux clients des pharmaciens plus « honnêtes », tant pis pour eux.

Encore un exemple ?

4. La pénurie pour orienter la demande

Le Plavix© est une molécule phare de Sanofi-Aventis, un chiffre d’affaire énorme, un blockbuster comme on dit dans le milieu du cinéma ou de ceux qui s’occupent de votre santé. Le brevet arrivant sur la fin en 2009, Sanofi Aventis a logiquement décidé de… mettre le Plavix© en rupture de stock.

Heureusement, un génériqueur, le laboratoire Winthrop, était prêt avant tous ses concurrents (qui attendaient bien sagement que le brevet soit vraiment tombé dans le domaine public) et a pu alors inonder le marché de Clopidogrel Winthrop©.

Mais Sanofi-Aventis n’a-t-il pas fait un procès à Winthrop qui mettait ainsi sur le marché un produit aussi incontournable que breveté pour encore quelques semaines ? Non, bien sûr, puisque Winthrop (qui vient de changer de nom pour devenir Zentiva) est la filiale générique de Sanofi et qu’il s’agissait simplement de lui donner une longueur d’avance sur ses concurrents.

Un dernier pour la route ?

5. La pénurie plutôt que les taxes

Je dois avouer que c’est la situation qui me scandalise le plus car il s’agit d’une stratégie pile-je-gagne-face-tu-perds de la part de l’industrie.

En France, le prix des médicaments remboursés est fixé par le Comité économique des produits de santé, dans le cadre de négociations avec les industriels. Au-delà du prix, le comité détermine des garde-fous en négociant également un volume maximum annuel de vente afin que les laboratoires ne soient pas tentés de promouvoir leurs produits plus que de raison. Au-delà de ce volume annuel, les industriels sont lourdement taxés.

C’est pourquoi, chaque fin de trimestre (l’évaluation suivant ce rythme), certains préfèrent se mettre en rupture de stocks plutôt que de payer les taxes. Malin, non ?

6. Déshabiller Paul pour rhabiller Jean

Enfin, bon, on pleure sur ces situations de pénurie mais heureusement, le génie français n’est jamais pris au dépourvu pour trouver des solutions. Et pour faire avancer la construction européenne par la même occasion.

C’est ainsi qu’un grand laboratoire français dont le nom commence par S. commercialisant un célèbre antidiabétique organise son propre marché parallèle afin de contourner ce système de quotas.

Un partenaire italien (histoire que ça ne se voit pas de trop), « vend » ainsi du Diabicon LP, fabriqué dans le sud de la France, en Bulgarie, pour le ré importer immédiatement en France. C’est dans une entreprise de la région parisienne que des petites mains retirent la notice bulgare, la remplacent par la notice française et changent les vignettes qui portent la discrète mention « IP » (pour Importation Parallèle).

L’avantage pour le labo, c’est qu’il empoche une grande partie de la marge du grossiste-répartiteur (qui est contourné dans la manœuvre). L’avantage pour le pharmacien qui se fournit dans cette filière, c’est qu’il empoche lui aussi une partie de cette marge.

Quant à la Sécu, elle ne dit trop rien puisqu’elle a le droit de piocher aussi un peu dans le pot de miel, la vignette « IP » étant 5% moins cher que la vignette France.

L’inconvénient, c’est que, pour le coup, ce sont les Bulgares qui n’auront pas assez de Diabicon cette année, mais on s’en fout, ce sont des pauvres…

Au final, je me dis que c’est presque rassurant de constater que si : le médicament est quand même un peu un produit comme tous les autres. Business as usual.

 

(1) Cette belle déclaration de principe est issue du site du LEEM, le syndicat de l’industrie pharmaceutique.
Merci à P. de m’avoir ouvert des fenêtres méconnues.
P.S. Varnoline, Celebrex, Crestor : on est bien d’accord que ne sont pas forcément les médicaments les plus utiles qui sont cités mais ce sont des exemples puisés dans la situation actuelle lors de la rédaction de ce billet.

Anticipation

Site DMP.gouv.fr – 5 juin 2011

Outil de coordination des soins, le DMP (Dossier Médical Personnel) est un service public proposé gratuitement à tous les bénéficiaires de l’assurance maladie. Il est mis en place par l’ASIP Santé (Agence des systèmes d’information partagés de santé), placée sous l’égide du ministère en charge de la santé.

Le DMP est un service vous permettant d’accéder simplement et rapidement, en toute sécurité, aux données de santé et aux informations pertinentes pour la prise en charge de votre patient.

Le DMP enrichit le dialogue avec votre patient : il vous permet d’accéder simplement et rapidement aux informations qui le concernent, tout en respectant le secret professionnel.

Si vous prenez en charge un patient en situation d’urgence, vous pouvez accéder directement à son DMP sans avoir à obtenir son accord. Il s’agit dans ce cas de la fonction « bris de glace ». Cette possibilité offre une aide concrète au diagnostic en situation d’urgence.

Le patient garde à tout moment la possibilité de le fermer, de supprimer tout ou partie des documents qu’il contient, ou de masquer certaines données de santé. De ce point de vue, le DMP, qui est à la fois personnel et partagé, est conforme aux droits des patients qui posent comme principes l’information, le consentement et la confidentialité. Il est strictement réservé au patient et aux professionnels de santé autorisés.

Libération – 21 décembre 2016

Dossier Médical Personnel et candidats à l’embauche : la Cour européenne saisie

Olivier Bloch a annoncé qu’il allait saisir la Cour européenne des droits de l’Homme suite au rejet de sa plainte par la Cour de Cassation. En effet, celle-ci a estimé qu’il n’était pas illégal de la part d’un employeur de demander aux candidats à l’embauche à ce que le médecin du travail puisse avoir accès à leur DMP (Dossier Médical Personnel) « dès lors qu’il existe des raisons sérieuses à s’assurer de la santé des candidats à l’embauche au regard des risques inhérents aux postes de travail brigués. » Par ailleurs, la cour a insisté sur le fait que l’accès au DMP par le médecin du travail « n’avait pas de caractère obligatoire et que le candidat était libre d’en refuser l’accès. »

Elle a ainsi rejeté les arguments de l’avocat de M. Bloch qui estimait que « cette liberté est virtuelle sur un marché du travail aussi déséquilibré, où le taux croissant du chômage place les prétendants à l’embauche dans une situation de fragilité et où un tel refus implique automatiquement de renoncer au poste envisagé. »

Google News– 16 mai 2017

Drame de Touleaux : plus jamais ça !

À la suite du drame de Touleaux survenu la semaine dernière, au cours duquel un déséquilibré a parcouru la ville en tirant au hasard occasionnant la mort de onze personnes, dont une fillette de six ans et son frère de neuf ans, le Président de la République, tout juste élu, a fait une déclaration dans laquelle il dit partager l’émotion et le sentiment d’horreur de la population. Il a annoncé que toutes les mesures nécessaires seraient prises pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise. Sans attendre, il a interpellé la Ministre de la Santé, lui enjoignant de se saisir des questions concernant les informations figurant sur le DMP (Dossier Médical Personnel).

L’enquête de police a en effet révélé que le déséquilibré avait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique pour des accès délirants en lien avec une schizophrénie. Il avait demandé à son médecin traitant officiel, comme la loi l’y autorisait, à supprimer ces données de son DMP. Profitant des vacances de ce généraliste, il avait consulté un autre praticien pour obtenir sa licence de tir sportif, sans le tenir avisé de ses lourds antécédents. Le Premier Ministre s’est rendu sur place pour présenter ses condoléances aux familles des victimes. Aux parents des deux enfants tués, il a déclaré que le gouvernement allait abroger cette possibilité de dissimulation d’informations médicales essentielles. « Plus jamais ça » a-t-il conclu.

Le Quotidien Médical – 30 janvier 2022

Des puces RFID pour le DMP ?

Le Quotidien a rencontré M. Henry Forster, PDG de la société Soma inc. qui est en cours de discussion avec l’Assurance Maladie afin de présenter son nouveau dispositif  de DMUP (Dossier Médical Ultra-Personnel).

Le Quotidien : En quoi consiste cette nouvelle technologie ?

H. Forster : Il s’agit d’une micropuce RFID ou transpondeur que nous proposons d’implanter directement sous la peau des patients et qui reprend l’ensemble des informations existantes sur le classique et, disons-le, un peu obsolète DMP. Les données peuvent être décryptées de manière automatique grâce à des lecteurs placés à quelques dizaines de centimètres de la personne.

L’implantation se fait à l’aide d’une aiguille à peine plus grosse que celle utilisée pour une injection intramusculaire. Grâce à un patch anesthésiant, le processus est totalement indolore. Ce transpondeur est tellement petit qu’il ne provoque aucune gêne : les patients l’oublient totalement.

Le Quotidien : Quel est l’intérêt de ce nouveau dispositif ?

H. Forster : Le DMP classique ne répond plus aux exigences actuelles. Trop souvent, les gens n’ont pas leur Carte VitalePlus sur eux et il n’est pas possible pour les médecins d’accéder à des informations pourtant cruciales. C’est tout particulièrement vrai dans le cadre de l’urgence. Des vies pourraient être sauvées si les secouristes pouvaient obtenir sans délai les données médicales des patients ! D’après nos estimations, ce ne sont pas moins de mille deux cents décès qui pourraient ainsi être évités chaque année grâce à ce dispositif. Nous devons tout faire pour prévenir de tels drames.

Le Fig Online – 24 août 2033

Le DMUP bientôt obligatoire

Le gouvernement a annoncé qu’il avait opté pour la procédure d’urgence afin d’adopter la proposition de loi cosignée par deux députés de la Droite Populaire et Nationale. Cette proposition vise à priver de droits sociaux les assurés refusant l’implantation d’un DMUP (Dossier Médical UltraPersonnel). Malgré les larges mesures de délégation aux assureurs privés, le déficit de la Sécurité Sociale a battu un nouveau record cette année. La députée du Var, Marinelle Luca a mis en avant le « coût faramineux, estimé à 800 millions de NéoFrancs , que représentent les examens inutiles et redondants dont profitent les assurés qui refusent l’implantation d’un DMUP. Un effort que la collectivité ne peut plus supporter. » Quant au député du Rhône, Christian Vannisch, il a insisté sur « les 150 millions de NéoFrancs que coûtent à la solidarité nationale les immigrés illégaux qui profitent des possibilités de fraude » offertes par le traditionnel DMP, avant d’ajouter « Il est temps pour certains d’assumer les conséquences financières de leur égoïsme. »

Le chef parlementaire de l’opposition, Arnaud Zay, s’est élevé contre cette « attaque sans précédent envers les libertés fondamentales » et a reproché au gouvernement de « profiter de la torpeur estivale pour mettre un nouveau coup de boutoir aux fondements de notre société. »

Fox News France – 10 novembre 2038

Un nouveau réseau « d’effaceurs » démantelé dans le Gers

La Police Nationale vient de procéder à l’arrestation de deux médecins et d’un informaticien qui étaient à la tête d’un important réseau « d’effaceurs » basé dans le Sud-Ouest. Les Drs Gras et Fantou effectuaient l’ablation des DMUP avant d’implanter des transpondeurs trafiqués par l’informaticien de la bande. Le réseau, qui semble avoir agi pour des motifs idéologiques, était essentiellement fréquenté par des immigrés clandestins et des rebelles de l’ultra-gauche, membres du groupuscule « Droit à l’oubli ». Le directeur de la Police Nationale a confirmé que des ordinateurs ont été saisis. Ceci devrait permettre de remonter jusqu’à des femmes qui ont pu ainsi faire disparaître de leurs données personnelles les avortements qu’elle avaient pratiqué à l’époque où ceci était encore autorisé et à des toxicomanes qui avaient suivi de soi-disant traitements de substitution.

Ne manquez pas les images de l’arrestation dans notre édition de 20 heures avec George O’Brien.

***

Seul le premier paragraphe est authentique. Le reste ne constitue qu’un exercice de pure fiction.

Toute ressemblance avec des faits ou des personnes réels n’est cependant pas vraiment fortuite.

Pour illustrer ce billet, j’ai choisi l’affiche du film « Bienvenue à Gattaca ». Il figure dans ma top-liste cinématographique. Je ne peux qu’encourager celles et ceux qui ne le connaissent pas à le visionner. Ils comprendront certainement pourquoi je ne suis pas prêt d’alimenter le DMP de mes patients au-delà des allergies et du groupe sanguin.

Tous mes patients « lourds » disposent de la version papier de leur dossier médical. Je l’actualise une à deux fois par an et je leur demande de la garder avec eux au cas où ils auraient un problème en mon absence.

Je conclurai en reprenant la citation mise en exergue par le blog Police :

« Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre. »
Thomas Jefferson

***

Edition du 17/06 – 0h20

Je voulais développer quelques arguments suite à certains commentaires. Ma réponse prenant du volume, il m’a semblé plus judicieux d’en faire un post-scriptum.

J’ai choisi de m’attaquer à l’un des questionnements éthiques soulevés par la question du DMP.

Il existe aussi une multitude d’arguments très pragmatiques qui pourraient être mis en avant. L’aspect usine à gaz, la fiabilité technique, l’implication et la motivation des professionnels de soins, etc… mais d’autres en ont déjà parlé bien mieux que moi.

Bien sûr qu’il est déjà faisable, pour qui le veut vraiment, de connaître les données médicales d’autrui. Le site Ameli offre déjà des possibilités. Mon cabinet n’est pas très dur à cambrioler. Les barbouzes ont toujours existé.

Mais ceci n’a rien à voir avec un fichier centralisé, détaillé, complet et sans limites de temps.

On peut penser que j’ai tort, même si j’aurais tendance à considérer que l’évolution de nos sociétés depuis 20 ans va dans ce sens : on peut imaginer des tas de protections, garanties et limitations aujourd’hui. Je veux bien croire, en effet, en la bonne foi de la majorité des décideurs ou techniciens actuels.

Mais je n’ai guère confiance pour l’avenir. Je suis convaincu que, progressivement, au gré de faits divers et des bouffées émotionnelles de l’opinion, ces barrières sauteront. Les unes après les autres. Et je trouve bien aventureux de se doter d’outils qui pourraient aussi aisément être détournés en tablant sur l’honnêteté, l’intégrité et le caractère démocratique de nos sociétés pour les cent ans à venir.

Bien sûr, ces problèmes existent déjà largement ailleurs et c’est un inquiétant phénomène global. Les banques, les administrations, Facebook nous ont largement devancé. En revanche, dans ce cas précis, ce sont les médecins généralistes qui seront les chevilles ouvrières du dispositif.

Sur le reste, je n’ai pas plus de prise que n’importe quel citoyen. Mais là-dessus, oui, je peux agir à mon petit niveau.

En ce qui concerne le fond : qu’il y ait des problèmes de communication dans notre système de santé, bien sûr !

Mais plutôt qu’un problème technique, c’est une affaire de volonté. Et de moyens.

Mes patients me rapportent fréquemment l’étonnement de certains correspondants, anesthésistes compris, face à mes courriers longs et détaillés reprenant l’ensemble des antécédents et des traitements, quelques données importantes et les derniers bilans biologiques. Le mérite est relatif : la plupart des logiciels médicaux permettent de faire ceci simplement et rapidement.

Mais ça prend quand même un peu de temps.

Comme il prend du temps le fait d’alimenter son propre dossier, de le tenir à jour, de vérifier que les données y sont et qu’elles sont actualisées.

Comme il prend du temps d’appeler les confrères pour récupérer les lettres qui se sont égarées où qu’ils n’ont pas pris le temps de faire.

Et, je l’ai déjà exprimé, on sait que notre système ne rémunère pas la qualité et surtout pas la qualité qui prend du temps. Pas étonnant que la communication se fasse mal.

Peut-être qu’avant d’imaginer que la déesse Technologie va nous apporter la solution là où la responsabilité individuelle ne suffit pas toujours, on pourrait imaginer d’autres pistes, simples, pragmatiques. Sans même pousser le raisonnement aussi loin que Philippe Ameline le propose dans ses commentaires ci-dessous (et son analyse est très intéressante).

Pourquoi ne pas imaginer une rémunération de quelques euros pour chaque lettre rédigée sous condition qu’elle renferme certaines informations impératives (antécédents, traitement avec les posologies complètes, allergies…) ?

Aujourd’hui, la Sécurité sociale offre une humiliante prime de 4 euros pour une « consultation annuelle approfondie » pour nos patients en Affection de Longue Durée avec remise d’un document de synthèse.

Pourquoi le réserver aux patients en ALD ? Croit-on sérieusement qu’il y a beaucoup de médecins pour produire un dossier de synthèse sérieux pour une somme aussi ridicule ?

Que l’on rémunère convenablement la qualité. Que l’on valorise sérieusement l’indispensable travail de coordination. Eventuellement, que l’on sanctionne ceux qui travaillent comme des porcs en faisant courir des risques à leurs patients.

Mais que l’on ne me fasse pas croire que la technologie pourrait à moindre coût combler ces défaillances.

Tellement de risques pour si peu de bénéfices.

Il est drôle (pas tellement en fait) de voir certains parmi les commentateurs reprendre très précisément le raisonnement que j’ai caricaturé dans le billet. Il sera TOUJOURS possible d’imaginer des situations, en effet parfois dramatiques, qu’on aurait, peut-être, éventuellement, pu éviter avec un dispositif de type DMP.

Dans un premier temps, il faudrait démontrer que la réalité verrait s’accomplir les promesses faites sur le papier. On peut avoir quelques doutes.

Mais surtout, se pose la question, beaucoup plus large, déjà entraperçue dans Mauvais Sang, de la capacité à vivre le risque qu’ont encore, ou pas, notre société et les individus qui la composent.

L’actualité nous fournit sans cesse de nouveaux exemples. Parce qu’il y a un violeur sur cent qui récidive après sa peine (et il y en aura toujours, l’un ou l’autre, c’est aussi imprévisible qu’inévitable), faut-il laisser les 99 autres enfermés jusqu’à leur mort ?

Jusqu’où est-on prêt à aller dans la remise en cause de certaines valeurs fondamentales dans le but (chimérique ?) d’éliminer tout risque ?

Déontologie ? Où ça ?

J’ai reçu récemment un aimable message de mon Conseil de l’Ordre. Une « circulaire » plus précisément.

Nous y apprenions que des Conseils départementaux avaient été sollicités en février par l’Université McGill de Montréal – certainement une microscopique université de seconde zone dans un pays de pingouins (1) – afin de diffuser une enquête du département de neurosciences auprès des médecins de France.

Il s’agissait du volet français d’une étude portant sur « Les placebos dans la pratique de la santé » menée par le Pr Amir Raz, un psychiatre formé dans des universités probablement aussi subalternes qu’étrangères (Jerusalem, Cornell, Columbia). Cette étude visait à identifier les déterminants de la prescription de placebos par les médecins.

Tout à leur sagesse, les Conseils départementaux avaient sollicités le Conseil national pour savoir s’il était possible de diffuser cette enquête.

Les grands manitous se sont donc penchés sur les aspects déontologiques de la chose. C’est normal, c’est leur boulot. Sauf qu’ils auraient tout aussi pu considérer plus raisonnable de refuser cette demande et d’aider les auteurs de l’étude à s’orienter vers d’autres voies de diffusion plus adéquates (Facs, organisations professionnelles…). Ces chercheurs canadiens, peu habitués à notre très-français système « d’Ordre », ne le savaient probablement pas mais est-il de la mission du Conseil de l’Ordre de faire l’intermédiaire entre les chercheurs et les médecins ?

Plutôt que de dénaturer éventuellement un travail scientifique en rendant impossible toute comparaison internationale, peut-être auraient-ils mieux fait de ne pas s’occuper de ça.

Mais, non. Haussant les sourcils, dodelinant de la tête, ajustant leurs lunettes, ils ont analysé l’étude, ont sursauté et ont demandé que deux questions de l’enquête soient modifiées.

Il s’agissait de la question n°17 « J’ai prescrit ou administré un placebo au cours de situations suivantes : » dont une des options proposées était « afin que le patient cesse de se plaindre » ; et de la question n°19 « Les placebos ont plus de chance d’avoir un effet thérapeutique puissant pour les catégories de personnes suivantes : » dont un des items était « les patients dont l’héritage culturel n’est pas occidental ».

En effet, d’après nos conseillers ordinaux « Ces deux affirmations, dans leur rédaction, sont contraires au principe de notre déontologie médicale qui rappelle que le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience, toutes personnes quelle que soient leur origine, leurs moeurs et leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. »

A ce stade, nous pourrons constater qu’il n’a pas paru particulièrement anti-déontologique à l’Ordre que des médecins aient pu prescrire des antibiotiques pour une infection qu’ils savaient virale, injecter une solution saline en intramusculaire (question n°10), qu’ils aient pu mentir au patient en affirmant qu’un placebo est un vrai médicament (question n°12) ou qu’ils aient cédé à une demande injustifiée pour une médication (question n°17). Ni qu’ils considèrent qu’un placebo puisse être davantage efficace chez les femmes, les patients de faible niveau scolaire ou les malades mentaux (question n°19).

Mais, bon, passons…

L’auteur de l’étude a accepté de modifier les deux items incriminés et finalement, le Conseil de l’Ordre a bien voulu diffuser ce questionnaire :

  • dans sa version originale non rectifiée (c’était bien la peine de se donner tout ce mal pour se mélanger dans les fichiers),
  • dans une version pdf pour une enquête destinée à être remplie en ligne… mais sans indiquer l’adresse web (elle est tronquée sur les documents transmis).

Bravo, bravo, on sent que nous sommes à la pointe des nouvelles technologies.

Bon, je me moque, je me moque mais, jusque là, il n’y a pas vraiment de quoi fouetter un chat. Ni en faire un billet de blog.

Ce qui m’a vraiment atterré dans cette affaire, c’est bien cette « censure » qu’a voulu imposer le Conseil de l’Ordre au nom de la déontologie.

Plutôt que de se poser des questions légitimes, de chercher à comprendre les mécanismes de la prescription médicale, on préfère nier le problème en évitant tout simplement de poser la question. Un mécanisme de type « arrêtducrime » en novlangue orwélienne.

Prescrire un placebo « pour que le patient arrête de se plaindre » : quel médecin ne l’a jamais fait ? Et les ordonnances de Daflon « pour les jambes lourdes », de Ginko « pour la mémoire », de Vastarel « pour les vertiges », c’est quoi ?

Mais d’après le Conseil de l’Ordre, ça n’existe pas, ça ne PEUT pas exister, puisque ce n’est pas déontologique.

Prenons l’exemple du « syndrome méditerranéen », dont j’ai entendu parler dès mon premier stage d’externe : que vaut-il mieux ? Essayer de comprendre sur quelles croyances médicales il repose, le confronter à la réalité, éventuellement le dénoncer s’il s’agit d’un concept erroné ou, s’il y a une réalité, l’étudier pour lui donner une définition moins condescendante ? Ou alors se contenter de dire que c’est un mythe, que jamais aucun médecin n’a pu parler de « syndrome méditerranéen » puisque c’est contraire à la déontologie, et qu’il n’y a donc aucune question à se poser ? Circulez, il n’y a rien à voir.

Vraiment, ça me met en rogne de lire que les préoccupations déontologiques de nos représentants portent sur ceux qui interrogent les éventuels problèmes plutôt que sur les problèmes eux-mêmes. Qu’on casse le thermomètre pour ignorer la fièvre.

Soyez rassurés, braves gens, les médecins français ont toujours un comportement irréprochable (si vous suivez mon blog, vous le saviez déjà). L’inverse est tout bonnement impossible puisque ce ne serait pas conforme au code de déontologie.

Le plus amusant, c’est qu’avant de faire de la recherche médicale, le Pr Amir Raz avait fait une carrière de magicien.

Il est donc bien surprenant que les conseillers de l’Ordre ne lui aient pas réservé meilleur accueil. Après un aussi joli coup de bonneteau déontologique, ils auraient pu se trouver bien des points communs.

***

Si vous êtes médecin, je vous encourage à participer à cette étude dont le questionnaire original (en français) est en ligne ICI.

Pour ceux qui seraient trop chastes ou respectueux de l’autorité, ils peuvent quand même participer en répondant au questionnaire caviardé ici.

 

(1) En réalité, l’Université McGill est au 19ème rang mondial des Universités. La meilleure « université » française est… 33ème et notre glorieuse Polytechnique, 36ème. En médecine c’est encore mieux : McGill est classée 13ème mondiale quand aucune Faculté française ne figure dans les… 150 premières. Cocorico !

Money, money

Les médecins et l’argent : entre clichés et suppositions fantaisistes, difficile d’aborder le sujet sans déclencher de polémique. Malgré quelques articles qui tentent de mettre fin à la légende du médecin nanti, allant jusqu’à parler de « smicard de la santé », ou se contentant de chiffrer des revenus mensuels, on reste finalement dans le flou. Car l’évaluation d’un revenu va bien au-delà d’une série de chiffres : outre la soustraction initiale entre rentrées et charges fixes, il faut en effet tenir compte de nombreux autres facteurs, parfois inattendus.

Quand il a été question de changer de région pour m’installer, je me suis posé quelques questions. Combien je vais gagner ? Au bout de combien de temps ? Quel emprunt je vais pouvoir assumer pour une maison ? Ce genre de petits détails.

Oh… il n’est pas bien difficile de trouver quelques chiffres mais, en fait, ils ne veulent pas dire grand chose. Savoir que le généraliste français gagne en moyenne 67 000 € par an, ça ne m’aidait que très approximativement. Vu que je ne suis pas forcément « le généraliste moyen ».

J’ai donc fait un beau tableur Excel comme je sais bien les faire et, histoire d’avoir un plan de route, j’ai rempli les cases des dix premières années : combien je pensais que j’allais gagner sur les honoraires, sur les astreintes, combien j’allais dépenser pour payer une secrétaire, pour le loyer…

Avec cinq ans de recul à présent, je peux dire que je me suis un peu planté.

La raison principale c’est que, lorsque je faisais des remplacements, je voyais 20 à 25 patients par jour sans trop forcer et en essayant de faire du bon boulot.

Maintenant que je suis installé et vu la manière dont je travaille, je vois plutôt entre 15 et 20 patients par jour. Quand j’atteins le vingtième, ça veut dire en général que je rentre à 21h30.

Donc je me suis dit que ça pourrait peut-être intéresser quelques futurs installés de savoir, non pas ce que gagne M. Le-généraliste-moyen, mais ce que moi je gagne, comment et à quel travail ça correspond exactement.

Je me suis aussi dit que ce serait l’occasion de calculer mon revenu horaire moyen. Au moment où je débute ce billet je n’en ai, en fait, aucune idée.

I Mes revenus

Tout d’abord, qu’entend-t-on par revenus ? Plusieurs choses dans mon cas. Et ces divers revenus peuvent être classés en deux grandes catégories : les revenus principaux et les revenus annexes.

A Les revenus principaux

Il s’agit avant tout des revenus liés à mon activité conventionnée. C’est ce qu’on envisage en priorité lorsque l’on parle des médecins et, de fait, c’est le gros morceau.

A tout seigneur, tout honneur, les honoraires que je touche pour les actes que j’effectue représentent 84 600 €.

Viennent ensuite quelques autres revenus conventionnés qui représentent pour l’essentiel des paiements forfaitisés :

  • Indemnités d’astreinte  : elles ne sont pas du tout anecdotiques pour moi. Ce montant correspond à 110 astreintes par an, des nuits de 20h à 8h ou des journées du dimanche : 16 500 €
  • Forfaits « Médecin traitant ALD » (40 € par an pour tout patient en Affection Longue Durée) : 8 760 € (soit 219 patients en ALD)
  • Aide à la transmission (qui ne couvre pas le prix du matériel et des logiciels nécessaires) : 220 €
  • Par honnêteté, je vais ajouter ma prime CAPI(1). Je ne l’ai touchée que début 2011 mais comme c’est une nouvelle prime annuelle, il me semble logique de la prendre en compte : 3 700 €.

Total des revenus principaux :  113 780 €.

Il est intéressant de noter que, dans ce montant global, les honoraires restent largement majoritaires mais que les sommes « forfaitisées » représentent tout de même environ 25% du revenu. C’est en grande partie lié à mon nombre important de gardes.

B Revenus annexes

  • J’ai une activité d’expertise pour laquelle je touche des indemnités pour « perte de revenu » : 3 600 €
  • Indemnisations pour la participations à des Formations « conventionnelles » (c’est-a-dire agréées par les Caisses) : 2 640 €
  • Honoraires pour surveillance de manifestations sportives (deux dimanches) : 600 €
  • Indemnité de Maître de stage : 480 €
  • Indemnité pour une étude thérapeutique : 420 € (une étude observationnelle, je finis celle-ci  pour honorer mon engagement mais je ne recommencerai plus.)
  • Participation à un réseau ville-hôpital : 180 €

Total des revenus annexes : 7 920 €

Total des revenus cumulés : 121 700 €

Et là, on se dit « Ouah, ça doit être champagne et foie gras tous les soirs chez Borée ! ». Mais il se trouve que j’ai aussi quelques…

II Dépenses

Levons enfin une partie du voile sur les mystérieuses « charges » des médecins.

  • Charges sociales (URSAFF, CSG et Caisse de Retraite) : 16 080 €
  • Salaire net et charges sociales pour ma secrétaire (16 heures par semaine) : 10 400 €
  • Loyer et charges locatives : 7 450 €
  • Frais de voiture (au barème kilométrique) : 5 040 €
  • Amortissements (pour ceux qui ne sont pas habitués à la comptabilité, il s’agit des « gros » achats – ameublement, ordinateur, ECG, autoclave, etc… – dont le paiement est étalé sur plusieurs années d’un point de vue comptable. C’est un bon reflet de la moyenne de ces dépenses)  : 2 920 €
  • Fournitures médicales : 2 350 €
  • Documentation (livres, abonnements aux revues) et logiciels médicaux : 2 030 €
  • Cotisations personnelles et syndicales (Syndicats, Association agréée, Groupe de FMC, …) : 1 560 €
  • Frais bancaires, assurances et expert comptable : 1 750 €
  • Rétrocessions aux remplaçants : 1 650 €
  • Frais de téléphone et frais postaux : 1 630 €
  • « Petit outillage » (matériel informatique, ameublement, câble d’ECG, cafetière, …) : 1 340 €
  • Frais de repas du midi : 1 160 € (une fois enlevée la part non déductible)

Total des charges : 55 360 €

III Analyse de mon revenu

A Que disent ces chiffres ?

Charges déduites, il me reste donc 66 340 €.

Ceci ne correspond pas exactement au « BNC » (Bénéfices Non Commerciaux) que je déclare aux impôts puisqu’il y a quelques déductions, notamment liées à l’activité conventionnée, qui viennent impacter ce montant.

Mais je pense que c’est toutefois le chiffre le plus proche de la réalité de « ce que je gagne pour de vrai ».

Me voici donc avec un revenu net mensuel avant impôts d’environ 5 530 €.

Par rapport à énormément de gens, c’est très confortable. Il n’est vraiment pas question que je me plaigne lorsque je vois nombre de mes patients qui galèrent. L’objectif de cette analyse ne vise donc pas à minimiser mes revenus mensuels, mais simplement à éclairer ce qu’ils recouvrent.

B – Que ne disent-ils pas ?

1 – Ils ne parlent pas des congés payés

En comparaison avec des personnes qui ont un revenu salarié, il conviendrait de déduire 10% de ce revenu car je n’ai évidemment pas de congés payés.

Lorsque je décide de prendre des vacances, je n’ai aucune rentrée mais mes dépenses sont toujours les mêmes. Chaque semaine de congés prise, c’est environ 1 500 € en moins sur mon compte avant même d’avoir commencé  à payer pour mes loisirs. J’y réfléchis donc à deux fois et, au final, je ne prends qu’environ 3 semaines de vacances par an et quelques journées par-ci, par-là.

2 – Ils ne parlent pas du volume horaire

Le volume de travail peut se diviser en plusieurs catégories : l’activité directement liée au cabinet, l’activité d’expertise, l’activité liée à la formation, et quelques activités annexes.

a – L’activité liée au cabinet :

Comment se déroule ma semaine de travail ?

  • Elle comprend quatre journées pleines au cours desquelles je pars de chez moi à 8h40 et où je rentre chez moi généralement vers 21h. Soit des journées de 12h20 auxquelles je retire 30 minutes pour une rapide pause repas et environ 50 minutes à la louche pour le temps passé sur mon blog, à twitter, à participer à des discussions syndicales, etc… Le caractère non directement professionnel de ces activités est discutable puisque, d’une certaine manière, ça participe à ma formation et à mon équilibre professionnel. Mais comme ce sont des activités bénévoles et « superflues », je les laisse de côté.
  • Elle comprend ensuite une cinquième journée, que je commence à 9 h et termine généralement vers 14 h, sans pause.

Soit des semaines moyennes d’environ 49 heures ce qui est dans la moyenne française (et probablement un peu moins que beaucoup de médecins ruraux).

  • Lorsque je suis de garde, un week-end par mois, je passe le samedi à mon cabinet à faire, entre deux consultations ou visites, de la paperasse, des demandes d’ALD, etc… Comptons 10 heures.
  • Quant à mes autres actes de garde (nuit, dimanche, …), c’est un peu au pif mais je pense qu’on peut raisonnablement compter au bas mot 6 heures supplémentaires par mois.

Si je retire mes 3 semaines de congés, quelques absences et des fériés, mon activité directement liée au cabinet représente donc environ 212 heures par mois en moyenne.

b – L’activité d’expertise

Mon activité d’expertise me prend généralement 5 heures par mois, prises sur un week-end. Il y a ensuite une réunion mensuelle qui me prend environ 10 heures (en comptant le transport durant une partie duquel je travaille mes dossiers) mais qui se fait pour l’essentiel à la place d’une journée de travail.

b – L’activité liée à la formation

  • Les FMC conventionnelles qui ont représenté 8 journées de 9 heures en 2010. Soit 72 heures dont la moitié représentée par des vendredis où je n’ai donc pas travaillé au cabinet. Une moyenne de 6 heures par mois.
  • Il y a un groupe de FMC local auquel je participe. Des réunions de deux heures, un mois sur deux, soit 1 heure par mois.
  • Pour la lecture de revues de formation (Prescrire, Médecine, Exercer) à la maison et des recherches sur internet, je vais compter environ 3 heures par mois.
  • Pour la réalisation du test de lecture mensuel Prescrire et la formation thématique Prescrire, comptons environ 2 heures par mois.

d – Activités annexes

  • Surveillance de manifestations sportives : deux dimanches d’une douzaine d’heures, soit une moyenne de 2 heures par mois.
  • Je gère ma comptabilité tout seul (sauf pour ce qui concerne les bulletins de salaire de ma secrétaire). Ceci me prend en moyenne 2 heures par mois aussi, mais me permet d’économiser pas loin de 1 000 € par an.

J’arrive donc à un total de charge de travail mensuelle de :

  • 212 (-10 d’expertise – 3 de FMC conventionnelle) = 199 heures au cabinet ou en visite.
  • + 15 heures pour le travail d’expertise
  • + 12 heures de formation
  • + 2 heures de surveillance sportive
  • + 2 heures de comptabilité

Soit 230 heures mensuelles ce qui est tout de même pas mal.

Conclusion

Du côté des chiffres :

Revenus, dépenses et volume horaire me permettent de calculer mon revenu horaire moyen : il est de 24 € nets.

Si on compare avec un revenu salarié, il faudrait en retirer 10% et partir sur une base de 21,63 € de l’heure. Ce qui correspond à un peu moins du double du salaire horaire moyen français. Et qui, on peut le voir, est inférieur au salaire horaire moyen d’un cadre.

Une autre manière de faire la comparaison serait de ramener mes 5 530 € à un salaire à 35 heures hebdomadaires avec congés payés : on arriverait alors à un revenu mensuel net de 3 180 €.

Plus globalement :

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’une bonne partie des heures travaillées correspond à des heures de nuit ou de dimanche.

Vous aurez remarqué aussi que la rémunération pour les astreintes de garde n’est pas du tout négligeable dans mon revenu. Je n’ai compté dans le volume horaire que les heures vraiment « travaillées » mais, une nuit et un week-end sur quatre, je suis d’astreinte ce qui est une contrainte réelle.

Pour pouvoir raisonnablement analyser ceci, il faut tenir compte que je suis un médecin qui travaille « lentement » : je pratique environ 3 600 actes par an ce qui est sensiblement moins que la moyenne française qui tourne plutôt entre 4 500 et 5 000. Alors même que j’ai une patientèle globalement âgée (35% de patients de plus de 60 ans au lieu de 25% pour ma moyenne régionale) et polypathologique (219 de mes 750 patients enregistrés officiellement sont en ALD).

Je fais donc moins d’actes mais des actes longs.

***

Au total, le but de ce billet n’est absolument pas de lancer le concours pour savoir qui a la plus grosse. Je pense que beaucoup de médecins généralistes gagnent mieux leur vie que moi, mais je n’ai certainement pas choisi la manière de travailler la plus lucrative.

Je gagne donc très confortablement ma vie par rapport à des tas de gens, sachant que ce revenu confortable se fait surtout au prix d’un volume horaire très important et « grâce » au nombre important de gardes dans mon secteur.

Si l’on tient compte du niveau de qualification, des responsabilités et des contraintes (nuits, week-ends, …) je pense pouvoir raisonnablement dire que mon revenu horaire n’est pas scandaleux. Sur la base de comparaisons internationales, il est même certainement assez modeste.

Il est aussi une illustration, mais ce n’est pas un scoop et ça justifierait un autre débat, que dans le système de santé français, essayer de faire un travail de qualité signifie généralement faire le choix de gagner moins.

***

P.S. Merci à mes relecteurs, et particulièrement à GM, de leurs conseils pour limiter les risques que les commentaires de ce billet ne dégénèrent. La critique est, bien sûr, permise mais je demanderais à ceux qui souhaiteraient s’y livrer de me savoir gré, au moins, d’avoir fait cet exercice de transparence en toute franchise.


(1) Ce contrat d’amélioration des pratiques individuelles (Capi) prévoit le versement à chaque praticien d’une prime annuelle de 7 euros par patient dont il est le médecin traitant, à condition d’atteindre des objectifs fixés par la Sécu. Dans certains cas, la prime, qui s’ajoute aux honoraires, pourrait dépasser les 5.000 euros.
Les objectifs fixés portent notamment sur le taux de prescription de médicaments disposant d’un générique.
En matière de prévention, ils portent sur le taux de vaccination des plus de 65 ans contre la grippe ou le taux de dépistage des cancers du sein après 50 ans. « Début décembre, 12.600 médecins, soit 30% des professionnels concernés, ont choisi d’adhérer au Capi. Ces médecins sont représentatifs de l’ensemble des médecins généralistes. Ils sont à 79% des hommes âgés de 52 ans en moyenne, des caractéristiques que l’on observe sur la profession en général », selon un document rendu public récemment.

Unité !

Lorsque j’étais étudiant, j’ai appris que nous devions utiliser les unités du Système International (SI) pour les résultats biologiques. Que c’était le moyen d’unifier les données internationales afin d’échapper aux particularités locales. Que ce système était légal en France depuis 1961 et que la Société Française de Biologie Clinique l’avait adopté depuis 1978.

On pourrait croire que c’est un truc qui a été fait pour les Anglais vu que le système métrique est quasiment universel. Et qu’il est lui-même fondé sur des bases rationnelles, comme l’avaient rêvé ses concepteurs lors de la Révolution française. Mais c’est plus compliqué que ça parce que le gramme ou le mètre font eux-mêmes partie des unités de base du Système International.

Donner un résultat en « grammes par litre » est donc bien une expression de type « SI ». Mais elle est beaucoup trop simple et compréhensible du commun des mortels. Du coup, ce n’est pas drôle.

Ces nouvelles unités de mesure sont donc vraisemblablement sorties du cerveau de chimistes pour lesquelles le raisonnement en « moles » doit avoir du sens même si ça n’en a strictement aucun pour M. Tout-le-monde. « Vous me mettrez aussi 3 moles de sucre, Mme l’épicière. »

Mais, soit. Puisque nous évoluons dans la mondialisation, adoptons cette langua franca biologique.

Finis les grammes par litre. Bienvenue aux millimoles par litre.

Le problème, c’est que ce n’est pas aussi simple.

Déjà, parce qu’il y a d’autres unités qui viennent se mêler à ça. Pour les ions, on peut aussi parler en milliEquivalents (mEq) qui dépendent de la charge électrique. Souvent 1 mEq = 1 mmol. Mais pas toujours. Pour le calcium, 1 mmol = 2 mEq. Ça amuse les chimistes.

Et puis, il y a aussi, les « Unités » pour les enzymes et pour certaines hormones. Mais pas pour toutes.

En matière d’unification, on repassera…

Pour certaines données, ça ne pose pas trop de soucis, on est à peu près tous sur la même longueur d’onde. Ainsi, pour le sodium ou le potassium, on parle tous en mEq. Pour l’hémoglobine, tout le monde en France en est resté aux grammes. Pour la glycémie aussi, en-dehors de quelques acharnés.

Pour d’autres, c’est un joyeux bazar. Lorsque j’ai un confrère hospitalier en ligne et qu’on parle du taux de créatinine, ça donne souvent ça : « Il a 12 mg de créat. – Ça fait combien, ça ? – Euh… 106 µmol. – Ah, ok. »

Et là, je ne parle que des Français entre eux. Quand mes patients anglais me parlent de leur glycémie à « 6,2 », je vois à peu près ce que ça fait. Mais quand un patient hollandais m’a dit que sa dernière hémoglobine était « à 7 », j’ai cru que je devais appeler le 15…

Manque « d’unités », donc.

Mais il y a encore plus amusant.

Histoire d’être originaux (et de garder leur clientèle), les laboratoires d’analyse français aiment bien avoir leurs petites coquetteries.

Dans mon coin, quand un laboratoire me dit que les globules blancs de mon patient sont à 7 550 par mm3, le labo d’à côté trouvera plus chic de me dire qu’ils sont à 7,55 Giga par litre.

Quand l’un va me répondre « Protéinurie : 170 mg / l », l’autre me dira « Protéinurie : 0,17 g / l ».

Le souci, c’est qu’aujourd’hui, la plupart des logiciels médicaux permettent d’intégrer automatiquement les résultats de prise de sang dans les dossiers des patients. Avec ça, on peut faire en deux clics de jolis tableaux qui permettent de voir les évolutions sur la durée. Du coup, quand le patient change de laboratoire, ces tableaux, ça devient un peu n’importe quoi.

Et, comme on peut toujours faire pire…

Chaque laboratoire a ses propres normes.

Pour le laboratoire X, la « norme » de la créatinine, c’est entre 7,4 et 13,7. Pour le labo Y, c’est de 7 à 12. Et pour le laboratoire Z, c’est entre 4 et 14.

Donc quand on a un patient qui avait un résultat à 12,5 chez Y et qui a maintenant un résultat à 14 chez Z, c’est plus ? C’est moins ? Pareil ? Qu’est-ce qui est dans les normes, qu’est-ce qui n’y est pas ?

Tout ceci m’emmerde car ça nous complique la vie. A l’heure où nous avons des logiciels médicaux qui présentent des tas de possibilités pour améliorer le suivi de nos patients, ces singularités sont ingérables.

Alors, moi je veux bien faire des efforts. Si demain, on me dit qu’il faut que je donne mes glycémies en mmol, je ferai l’effort intellectuel, je m’adapterai. Je ne trouverai pas forcément ça très parlant pour les patients, sans aucun intérêt pour le clinicien que je suis, mais d’accord. Ça me prendra sûrement un petit moment, mais je m’y ferai. Comme, petit à petit, j’ai fini par oublier les francs pour raisonner en euros.

Mais, comme pour le changement de monnaie, comme pour les unités de poids avant la Révolution, on n’y arrivera jamais si chacun continue à faire sa petite tambouille dans son coin.

Moi, ce que j’aimerais, ce serait qu’on enferme tous les biologistes de France ou d’Europe dans un grand hangar. Qu’on les y enferme et qu’on ne les laisse sortir que lorsqu’ils se seront mis d’accord une bonne fois sur quelle unité de mesure et quelles normes pour quelle donnée. Et qu’ensuite on s’y tienne en arrêtant rapidement les systèmes de « double affichage ».

Ces gens là ont bien des syndicats et des sociétés savantes dont l’utilité dépasse peut-être les négociations tarifaires. Je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas arriver à ça.

Et s’ils n’en sont pas capables parce que leurs petits intérêts particuliers et leurs confortables habitudes les en empêchent… Eh bien ! Il y a la loi pour ça.

P.S. En attendant le grand soir, je me suis fais ce petit tableau Excel pour pouvoir plus aisément « traduire » les valeurs biologiques les plus courantes. Je vous l’offre !
Edition le 31/05 à 15h : correction du tableau Excel, il y avait une erreur dans la conversion de l’urée (confusion avec l’azote).