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Chronique des jours étranges – Le reflux

Je ne pensais plus reprendre l’écriture de ce blog. Aujourd’hui j’éprouve le besoin de faire la chronique de ces jours étranges.

Fin février, je consacre mon énergie à mon futur projet de recherche « BioGP » et à la finalisation du poster qu’on présentera avec ma collègue au Congrès de la Médecine générale le 20 mars.

Comme depuis plusieurs années, je suis l’actualité avec une certaine distance. Ce qui focalise le plus mon attention ce sont les primaires démocrates aux USA. Le coronavirus c’est très lointain. La construction en urgence des hôpitaux chinois m’interloque mais je ne creuse pas plus que ça.

Vendredi 28 février

Réunion hebdomadaire de l’équipe de la Maison de Santé. Première fois qu’on parle de l’épidémie de coronavirus. Ça paraît encore loin. Certains proposent de commencer à séparer la salle d’attente en deux. Je suggère d’attendre des consignes nationales.

Pour déconner, je dessine un vieux poste de télé sur le tableau blanc de la salle de réunion avec la citation de Gicquel en 76 « La France a peur. »

Lundi 2 mars

C’est le jour de mon déclic. Le soir, je découvre les titres de la presse qui annoncent un deuxième décès à Crépy-en-Valois. Deux décès dûs à un même virus en quelques jours dans une ville de 15 000 habitants, c’est statistiquement improbable. Je commence à douter de la notion de « grosse grippe » encore généralisée.

Dans les jours qui suivent, je regarde un peu dans le détail, les chiffres pour la France ou l’Italie. J’ai des souvenirs de maths qui remontent, de ce à quoi ressemble le début d’une courbe logarithmique. Je découvre la notion de « super spreader », la probable contagiosité des patients asymptomatiques… Plus ça va, plus je me dis que c’est chaud. Mais on ne parle que des clusters de l’Oise, de Mulhouse et des Alpes, on a encore le temps.

Mardi 3 mars

Notre interne m’appelle pour une possible suspicion de COVID : fébrile et sensation d’oppression thoracique mais pas grand chose d’autre. Pour la première fois, je mets un masque FFP2 : il m’en reste 80, largement périmés, de l’époque de H5N1 que j’avais gardés au cas où.

Je donne un masque chirurgical à la patiente qui plaisante « J’espère que je ne serai pas le patient zéro du département. » Vraiment rien de très inquiétant à l’examen clinique mais elle travaille au contact de personnes fragiles, j’appelle le 15 pour avoir les instructions. Elle ne revient ni de Chine, ni de Singapour, ni de l’Oise, elle ne sera pas testée. Pas de risque de coronavirus a priori « mais, puisque vous avez mis un masque, gardez-le tant qu’à faire. »

Jeudi 5 mars

J’entends à la radio qu’un Député est hospitalisé avec d’autres cas à l’Assemblée nationale. Putain, il y a un truc qui cloche ! Je reprends les chiffres, je calcule un temps de doublement de 3 jours, à la louche. Si c’est ça, ça fait 30 millions de malade dans 6 semaines, je prends conscience des premières alertes concernant la capacité du système de soins.

Je commence à expliquer aux patients que c’est mieux de ne pas les examiner physiquement si ce n’est pas absolument nécessaire.

J’en parle au repas de midi. M se moque gentiment de moi « Héhé ! Il y a Borée qui commence à avoir la trouille. »

J’en discute aussi à la maison le soir. Mon mari a toujours eu de petites compulsions d’achat de nourriture en cas de stress, je me moquais souvent de lui et de ses « réserves Fukushima ». Là, pour la toute première fois, c’est moi qui lui dis d’aller faire les course demain et de faire des stocks pour quelques semaines. On dort mal tous les deux.

Vendredi 6 mars

Réunion d’équipe. On évoque encore notre projet d’agrandissement, la réunion de mercredi prochain à Paris, à laquelle la moitié de l’équipe doit se rendre. L’essentiel de la réunion est tout de même consacrée au COVID-19, on prend les premières décisions : on vide toute la salle d’attente des livres, des revues, des jouets ; on met un affichage à l’entrée avec un bidon de solution hydro-alcoolique et des masques pour les malades ; on disperse les chaises dans les couloirs ; on propose aux patients qui appellent pour un renouvellement de repousser leur rendez-vous.

Les médecins évoquent l’arrêt des consultations libres de fin de journée, le développement de téléconsultations (qu’on avait toujours refusées)… On prévoit de déposer les ordonnances directement à la pharmacie 2 fois par jour. On validera tout ça lundi.

On se prend un peu le bec par moments, j’en fais peut-être de trop. C’est la première fois que c’est moi qui tient ce rôle.

A la fin de la réunion, je ne me sens pas très bien, je rentre sans finir ma paperasse. Des putains de courbatures, un peu mal au bide mais seulement un petit 37°8 et rien d’autre. Si seulement, je pouvais me faire tester… Je n’appelle même pas le 15, je connais la réponse. Fait chier.

Samedi 7 mars

Toujours courbaturé mais ça va.

Je craque, j’appelle mon père à l’autre bout de la France. Je lui dis de faire des courses, de rester à la maison et d’éviter de s’occuper de mes neveux. Ça l’étonne mais il me prend au sérieux : il ne m’avait jamais vu inquiet comme ça.

Dimanche 8 mars

Je lis de plus en plus d’articles qui m’affolent. En particulier cet article du Lancet qui souligne que « Les comportements individuels seront cruciaux pour le contrôle de l’extension du virus. Les actions individuelles, plus que gouvernementales, risquent d’être l’enjeu majeur dans les démocraties occidentales. Une auto-quarantaine précoce, évitant de recourir à un avis médical en-dehors de symptômes sévères, et l’évitement social seront les clés. » Je le partage avec les collègues, ainsi que la synthèse de Dominique Dupagne.

Lundi 9 mars

C’est la rentrée des classes. Je dépose notre fille dans sa classe et je dis à la maîtresse que ce sera la plus courte rentrée de sa vie, elle semble étonnée. Quand je vois les parents agglutinés dans les couloirs, j’ai la trouille.

J’ai des rendez-vous ce matin, je ne touche que deux patients. Pour les autres, chacun reste de part et d’autre du bureau. J’annule les rendez-vous de deux patientes particulièrement à risque, je fais mes premières « téléconsultations » par téléphone.

Je vois une enfant, elle a 38°7, elle tousse, je n’ai rien à l’examen. Sa mère n’a aucun symptôme mais elle est auxiliaire de vie chez des personnes âgées. J’hésite, j’appelle le 15 pour demander où on en est la météo épidémiologique du coin. La gamine ne revient pas de Chine, ni de Singapour, ni de l’Oise, ni de Mulhouse, elle ne sera pas testée. On ne sait pas vraiment me dire la situation épidémiologique mais « C’est sûr, il y a déjà plein de cas dans le département ». La France est toujours en niveau 2 épidémique et on considère toujours officiellement qu’il n’y a que 7 clusters au sein desquels le but des tests est de retracer les chaines de transmission.

A cause de son métier, je décide de mettre la mère en arrêt alors qu’elle n’a rien.

Je pense que c’était mon premier cas de COVID-19.

J’annule mes visites de l’après-midi, je compare les solutions de téléconsultations, je choisis celle du GCS-SARA qui est gratuite et qui ne dépend pas d’une société commerciale. Je demande à mon mari d’aller nous acheter des webcams pour les bureaux des médecins.

Mardi 10 mars

Premières expériences de téléconsultation avec webcam. Ça marche assez bien. Sur la journée j’arrive à en faire 9, pour 3 consultations physiques. Les patients sont étonnés ou soulagés selon les cas. Je commence à annuler un maximum de consultations non urgentes.

Un jeune arrive, il avait pris rendez-vous pour un mal de gorge. Il commence à m’expliquer qu’il revient d’un week-end à Paris, qu’il a mal à la gorge et qu’il tousse un peu. « Il est où votre masque ? – Ah, euh, ben c’est pas trop grave quand même. – Vous savez qu’il y a une épidémie, beaucoup de gens vont mourir, putain ! » Je vais lui chercher un masque, il ne sourit plus du tout.

A et C commencent à transpirer à l’accueil. On se rend compte que c’est à leur niveau que la téléconsultation pose problème en raison des explications nécessaires aux patients. Une patiente leur fait la remarque que « C’est drastique chez vous. »

On prend la décision d’annuler notre déplacement à Paris du lendemain, ça n’a aucun sens.

Je ne suivais plus l’activité sur Twitter qu’en pointillé mais j’y replonge. Durement. Je suis très prudent avec les « Yakafaukon » et je comprends la difficulté à gérer une crise. mais je ne comprends pas les choix qui sont faits pour les tests. Je vois que je ne suis pas le seul.

Mercredi 11 mars

Puisque nous n’allons plus à Paris, nous profitons du temps libéré pour refaire une réunion d’organisation.

Les portes de la MSP sont bloquées en position ouverte. A met des affiches rouges sur toutes les portes « Ne touchez pas aux poignées avec les mains. »

On se retrouve avec les pharmaciennes pour décider du circuit des ordonnances pour éviter que les patients transitent par la MSP.

Puis on rediscute de notre organisation, de ce qui peut être fait en téléconsultation ou de ce qui nécessite un examen physique. M me dit qu’il n’imagine pas ne pas ausculter les poumons d’un patient qui tousse. On commence à établir un algorithme pour les accueillantes. Ça me paraît trop complexe, trop long, j’explose. Pour moi, il faut arrêter de bavasser et ne voir physiquement les patients qu’en cas de nécessité absolue. J me dit de me calmer, qu’on a tous besoin de faire notre chemin et de s’approprier ces évolutions brutales. Elle a raison.

M rajoute qu’elle me suit parce qu’elle me fait confiance mais qu’on est encore très en décalage avec tout ce qu’elle voit autour d’elle. Notre interne confirme que quand elle discute avec ses potes de promo, tout le monde s’étonne de ce qu’on a déjà mis en place.

Les autres professionnel(le)s de la MSP voient nos réunions et la mise en place des nouvelles mesures d’organisation. L’inquiétude grandit, les visages se ferment.

Le soir, j’ai un moment de doute. Je me demande si c’est moi qui me fait un coup de flippe.

Jeudi 12 mars

1 consultation physique pour 12 téléconsultations. Les collègues s’y mettent progressivement.

On rappelle tous les patients des jours à venir pour annuler ou basculer en télémédecine.

Je découvre l’article « Coronavirus: Why You Must Act Now » (traduit en français 3 jours plus tard) qui est limpide et terrifiant, je le partage autant que je peux.

J’apprends la nouvelle de la mort du Dr Stella, médecin généraliste président du Conseil de l’Ordre des médecins de Lombardie. Mort du coronavirus. J’en parle et plombe un peu plus l’ambiance dans la MSP.

La nouvelle court : cas confirmé dans une usine du village d’à côté. Et probablement chez une institutrice du secteur. On commence vraiment à voir des cas suspects.

Le soir, j’écoute l’allocution présidentielle avec S qui est encore là. Le maintien des élections me rend fou de rage.

Je rappelle mon père, il ne sort plus du tout depuis hier.

Je dors de moins en moins bien.

Vendredi 13 mars

La mairie nous a fait porter un lot de masques FFP2 de l’époque de H5N1 qu’ils ont retrouvé au fond de leurs stocks. Nous décidons d’en conserver la moitié et de distribuer discrètement l’autre moitié à nos patients les plus à risque qui ont des rendez-vous extérieurs impératifs, pour les chimios en particulier.

On acte que ce sera notre dernière réunion d’équipe jusqu’à nouvel ordre : ce n’est plus raisonnable de nous réunir à 20 dans une même pièce. On commence à tous porter des masques. Certains pleurent.

Les orthophonistes, les psychologues et l’ostéo décident de cesser totalement leur activité. Ce sera une grosse perte de revenus pour eux. Comme A et C sont déjà en surchauffe à l’accueil et que ça n’ira qu’en s’aggravant, on prévoit d’affecter les subventions de la SISA à rémunérer celles et ceux qui arrêtent leur métier et qui viendront en renfort à l’accueil et au secrétariat.

Les loyers de toutes celles et ceux qui sont impactés sont gelés, on se démerdera.

Nous décidons d’envoyer un mail aux 400 adresses de patients que nous avons pour leur faire passer les consignes.

On reste tous jusqu’au soir à téléphoner, nous organiser. Chacun fait de son mieux pour prendre sa part du travail.

Fou rire en fin de journée quand un jeune du village se pointe juste pour utiliser nos toilettes. S, qui le connait depuis toujours, l’engueule « Mais tu ne vois pas ce qu’il se passe ici ?! »

Je suis trop fier de partir au combat avec cette équipe.

Samedi 14 mars

Le soir, M et W viennent manger à la maison. M, qui faisait le samedi matin, me raconte qu’elle a vu un patient tousseur qu’elle a contraint à mettre un masque. La pharmacienne lui a dit qu’en arrivant chez elle, il ne l’avait déjà plus. Par contre, quand M est rentrée dans la pharmacie avec son masque, pour déposer ses ordonnances, les gens l’ont fusillée du regard avant de comprendre. Porter un masque c’est être pestiféré, du coup certains malades ne veulent pas les porter, il faut que ça change !

On plaisante des stocks qu’a fait mon mari : 10 kilos de viande au congélateur et 15 plaquettes de chocolat. Mais aucun fruit. Le chocolat, ce n’est pas pour le manger mais pour le revendre si ça tourne mal. M rigole et dit que je lui aurait vidé le stock avant ou alors que la seule personne à qui il pourra le revendre ce sera moi.

Dimanche 15 mars

Le maintien des élections me rend fou. Quand tout ça sera fini, il faudra faire les comptes.

Cet article du Washington Post est limpide sur l’intérêt des différentes mesures pour limiter la progression de l’épidémie.

D nous fait passer cette vidéo de l’Institut Pasteur qui est passionnante pour comprendre le début de l’épidémie et où tous les éléments clés sont là. La seule erreur flagrante c’est le péché d’orgueil d’avoir cru que l’Inde et l’Afrique seraient plus en danger que l’Europe. Putain, elle date du 20 février, il y a 25 jours et on en est encore à se balader au parc ou dans les marchés.

Je vais au grenier, ressortir mes vieilles tenues d’interne que j’avais gardées au cas où.

Depuis 5 ans, on fait repas commun, chacun un jour dans la semaine. On a décidé qu’il fallait arrêter. Dimanche soir, je prépare ma gamelle personnelle, ma tasse et mes couverts de la maison, j’ai envie de pleurer.

Notre fille a un coup de blues. J’ai passé le week-end à la maison et je n’ai presque pas joué avec elle. J’en suis désolé mais je me rends compte que je ne suis pas là, que je n’ai aucune disponibilité intellectuelle, que je ne pense qu’à « ça ». Je ne sais pas comment on va gérer les prochaines semaines. On lui explique que Papa et Papou vont avoir beaucoup de travail pour soigner les gens, qu’on s’occupera probablement moins d’elle mais qu’on l’aime très fort. Je la sers dans mes bras.

Lundi 16 Mars

La MSP est sinistre avec le temps gris. La salle d’attente, qui est généralement pleine le lundi matin, est vide. Les rares patients qui viennent sont pris immédiatement.

J’ai mis ma blouse. Dès que je circule dans les couloirs, je retrouve instinctivement ma posture du bloc opératoire avec les deux mains regroupées sur le sternum. R se fout de moi, il trouve que je ressemble à un charcutier.

Le Collège de la médecine générale met en ligne Coronaclic pour servir d’outil aux généralistes de ville.

On voit de plus en plus de cas suspects. Le laboratoire du coin nous confirme qu’ils n’ont toujours pas les moyens techniques de faire les tests, à commencer par le matériel de protection pour les prélèvements. On leur file deux boites de FFP2 du stock de la mairie.

Avec l’annonce d’un probable confinement, les gens se sont rués dans les magasins. J’en vois aussi une dizaine faire la queue à l’extérieur de la pharmacie, c’est absurde.

On rappelle à A et C que, même salariées, elles restent libres de rester chez elles si elles se sentent en danger. Aucune des deux n’y avaient même pensé, elles veulent rester à la barre.

Dernier jour de notre interne qui est réquisitionnée pour l’hôpital à partir de demain.

Mardi 17 mars

Notre société de nettoyage nous a annoncé hier soir qu’elle arrêtait son activité. Quand j’arrive, c’est la coordinatrice et le sage-femme qui sont en train de vider les poubelles et de nettoyer les bureaux.

Beaucoup de demandes administratives, d’arrêts de travail. On ne discute quasiment rien et on se lâche complètement comme tous les copains de Twitter.

Quand un patient sans facteur de risque particulier nous dit que son employeur l’oblige à venir travailler au contact d’autres collègues et qu’il se sent en danger, on ne sait pas trop quoi faire. On l’invite à dire à son employeur qu’il engage sa responsabilité en cas de contagion et de complication. Parfois ça passe, parfois pas et on se résout à faire un arrêt en râlant. C’est dégueulasse car, au final, ce sont les employeurs les plus cons qui font payer les arrêts par l’Assurance Maladie.

Un patient a des symptômes typiques de COVID-19 depuis 3 jours. Il est rentré la veille de Mulhouse en avion. Il me confirme que, même si l’avion était vide aux deux tiers, il n’était pas le seul à tousser. Je comprends complètement qu’il ait voulu retrouver sa famille mais quel naufrage collectif d’avoir laissé ça se faire.

Globalement, activité extrêmement calme. A 4 médecins, on fait 4 consultations physiques et 30 téléconsultations.

Depuis une semaine, on a ce sentiment très étrange de voir la mer se retirer, le calme se faire, et de savoir que la vague va bientôt arriver.

Les premiers diagnostics probables datant de 5 ou 6 jours on devrait bientôt commencer à avoir des cas graves.

On profite du calme relatif pour continuer à se préparer. A, la coordinatrice est sur tous les fronts. D va chercher les deux ordinateurs portables qu’on avait commandés pour les visites à domicile. S va chercher le dernier thermomètre sans contact disponible dans les pharmacies des environs. J, envoie un mail aux autres médecins du secteur de garde pour recenser les volontaires pour doubler les gardes de soirée et de week-end. Quant à moi, j’en profite pour faire une fiche de suivi pour les patients COVID-19 que je diffuse sur Twitter et aux collègues du coin.

Entre hier et aujourd’hui, A l’orthophoniste et S l’infirmière Asalée ont contacté nos 150 patients de plus de 75 ans pour leur rappeler les consignes, vérifier qu’ils avaient des aidants et lister celles et ceux qui étaient isolés pour les signaler à la Mairie.

C’est con : c’est précisément quand on fait attention à garder nos distances que j’ai le plus envie de serrer mes collègues dans les bras.

Le soir, gros lâchage sur le WhatsApp de la MSP : vidéos et blagues idiotes.

Avant de quitter le cabinet, je prends les lingettes désinfectantes offertes par un podologue du coin qui a fermé et je désinfecte mon iPhone et mes clés. En rentrant à la maison, je me déshabille dans l’entrée, je mets ma blouse dans la machine à laver et je vais prendre une douche.

Mercredi 18 mars

Ça fait 2 semaines que j’ai eu mon déclic et c’était il y a un siècle.

C’est mon jour de repos.

Mon mari est à la maison lui aussi, il me laisse tranquille et s’occupe de notre fille. Je sais qu’il est encore plus angoissé que moi et qu’il prend sur lui. Elle, elle est adorable du haut de ses 5 ans et nous voyons bien qu’elle fait des efforts à hauteur de la situation.

Je passe ma matinée sur Twitter et finis avec la chronique du jour de Christian Lehman dans Libération.

Je bloque sur la conclusion.

Une consoeur du village voisin vient d’être testée positive.

J’ai un noeud dans le ventre. Il faut que je verse ça, que je laisse une trace de ces jours étranges, pour moi et pour les copains. Je décide de reprendre mon blog.

« Libérez ma pilule » : liberté pour qui ?

 

 

Quelques réflexions sur le site liberezmapilule.com et la pétition associée…

 

Pourquoi ? À la première lecture de la lettre ouverte, l’impression ressentie est celle d’un texte confus, à l’argumentaire mal construit. De quoi parle-t-on ? D’une pilule progestative ? De toutes les pilules ?

 

A moins, au contraire, que ce texte et ce blog ne soient très bien construits et très habiles ?

 

Reprenons les choses dans l’ordre.

 

1- De quoi parle-t-on ?

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

3- Quels sont les coûts ?

4- A qui profite le projet ?

5- Les procédés rhétoriques

 

1- De quoi parle-t-on ?

 

  •  S’agit-il purement d’une pilule progestative, ou bien songe-t-on à étendre le dispositif aux œstroprogestatives (que l’on abrègera en OP), éventuellement dans une seconde phase ?
  •  Parle-t-on d’une autorisation de prescription de la part du pharmacien, d’une prescription facultative ou d’une vente libre ?

 

Reprenons le texte principal (la lettre ouverte). Toute l’introduction prend l’exemple de la situation US et des recommandations de l’ACOG (d’ailleurs similaires à celles de l’AAFP). Ces recommandations ne se limitent pas aux pilules progestatives, mais concernent bien toutes les familles de pilule. Le questionnaire envisagé explore les contre-indications des œstroprogestatives (voir les références sur l’AAFP).

 

Pour le moment il n’y a pas de pilule en vente libre aux USA. Les associations et organisations militant pour une vente libre (OTC, over-the-counter) envisagent que la première pilule autorisée soit progestative, mais ont pour objectif affiché les deux familles, en se basant sur des études montrant qu’un questionnaire permet d’éviter les contre-indications connues des OP.

 

Dans certains États des US, comme l’Oregon, les pharmaciens ont une autorisation de prescription, qui repose sur un questionnaire rempli avec l’aide du pharmacien. Il ne s’agit pas d’une vente libre.

 

La lettre ouverte ne mentionne les pilules progestatives qu’à deux reprises : pour évoquer une demande d’autorisation d’un laboratoire français aux US (Rx-to-OTC switch), marché potentiellement très fructueux (voir plus bas partie 3), et à la fin, pour demander aux laboratoires de déposer une AMM.

 

Le texte demeure donc très ambigu sur l’objectif à terme, progestatives ou OP, très certainement à dessein. Si l’objectif était uniquement les progestatives, il aurait pu être beaucoup plus explicite sur l’absence de contre-indications cardiovasculaires, par exemple, et beaucoup plus convaincant.

 

Tout en gardant en tête cette ambiguïté, nous privilégierons dans la suite ce qui semble être l’objectif à court terme : une AMM pour une pilule progestative en vente libre.

 

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

 

La santé publique est faite de délicats équilibres, souvent difficile à quantifier, et une idée généreuse peut se révéler nuisible…

 

Il est sans doute impossible de quantifier les rapports bénéfices/risques de la mesure proposée, mais nous pouvons au moins qualitativement examiner ses effets positifs et négatifs.

 

L’effet positif est clairement identifiable : un nouveau canal de diffusion serait disponible pour les pilules progestatives, sans consultation médicale. Certaines femmes ne consultant pas pour une raison ou une autre pourront acheter un contraceptif oral en pharmacie. Cela pourrait être bénéfique dans certaines zones où l’accès à un médecin, une sage-femme ou un centre de planning familial est limité.

 

Du côté des effets négatifs, les effets indésirables d’une pilule progestative sont mineurs et les contre-indications limitées et bien identifiées, et même pour une œstroprogestative, des études qu’il faudrait compléter semblent indiquer qu’un questionnaire auto-administré suffit à les éviter largement.

 

Cependant :

  • Si la délivrance sans ordonnance se limite aux pilules progestatives, le nouveau canal offre un choix limité. Chez une femme jeune et fertile, sans contre-indication aux OP, ce n’est pas forcément le meilleur choix en raison principalement d’une moindre efficacité et d’une plus grande dépendance aux horaires de prise que pour une OP. Un DIU au cuivre ou hormonal, un implant, un anneau peuvent être aussi proposés… À noter qu’une extension aux pilules OP améliorerait ce point, à compenser par un risque peut-être accru d’effets indésirables sérieux, à quantifier.
  • La consultation de prescription de contraception peut être faite par un•e gynécologue, un•e généraliste, un•e sage-femme, en cabinet, au planning familial, etc. Le choix est vaste, et souvent méconnu. Cette consultation ne comporte pas d’examen gynécologique.
  • Cette consultation est l’occasion, en particulier pour la première prescription, d’aborder, outre les diverses options de contraception, divers sujets sur la sexualité, les IST, les violences… S’en dispenser prive de cette occasion.

 

Le choix de prescripteur est suffisamment large pour qu’il n’y ait en réalité guère d’obstacle de disponibilité ou de distance pour cette consultation, sauf peut-être dans certaines zones. Un généraliste qui ne fait pas de gynécologie saura fréquemment renvoyer vers un•e collègue proche. À l’échelle de la France, et en particulier en zone urbaine, c’est principalement l’information qui fait défaut.

 

3- Quels sont les coûts ?

 

Actuellement :

 

  • Pour une personne hors AME/CMU :

– La consultation revient à 6,90 euros (ticket modérateur).

– Un an de pilules = 4 boîtes à environ 3 euros remboursés à 65 %, donc environ 4 euros.

Soit au total environ 11 euros par an.

(en réalité un peu plus pour une OP et un peu moins pour une progestative, à 1-2 euros près).

 

  • Pour une personne bénéficiant de l’AME/CMU, c’est gratuit.

 

  • Pour une pilule en vente libre, si elle est proposée au même prix :

– 4 boîtes à 3 euros, non remboursés : 12 euros.

 

Pas de gain donc, au contraire, en particulier pour les personnes en AME/CMU.

 

MAIS, ce qui est proposé est une nouvelle AMM, pour une spécialité médicale qui sera en vente libre. Il est extrêmement probable que le prix sera différent. Aux USA, une boîte pour un mois coûte entre 20 et 50 dollars hors assurance (5-30 dollars après éventuel remboursement).

 

Si les prix français ne sont pas ceux des USA, tous les médicaments qui ont été déremboursés ces dernières années pour passer en vente libre (parfois du fait des autorités, parfois à la demande des industriels) ont vu leurs tarifs augmenter rapidement de 46% en moyenne et de plus de 90% dans un quart des cas.

 

Par ailleurs, on peut raisonnablement penser que le prix d’une pilule en vente libre serait aligné sur celui des pilules actuellement non remboursées, soit de l’ordre de 10 à 15 € par mois, 120 à 180 € par an.

 

Notons que la lettre ouverte aurait pu demander que l’AMM se fasse dans un cadre remboursable, donc à prix régulé via le dispositif des médicaments « à prescription facultative » (le paracétamol en est un exemple). C’est d’ailleurs ce qui était demandé par le « Collectif des Pharmaciens » dans leur proposition n°4.

Ce n’est pas le cas de Libérez ma pilule.

 

4- À qui profite le projet ?

 

Il est toujours indispensable d’explorer conflits d’intérêts et motivations. Les promoteurs d’un projet comme celui-ci ont toujours une diversité de motivations. La santé publique en sera une, en général, mais il faut se poser la question des autres.

 

Le nom de domaine liberezmapilule.com a été enregistré au nom de Karim Ibazatene, d’après les informations publiquement disponibles. Il s’agit donc visiblement d’un promoteur clé de l’initiative.

Actif sur les réseaux sociaux, blogueur, ce pharmacien de formation déclare travailler pour l’industrie pharmaceutique. Il est qualifié de « spécialiste marketing santé, président de LNA » sur ce site d’école de commerce. En parallèle, il est ou a été gérant d’une multitude de sociétés, ayant en général une activité de conseil auprès de l’industrie pharmaceutique, enregistrées à Paris (LNA, TIM), Londres (LNA Limited), Luxembourg (Kahena), Riga (SIA PLTCare), Chypre (CRT Cyprus Readability Test), Madrid (LNA)…

A noter que son blog et son compte Twitter ont été fermés simultanément dans la nuit du 21 au 22 avril. Le cache Google permet de retrouver la page de présentation et le dernier billet.

 

Une pilule en vente libre, commercialisée autour de 30 euros la boîte de trois plaquettes, représenterait un marché très important pour l’industrie pharmaceutique. Ce promoteur du projet est donc très certainement en conflit d’intérêts majeur, non déclaré sur le site.

 

5- Les procédés rhétoriques

 

Une fois ces points examinés, il est utile de revenir sur le texte même, et sur les annexes (FAQ et autres articles) proposées sur le site web.

 

Ce site, bien conçu, comporte en effet de nombreux articles périphériques, utilisés dans la campagne de presse, et souvent repris dans les articles mentionnant le projet. Les examiner permet de mieux comprendre l’origine de ce projet et ses divers objectifs.

 

On l’a vu, le texte lui-même reste ambigu dans son introduction sur la nature de la pilule concernée, et sur la situation aux US. On pourrait penser à sa lecture que la pilule progestative y est en vente libre. On a vu plus haut que ce n’est pas le cas. En outre, d’après ce qui est actuellement public, HRA Pharma, contrairement à ce qui est annoncé, n’a pas déposé une demande de switch, mais a créé un partenariat avec Ibis Reproductive Health, une association, pour effectuer les recherches permettant de soumettre un dossier « d’ici quelques années ».

 

Un argument utilisé, juste après avoir parlé des USA, est que la délivrance sans ordonnance est une réalité dans de nombreux pays. La carte jointe montre qu’en réalité il s’agit, pour la plupart, de pays où la vente de médicament n’est globalement pas régulée, y compris pour des médicaments tels que des antibiotiques. A l’inverse, les pays où la prescription est nécessaire sont, globalement, les pays les plus développés et offrant le maximum de garanties aux patients/consommateurs/citoyens.

 

Dans la partie « Pourquoi seulement une pilule progestative », le texte fait référence uniquement aux œstroprogestatives de 3e et 4e génération qui sont annoncées comme « délicates à manier« .

(« Pour nous, ces pilules [de 3e et 4e génération] ont encore vocation à être prescrites par un médecin ou une sage-femme », pardon mais, les signataires de la lettre ouverte, vous signez vraiment cette phrase ???)

Il est étonnant de ne pas mentionner ici les œstroprogestatives de 2e génération, les seules qui devraient être prescrites dans l’immense majorité des cas, et dont les effets indésirables sont bien moindres. Mais les laboratoires défendent farouchement ces pilules 3G et 4G, beaucoup plus rentables.

 

La partie « Quels avantages à ne pas imposer une consultation » entretient une confusion entre un suivi gynécologique (« frottis ») et prescription de pilule, deux actes sans aucun rapport en réalité. Elle annonce que le suivi « vise à repérer certaines pathologies particulièrement rares ». Le cancer du col de l’utérus n’est, hélas, pas une pathologie rare. La HAS recommande un suivi entre 25 et 65 ans avec (en simplifiant) un frottis tous les trois ans. Ce texte, tel qu’il est rédigé, peut avoir un effet dissuasif sur un suivi nécessaire, tout en poussant à ne pas consulter pour une prescription de contraception (quelle qu’elle soit) en s’appuyant sur cette confusion. Il s’agit d’un procédé rhétorique à la fois malhonnête et dangereux.

 

 

Conclusion

 

Cette initiative semble partir d’une belle intention et, au premier abord, elle est séduisante. L’accès à la contraception reste problématique pour certaines femmes en France et tout ce qui peut contribuer à l’améliorer sera bienvenu. Le libre accès à une pilule constitue une piste. Parmi d’autres.

 

Plusieurs éléments font cependant que nous ne pouvons pas soutenir la lettre ouverte de Libérez ma pilule :

  • Le caractère positif de l’impact global en termes de santé publique de l’initiative, telle qu’elle est présentée ici, est incertain.
  • Automédication, autonomie des patients qui payent pour obtenir ce qu’ils souhaitent, cette initiative est d’inspiration plutôt libérale, teintée d’une vision consumériste de la médecine que nous ne partageons pas. Ce qui nous semble devoir primer est la discussion lors de la consultation ; la prescription pourrait être renouvelable dix ans au lieu d’un si c’est justifié médicalement.
  • Financièrement, cette initiative profitera surtout à l’industrie pharmaceutique qui, par l’intermédiaire de son syndicat, semble regretter que les prix des médicaments continuent à être régulés.
  • Le texte est ambigu sur ses objectifs, peu informatif, passe sous silence des éléments sans doute pour ne pas se restreindre (ailleurs que dans la phrase finale) aux pilules progestatives.
  • Certains promoteurs semblent en situation de conflit d’intérêts majeur non déclaré.

 

Nous croyons à la sincérité de la grande majorité des signataires de la lettre ouverte mais nous craignons qu’ils n’aient été enrôlés, à leur insu, dans une opération de marketing commercial. Et nous nous interrogeons sur la genèse de ce projet. De qui, précisément, provient l’initiative ? Qui a effectué le travail de recherche, rédigé ces textes et fourni la logistique ?

 

Peut-être faudrait-il lancer une initiative réellement citoyenne, claire sur ses objectifs (éventuellement avec deux étapes, progestatifs puis oestroprogestatifs ?), exposant clairement les bénéfices de chaque option, et très explicite sur ce qui est demandé pour une éventuelle AMM, par exemple avec une AMM remboursable à prescription facultative, donc à prix régulé.

La campagne associée pourrait mettre l’accent sur le découplage entre la prescription d’un contraceptif oral et un suivi gynécologique conforme aux recommandations officielles, ainsi que sur la diversité des acteurs disponibles pour ces deux actes et des solutions disponibles.

 

Au travail !

 

Borée & Hipparkhos

Poing d’étape

L’année 2014 touche à sa fin.

À mon compteur, aucun article.

Ce n’est pourtant pas le reflet de ma vie depuis un an et demi.

Il est donc temps, pour ceux qui ne me suivent pas sur Twitter (et même là, je ne suis présent qu’en pointillés), de donner signe de vie et de dire que ça va bien.

Après avoir quitté mon ancien cabinet, comme je vous l’avais annoncé, je me suis marié, scellant 12 années de vie commune. Ce fut un beau moment.

Marianne

Peu de temps après, en guise de voyage de noce, je suis parti, seul, travailler très loin, dans un endroit très chaud. L’expérience a été aussi passionnante que stressante, formatrice que déroutante. Une parenthèse professionnelle dont j’avais besoin.

Loin

 

Au retour, il a fallu tout mettre dans un camion, déménager et redémarrer dans l’ailleurs que nous avions choisi.

J’ai rejoint une très chouette équipe qui ressemble beaucoup au cabinet idéal dont je rêvais. Ça se passe bien. Les patients et leurs pathologies sont assez différents de ceux de mon ancien village, il y a forcément moins de grosses urgences et je crains d’oublier certains actes techniques, mais ce n’est rien en comparaison du plaisir que j’ai à travailler ici, dans une ambiance réellement fraternelle.

Depuis deux mois, j’ai une interne en stage. Elle est motivée, adorable et intéressante (en même temps, vu qu’elle connaissait le blog, ce n’est pas ici que je vais pouvoir en dire du mal 😉 ).

C’était trop tard pour faire de l’enseignement à la Fac cette année mais ça devrait être pour 2015.

Je suis, comme mes associés, dans un groupe de pairs. C’est peut-être pour ça également que j’ai moins besoin de m’exprimer sur le blog ou sur Twitter.

L'équipe

 

Ma mère est décédée. On savait que c’était inévitable. Puisque ça devait arriver, et même si c’est toujours trop tôt et qu’elle me manque, ça s’est passé aussi bien qu’on pouvait l’espérer. On a pu passer de beaux moments ensemble. Pour la première fois, j’éprouvais, dans les mêmes instants, une tristesse infinie et un immense bonheur familial.

La vie est parfois taquine, c’est peu de temps après qu’est arrivée notre fille. Un doux passage de relais.

Nous avons donc découvert les joies de la paternité avec ce petit être qui se révèle autant un volcan d’amour et d’espoir qu’un gouffre pour le temps et l’énergie.

Elle va bien, elle est magnifique, nous sommes heureux et fiers.

BB1

 

Voilà, désolé, chers lecteurs, pour ce long silence. Je n’ai pas perdu la volonté (l’espoir ?) d’écrire à nouveau mais il me faudra du temps : du temps pour écrire et du temps pour connaître mes nouveaux patients et avoir des histoires à raconter.

Pour ceux qui se le demanderaient, je ne fais pas grève en cette fin d’année. Pour trois raisons.

D’une part parce que mes priorités actuelles, vous l’aurez compris, sont un peu ailleurs.

D’autre part en raison des dates : décréter une grève du 24 au 31 décembre c’est, au choix, s’offrir une grève à bon compte dans un moment où on préfère passer du temps auprès des siens (ce qui n’est pas critiquable en soi) ou bien, pour les syndicats, faire une petite manipulation pour gonfler le nombre de grèvistes qu’on ne peut pas distinguer des vacanciers. Dans tous les cas, ce sont des dates qui ne peuvent que donner des arguments à ceux qui veulent la dénoncer.

Enfin, je ne peux pas me résoudre à me joindre à une grève fondamentalement conservatrice qui vise avant tout à maintenir l’existant, le paiement à l’acte en particulier. Je ne me fais pas d’illusions, nous sommes minoritaires à vouloir sortir de ce système et il n’est pas étonnant que nos syndicats représentatifs défendent les intérêts de la majorité, celle qui, vieillissante, a, pour un grand nombre, bien profité du système. Sans moi, donc.

Ce n’est pas pour autant que j’approuve les réformes qui nous sont concoctées. Ce gouvernement ne me surprend plus guère et je n’en attends plus rien de révolutionnaire ni de courageux mais il faut reconnaître que, pour le coup, la Ministre semble allier la médiocrité à la stupidité.

Des copains, qu’on ne peut certainement pas taxer de conservateurs acharnés ou de laudateurs du libéralisme économique, ont parfaitement illustré les dangers et l’idiotie dogmatique que représente la « mesure phare » de la Ministre, le Tiers Payant Généralisé. Allez donc lire Jaddo, Dominique Dupagne ou l’intraitable, et très politique, Christian Lehmann.

On pourra également lire la position du Syndicat des jeunes généralistes dans laquelle je me retrouve assez bien.

Car si la vraie préoccupation était de favoriser l’accès aux soins pour tous, il faudrait peut-être commencer par envisager de revenir sur les franchises instaurées en 2008, prendre en charge convenablement les soins dentaires, les audioprothèses ou l’optique voire, soyons fous, supprimer le ticket modérateur et unifier les régimes de sécurité sociale (des milliards d’économie à la clé et une gestion considérablement simplifiée autant pour les patients que pour les soignants). Mais il y a trop d’intérêts particuliers et financiers en jeu et ce n’est clairement pas la voie choisie par nos décideurs qui semblent préférer poursuivre dans le sens du désengagement de la Sécurité sociale pour le plus grand bénéfice des Mutuelles, des assureurs privés, de leurs dirigeants et de leurs actionnaires.

 

Allez, c’est bientôt la nouvelle année, ne lâchez rien !

PoingNB

#PrivésDeMG

Médecine générale :

dernier arrêt avant le désert

 

Comment sauver la médecine générale en France et assurer des soins primaires de qualité répartis sur tout le territoire ?

Certains d’entre nous avaient fait en 2012, un certain nombre de propositions dans le cadre de l’opération #PrivésDeDéserts.

Marisol Touraine présente ce lundi sa Stratégie nationale de santé. Cet évènement constitue l’occasion de nous rappeler à son bon souvenir, rappel motivé par l’extraordinaire enthousiasme qui avait accompagné nos propositions (voir plus bas les 600 commentaires) dont aucune n’a été reprise par la Ministre.

Nos idées sont concrètes et réalistes pour assurer l’avenir de la médecine générale et au-delà, des soins primaires de demain.

Notre objectif est de concilier des soins de qualité, l’éthique de notre profession, et les impératifs budgétaires actuels.

Voici une synthèse de ces propositions.

Sortir du modèle centré sur l’Hôpital

Depuis des décennies, l’exercice de la médecine ambulatoire est marginalisé, privé d’enseignants, coupé des étudiants en médecine. La médecine hospitalière et salariée est devenue une norme pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus un exercice ambulatoire qu’ils n’ont jamais (ou si peu) rencontré pendant leurs études.

Cette anomalie explique en grande partie les difficultés actuelles. Si l’hôpital reste le lieu privilégié d’excellence, de recherche et de formation pour les soins hospitaliers, il ne peut revendiquer le monopole de la formation universitaire. La médecine générale, comme la médecine ambulatoire, doivent disposer d’unités de recherche et de formation universitaires spécifiques, là où nos métiers sont pratiqués, c’est-a-dire en ville et non à l’hôpital.

La formation universitaire actuelle, pratiquée quasi-exclusivement à l’hôpital, fabrique logiquement des hospitaliers. Pour sortir de ce cercle vicieux, il nous semble nécessaire de réformer profondément la formation initiale des étudiants en médecine.

Cette réforme aura un double effet :

– Rendre ses lettres de noblesse à la médecine « de ville » et attirer les étudiants vers ce mode d’exercice. Nous ne pouvons reprocher aux étudiants en médecine de ne pas choisir une spécialité qu’ils ne connaissent pas.

–  Apporter des effectifs importants de médecins immédiatement opérationnels dans les zones sous-médicalisées.

Il n’est pas question dans ces propositions de mesures coercitives aussi injustes qu’inapplicables contraignant de jeunes médecins à s’installer dans des secteurs déterminés par une tutelle sanitaire.

Toute mesure visant à obliger les jeunes médecins généralistes à s’installer en zone déficitaire aura un effet repoussoir majeur. Elle ne fera qu’accentuer la désaffection pour la médecine générale, poussant les jeunes générations vers des offres salariées (nombreuses), voire vers un exercice à l’étranger.

Une véritable modernisation de la formation des médecins est nécessaire. Il s’agit d’un rattrapage accéléré d’opportunités manquées depuis 50 ans par méconnaissance de la réalité du terrain. Si la réforme Debré de 1958 a créé les CHU (Centres Hospitaliers et Universitaires), elle a négligé la création de pôles universitaires d’excellence, de recherche et de formation en médecine générale. Ces pôles existent dans d’autres pays, réputés pour la qualité et le coût modéré de leur système de soins.

Idées-forces

Les principales propositions des médecins généralistes blogueurs sont résumées ci-dessous. Elles sont applicables rapidement.

  • Enseignement de la Médecine Générale par des Médecins Généralistes, dès le début des études médicales
  • Construction par les collectivités locales ou les ARS de 1000 maisons de santé pluridisciplinaires qui deviennent aussi des maisons médicales de garde pour la permanence des soins, en étroite collaboration avec les professionnels de santé locaux.
  • Décentralisation universitaire qui rééquilibre la ville par rapport à l’hôpital :

Ces maisons de santé se voient attribuer un statut universitaire. Elles hébergent des externes, des internes et des chefs de clinique (3000 créations de postes). Elles deviennent des MUSt : Maisons Universitaires de Santé qui constituent l’équivalent du CHU pour la médecine de ville.

  • Attractivité de ces MUSt pour les médecins seniors qui acceptent de s’y installer et d’y enseigner :

Statut d’enseignant universitaire avec rémunération spécifique fondée sur une part salariée majoritaire et une part proportionnelle à l’activité.

  • Création d’un nouveau métier de la santé : “Agent de gestion et d’interfaçage de MUSt” (AGI).

Ces agents polyvalents assurent la gestion de la MUSt, les rapports avec les ARS et l’Université, la facturation des actes et les tiers payants. De façon générale, les AGI gèrent toute l’activité administrative liée à la MUSt et à son activité de soin. Ce métier est distinct de celui de la secrétaire médicale de la MUSt. Les nouveaux postes d’AGI pourraient être pourvus grâce au reclassement des visiteurs médicaux qui le souhaiteraient, après l’interdiction de cette activité. Ces personnels trouveraient là un emploi plus utile et plus prestigieux que leur actuelle activité commerciale. Il s’agirait d’une solution humainement responsable. Il ne s’agit en aucun cas de jeter l’opprobre sur les personnes exerçant cette profession.

  • Les « chèques-emploi médecin »

Une solution innovante complémentaire à la création du métier d’AGI pourrait résider dans la création de « chèques-emploi » financés à parts égales par les médecins volontaires et par les caisses.

Il s’agit d’un moyen de paiement simplifié de prestataires de services (AGI, secrétaires, personnel d’entretien). Il libérerait des tâches administratives les médecins isolés qui y passent un temps considérable, sans les contraindre à se transformer en employeur, statut qui repousse beaucoup de jeunes médecins.

Nos propositions et nos visions de l’avenir de la Médecine Générale, postées simultanément par l’ensemble des 86 participants, sur nos blogs et comptes Twitter, le 23 septembre 2013, sont des idées simples, réalistes et réalisables, et n’induisent pas de surcoût excessif pour les budgets sociaux.

L’ensemble des besoins de financement sur 15 ans ne dépasse pas ceux du Plan Cancer ou du Plan Alzheimer ; il nous semble que la démographie médicale est un objectif sanitaire d’une importance tout à fait comparable à celle de la lutte contre ces deux maladies.

Ce ne sont pas des augmentations d’honoraires que nous demandons, mais des réallocations de moyens et de ressources pour rendre son attractivité à l’exercice libéral.

Les participants à l’opération (Noms ou Pseudos Twitter) :

1.     Docteurmilie 2.     Dzb17 3.     Armance64
4.     Matt_Calafiore 5.     Docmam 6.     Bruitdessabots
7.     Ddupagne 8.     Souristine 9.     Yem
10.   Farfadoc 11.   SylvainASK 12.   Docteur Sachs Jr
13.   Méd Gé de L’Ouest 14.   Docteur Gécé 15.   DrKalee
16.   DrTib 17.   Gélule, MD 18.   DocAste
19.   DocBulle 20.   Docteur Selmer 21.   Dr Stephane
22.   Alice Redsparrow 23.   Docteur_V 24.   Dr_Foulard
25.   Kalindéa 26.   DocShadok 27.   Dr_Tiben
28.   Bismuth Philippe 29.   PerrucheG 30.   BaptouB
31.   Juste un Peu Sorcier 32.   Elliot Reid-like 33.   MimiRyudo
34.   SacroStNectaire 35.   DrGuignol 36.   DrLebagage
37.   Loubet Dominique 38.   CaraGK 39.   DocArnica
40.   Jaddo 41.   Acudoc49 42.   AnSo1359
43.   DocEmma 44.   DrPoilAGratter 45.   GrangeBlanche
46.   Docteur Pénurie 47.   Borée 48.   10Lunes
49.   Echocardioblog 50.   OpenBlueEyes 51.   nfkb
52.   Totomathon 53.   SophieSF 54.   SuperGélule
55.   BicheMKDE 56.   Knackie 57.   DocCapuche
58.   John Snow 59.   Babeth_Auxi 60.   Jax
61.   Zigmund 62.   DocAdrénaline 63.   DrNeurone
64.   Cris et chuchotements 65.   YannSud 66.   Nounoups
67.   MademoiselleAA 68.   Boutonnologue 69.   Françoise Soros
70.   Une pédiatre 71.   Heidi Nurse 72.   NBLorine
73.   Stockholm 74.   Qffwffq 75.   LullaSF
76.   DocteurBobo 77.   Martin Minos 78.   DocGamelle
79.   Dr Glop 80.   Ninou 81.   Martin Winckler
82.   UrgenTic 83.   Tamimi2213 84.   Doc L
85.   DrLaeti 86.   LBeu

Blog
/ Facebook / Twitter (@PrivesDeMG)

Lignes de vie

AurevoirUn petit message pour vous dire que je suis en vie. Et que ça va bien.

Les cartons sont faits, mon cabinet est fermé en attendant que le successeur s’y installe. Les adieux avec mes patients ont été touchants et plein d’émotion. Mais sans vraiment de nostalgie car ce sont les projets d’avenir qui me portent.

De fait, ces dernières semaines ont été un tourbillon, les prochaines le seront également.

Du coup, je n’ai guère eu le temps d’être présent sur ce blog.

Pour quelques semaines, je vais retrouver le rôle de remplaçant. Bientôt, histoire de changer d’air, je partirai pour quelques mois qui devraient marquer une aventure aussi excitante que tropicale !

Et au retour, si tout va bien, je m’installerai dans mon futur « cabinet idéal » que je pense avoir trouvé !

D’ici là, il me sera impossible de relater mes expériences car ce serait incompatible avec l’anonymat. Peut-être que j’écrirai encore quelques textes de portée générale. Peut-être pas.

Quoiqu’il en soit, je ne souhaite pas me contraindre à l’écriture ni me culpabiliser de ne pas le faire. Je préfère donc annoncer que ce blog va rentrer en sommeil pour quelques temps.

En guise de cadeau d’au-revoirs, je vous offre le poème qui fermait mon livre et que je pensais conserver pour la version papier. Mais, ce sont finalement vous, mes lecteurs du blog qui êtes mes compagnons fidèles et il n’y a pas de raison que je ne vous le fasse pas partager. Allez-y, c’est cadeau !

A bientôt.

Et ne vous résignez jamais.

Borée

*

*   *

Voilà huit ans que je me suis installé.
Peu à peu s’accroît mon petit cimetière.
Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, chacun sa pierre.
Des visages qui s’effacent de ma mémoire, des noms au passé.

Juliette, dossier numéro 10, mon tout premier jour et une légère boiterie
Tout premier symptôme, muscle après muscle, gagne la paralysie.
Premier semestre, premier décès.

Amandine, petite fille blonde, qui venait pendant les vacances
Pour que ses parents puissent souffler un peu.
Princesse muette et fragile. Parfois, la vie n’a guère de sens.
Et puis la carte pour me remercier et dire qu’elle ne viendrait plus.

Pierre, pour qui n’avait pas voulu se déplacer son ancien médecin
« On ne fait pas d’infarctus à quatre heures du matin ! »
Deux petits mois ensemble et puis tout s’arrête,
Juste avant que son épouse le rejoigne pour la retraite.

Monique qui avait perdu ses parents et son fils préféré,
N’a pas beaucoup lutté contre la maladie.
À croire qu’elle l’attendait presque avec envie.
Un semestre et l’affaire était pliée.

Des morts brutales ou au ralenti, redoutées ou espérées.
Des moments de colère aussi. D’amertume. De rage indignée.

Quelques erreurs, quelques maladresses.
Pas trop je pense.

Ceux avec qui ça n’a pas accroché.
Pas su les entendre ? Pas voulu leur céder ?
Ceux qui ont déménagé.
Dossiers transmis, dossiers fermés.

Des moments de bonheur, des moments de rire.
Petit à petit, parfois, une vraie complicité.

Sophie et son combat pendant trois ans :
Deux échecs de FIV, presque le deuil d’être maman.
Et cette grossesse totalement imprévue, jolie surprise.
Jubilation en lui annonçant que le test est positif.

Benoît qui n’allait pas très fort, fatigué, énervé pour rien.
Examen, longue discussion, j’ai eu le nez creux.
C’était de son colocataire qu’il était amoureux.
Depuis, il est parti dans une grande ville : je sais qu’il va bien.

Le SMS de Stéphanie pour me dire que le traitement d’Éric a commencé,
Que ça semble bien se passer.
« Nous voulions vous remercier pour tout le chemin parcouru. »

La boite de chocolats amenée par Valentin à sa sortie du CHU
Pour me remercier du mauvais pas dont je l’avais tiré.
Rattrapé sur le fil. Je fais quand même un chouette métier.

Ces vies accompagnées ou juste croisées,
Ces destins d’hommes et de femmes, dans quelle mesure les ai-je modifiés ?
Les ai-je aidés ? Ai-je suivi une bonne direction ?

Étrange phénomène que la mémoire
Qui prend et laisse à son gré.
Je garde peu de souvenirs de ces histoires.
Des sensations, des instants, quelques images brouillées.
Est-ce pour cette raison que je me suis mis à écrire ?
Carnet de bord pour ne pas oublier.

Académique


« L’Académie [nationale de Médecine] est naturellement placée au centre d’un réseau de réflexion et d’échanges où sa mémoire, la somme de ses travaux et sa vigilance permanente sur les sujets d’actualité font d’elle un lieu privilégié de diagnostic et de pronostic dans le domaine de la santé publique.

Au cœur de l’évolution médicale, l’Académie est un observatoire et un réseau d’expertise privilégié.

Le financement de l’Académie provient du budget de l’Etat et de ses fonds propres.

Chaque semaine, communications scientifiques et revues générales permettent d’entendre des spécialistes venus de toute la France et même de l’étranger sur les sujets les plus divers dans l’actualité de la santé. »

Vénérable institution dont la mission est de nous éclairer « dans un domaine – la santé – de plus en plus large, complexe, polémique où sa pluridisciplinarité et son expertise sont devenues indispensables. »

Que dire de plus ?

De fait, l’Académie, même si elle est parfois un peu à côté de la plaque, sait également être assez novatrice et intéressante lorsqu’elle propose la création d’un statut de « lanceur d’alerte », ou lorsqu’elle prend position sur le plan de vaccination H1N1 avec pas trop de retard sur la blogosphère médicale.

Remarquable quand on voit l’âge des membres qui la composent.

Ils en ont d’ailleurs conscience eux-mêmes puisque, en 2002, ils faisaient le constat que leur moyenne d’âge était de 76 ans, et prenaient la décision d’augmenter le nombre des « membres correspondants » (les « juniors »).

Mission accomplie ?

Aujourd’hui, la moyenne d’âge des 145 membres titulaires est de 83 ans. Le La plus jeune a 63 ans. Le plus âgé… 106.

Quant aux fameux membres correspondants, au nombre de 95 sur le site de l’Académie, ils sont âgés de 49 à 98 ans. Leur moyenne d’âge est de 76 ans.

Et si ce n’était qu’une question d’âge. Il y a aussi celle de la représentation des sexes.

Les femmes membres titulaires ? Elles sont quatre. Bravo à elles ! Et quatre aussi parmi les membres correspondant.

Ce qui donne des choses tout de même assez amusantes…

Les membres de la Commission « Maternité, enfance, adolescence » sont 13. Moyenne d’âge : 82 ans.

Et qui pour s’occuper de votre santé Mesdames ? Douze hommes. Sympathique, non ?

Il y a tout de même une femme, soyons justes : le Dr Marie-Odile Réthoré. Et vous allez aimer sa biographie.

Membre de l’Académie Pontificale pour la Vie. Une autre Académie, fondée en 1994 par le pape Jean-Paul II en collaboration avec le Pr Jérôme Lejeune, découvreur de l’origine de la Trisomie 21, qui en fut le premier président et célèbre pour être l’icône des « pro-vie » français, violemment opposés au droit à l’avortement. Cette Académie publiait ainsi en avril 2000 un avis mentionnant que « l’illégalité absolue de procéder à des pratiques d’avortement subsiste également pour la diffusion, la prescription et l’absorption de la pilule du lendemain. »

Le Pr Réthoré est d’ailleurs toujours Directrice médicale de l’Institut Jérôme Lejeune, dédié à la prise en charge de la Trisomie 21 mais intimement lié à la Fondation Jérôme Lejeune qui se situe au coeur de la mouvance opposée au droit à l’avortement, à la recherche sur l’embryon ou à la fécondation in vitro.

C’est ainsi que l’on peut lire dans ce document destiné à la jeunesse, émanant de la Fondation que « l’avortement est une atteinte à la nature même de la femme qui est d’être mère », que « la contraception favorise des relations sexuelles avec des partenaires multiples, dans des relations instables, ce qui multiplie de fait les occasions de grossesse, non assumées », qu’« accepter l’avortement est contraire à la paix », que « ces manipulations (de fécondation in vitro) ne sont pas éthiques car elles dissocient la procréation de la sexualité et transforment les gamètes en matériau de laboratoire. » Et que, de toute façon, « les lois injustes ne sont pas des lois. » (ça ne vous rappelle rien cet argument dans l’actualité récente ?)

Voilà de quoi vous faire une petite idée au sujet de la seule membre féminine de cette commission dédiée à la Maternité, à l’enfance et à l’adolescence.

Alors, certes, cet exemple caricatural ne préjuge pas de la qualité de l’ensemble des membres de l’institution. On y trouve des personnalités remarquables telles que Yves Coppens, Jean-Louis Montastruc, le défunt Georges Charpak, et bien d’autres.

Mais, tout de même, plus encore que le Conseil de l’Ordre ou que les syndicats médicaux, n’y a-t-il pas à s’interroger sur la représentativité d’une telle institution ?

Alors que, depuis des années, la majorité des nouveaux médecins sont des femmes, comment justifier une telle omnipotence masculine ?

Il ne s’agit pas de crier harro sur les vieux. Mon ami Jacques Lucas me corrigerait avec raison : nous sommes tous des vieux en puissance. La sagesse des anciens est précieuse et il semble logique qu’une certaine expérience et maturité soient nécessaires pour participer aux débats.

Avoir donc des anciens au sein de nos instances, oui, bien sûr ! Mais n’avoir que des anciens ?

Comment s’étonner que les jeunes générations aient du mal à se reconnaître dans ces institutions et qu’elles remettent en cause leur représentativité ?

C’est d’ailleurs vrai dans la plupart des domaines, bien au-delà du champ de la médecine, il en va ainsi de notre système politique au premier chef : la France se distingue par sa gérontocratie.

Difficile d’y voir des promesses d’avenir et un signe de dynamisme.

P.S. Malgré quelques recherches, je n’ai pas réussi à trouver les statuts de l’Académie de Médecine (contrairement à ceux de l’Académie de Chirurgie, qui paraît sensiblement plus jeune), ni le montant des subventions allouées chaque année par les pouvoirs publics.
Je n’ai pas trouvé non plus combien de généralistes siégeaient sur ces bancs. Mon petit doigt me dit qu’ils ne doivent pas être nombreux.
P.P.S. Merci à ma copine Stockholm d’avoir repéré l’anomalie sur la Commission Maternité et enfance et de m’avoir laissé le plaisir et l’honneur d’en faire un billet. Si ne vous connaissez pas son blog, allez y faire un tour, c’est remarquable de culture et d’intelligence. Une vraie féministe comme je les aime et, le croirez-vous, elle est chirurgienne !

Edition du 25/06 à 21h

Merci à Vincent Granier qui a retrouvé les statuts de l’Académie. C’est assez incroyable, je vous laisse aller voir. 😀

Lettre à Harry

Cher Harry,

Je te fais ce petit mot pour te dire simplement que je t’aime bien. Tu es un patient très agréable.

Déjà, tu es quelqu’un d’impliqué : nous discutons ensemble des décisions concernant ta santé. C’est très motivant pour moi.

Il est vrai que tu as un bon niveau socioculturel, comme on dit, et que ça m’oblige à défendre solidement ce que je te propose. Encore que je me mette peut-être plus d’exigences que tu n’en as toi-même.

Un patient impliqué, mais pas chiant non plus. Tu sais rester en retrait, juste ce qu’il faut. Quand j’ai des arguments clairs, tu me fais confiance. Plusieurs fois, tu m’as répété :

– C’est vous le médecin, je vous laisse décider.

Parfois, tu n’es pas d’accord avec ce que j’envisage. Tu me le dis clairement, nous en discutons, nous trouvons un terrain d’entente. Comme la fois où je t’ai proposé de consulter un cardiologue. Tu n’en avais jamais vu et avec ta tension, ta clope… Tu m’as répondu :

– Vous m’avez déjà fait un électrocardiogramme, qu’est-ce qu’il me fera de plus que vous ?

Ce n’était pas une flatterie, juste un constat neutre. J’ai bien tenté :

– Une épreuve d’effort, ça serait bien.

Mais tu m’as répondu :

–  Et avec tous les travaux que je fais dans ma maison, vous ne croyez pas que je la fais tous les jours, cette épreuve d’effort ?

Ce n’était pas vraiment faux et je n’ai pas insisté.

Je sais que ce n’est pas la peine de t’emmerder si je n’ai pas de solides raisons pour ça. Comme la fois où tu m’as dit que tu avais enfin arrêté de fumer. Mais que tu continuais à t’offrir trois cigares par semaine, en essayant de ne pas trop inhaler. Je t’ai félicité. Et je t’ai foutu la paix pour tes petits écarts. Tu n’avais pas besoin de moi pour savoir que zéro c’est mieux.

Ah ça ! Il faut le reconnaître, tu es un patient agréable. L’inverse de ce que la plupart des médecins diraient de leurs patients enseignants. Ou, pire, des autres professionnels de soins.

C’est vrai : quoi de plus pénible à soigner essayer de soigner qu’un autre médecin ? On avait même évoqué le sujet lors d’une de nos conversations, tous les deux.

Ce n’est plus de l’art, ça devient de la magie ! Il faut deviner ce qu’il ne dit pas puisqu’il croit qu’on le sait déjà, ce qu’il sait et ne sait pas, pour ne pas donner l’impression qu’on le prend pour un ignare tout en lui fournissant une information médicale complexe. Et partir du principe qu’il s’automédique en dépit du bon sens scientifique ! (1)

Combien de témoignages de médecins qui font pour eux-mêmes ou pour leurs proches ce qu’ils ne feraient jamais pour leurs patients ? A croire que, dès que l’on est impliqué personnellement, on abandonne toute rationalité.

Et lorsque l’on se décide, dans un moment de lucidité, à confier sa santé ou celle de ses enfants à un autre médecin, il nous est insupportable de renoncer à interférer avec le soin. On pose des questions tordues, exigeant des réponses impossibles que l’on serait bien en peine de fournir nous-mêmes, on bidouille les traitements (2), on arrange à notre sauce, on rajoute une ligne sur la prescription de prise de sang, on se plonge dans la littérature, on demande un second avis, des fois que… Pour se retrouver, bien évidemment, avec trois opinions différentes : celles des deux confrères et la sienne.

Quand je vois parfois comment je me comporte avec le vétérinaire pour mes animaux, je me fais peur pour le jour où j’aurais un pépin sérieux.

Non, vraiment, soigner un médecin, c’est l’enfer ! Tout l’inverse de toi.

Donc, voilà, je voulais simplement t’écrire ces quelques mots pour te remercier.

Et pour t’avouer que tu m’intimides un peu, quand même.

Lorsque tu me dis que tu me fais confiance et que tu me laisses décider, je me sens parfois bien petit.

Bien humble face à toi qui, jusqu’à ta retraite il y a deux ans, dirigeait le service de néphrologie d’un hôpital anglais.

Si un jour, j’ai besoin d’un autre toubib pour s’occuper de ma petite santé, ce serait pas mal que j’arrive à jouer le jeu comme toi tu le fais.

Merci Confrère.

(1) Ce paragraphe est une citation de mon ami Jean-Marie Vailloud dans un commentaire qu’il faisait sous son propre billet « Syndrome MGEN ». Je n’ai trouvé aucune manière de mieux dire les choses !
(2) Tout récemment, je devais prendre moi-même une gélule d’oméprazole 20 mg. Ayant trouvé au fond d’un tiroir une boite périmée depuis 2010, j’ai résolu la question en gobant trois de ces gélules périmées d’un coup. Attitude assez irrationnelle que je ne saurais recommander à aucun de mes patients.
La photo illustrant ce billet est utilisée sous licence Creative Commons. Elle est tirée du blog de Richard Vantielke.

Car, voyez-vous, je vais me marier

Lettre au Dr Patrick WOLFF

Président du Conseil Départemental de l’Ordre des médecins de l’Hérault

 

Cher Confrère,

Il est souvent d’usage dans notre profession de se tutoyer au nom, j’imagine, de la confraternité. Pour ce qui vous concerne, je n’arriverai pas à m’y résoudre : le « cher Confrère » me coûte déjà.

Vous êtes donc gynécologue et président d’un Conseil départemental de l’Ordre. Cette double qualité n’est certes pas de nature à m’inciter aux a priori les plus favorables à votre égard. Pour autant, j’étais prêt à en faire abstraction.

Dans la « Lettre de l’Ordre des médecins de l’Hérault » n° 23, de ce joli mois de mai, vous signez le traditionnel éditorial. Rebondissant sur l’affaire Cahuzac, vous nous rappelez le devoir d’exemplarité attaché à cette noble profession qui est la nôtre. Une exigence qui a pour fonction de préserver notre image collective puisque, je vous cite, « Chaque médecin doit se sentir personnellement responsable de la considération du corps médical. »

Cette parole est d’or, assurément. C’est pourquoi je ne peux que regretter la vomissure que vous commettez à la page 5 de cette même lettre.

Je laisse mes lecteurs découvrir ce beau moment d’humanité :

(Vous pouvez cliquer pour zoomer)

P Wolff

Oui, vraiment, un beau morceau de tolérance et d’ouverture d’esprit. Certes, le ton oscille entre la salle de garde et la cour de récréation. Certes, l’illustration choisie est un peu (si peu !) caricaturale. Mais, quoi, on est entre nous, non ?

En vous lisant ici, c’est avec émotion que j’imagine le gynécologue profondément humain que vous deviez être et tout le respect que vous deviez témoigner envers vos patientes. N’est-ce pas ?

Plus sérieusement, croyez-vous vraiment, abusant de votre position en vous autorisant cet exercice inhabituel pour cette « Lettre », faire l’honneur de notre profession et du poste éminent que vous occupez ? Pensez-vous sincèrement que ce vocabulaire de charretier fasse notre dignité ?

Comment imaginez-vous que les médecins homosexuels de votre département, il y en a forcément, aient ressenti cette virile saillie ?

Quel est le message que vous souhaitiez envoyer à leurs patients ?

Si je me félicite d’une chose aujourd’hui, c’est de ne pas vous avoir pour président de mon propre Conseil Départemental. Car, malgré les précautions d’usage, c’est bien la « Lettre » de tous les médecins de l’Hérault, leur Conseil Départemental à tous, que vous empestez de vos flatulences.

Dans l’immédiat, cher Confrère, je vous réserve la primeur d’une annonce.

Par amitié pour mes lecteurs, j’aurais aimé une forme plus joyeuse et primesautière. Mais nécessité fait loi. À défaut d’un bouquet de roses, ce faire-part sera donc un poing dressé.

Car, voyez-vous, cher Confrère, je vais me marier. Le 7 septembre prochain. Et c’est un grand bonheur de pouvoir le faire.

Et, voyez-vous, cher Confrère, nous espérons même avoir des enfants et, croyez-le, nous tâcherons de les élever avec amour.

Avec amour, avec humanité et avec toute notre dignité. De ces qualités dont vous semblez manquer.

Je vous adresse, cher Confrère, l’expression de toute ma commisération.

 

P.-S. Merci à l’ami qui a attiré mon attention sur ce document

In love


Je suis amoureux.

Et je crois qu’elle m’aime aussi.

Bien sûr, les mauvaises langues argumenteront que notre différence d’âge est trop grande pour être raisonnable. Et qu’elle n’a pas toute sa tête.

En plus, elle dépend de la MGEN, on me reprochera que c’est de la folie, que ça ne peut pas coller entre nous.(1)

Et puis, il y a l’autre : Édouard, qui vient la voir tous les jours.

Je sais que sa place restera toujours la première, c’est son fils après tout, mais son coeur à elle est assez vaste pour plusieurs hommes. Et je ne suis pas jaloux.

Peu importe de toute façon, nous nous aimons.

Je ne la vois pourtant pas aussi fréquemment qu’elle le voudrait. On me rapporte que bien souvent elle m’appelle. Parfois parce qu’elle est angoissée, parfois parce qu’elle a simplement envie de compagnie.

Elle est douce et amusante. Comme le jour où s’était mise à hurler dans les couloirs, personne n’a su pourquoi, « Je veux du cannabis thérapeutique ! »

Quand je rentre dans sa chambre, elle ne me reconnaît pas toujours immédiatement. Nous jouons notre petite partie.

— Qui est là ?

— C’est le docteur !

— Quel docteur ?

— Le meilleur !

— Aaaaaah ! Docteur Borée !

De temps en temps, pour lui faire plaisir, je lui parle en anglais et elle me raconte New York. Sa mémoire n’est plus tout à fait excellente, mais les vieilles histoires restent et elle n’a pas perdu l’usage de la langue qu’elle a enseigné pendant tant d’années.

Il y a quelques semaines, elle m’a récité en entier « Daffodils » de William Wordsworth. Édouard, à côté, avait le recueil jauni de poésie britannique sur les genoux et la relançait lorsqu’elle faiblissait.

Quand vient la fin de ma visite, elle rechigne souvent à lâcher ma main. Doucement, et sans grand enthousiasme, je lui dis que j’ai d’autres patients à voir et qu’Édouard sera bientôt là pour prendre le relai. Parfois, elle attrape mon cou pour rapprocher ma tête et me faire une bise sur la joue en me disant « Je vous aime ! ». Je me laisse faire de bon cœur.

Elle a 98 ans, une petite voix chevrotante et le sourire éternel.

Elle me manquera beaucoup.

(1) C’est une PLAISANTERIE ! A ne surtout pas prendre au premier degré.