« Etrange chose que d’être mère ! Ils ont beau nous faire du mal, nous n’avons pas de haine pour nos enfants. »
Sophocle
Elles ont trente ans, cinquante ans ou quatre-vingts.
Je la soigne pour un cancer. Elle ne voit pas pourquoi elle devrait se battre puisque sa fille est morte il y a deux ans.
Elle rencontre le compagnon de son fils unique en cachette lorsque, de passage dans le coin, ils logent à l’hôtel. Son mari le sait, mais il n’accepte que le fils à la maison. Je lui renouvelle son antidépresseur.
Elle a un enfant trisomique de soixante ans. Elle me dit « Tout ce que j’espère, c’est que je vivrai un jour de plus que lui. »
Son enfant est mort il y a bien des années. Elle s’est battue avec le reste de la famille pour pouvoir exhumer ce petit corps du vieux et lointain caveau familial, l’incinérer et disperser les cendres dans sa jolie prairie.
Elle me parle de son fils qui est la huitième Merveille du monde. Tout le village sait que c’est un poivrot et qu’il lui pompe la moitié de sa retraite. Mais il n’y a que lui qui compte.
Elle a perdu son premier enfant à la maternité. Elle a peur pour le suivant. Je pensais avoir su l’apprivoiser et je n’ai pas réussi.
Elle souffre. Elle souffre d’un fils qui boit et qui fume depuis le viol de sa sœur jumelle. Par son meilleur ami. J’ai fait tous les bilans, essayé tous les traitements, sa toux fluctue au gré des périodes d’alcoolisation et de rémission.
Elle est mère seule d’un enfant sans père. Elle jongle entre le travail, la nounou et ce garçon auquel elle n’était pas préparée.
Elle n’est pas mère. À quarante ans passés, elle va retourner une dernière fois en Tchéquie pour donner une ultime chance à ses embryons congelés. Elle me sollicite pour l’échographie préalable.
Elle m’amène son père âgé en consultation. Au passage, elle me parle de son fils et me décrit les symptômes d’une bouffée délirante en train d’éclore. Je passe chez eux, j’explique que ce n’est plus d’homéopathie et de yoga qu’il a besoin, je lui demande si elle veut bien faire le certificat pour une hospitalisation en psy. Je la vois osciller entre la peur de l’inconnu et le soulagement d’un diagnostic.
Elle a quatre-vingt-quatre ans. Son fils unique et son petit-fils sont morts il y a quatre ans. Elle va doucement mieux et me raconte avec fierté qu’elle vient de repeindre ses volets.
Elle refuse tous les vaccins pour ses enfants depuis que le dernier a fait une réaction bizarre après un ROR. Elle veut les protéger, mais je pense qu’elle a tort. J’ai conscience de la violence que je lui inflige en insistant pour au moins le tétanos. Je sens sa peur derrière son acceptation.
Elle se dit que ses enfants, c’est la seule chose de bien qu’elle a réussi dans sa vie. Elle est dévorée par la honte de ne pas pouvoir acheter un ordinateur pour l’ado qu’il lui reste à la maison. Je lui propose d’essayer une psychothérapie pour retrouver un peu de confiance en elle.
Elle est mère et grand-mère et arrière-grand-mère. Ses douleurs, ça va beaucoup mieux depuis que son fils est à la retraite et qu’il passe du temps chez elle.
Elle a trente ans, cinquante ans ou quatre-vingts. Elle est mère, d’une fille ou, peut-être plus souvent, d’un fils. Elle me parle de ce lien si fort, si présent.
Ces drames, ces bonheurs, ce poids sur le cœur.
Il ne me semble pas avoir été un mauvais fils. Mais, de les entendre et de les voir en consultation, je crois que je pense un peu plus fréquemment à lui dire que je l’aime. À la mienne, de mère..
Très beau, merci 🙂
Vive les mamans !
Oui, il faut le dire, souvent, tout le temps. J’aime ma fille, je le lui dis, elle me le dit, c’est beau. Pour ma mère, c’est trop tard, alors je le lui dis en empruntant son diminutif, Babeth.
P’tite puce vient de passer une mauvaise nuit.Probablement une terreur nocturne.A 4h ce matin,alors que je la réconfortais depuis 15 à 20 minutes,elle s’est enfin réveillé de son cauchemard éveillé et m’a dis « Assi Maman » en traduction ça donne merci maman.Ca déclenche une grande vague d’amour,c’est indescriptible,c’est irraisonné,c’est humain.
Comme il est beau ce billet. Comme elles sont vraies ces tranches de vie. Comme il est émouvant ce dernier cri.
Merci encore pour toutes ces mamans qui sont là de notre premier souffle jusqu’à leur (notre) dernier…Etre mère c’est bien plus qu’un statut social, n’en déplaise à certain(e)s, être maman, c’est tout ça: aimer, dépasser les haines des autres, les regards, les jugements, donner sans limite de l’amour et protéger son enfant par ce qu’on pense être le mieux…
Je suis votre blog depuis quelques mois et je commence à être une Borée’s addict 😉 je partage sur mon profil pour toutes les mamans 🙂
Merci
Magnifique ! Merci pour nous « mamans de » mais aussi « filles de ».
un billet qui touche, qui sonne , qui résonne…parfois se raisonner pour « dire » plus ces mots si simples et si forts…
merci Borée.
Je me demande s’il se souviendra que je me réveillais 4 fois par nuit pour l’allaiter alors que j’avais repris le travail… Epuisée d’amour…
Elle a été femme flic, élevant sa première au commissariat. Elle a jonglé entre les trajets et la nounou pour le deuxième, la nounou qui n’aimait pas les horaires de nuit d’une mère policier. Au troisième, elle s’est arrêtée de travailler. Elle s’est inquiétée pour nous, a eu le temps de voir ses deux premiers petits-enfants. Mais n’a pas eu le temps de voir la fin des études de ses deux derniers. Le cancer l’a emporté il y a un an. Et votre article me rappelle à quel point on devrait pouvoir veiller encore longtemps sur sa maman.
Moi je sens cet amour du haut de mes 22 ans …
J’ai pris mon envol il y a deux mois, quittée le nid, j’ai pleuré, ma mère aussi… C’est que souvent je me dis que jamais personne ne m’aimera autant que mes parents …
Je le sens tout cet amour, souvent j’ai peur de mourir, non seulement parce que j’aime la vie, mais parce que pour rien au monde je ne voudrait gacher la leur …
Et un jour je serais mère …
Moi je pondèrerais un peu… non pas que je n’admire pas l’amour maternel, mais que je trouve qu’il est (lui aussi ? ) sujet à dérives.
Que l’enfant soit la 8 ème merveille du monde est souvent un problème pour le mari, par exemple. Et puis, certaines femmes aiment « modérément » leur enfant, ou aspirent à autre chose, etc.
L’amour maternel me parait souvent cacher des frictions dans le couple, ou dans la société, ou ailleurs.
Par exemple, celle qui garde son fils trisomique, et voudrait vivre un jour de plus. Normalement, si je puis me permettre, la société devrait l’aider, elle a droit à avoir d’autres perspectives que de garder son fils trisomique. L’amour ici excuse les difficultés de la société à prendre en charge les malformations.
Ou encore celle qui est mère seule… il faut voir si le père existe quand même (je suppose ? ), ou comment elle peut retrouver un autre homme ou chercher un autre père. Et, si elle ne sait pas, il faut que quelqu’un lui dise, lui apprenne, lui montre.
Certes je dis « il faut » « il faut », et, devant le sacré propre à l’amour maternel, l’on va me dire que je n’ai rien compris, que je forme sacrilège, que je devrais me taire. Mais l’amour n’est pas sacrifice. C’est tout.
Toutes les mères ne sont pas des saintes. J’espère en tout cas en être une meilleure que celle que j’ai. (j’ai failli écrire » que j’ai eut » vive l’éloignement)
@Hervé & Lise
Certes, mon propos n’était pas de glorifier l’amour maternel et le rôle des mères de manière absolue. Cet amour peut même effectivement être parfois toxique.
Je voulais surtout exposer le poids que représente cette relation mère-enfant dans notre activité médicale, combien elle est forte et présente, que ce soit de manière positive ou négative.
@Borée
Oui, j’ai hésité à vous répondre, je voyais dans votre texte un parti pris que je comprends très bien, et même auquel je suis favorable.
Je voulais surtout manifester une « pondération », car son exagération est, me semble-t-il, un problème dans notre société, problème qui est social ; ce n’est pas du fait de la maman.
Par exemple la maman avec son enfant trisomique ne fait rien de toxique. Mais la société porte un regard qui abuse de la situation.
J’imagine qu’effectivement cet amour doit être très présent pour votre travail et les personnes qui vous consultent, et vous remercie de nous en avoir parlé.
Cordialement.
Etant « maman » depuis un mois seulement, je ne pensais pas comprendre ce lien…mais en fait si! Et ce depuis son premier souffle! Bien que ce que tu nous raconte soient des drames…Merci.
La MAMan donne la MAMelle et le PApa apporte le PAin à la maison. Les liens avec la première sont très forts, parce que charnels et survenant tôt dans notre vie, puis avec le temps on se rends compte a quel point le rôle du deuxième a été important et souvent moins reconnus parce que plus discret.
Vraiment touchant.
Je suis alitée pour une fin de grossesse difficile.
Ma première fille de deux ans me fait la tête car je ne peux plus jouer avec elle, j’ai mal au dos, je suis inquiète de faire un prématuré, j’ai mis ma vie entre parenthèse pour m’occuper uniquement de ce deuxième enfant à venir.
Je suis encore jeune et je me sens tellement plus fille que mère.
Bref, tout ça pour dire, que ça s’apprend d’être mère et que c’est très long, une telle force de caractère comme tu le racontes à travers ces lignes, ça n’est pas inné…pas pour moi en tout cas.
Une petite larme en lisant ces mots… Peut être parce que j’ai eu une journée éprouvante. Peut être aussi parce que ces mots me font comprendre qu’après avoir consacré tout mon été à faire des remplacements pour gagner ma vie et exercer enfin ce métier qui me fait envie depuis 10 ans, je reste sensible au « maman je t’aime très fort » que me dit ma fille tous les soirs depuis 3 jours qu’elle est rentré de chez papi et mamie, où elle a passer trois semaines faute de vacances en famille. Maman reste le plus beau métier que j’exerce, même si j’ai parfois l’impression que c’est à temps partiel.
Vous avez entendu parler de Medee?
Attention, avec vos a priori ‘bisounours’ sur la maternite (pas seulement Boree, mais aussi la plupart des commentateurs), vous risquez de passer a cote de cas de maltraitance.
N’en deplaise a Lise etc. il y a des ‘mamans’ qui essaient d’avorter quand elles decouvrent qu’elles sont enceintes (en France, ce n’est legal que depuis 1975), et qui, si elles n’y arrivent pas, font payer a leur enfant ‘le crime d’etre ne’, essaient de le tuer discretement (‘anorexie’ du nourrisson, puis de l’enfant et de l’adolescent; intoxications alimentaires; bronchites qui degenerent en pneumonie et ne sont enfin soignees que lorsque l’institutrice decide d’appeler elle-meme un medecin), de convaincre les medecins de l’euthanasier en leur apportant des diagnostics de maladies graves ou terminales (trisomie, autisme, cancers…) ou de convaincre l’enfant de se suicider (‘tu n’aurais jamais du etre ne’ ‘si tu mourrais ce ne serait pas une grande perte pour l’humanite’ ‘si j’etais a ta place j’irais me pendre cette nuit/je me jetterais sous un train demain matin’ etc.).
La societe devrait intervenir pour retirer leurs enfants a des meres comme ca, et malheureusement ne le fait que rarement (surtout quand la mere fait partie des classes sociales ‘superieures’), et souvent seulement pour de courtes periodes (par exemple quand la ‘maman’ est hospitalisee pour tentative de suicide).
Quand les enfants sont adultes, la meilleure solution pour eux est de couper les ponts a jamais. Malheureusement, dans notre societe, les jeunes doivent choisir entre rester longtemps dependants financierement de leurs parents, ou vivoter de petits boulots en essayant de ne pas devenir SDF (difficile de se loger en France quand on n’a pas ni CDI ni caution parentale…).
Si j’avais lu ce billet il y a 20 ans, au moins, j’aurais pu me dire que maintenant je savais tout ce que j’avais manque dans la vie, et que je n’aurais jamais. Mais les gens qui ont eu une enfance heureuse ou qui idolatrent leurs enfants m’ont assez serine que j’avais manque quelque chose d’irremplacable, que c’etait tellement dommage pour moi, et bien sur comme je ne pourrai jamais avoir d’enfants, je ne connaitrai jamais non plus ‘le bonheur d’etre mere’.
Enfin, ma mere n’aurait jamais imagine que je vive jusqu’a mon age actuel canonique, donc c’est quand meme moi qui ai gagne 🙂
Je sais que ce n’est pas le sujet principal, mais si la mère dont vous parlez veut vraiment un ordinateur pour son fils, cela se trouve d’occasion à des prix dérisoires de nos jours…
Dans les grandes villes, cela se donne même plus que cela ne se vend – certes pas le dernier modèle mais quelque chose de tout à fait utilisable, surtout avec un OS libre et léger comme Xubuntu.