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Déontologie ? Où ça ?

J’ai reçu récemment un aimable message de mon Conseil de l’Ordre. Une « circulaire » plus précisément.

Nous y apprenions que des Conseils départementaux avaient été sollicités en février par l’Université McGill de Montréal – certainement une microscopique université de seconde zone dans un pays de pingouins (1) – afin de diffuser une enquête du département de neurosciences auprès des médecins de France.

Il s’agissait du volet français d’une étude portant sur « Les placebos dans la pratique de la santé » menée par le Pr Amir Raz, un psychiatre formé dans des universités probablement aussi subalternes qu’étrangères (Jerusalem, Cornell, Columbia). Cette étude visait à identifier les déterminants de la prescription de placebos par les médecins.

Tout à leur sagesse, les Conseils départementaux avaient sollicités le Conseil national pour savoir s’il était possible de diffuser cette enquête.

Les grands manitous se sont donc penchés sur les aspects déontologiques de la chose. C’est normal, c’est leur boulot. Sauf qu’ils auraient tout aussi pu considérer plus raisonnable de refuser cette demande et d’aider les auteurs de l’étude à s’orienter vers d’autres voies de diffusion plus adéquates (Facs, organisations professionnelles…). Ces chercheurs canadiens, peu habitués à notre très-français système « d’Ordre », ne le savaient probablement pas mais est-il de la mission du Conseil de l’Ordre de faire l’intermédiaire entre les chercheurs et les médecins ?

Plutôt que de dénaturer éventuellement un travail scientifique en rendant impossible toute comparaison internationale, peut-être auraient-ils mieux fait de ne pas s’occuper de ça.

Mais, non. Haussant les sourcils, dodelinant de la tête, ajustant leurs lunettes, ils ont analysé l’étude, ont sursauté et ont demandé que deux questions de l’enquête soient modifiées.

Il s’agissait de la question n°17 « J’ai prescrit ou administré un placebo au cours de situations suivantes : » dont une des options proposées était « afin que le patient cesse de se plaindre » ; et de la question n°19 « Les placebos ont plus de chance d’avoir un effet thérapeutique puissant pour les catégories de personnes suivantes : » dont un des items était « les patients dont l’héritage culturel n’est pas occidental ».

En effet, d’après nos conseillers ordinaux « Ces deux affirmations, dans leur rédaction, sont contraires au principe de notre déontologie médicale qui rappelle que le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience, toutes personnes quelle que soient leur origine, leurs moeurs et leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. »

A ce stade, nous pourrons constater qu’il n’a pas paru particulièrement anti-déontologique à l’Ordre que des médecins aient pu prescrire des antibiotiques pour une infection qu’ils savaient virale, injecter une solution saline en intramusculaire (question n°10), qu’ils aient pu mentir au patient en affirmant qu’un placebo est un vrai médicament (question n°12) ou qu’ils aient cédé à une demande injustifiée pour une médication (question n°17). Ni qu’ils considèrent qu’un placebo puisse être davantage efficace chez les femmes, les patients de faible niveau scolaire ou les malades mentaux (question n°19).

Mais, bon, passons…

L’auteur de l’étude a accepté de modifier les deux items incriminés et finalement, le Conseil de l’Ordre a bien voulu diffuser ce questionnaire :

  • dans sa version originale non rectifiée (c’était bien la peine de se donner tout ce mal pour se mélanger dans les fichiers),
  • dans une version pdf pour une enquête destinée à être remplie en ligne… mais sans indiquer l’adresse web (elle est tronquée sur les documents transmis).

Bravo, bravo, on sent que nous sommes à la pointe des nouvelles technologies.

Bon, je me moque, je me moque mais, jusque là, il n’y a pas vraiment de quoi fouetter un chat. Ni en faire un billet de blog.

Ce qui m’a vraiment atterré dans cette affaire, c’est bien cette « censure » qu’a voulu imposer le Conseil de l’Ordre au nom de la déontologie.

Plutôt que de se poser des questions légitimes, de chercher à comprendre les mécanismes de la prescription médicale, on préfère nier le problème en évitant tout simplement de poser la question. Un mécanisme de type « arrêtducrime » en novlangue orwélienne.

Prescrire un placebo « pour que le patient arrête de se plaindre » : quel médecin ne l’a jamais fait ? Et les ordonnances de Daflon « pour les jambes lourdes », de Ginko « pour la mémoire », de Vastarel « pour les vertiges », c’est quoi ?

Mais d’après le Conseil de l’Ordre, ça n’existe pas, ça ne PEUT pas exister, puisque ce n’est pas déontologique.

Prenons l’exemple du « syndrome méditerranéen », dont j’ai entendu parler dès mon premier stage d’externe : que vaut-il mieux ? Essayer de comprendre sur quelles croyances médicales il repose, le confronter à la réalité, éventuellement le dénoncer s’il s’agit d’un concept erroné ou, s’il y a une réalité, l’étudier pour lui donner une définition moins condescendante ? Ou alors se contenter de dire que c’est un mythe, que jamais aucun médecin n’a pu parler de « syndrome méditerranéen » puisque c’est contraire à la déontologie, et qu’il n’y a donc aucune question à se poser ? Circulez, il n’y a rien à voir.

Vraiment, ça me met en rogne de lire que les préoccupations déontologiques de nos représentants portent sur ceux qui interrogent les éventuels problèmes plutôt que sur les problèmes eux-mêmes. Qu’on casse le thermomètre pour ignorer la fièvre.

Soyez rassurés, braves gens, les médecins français ont toujours un comportement irréprochable (si vous suivez mon blog, vous le saviez déjà). L’inverse est tout bonnement impossible puisque ce ne serait pas conforme au code de déontologie.

Le plus amusant, c’est qu’avant de faire de la recherche médicale, le Pr Amir Raz avait fait une carrière de magicien.

Il est donc bien surprenant que les conseillers de l’Ordre ne lui aient pas réservé meilleur accueil. Après un aussi joli coup de bonneteau déontologique, ils auraient pu se trouver bien des points communs.

***

Si vous êtes médecin, je vous encourage à participer à cette étude dont le questionnaire original (en français) est en ligne ICI.

Pour ceux qui seraient trop chastes ou respectueux de l’autorité, ils peuvent quand même participer en répondant au questionnaire caviardé ici.

 

(1) En réalité, l’Université McGill est au 19ème rang mondial des Universités. La meilleure « université » française est… 33ème et notre glorieuse Polytechnique, 36ème. En médecine c’est encore mieux : McGill est classée 13ème mondiale quand aucune Faculté française ne figure dans les… 150 premières. Cocorico !

Money, money

Les médecins et l’argent : entre clichés et suppositions fantaisistes, difficile d’aborder le sujet sans déclencher de polémique. Malgré quelques articles qui tentent de mettre fin à la légende du médecin nanti, allant jusqu’à parler de « smicard de la santé », ou se contentant de chiffrer des revenus mensuels, on reste finalement dans le flou. Car l’évaluation d’un revenu va bien au-delà d’une série de chiffres : outre la soustraction initiale entre rentrées et charges fixes, il faut en effet tenir compte de nombreux autres facteurs, parfois inattendus.

Quand il a été question de changer de région pour m’installer, je me suis posé quelques questions. Combien je vais gagner ? Au bout de combien de temps ? Quel emprunt je vais pouvoir assumer pour une maison ? Ce genre de petits détails.

Oh… il n’est pas bien difficile de trouver quelques chiffres mais, en fait, ils ne veulent pas dire grand chose. Savoir que le généraliste français gagne en moyenne 67 000 € par an, ça ne m’aidait que très approximativement. Vu que je ne suis pas forcément « le généraliste moyen ».

J’ai donc fait un beau tableur Excel comme je sais bien les faire et, histoire d’avoir un plan de route, j’ai rempli les cases des dix premières années : combien je pensais que j’allais gagner sur les honoraires, sur les astreintes, combien j’allais dépenser pour payer une secrétaire, pour le loyer…

Avec cinq ans de recul à présent, je peux dire que je me suis un peu planté.

La raison principale c’est que, lorsque je faisais des remplacements, je voyais 20 à 25 patients par jour sans trop forcer et en essayant de faire du bon boulot.

Maintenant que je suis installé et vu la manière dont je travaille, je vois plutôt entre 15 et 20 patients par jour. Quand j’atteins le vingtième, ça veut dire en général que je rentre à 21h30.

Donc je me suis dit que ça pourrait peut-être intéresser quelques futurs installés de savoir, non pas ce que gagne M. Le-généraliste-moyen, mais ce que moi je gagne, comment et à quel travail ça correspond exactement.

Je me suis aussi dit que ce serait l’occasion de calculer mon revenu horaire moyen. Au moment où je débute ce billet je n’en ai, en fait, aucune idée.

I Mes revenus

Tout d’abord, qu’entend-t-on par revenus ? Plusieurs choses dans mon cas. Et ces divers revenus peuvent être classés en deux grandes catégories : les revenus principaux et les revenus annexes.

A Les revenus principaux

Il s’agit avant tout des revenus liés à mon activité conventionnée. C’est ce qu’on envisage en priorité lorsque l’on parle des médecins et, de fait, c’est le gros morceau.

A tout seigneur, tout honneur, les honoraires que je touche pour les actes que j’effectue représentent 84 600 €.

Viennent ensuite quelques autres revenus conventionnés qui représentent pour l’essentiel des paiements forfaitisés :

  • Indemnités d’astreinte  : elles ne sont pas du tout anecdotiques pour moi. Ce montant correspond à 110 astreintes par an, des nuits de 20h à 8h ou des journées du dimanche : 16 500 €
  • Forfaits « Médecin traitant ALD » (40 € par an pour tout patient en Affection Longue Durée) : 8 760 € (soit 219 patients en ALD)
  • Aide à la transmission (qui ne couvre pas le prix du matériel et des logiciels nécessaires) : 220 €
  • Par honnêteté, je vais ajouter ma prime CAPI(1). Je ne l’ai touchée que début 2011 mais comme c’est une nouvelle prime annuelle, il me semble logique de la prendre en compte : 3 700 €.

Total des revenus principaux :  113 780 €.

Il est intéressant de noter que, dans ce montant global, les honoraires restent largement majoritaires mais que les sommes « forfaitisées » représentent tout de même environ 25% du revenu. C’est en grande partie lié à mon nombre important de gardes.

B Revenus annexes

  • J’ai une activité d’expertise pour laquelle je touche des indemnités pour « perte de revenu » : 3 600 €
  • Indemnisations pour la participations à des Formations « conventionnelles » (c’est-a-dire agréées par les Caisses) : 2 640 €
  • Honoraires pour surveillance de manifestations sportives (deux dimanches) : 600 €
  • Indemnité de Maître de stage : 480 €
  • Indemnité pour une étude thérapeutique : 420 € (une étude observationnelle, je finis celle-ci  pour honorer mon engagement mais je ne recommencerai plus.)
  • Participation à un réseau ville-hôpital : 180 €

Total des revenus annexes : 7 920 €

Total des revenus cumulés : 121 700 €

Et là, on se dit « Ouah, ça doit être champagne et foie gras tous les soirs chez Borée ! ». Mais il se trouve que j’ai aussi quelques…

II Dépenses

Levons enfin une partie du voile sur les mystérieuses « charges » des médecins.

  • Charges sociales (URSAFF, CSG et Caisse de Retraite) : 16 080 €
  • Salaire net et charges sociales pour ma secrétaire (16 heures par semaine) : 10 400 €
  • Loyer et charges locatives : 7 450 €
  • Frais de voiture (au barème kilométrique) : 5 040 €
  • Amortissements (pour ceux qui ne sont pas habitués à la comptabilité, il s’agit des « gros » achats – ameublement, ordinateur, ECG, autoclave, etc… – dont le paiement est étalé sur plusieurs années d’un point de vue comptable. C’est un bon reflet de la moyenne de ces dépenses)  : 2 920 €
  • Fournitures médicales : 2 350 €
  • Documentation (livres, abonnements aux revues) et logiciels médicaux : 2 030 €
  • Cotisations personnelles et syndicales (Syndicats, Association agréée, Groupe de FMC, …) : 1 560 €
  • Frais bancaires, assurances et expert comptable : 1 750 €
  • Rétrocessions aux remplaçants : 1 650 €
  • Frais de téléphone et frais postaux : 1 630 €
  • « Petit outillage » (matériel informatique, ameublement, câble d’ECG, cafetière, …) : 1 340 €
  • Frais de repas du midi : 1 160 € (une fois enlevée la part non déductible)

Total des charges : 55 360 €

III Analyse de mon revenu

A Que disent ces chiffres ?

Charges déduites, il me reste donc 66 340 €.

Ceci ne correspond pas exactement au « BNC » (Bénéfices Non Commerciaux) que je déclare aux impôts puisqu’il y a quelques déductions, notamment liées à l’activité conventionnée, qui viennent impacter ce montant.

Mais je pense que c’est toutefois le chiffre le plus proche de la réalité de « ce que je gagne pour de vrai ».

Me voici donc avec un revenu net mensuel avant impôts d’environ 5 530 €.

Par rapport à énormément de gens, c’est très confortable. Il n’est vraiment pas question que je me plaigne lorsque je vois nombre de mes patients qui galèrent. L’objectif de cette analyse ne vise donc pas à minimiser mes revenus mensuels, mais simplement à éclairer ce qu’ils recouvrent.

B – Que ne disent-ils pas ?

1 – Ils ne parlent pas des congés payés

En comparaison avec des personnes qui ont un revenu salarié, il conviendrait de déduire 10% de ce revenu car je n’ai évidemment pas de congés payés.

Lorsque je décide de prendre des vacances, je n’ai aucune rentrée mais mes dépenses sont toujours les mêmes. Chaque semaine de congés prise, c’est environ 1 500 € en moins sur mon compte avant même d’avoir commencé  à payer pour mes loisirs. J’y réfléchis donc à deux fois et, au final, je ne prends qu’environ 3 semaines de vacances par an et quelques journées par-ci, par-là.

2 – Ils ne parlent pas du volume horaire

Le volume de travail peut se diviser en plusieurs catégories : l’activité directement liée au cabinet, l’activité d’expertise, l’activité liée à la formation, et quelques activités annexes.

a – L’activité liée au cabinet :

Comment se déroule ma semaine de travail ?

  • Elle comprend quatre journées pleines au cours desquelles je pars de chez moi à 8h40 et où je rentre chez moi généralement vers 21h. Soit des journées de 12h20 auxquelles je retire 30 minutes pour une rapide pause repas et environ 50 minutes à la louche pour le temps passé sur mon blog, à twitter, à participer à des discussions syndicales, etc… Le caractère non directement professionnel de ces activités est discutable puisque, d’une certaine manière, ça participe à ma formation et à mon équilibre professionnel. Mais comme ce sont des activités bénévoles et « superflues », je les laisse de côté.
  • Elle comprend ensuite une cinquième journée, que je commence à 9 h et termine généralement vers 14 h, sans pause.

Soit des semaines moyennes d’environ 49 heures ce qui est dans la moyenne française (et probablement un peu moins que beaucoup de médecins ruraux).

  • Lorsque je suis de garde, un week-end par mois, je passe le samedi à mon cabinet à faire, entre deux consultations ou visites, de la paperasse, des demandes d’ALD, etc… Comptons 10 heures.
  • Quant à mes autres actes de garde (nuit, dimanche, …), c’est un peu au pif mais je pense qu’on peut raisonnablement compter au bas mot 6 heures supplémentaires par mois.

Si je retire mes 3 semaines de congés, quelques absences et des fériés, mon activité directement liée au cabinet représente donc environ 212 heures par mois en moyenne.

b – L’activité d’expertise

Mon activité d’expertise me prend généralement 5 heures par mois, prises sur un week-end. Il y a ensuite une réunion mensuelle qui me prend environ 10 heures (en comptant le transport durant une partie duquel je travaille mes dossiers) mais qui se fait pour l’essentiel à la place d’une journée de travail.

b – L’activité liée à la formation

  • Les FMC conventionnelles qui ont représenté 8 journées de 9 heures en 2010. Soit 72 heures dont la moitié représentée par des vendredis où je n’ai donc pas travaillé au cabinet. Une moyenne de 6 heures par mois.
  • Il y a un groupe de FMC local auquel je participe. Des réunions de deux heures, un mois sur deux, soit 1 heure par mois.
  • Pour la lecture de revues de formation (Prescrire, Médecine, Exercer) à la maison et des recherches sur internet, je vais compter environ 3 heures par mois.
  • Pour la réalisation du test de lecture mensuel Prescrire et la formation thématique Prescrire, comptons environ 2 heures par mois.

d – Activités annexes

  • Surveillance de manifestations sportives : deux dimanches d’une douzaine d’heures, soit une moyenne de 2 heures par mois.
  • Je gère ma comptabilité tout seul (sauf pour ce qui concerne les bulletins de salaire de ma secrétaire). Ceci me prend en moyenne 2 heures par mois aussi, mais me permet d’économiser pas loin de 1 000 € par an.

J’arrive donc à un total de charge de travail mensuelle de :

  • 212 (-10 d’expertise – 3 de FMC conventionnelle) = 199 heures au cabinet ou en visite.
  • + 15 heures pour le travail d’expertise
  • + 12 heures de formation
  • + 2 heures de surveillance sportive
  • + 2 heures de comptabilité

Soit 230 heures mensuelles ce qui est tout de même pas mal.

Conclusion

Du côté des chiffres :

Revenus, dépenses et volume horaire me permettent de calculer mon revenu horaire moyen : il est de 24 € nets.

Si on compare avec un revenu salarié, il faudrait en retirer 10% et partir sur une base de 21,63 € de l’heure. Ce qui correspond à un peu moins du double du salaire horaire moyen français. Et qui, on peut le voir, est inférieur au salaire horaire moyen d’un cadre.

Une autre manière de faire la comparaison serait de ramener mes 5 530 € à un salaire à 35 heures hebdomadaires avec congés payés : on arriverait alors à un revenu mensuel net de 3 180 €.

Plus globalement :

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’une bonne partie des heures travaillées correspond à des heures de nuit ou de dimanche.

Vous aurez remarqué aussi que la rémunération pour les astreintes de garde n’est pas du tout négligeable dans mon revenu. Je n’ai compté dans le volume horaire que les heures vraiment « travaillées » mais, une nuit et un week-end sur quatre, je suis d’astreinte ce qui est une contrainte réelle.

Pour pouvoir raisonnablement analyser ceci, il faut tenir compte que je suis un médecin qui travaille « lentement » : je pratique environ 3 600 actes par an ce qui est sensiblement moins que la moyenne française qui tourne plutôt entre 4 500 et 5 000. Alors même que j’ai une patientèle globalement âgée (35% de patients de plus de 60 ans au lieu de 25% pour ma moyenne régionale) et polypathologique (219 de mes 750 patients enregistrés officiellement sont en ALD).

Je fais donc moins d’actes mais des actes longs.

***

Au total, le but de ce billet n’est absolument pas de lancer le concours pour savoir qui a la plus grosse. Je pense que beaucoup de médecins généralistes gagnent mieux leur vie que moi, mais je n’ai certainement pas choisi la manière de travailler la plus lucrative.

Je gagne donc très confortablement ma vie par rapport à des tas de gens, sachant que ce revenu confortable se fait surtout au prix d’un volume horaire très important et « grâce » au nombre important de gardes dans mon secteur.

Si l’on tient compte du niveau de qualification, des responsabilités et des contraintes (nuits, week-ends, …) je pense pouvoir raisonnablement dire que mon revenu horaire n’est pas scandaleux. Sur la base de comparaisons internationales, il est même certainement assez modeste.

Il est aussi une illustration, mais ce n’est pas un scoop et ça justifierait un autre débat, que dans le système de santé français, essayer de faire un travail de qualité signifie généralement faire le choix de gagner moins.

***

P.S. Merci à mes relecteurs, et particulièrement à GM, de leurs conseils pour limiter les risques que les commentaires de ce billet ne dégénèrent. La critique est, bien sûr, permise mais je demanderais à ceux qui souhaiteraient s’y livrer de me savoir gré, au moins, d’avoir fait cet exercice de transparence en toute franchise.


(1) Ce contrat d’amélioration des pratiques individuelles (Capi) prévoit le versement à chaque praticien d’une prime annuelle de 7 euros par patient dont il est le médecin traitant, à condition d’atteindre des objectifs fixés par la Sécu. Dans certains cas, la prime, qui s’ajoute aux honoraires, pourrait dépasser les 5.000 euros.
Les objectifs fixés portent notamment sur le taux de prescription de médicaments disposant d’un générique.
En matière de prévention, ils portent sur le taux de vaccination des plus de 65 ans contre la grippe ou le taux de dépistage des cancers du sein après 50 ans. « Début décembre, 12.600 médecins, soit 30% des professionnels concernés, ont choisi d’adhérer au Capi. Ces médecins sont représentatifs de l’ensemble des médecins généralistes. Ils sont à 79% des hommes âgés de 52 ans en moyenne, des caractéristiques que l’on observe sur la profession en général », selon un document rendu public récemment.

Unité !

Lorsque j’étais étudiant, j’ai appris que nous devions utiliser les unités du Système International (SI) pour les résultats biologiques. Que c’était le moyen d’unifier les données internationales afin d’échapper aux particularités locales. Que ce système était légal en France depuis 1961 et que la Société Française de Biologie Clinique l’avait adopté depuis 1978.

On pourrait croire que c’est un truc qui a été fait pour les Anglais vu que le système métrique est quasiment universel. Et qu’il est lui-même fondé sur des bases rationnelles, comme l’avaient rêvé ses concepteurs lors de la Révolution française. Mais c’est plus compliqué que ça parce que le gramme ou le mètre font eux-mêmes partie des unités de base du Système International.

Donner un résultat en « grammes par litre » est donc bien une expression de type « SI ». Mais elle est beaucoup trop simple et compréhensible du commun des mortels. Du coup, ce n’est pas drôle.

Ces nouvelles unités de mesure sont donc vraisemblablement sorties du cerveau de chimistes pour lesquelles le raisonnement en « moles » doit avoir du sens même si ça n’en a strictement aucun pour M. Tout-le-monde. « Vous me mettrez aussi 3 moles de sucre, Mme l’épicière. »

Mais, soit. Puisque nous évoluons dans la mondialisation, adoptons cette langua franca biologique.

Finis les grammes par litre. Bienvenue aux millimoles par litre.

Le problème, c’est que ce n’est pas aussi simple.

Déjà, parce qu’il y a d’autres unités qui viennent se mêler à ça. Pour les ions, on peut aussi parler en milliEquivalents (mEq) qui dépendent de la charge électrique. Souvent 1 mEq = 1 mmol. Mais pas toujours. Pour le calcium, 1 mmol = 2 mEq. Ça amuse les chimistes.

Et puis, il y a aussi, les « Unités » pour les enzymes et pour certaines hormones. Mais pas pour toutes.

En matière d’unification, on repassera…

Pour certaines données, ça ne pose pas trop de soucis, on est à peu près tous sur la même longueur d’onde. Ainsi, pour le sodium ou le potassium, on parle tous en mEq. Pour l’hémoglobine, tout le monde en France en est resté aux grammes. Pour la glycémie aussi, en-dehors de quelques acharnés.

Pour d’autres, c’est un joyeux bazar. Lorsque j’ai un confrère hospitalier en ligne et qu’on parle du taux de créatinine, ça donne souvent ça : « Il a 12 mg de créat. – Ça fait combien, ça ? – Euh… 106 µmol. – Ah, ok. »

Et là, je ne parle que des Français entre eux. Quand mes patients anglais me parlent de leur glycémie à « 6,2 », je vois à peu près ce que ça fait. Mais quand un patient hollandais m’a dit que sa dernière hémoglobine était « à 7 », j’ai cru que je devais appeler le 15…

Manque « d’unités », donc.

Mais il y a encore plus amusant.

Histoire d’être originaux (et de garder leur clientèle), les laboratoires d’analyse français aiment bien avoir leurs petites coquetteries.

Dans mon coin, quand un laboratoire me dit que les globules blancs de mon patient sont à 7 550 par mm3, le labo d’à côté trouvera plus chic de me dire qu’ils sont à 7,55 Giga par litre.

Quand l’un va me répondre « Protéinurie : 170 mg / l », l’autre me dira « Protéinurie : 0,17 g / l ».

Le souci, c’est qu’aujourd’hui, la plupart des logiciels médicaux permettent d’intégrer automatiquement les résultats de prise de sang dans les dossiers des patients. Avec ça, on peut faire en deux clics de jolis tableaux qui permettent de voir les évolutions sur la durée. Du coup, quand le patient change de laboratoire, ces tableaux, ça devient un peu n’importe quoi.

Et, comme on peut toujours faire pire…

Chaque laboratoire a ses propres normes.

Pour le laboratoire X, la « norme » de la créatinine, c’est entre 7,4 et 13,7. Pour le labo Y, c’est de 7 à 12. Et pour le laboratoire Z, c’est entre 4 et 14.

Donc quand on a un patient qui avait un résultat à 12,5 chez Y et qui a maintenant un résultat à 14 chez Z, c’est plus ? C’est moins ? Pareil ? Qu’est-ce qui est dans les normes, qu’est-ce qui n’y est pas ?

Tout ceci m’emmerde car ça nous complique la vie. A l’heure où nous avons des logiciels médicaux qui présentent des tas de possibilités pour améliorer le suivi de nos patients, ces singularités sont ingérables.

Alors, moi je veux bien faire des efforts. Si demain, on me dit qu’il faut que je donne mes glycémies en mmol, je ferai l’effort intellectuel, je m’adapterai. Je ne trouverai pas forcément ça très parlant pour les patients, sans aucun intérêt pour le clinicien que je suis, mais d’accord. Ça me prendra sûrement un petit moment, mais je m’y ferai. Comme, petit à petit, j’ai fini par oublier les francs pour raisonner en euros.

Mais, comme pour le changement de monnaie, comme pour les unités de poids avant la Révolution, on n’y arrivera jamais si chacun continue à faire sa petite tambouille dans son coin.

Moi, ce que j’aimerais, ce serait qu’on enferme tous les biologistes de France ou d’Europe dans un grand hangar. Qu’on les y enferme et qu’on ne les laisse sortir que lorsqu’ils se seront mis d’accord une bonne fois sur quelle unité de mesure et quelles normes pour quelle donnée. Et qu’ensuite on s’y tienne en arrêtant rapidement les systèmes de « double affichage ».

Ces gens là ont bien des syndicats et des sociétés savantes dont l’utilité dépasse peut-être les négociations tarifaires. Je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas arriver à ça.

Et s’ils n’en sont pas capables parce que leurs petits intérêts particuliers et leurs confortables habitudes les en empêchent… Eh bien ! Il y a la loi pour ça.

P.S. En attendant le grand soir, je me suis fais ce petit tableau Excel pour pouvoir plus aisément « traduire » les valeurs biologiques les plus courantes. Je vous l’offre !
Edition le 31/05 à 15h : correction du tableau Excel, il y avait une erreur dans la conversion de l’urée (confusion avec l’azote).

Sisyphe

Au collège et au lycée, j’aimais tout. Sauf le sport et l’allemand.

Lorsqu’il a été question de savoir quoi faire après le bac, j’ai hésité : Math sup ? Science po ? Droit ? Ecole d’archi ? Tout me tentait bien. Bizarrement, Médecine ne faisait pas partie de mes choix.

Il faut dire que  je pensais être plus scientifique que littéraire. Comme j’aimais la biologie encore plus que le reste, j’ai donc fait Math sup bio.

Et moi qui n’avais jamais eu de difficultés jusque là, j’ai rapidement décroché en maths.

Mais je restais persuadé d’être avant tout un scientifique. C’est à cette époque que j’ai lu Plus grands que l’amour de Dominique Lapierre.

C’était décidé : je finissais mon année en séchant les cours de maths et j’irai en médecine l’année d’après. Pour faire de la recherche médicale et pour sauver le monde.

Plus les années de Fac passaient, plus j’appréciais la richesse des contacts humains et moins j’étais attiré par les microscopes et les appareils technologiques.

Tous les organes me plaisaient autant et Martin Winckler a eu la bonne idée de publier La Maladie de Sachs lorsque j’étais en D4. Ce serait donc de la médecine générale.

Jusqu’à présent, je n’ai pas regretté ce choix et j’aime mon métier.

Parfois, pourtant, il m’arrive d’avoir la nostalgie de ne pas être avocat ou architecte.

Car la médecine, et plus particulièrement la médecine générale, est un combat perdu d’avance. Nous savons que nous pourrons gagner des batailles mais que nous finirons toujours par perdre la guerre. Et c’est quand même un peu frustrant.

L’avocat mène ses procès les uns après les autres. Il gagne ou il perd mais, en tout cas, chacun de ses dossiers a un début et une fin.

L’architecte érige des bâtiments qui, s’il a bien travaillé, lui survivront.

En médecine générale, rien de tout ça. Chaque histoire, chaque cas, chaque pathologie, n’est jamais qu’une étape vers l’échéance ultime.

Jamais nous ne pourrons nous asseoir et nous dire : « Voilà, ça y est. J’ai bien bossé, le résultat de mon travail est bon, je peux fermer ce dossier et passer à un autre. »

Même lorsque nous travaillons bien et aidons un patient à se sortir d’un mauvais pas, nous ne faisons, finalement, que l’aider à franchir une marche supplémentaire sur l’escalier de la vie.

Oh, bien sûr, cette tâche reste précieuse. Il ne s’agit pas de dire que notre travail n’aurait aucun sens. Mais, pourtant, il peut être bien décourageant  de voir ainsi une vague succéder à une autre, jusqu’au tsunami qui emportera tout.

Car en médecine générale, nous ne fermons jamais nos dossiers que dans deux cas : pour passer la main à un autre ou parce que notre patient est décédé. De victoire finale, jamais.

C’est bien là, au demeurant, le destin de chaque être humain, condamné à poursuivre sans relâche son inaccessible étoile.

Le travail ne sera décidément jamais achevé.

Il ne nous reste donc qu’à lire Camus, à reconnaître et à dépasser « l’absurdité du réel ». A nous féliciter de la direction de nos efforts plutôt que d’horizons que nous n’atteindrons jamais. A accompagner la perpétuelle lutte que les forces de la vie mènent contre l’inertie de la mort. A nous satisfaire de nous diriger vers le haut de la montagne en gardant le regard fixé sur un sommet dont nous savons, lucidement, qu’il restera inaccessible.

A accompagner les Hommes sur leur chemin, à faire le choix de l’action et à être, aux côtés de nos patients, des Sisyphes heureux.

Mauvais sang

Il faut croire que les hasards n’existent pas.

Alors même que j’étais plongé dans la rédaction de ce billet, j’ai reçu le message suivant :

« Cher Borée,

Vital et irrem- plaçable, le Don de Sang permet chaque année de soigner 1 million de malades. Donner son sang est donc indispensable, cependant seulement 4% des français accomplissent ce geste.

Pour la 8ème année consécutive, l’EFS, l’Etablissement Français du Sang organise le 14 juin, la JMDS, Journée Mondiale du Don de Sang, préparant à cette occasion, un événement ludique et pédagogique à Paris, ainsi que 300 collectes dans toute la France.

(…)

Cette année pour la première fois, l’EFS renforce son interaction avec la communauté en mettant en place 4 chats pour répondre aux questions des internautes.

Le premier aura lieu mardi 19 avril sur le thème de « Qu’est-ce que la JMDS ? »

Vous êtes influent, vous partagez vos passions avec votre communauté de lecteurs. Ils vous apprécient pour votre liberté de ton et votre authenticité. C’est pourquoi, nous avons besoin de votre soutien bénévole en tant que bloggeur pour relayer l’appel de l’EFS. Ainsi, vous faites un geste solidaire et contribuez à un mouvement national. »

Mon père a toujours été donneur de sang.

Quand j’étais gamin, j’étais très fier de ça.

En plus, il nous ramenait les gaufrettes du petit casse-croûte offert après le don. C’était la fête.

Je me suis toujours dit que je serai, moi aussi, donneur de sang quand j’aurai l’âge. C’était une évidence.

Lorsque je me suis retrouvé en première année de médecine, il y a eu ces affiches un jour : « Faculté de médecine – Don du sang mercredi prochain ». J’y suis donc allé avec deux copines. Sans me poser aucune question. Puisque c’était une évidence.

En arrivant, on nous remettait des questionnaires qu’il fallait lire et remplir avant un entretien avec le médecin responsable.

Quand ce fut mon tour, je lui tendis le questionnaire complété et elle me demanda avec un sourire :

– Bon, pas de problème alors ?

– Euh… si… je suis homosexuel, je ne peux pas être donneur alors ?

– Ah non, en effet, je suis désolée.

– Mais pourtant, je me suis toujours protégé.

– Oui mais ça ne change rien. C’est comme ça. On ne veut prendre aucun risque.

Et je suis donc reparti, passant entre les tables alors que je venais seulement d’arriver. Moitié colère, moitié humilié.

C’était en 1992.

Aujourd’hui, en 2011, et malgré de vifs débats, la loi n’a toujours pas changé.

Les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes ont toujours l’interdiction de donner leur sang. De même d’ailleurs que leur moelle osseuse. Pour leurs organes en revanche, en cas de décès, pas de problème et si je me laissais aller à faire du mauvais esprit, je pourrais en conclure qu’un homosexuel acceptable est un homosexuel mort…

La France n’est pas un cas isolé.

La majorité des pays développés a le même usage. Certains ont opté pour des limitations plus nuancées. Seules certaines régions espagnoles et la pourtant machiste Italie ont abandonné toute restriction fondée sur l’orientation sexuelle.

Les Britanniques pratiquent eux aussi la même exclusion. Mais leur loi semble sur le point d’évoluer. Amère consolation. Désormais, les homosexuels devraient être autorisés à donner leur sang… à condition de ne pas avoir eu de rapports sexuels depuis au moins 10 ans.

Et là, je dois bien avouer qu’à tout choisir, je préfère encore la logique d’exclusion complète. Parce que cette non-avancée britannique me paraît totalement surréaliste et vexatoire et, surtout, je ne vois absolument pas sur quelles données scientifiques elle pourrait se fonder.

De toute manière, les rares études ayant abordé la question, celles qu’invoquent les décideurs politiques, sont discutables et déjà datées dans un domaine qui connaît des évolutions techniques constantes. (1) (2)

Car il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les échantillons de sang sont systématiquement testés, entre autre, pour le VIH. Et que, si les habituels tests de dépistage peuvent mettre jusqu’à six semaines pour se positiver, le circuit de la transfusion sanguine utilise une technique de diagnostic génomique viral (DGV) qui se positive dès le douzième jour (et jamais au-delà de 3 semaines) suivant une éventuelle contamination. Il n’y a ainsi presque aucune place au doute.

Je veux bien qu’on prenne une marge  de sécurité confortable, pour être sûr de ne pas passer à côté des zéro-virgule-quelque-chose % de tests faussement rassurants dans les délais habituels, mais qu’on m’explique quand même de quel chapeau ils ont sorti ces dix ans !

Oui, le VIH est toujours présent.

Et oui, proportionnellement, les homosexuels masculins sont bien plus fréquemment touchés. Pire, parmi les différents modes de contamination, c’est le seul groupe pour lequel le nombre de nouveaux cas continue à augmenter.

Ça ne sert à rien de le nier.

Non seulement ça ne sert à rien mais c’est même un tort. Refuser cette évidence au nom du « tous égaux, tous pareil », c’est rester dans une démarche de prévention tout public et, donc, largement inefficace. Les messages de prévention marchent quand ils sont ciblés.

Reconnaître qu’il y a toujours, trente ans après le début de l’épidémie, une spécificité de l’impact du VIH parmi les homosexuels, c’est permettre le développement d’une stratégie adaptée.

Mais revenons-en au don du sang.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la transmission du VIH par la transfusion sanguine a été un drame mais que ce problème est aujourd’hui largement maîtrisé. Le risque résiduel est évalué actuellement à environ 1 risque théorique pour 3 millions de transfusions. Sauf, qu’en 2008, le CDC a décrit le premier cas de contamination identifié depuis 2002, et alors même que les USA pratiquent environ 14 millions de transfusions par an.

En comparaison, les accidents de transfusion qui présentent un risque vital se produisent environ 1 fois pour 100 000 transfusions et le risque de décès directement consécutif à une transfusion est de l’ordre de 1 pour 300 000 (chiffres pour la France et les USA).

Que, malgré tout, l’on soit prudent au sujet du VIH et que les politiques mouillent leurs petites culottes depuis l’affaire du sang contaminé, je peux le comprendre.

Mais quand même…

L’Etablissement français du sang, pour justifier l’exclusion des gays, invoque un chiffre absolument effrayant de 17,7% de prévalence (la proportion de personnes atteintes) du VIH parmi « les homosexuels masculins ». Point. Sans aucune nuance ni précision. (3)

Ces chiffres se fondent sur l’enquête Prevagay.

Cette enquête a été réalisée « au sein de la population des hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes qui fréquentent des établissements gays parisiens (bars, saunas, backrooms). »

Non mais, alloooooo !!!!!

Quelqu’un pourrait expliquer à nos pros de santé publique que Paris ce n’est pas la France, et que le Marais ce n’est pas « les homosexuels masculins » ?

Qu’on fasse une enquête dans ce milieu, tout de même assez particulier (12% des hommes enquêtés ont eu au moins un rapport anal non protégé dans l’année avec un partenaire occasionnel, 18% ont eu au moins une IST dans l’année), pour mieux le connaître et pour pouvoir y développer une prévention spécifique, c’est très bien.

Mais qu’on étende à tous les homos de France des chiffres de prévalence récupérés dans des backrooms parisiennes, ça me paraît juste dramatique. (4)

Car qu’est-ce qui fait le risque ? L’orientation amoureuse ou bien les pratiques sexuelles ?

Je vis depuis plus de dix ans en couple stable et fidèle. Comme des milliers d’autres. Et comme des milliers d’autres, je ne pense pas être plus « à risque » que mon frère ou que mon voisin qui vivent en couples hétérosexuels.

Peut-être faut-il rappeler qu’il n’existe pas de test pour « détecter l’homosexualité ». Et que, de toute façon, ces données sont donc déclaratives.

Quand l’Etablissement français du sang demande « Avez-vous eu des rapports avec un autre homme ? Oui/non », ils sont bien obligés de faire confiance aux réponses des gens. Parce qu’ils n’ont de toute façon pas d’autre choix.

De la même manière, qu’ils demandent s’il y a eu un changement de partenaire depuis quatre mois.

Sauf que cette question ne concerne que les rapports hétérosexuels. Imagine-t-on que les homos seraient plus menteurs ? Mais alors, pourquoi ne le seraient-ils pas aussi pour la question précédente ?

Et, au final, c’est quand même la question d’un éventuel changement de partenaire récent qui nous intéresse si on veut limiter les risques liés à la transfusion, non ? La FDA étatsunienne elle-même reconnaît que les possibles rarissimes risques résiduels de transmission du VIH via la transfusion sont dus quasi-exclusivement au problème de  la courte période « silencieuse » (une douzaine de jours) suivant une éventuelle contamination.

Les seules questions valables seraient donc celles visant à écarter les donneurs qui pourraient se trouver dans cette situation, éventuellement en prenant une marge de sécurité raisonnable, telles que : « Avez-vous eu un(e) nouveau(elle) partenaire au cours du dernier mois ? « 

Le don du sang est gratuit, ceux qui y participent le font par altruisme. Comment imaginer qu’ils proposeraient de donner leur sang en sachant qu’ils ont pu avoir une conduite à risque dès lors que la définition de ces conduites à risque est suffisamment précise, sérieuse et fondée ?

Les études se sont basées sur une estimation du risque théorique comme si les donneurs potentiels allaient donner leur sang de manière aléatoire, quelle que soit leur activité sexuelle les jours et les semaines précédents. La logique même du don est fondée sur la confiance et le sens des responsabilités des donneurs. Comment ne pas croire que ceux-ci puissent choisir de donner ou pas en fonction de leur vie intime récente ? Pour autant que les règles qui seraient posées soient logiques, compréhensibles et non discriminatoires et qu’il n’y ait alors aucune raison de vouloir les transgresser.

A moins qu’il ne s’agisse pour les décideurs de faire oublier « l’affaire » et, désignant un groupe bouc-émissaire, donner l’illusion à la population que toutes les mesures nécessaires à la protection sont prises.

Non, décidément, je n’arrive pas à trouver de solide raison scientifique, rationnelle et logique, à tout ceci. (5)

C’est donc avec un réel plaisir que je vais relayer l’appel de l’EFS et, en effet, inviter mes lecteurs à participer aux chats et à l’ensemble des manifestations autour de la Journée Mondiale du Don du Sang. Et plus particulièrement, je vais les inviter à poser une question bien précise…

Le don du sang, le don de moelle sauvent des vies. Faire ce don est un geste de profonde générosité et, sans raison valable, il n’est pas normal de stigmatiser ainsi des donneurs potentiels. A quand la fin de cette discrimination idiote, nuisible et qui n’est plus fondée sur des preuves scientifiques ?

 

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Merci à celles et ceux qui ont bien voulu participer à la relecture de ce billet : DrCouine, Asclepieia et Jean-Marie de Grange Blanche

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(1) En réalité, cette politique semble se fonder essentiellement sur deux études. Toutes les deux intégralement construites sur des calculs statistiques et des probabilités.

Une étude québécoise qui a envisagé la possibilité d’autoriser les HSH (« Hommes ayant des relations Sexuelles avec d’autres Hommes » ce qui est la définition consensuelle aujourd’hui) abstinents depuis au moins 12 mois, à donner leur sang.

Une telle ouverture permettrait de récolter environ 3 000 dons supplémentaires chaque année au Québec, ce qui constituerait une augmentation de 1,3%.

A l’inverse, l’étude conclut à une augmentation du risque de transmission du VIH de 8%. Diable ! Sauf que 8% de presque rien, ça ne fait pas grand chose. Cette éventuelle augmentation du risque signifierait une contamination supplémentaire au Québec tous les… 69 ans. En extrapolant ces chiffres à l’ensemble des Etats-Unis, on arriverait à une contamination supplémentaire théorique tous les 1,1 an.

Deux points faibles significatifs à cette étude :

– Elle date « déjà » de 2003. Pour la détermination de la « période silencieuse » (qui est LE gros problème qui conditionne largement l’ensemble du raisonnement), elle se fonde sur une étude elle-même de 1997, qui prenait en compte les séroconversions. Certes, il est précisé que « De plus, le délai moyen a encore été réduit par la récente apparition des tests DGV. C’est pourquoi nous avons déterminé une probabilité encore plus basse dans ce modèle. » mais sans expliquer le détail du calcul et en fixant une probabilité de 1/2 000 qui me paraît surprenante.

« Pour les paramètres les plus difficiles à évaluer, en particulier ceux liés à une erreur dans la chaîne de traitement, nous avons pris le scénario le plus défavorable. (…) Si nous excluons ces paramètres du modèle, le risque estimé est divisé par 5, mais n’est toujours pas de zéro. » Certes, le risque ne sera jamais de zéro, même pas avec un « honnête père de famille ». Mais déjà que l’augmentation était modeste, s’il s’agit de la diviser encore par 5…


(2) Il y a ensuite une étude anglaise qui est « LA » principale étude motivant l’exclusion du don. Celle qui permet, même aux associations LGBT ou de lutte contre le SIDA de partager cette ligne en affirmant que l’ouverture du don aux HSH abstinents depuis 12 mois majorerait le risque de 60% et l’abandon de toute discrimination l’augmenterait de près de 600%. Avec des chiffres pareils, moi aussi je suis contre !

Mais cette étude aussi est très discutable…

– Il s’agit d’un modèle mathématique fondé sur « l’ancienne » méthode de sérodiagnostic. Dont la sensibilité est moins bonne et dont la période silencieuse est sensiblement plus longue : 22 jours en général mais parfois davantage. Si l’on tient compte des sept premiers jours où la personne contaminée n’est elle-même pas contaminante, on obtient une période à risque de 15 jours contre 5 avec les techniques actuelles. Une donnée fondamentale de l’équation doit donc être divisée par trois.

– La prévalence du VIH parmi les HSH a été estimée en fonction des données issues d’une population fréquentant un CDA (Centre de Dépistage Anonyme) londonien. Les auteurs reconnaissent eux-mêmes : « Nous avons considéré que les hommes qui fréquentent les CDA sont représentatifs des HSH ‘actifs’. Il semble probable qu’ils aient, en fait, un risque plus important que ceux qui ne fréquentent pas un CDA et la prévalence du HIV peut donc avoir été surestimée. » On peut le supposer, en effet… et là aussi ça change un peu le calcul.

– Surtout, les chiffres proposés, et qui me paraissent crédibles, estiment que l’ouverture du don à tous les HSH conduirait à repérer environ 170 séropositifs ignorés parmi les 30 000 nouveaux donneurs et, par la suite, 29 nouvelles séroconversions chaque année (à noter que les donneurs HSH londoniens ne représenteraient que 17% des nouveaux donneurs admis mais 86% de ces nouvelles séroconversions).

Or, dans la situation actuelle, l’étude estime le risque à 0,45 transfusion contaminée par an pour l’ensemble de l’Angleterre.

Si le don était ouvert à tous les HSH, au cours de la première année, on aurait environ 200 (170 + 29) dons potentiellement contaminés.

Or l’étude estime que cette situation provoquerait la mise en circuit de 2 dons contaminés supplémentaires sur l’année pour toute l’Angleterre : 2,5 au lieu de 0,45, les fameux 558% d’augmentation.

Soit, au total, 2 dons sur 200 qui « passeraient entre les mailles » du système de sécurité : un taux de faillite du système de surveillance de 1% ce qui est énorme.

Alors même que, l’essentiel de ces 200 dons contaminés correspondant à la découverte de séropositivités méconnues, la question de la « fenêtre silencieuse » ne se pose alors pas.

Cette notion de 558% d’augmentation du risque est donc, à mon sens, très critiquable et devrait être reconsidérée. Il est invraisemblable que les associations LGBT ne s’en soit pas saisi.


(3) Au delà de ce cas particulier, et franchement scandaleux en raison d’un énorme « biais de recrutement », on peut trouver également un taux relativement impressionnant d’incidence – le nombre de nouveaux cas chaque année – du VIH de 1% parmi les HSH dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (p. 474). Ce chiffre se base sur un effectif de 330 000 HSH pour toute la France, c’est-a-dire une proportion de HSH de 1,6% de la population masculine sexuellement active. Je suis le seul que ça fait rire ???

En fait, il n’existe aucune étude consensuelle sur la proportion d’homosexuels au sein de la population française ou occidentale. Beaucoup d’études évoquent plutôt une proportion d’hommes homosexuels (ce qui est a priori une notion plus restrictive que les « HSH ») autour de 4 à 5% de la population masculine. Un article de Rue 89 fait le point au sujet d’une récente polémique.

On peut aussi remarquer que la part d’hommes se déclarant homosexuels semble plus importante parmi les jeunes générations. Il faut certainement y voir une conséquence d’une meilleure acceptabilité et le fait qu’une part notable des hommes des anciennes générations niait ou refoulait leur homo(bi)sexualité.

C’est tout sauf anecdotique parce que, vu que le nombre de nouvelles infections est fixe et connu, ça voudrait dire que « l’incidence » peut varier dans des proportions de 1 à 4 au moins.


(4) Il est particulièrement intéressant de relever que les auteurs de l’étude anglaise déjà citée ont pris soin, durant l’essentiel de leur analyse, de distinguer Londres et le reste du pays… avant de refusionner les résultats.

La prévalence estimée du VIH parmi les HSH est entre 6 et 10 fois plus importante à Londres qu’en-dehors.


(5) A l’heure de la culture du « principe de précaution » et de la recherche d’un mythique « risque zéro », ce problème pourrait simplement être abordé sous un angle de gestion du risque.

L’étude québécoise, l’aborde ainsi de manière assez mathématique. Ce qui donne en gros « Bon, si on autorise les HSH abstinents, ça augmente le risque de 8% et le nombre de dons de 1,3%. Comme on n’a pas un besoin absolu de gagner ces 1,3% et qu’il y aurait d’autre manière d’arriver à ce résultat (campagnes de pub, etc…), c’est un mauvais rapport bénéfice-risque, donc on ne fait pas. »

Ce serait une méthode d’analyse typique de santé publique, rationnelle et donc légitime (sous réserve de la validité des chiffres utilisés par l’étude mais je l’ai abordé plus haut).

On pourrait peut-être relever que ce raisonnement ne semble pas s’appliquer aux centres de transfusion militaires pour lesquels le risque est pourtant 35 fois supérieur à celui de la population générale !

La vraie question, en fait, c’est celle qui mettrait en balance l’augmentation potentielle du risque (qui est devenu presque virtuel avec les techniques actuelles mais qui ne sera jamais, de fait, égal à zéro).

De la mettre en balance non pas avec un bénéfice de santé publique (A-t-on vraiment besoin de ces quelques pourcents supplémentaires de dons ?), mais avec un bénéfice de société et de civilisation (Que vaut la non discrimination de citoyens en fonction de leur orientation sexuelle ?).

Et là, on n’est plus dans de la santé publique mais dans de la philosophie ou de la politique.

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Bad blood

As this note has been triggered by British current events, I thought that it might be interesting to translate it in English in order that my fellow friends from across the Channel could take part in the debate.

« Dr Borée » – general practitioner, France

 

La rédaction de ce billet a été provoquée par l’actualité britannique. Il m’a donc semblé intéressant de le publier également en anglais afin de participer au même débat que mes amis d’Outre-manche.

***

My father has always been a blood donor.

As a kid, I was very proud of that.

Not only that but he used to bring home some of the food goodies offered after donation. It was a kind of celebration party.

I always told myself that, when I was an adult, I, like my Dad, would be a blood donor too. It was obvious.

When I found myself in my first year of medical school, there were these posters I read one day: « Faculty of Medicine – Blood Donation next Wednesday ». So I went along with two girlfriends. No questions asked; it was obvious.

On arrival, we were handed a form to read and complete, before an interview with the doctor in charge.

When it was my turn, I handed her the completed form and she asked me with a grinning face:

– So, no problems I presume?

– Well… hum… yes, I guess. I’m gay. Can’t I be a donor?

– No, I’m sorry……….

– But, I’ve always been careful……….

– It doesn’t matter. That’s the way it is. We can’t afford to take any risks.

And so I left, passing in between the tables of people who had just seen me arrive. Angry, and above all, humiliated.

That was in 1992.

Today, in 2011, despite heated controversies, the French law has not changed yet.

Men who have sex with men are still banned from donating blood, even their bone marrow. For their organs however, in case of death, no problem. I would even go as far as to conclude, if I was of wicked temperament, that an acceptable “homo” is a dead “homo”…

France is not an isolated case.

Most developed countries have the same rules. Some have opted for more subtle limitations. Only some regions of Spain and the very macho Italy (surprisingly), have abandoned any restrictions based on sexual orientation.

The British also practice the same exclusion. But their government is to lift this ban. Bitter consolation. In the future, gay men will be allowed to donate blood … on the condition of not having had sex for at least 10 years prior to the donation.

Between this condition and our state I must admit that I prefer the logic of no choice at all. I feel that this British pseudo-progress is totally surrealist and humiliating and, more seriously, I am not aware of any scientific data upon which would support this decision.

The few studies that have addressed the issue, used and quoted by the politicians, are already dated and questionable in an area that is experiencing constant technological updates. (1) (2)

At this point, it may be worthwhile to recall that blood samples are routinely tested, among other things, for HIV. And if the usual screening tests can take up to six weeks to become positive, the blood services are now using a diagnostic technique (NAT), which turns positive from the twelfth day (and never beyond 3 weeks) following a possible contamination. There is practically no more room for doubt.

I don’t mind that we practise a comfortable safety margin, to be sure not to miss the zero-point-something percent of tests falsely reassuring in the usual time, but I’d still like to know from where the “powers that be” conjured up the ten year rule!!

Yes, HIV is still present.

And yes, in proportion, gay men are more frequently affected. Worse still, among the different ways of contamination, it is the only group for which the number of new cases keeps increasing.

It is useless to try to deny it.

Not only is it useless but it is wrong. Refusing the obvious, in the name of « all equal, all the same » is to condemn us to keeping in place wide scale prevention, which is, largely ineffective. Prevention propaganda is far more efficient when targeted.

Recognizing that there is still, thirty years after the beginning of the epidemic, a specificity of the impact of HIV among homosexuals, is to enable the development of an appropriate strategy.

But let’s get back to blood donation.

It is perhaps worth recalling that the transmission of HIV by transfusion has been a tragedy but that this problem is now clearly under control. The residual risk is currently estimated at about 1 theoretical risk over 3 millions transfusions. That’s not anything. But, in 2008, the CDC deplored the first U.S. case of transfusion-transmitted HIV infection reported since 2002, even though  the U.S. practice approximately 14 million transfusions per year.

In contrast to this, life-threatening transfusion accidents occur about once per 100 000 transfusions and the risk of death directly resulting from a transfusion is about 1 per 300 000 (figures for France and USA) .

I would like to stress I do approve being careful regarding the HIV risk and I can understand politicians getting their knickers in a twist since the French HIV infected blood related scandal.

But still…

The French Blood Agency, (Etablissement Français du Sang), to justify the exclusion of gay men, invokes an absolutely startling figure of a 17.7% prevalence (the proportion of infected people) of HIV among « gay men ». End of story, without any qualification or clarification. (3)

These figures are based on the Prevagay survey.

This survey was conducted “within the population of men having sex with men frequenting the gay Parisian ‘Hot Spots’ (bars, saunas, and backrooms). »

Hum… hello People!!!!

Can anyone explain to our public health professionals that for starters Paris is not France and that the Marais area, in particular, is not representative of all the « gay men”.

Researching this community, with it’s specificities (12% of surveyed men had at least unprotected anal intercourse once in the year with a casual partner, 18% had at least one STI in the year), in order to enable us to know it better and to be able to develop specific prevention, is OK by me, good idea. But, generalising the research to all French gay men using figures collected in Parisian backrooms, is unfortunately incredible. (4)

What constitutes the risk? Love preferences or sexual practices?

I have lived for over ten years in a stable and faithful relationship; just like thousands of others. And just like those thousands of others, I don’t think I’m more of a « high risk person », than, say, my brother, or my neighbour living heterosexually.

Perhaps I should point out at this point, that there is no test to “detect homosexuality? » Therefore, the answers to any questions are based on the good faith of he who answers.

When the French Blood Agency asks, « Have you ever had sex with another man? Yes / No », they have to trust people’s answers. They have no other choice.

They also ask donors if they have changed partners over the past four months. Surprisingly, this question is only directed at heterosexual donors. Are they to be trusted more than homosexuals? Do we imagine that homosexuals may be more susceptible to lie? If a homosexual lied in the previous question, what’s to stop him lying again?

Ultimately, it’s still the question of a possible recent change of partner which is important if we want to limit the risks of transfusion, isn’t it? FDA itself recognizes that the rare potentially residual risks of HIV transfusion-transmission are almost exclusively linked to the short window period (about twelve days) after a possible contamination.

The only important questions would therefore be the ones to exclude those donors who might be in this situation, possibly including a reasonable safety margin, such as: « Have you had a new partner in the last month? »

Donating blood is free; those who participate act generously. How can we imagine that they would offer to give blood, knowing they had recent risky behaviour? Especially if the risk is well defined, precise and above all well founded.

Studies are based on an estimation of the theoretical risk, as if the potential donors were to give blood at random, regardless of their sexual activity days and weeks before. The logic of giving blood is itself based on trust and the sense of responsibility of the donors. How can we not believe in those who choose to give, or not, depending on their recent intimate activity? As long as the established rules are logical, understandable and non-discriminatory, there should be no desire to break them.

Unless………. political pressure is applied to make us forget former scandals and in designating a scapegoat group, they try to give to the public the illusion that all necessary measures for their protection are being taken.

No, really, I cannot find one solid scientific or logical reason to all this. (5)

Blood and marrow donations save lives. It is a gesture of great generosity, a selfless gift, and, without a valid reason, it is wrong to stigmatize certain potential donors. When will all this silly, once scientific and harmful discrimination end?

***

***            ***

(1) This policy seems to rely primarily on two studies. Both built entirely on statistical calculations and probability.


A Quebec study
has considered the possibility for MSM (« Men who have sex with other men » which is the accepted definition today) to become eligible to donate blood if they recently (12 months) abstained from male-to-male sex.

Such relaxing would bring in about 3,000 additional donations each year in Quebec, which would be an increase of 1.3%.

On the other hand, the study concludes with an increased risk of HIV transmission of 8%. WHAO!!  Well, 8% of almost nothing, it is not much. This possible increase in risk would mean one additional contamination in Quebec every… 69 years. For the whole United States, this would extrapolate to an additional theoretical 1 unit escaping detection every 1.1 years.

Two significant weaknesses in this study:

– It “already” dates from 2003. To determine the « window period » (which is THE big problem that largely determines the overall reasoning), it is based on a study itself of 1997, which took into account the seroconversions. However, it is stated that “In addition, the mean window period for HIV in blood donors is reduced even further by the recent implementation of minipool NAT. Therefore we assigned an even lower probability in the model. » but without explaining the details of the calculation and setting a probability of 1 / 2000 which might seem surprising.

– “For parameters that were more difficult to estimate, in particular, those related to potential system failures, we usually assumed a worst-case scenario. (…) If we exclude these parameters from the model, the estimated risk is reduced by a factor of 5, although it is still not zero.” Well, no risk will ever be zero, even considering an “honest family father”. Considering such a modest increase, if we have to divide it by 5 on top of that…..

 

(2) Then there is an English study which is THE main study justifying the exclusion of MSM from blood donation. The study that even allows LGBT or AIDS fighting associations to share this line of thought states that allowing 12 months abstinent MSM would increase the risk by 60% and the abandonment of this discrimination would increase the risk by almost 600%. In the light of these results, I’m also against it!

But this study is also very questionable…

– It is a mathematical model based on the « old » method of serodiagnosis. The accuracy is lower and the window period is significantly longer: usually 22 days, but sometimes more. Taking into account the first seven days “incubation” period, during which the person contaminated does not himself contaminate others, we obtain a risk window of 15 days against 5 with current techniques. A fundamental element of the equation must therefore be divided by three.

– The prevalence of HIV among MSM was estimated based on data from a population attending a GUM (unlinked anonymous testing of Genitourinary Medicine clinic) in London. The authors themselves admit: « We assumed that GUM attenders are representative of ‘active-MSM’. It seems probable that GUM attenders would be of higher risk than not-attenders and the prevalence in active-MSM may therefore have been overestimated. » One can suppose, indeed … and this too changes a little the calculation.

– Moreover, the calculated figures, which seem to me credible, estimate that allowing all MSM to give would lead to the identification of approximately 170 undiagnosed HIV cases formerly ignored amongst the 30 000 new donors and, subsequently, every year, 29 new seroconversions per year (note that London MSM donors would represent only 17% of new donors accepted but 86% of these new seroconversions).

In the current situation, the study estimates the risk at 0.45 infectious donations per year for the whole of England and Wales.

If donation was allowed to all MSM (active and passive), during the first year, there would be about 200 (170 +29) potentially contaminated donations.

Thus the study estimates that this would cause the issue of two additional infectious donations over the year for all of England and Wales: 2.5 instead of 0.45, the highlighted 558% increase.

This would mean in total, 2 per 200 infectious donations that « fall through the cracks » of the security network: a failure rate of the system of 1% which is huge.

Even though the bulk of the 200 infectious donations corresponding to the discovery of undiagnosed HIV, the question of « silent window » does not arise then.

This 558% increase in risk is, in my opinion, highly questionable and should be reconsidered. It is unbelievable that LGBT associations have not yet raised this issue.

 

(3) Apart from this particular case, which is frankly scandalous because of the huge « recruitment bias » of the survey, we can also find a relatively impressive incidence – the number of new cases each year – of 1% of HIV infection among MSM, in the French Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (p. 474). This figure is based on the number of 330 000 MSM throughout France, in other words a proportion of 1.6% MSM amongst the sexually active male population. Am I the only one laughing or what??

In fact, there are no consensual studies on the proportion of gay men in the French or, more globally, western population. Many studies rather suggest a proportion of gay men (which is a more restrictive notion than « MSM ») about 4 to 5% of the male population.

It is also noticeable that the proportion of men reporting themselves as gay seems more important among younger generations. It must certainly be seen as the consequence of better acceptance and the fact that a significant proportion of men of former generations denied or repressed their homo or bisexuality.

It is anything but trivial to remark this, because, as the number of new infections is fixed and known, it would mean that « incidence » can vary in proportions of 1 to 4 at least.

 

(4) It is particularly noteworthy that the authors of the already quoted English study took care during the bulk of their analysis, to make a distinction between London and the rest of the country … before then combining their results.

The estimated prevalence of HIV among MSM is between 6 and 10 times higher in London than elsewhere.

 

(5) In a time where the watchwords are “Safety and Precaution” and we are in search of the mythical « zero risk », this problem could simply be approached from a risk management perspective.

The Quebec study, like the English one, deals with the problem in a fairly mathematical way, which when translated gives this roughly; « Well, if we allow the MSM abstainers to be donators, it would increase the risk by 8% and the number of donations by 1.3%. As there is no absolute need to gain those 1.3% and that there could be other ways to achieve this (ad campaigns, etc …), we can conclude that risks would outweigh the benefits. So why take the risk? »

It would be a typically public health method of analysis, rational and therefore legitimate (subject to the validity of figures used in these studies that I quoted above).

It might be noted that this reasoning does not seem to apply to the military transfusion centres for which the risk is nevertheless 35 times higher than the general population!

The real question, actually, is not the one that puts in the balance the potential increased risk (which has become virtually nothing with current technology but will indeed never be zero), with the Public Health benefit (Do we really need those extra few percent of donations?), but what are the social and civilization benefits to be drawn, (What is the non-discrimination of a certain category citizens worth, based on their sexual orientation?).

And here we are no longer talking about public health but about philosophy and politics.

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***            ***

 

Many thanks to Mark for correcting. He is a friend of mine, one of those potential male liars, who is heterosexual but British (Edith Cresson notwithstanding). He came to France 22 years ago and continued to give blood here just as he did in the U.K.

Then one day the EFS (French donor board), asked THE question, « Have you visited the U.K. in the past x months? or indeed lived there in the past x years? »

He replied « Yes », of course, and was, after several years of loyal French bleeding (not only by the government), directed to the door. « Vache Folle »!!!

Do the British import French, Spanish or Italian blood? Because apparently THEY can’t give blood. Unless the rest of Europe just simply thinks that it’s O.K. because « after all they’re only infecting themselves!!!!! »

This also could be scientifically questioned. But that’s a clearly French issue.

Expertise 2.0

Après le cinglant rapport de l’IGAS, voici donc un nouveau rapport au vitriol concernant le système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments.

Un rapport offensif, parfois proche du pamphlet, décrit une situation à l’évidence désastreuse.

Alors que nos gouvernants répètent à l’envi qu’ils ont le meilleur système de santé du monde, il apparaît clairement que notre système de contrôle du médicament, qualifié dans le rapport de l’IGAS de « bureaucratie sanitaire », souffre d’archaïsmes dramatiques.

Il en va de même pour l’industrie hexagonale du médicament dont la survie tient essentiellement à la mise sur le marché de produits de second ordre ou de « me-too » (médicaments nouveaux sur le plan chimique mais sans avancée thérapeutique), bref sans intérêt. Tout ceci, en bénéficiant selon les auteurs de la complicité d’autorités qui, trop fréquemment, confondent enjeux de santé publique et enjeux économiques.

Ce rapport pointe la consternante insuffisance de l’éducation des médecins français en matière de pharmacologie et rappelle ainsi l’un des aspects de l’inadéquation entre la formation, tant initiale que continue, des praticiens et la réalité de leur métier.

Les auteurs dénoncent vigoureusement les relations troubles entre les autorités de régulation, les « experts » de tout poil et l’industrie pharmaceutique. Relations d’autant plus problématiques qu’elles sont largement minorées et dissimulées, profitant d’une culture du compromis quand les Anglo-saxons ont su développer, bien qu’imparfaitement, celle de la transparence.

Des propositions concrètes sont formulées. Beaucoup sont intéressantes, notamment la nécessité pour les experts travaillant pour les agences de régulation de ne présenter aucun conflit d’intérêt.

Et pourtant.

Et pourtant, ce qui frappe à la lecture du rapport Debré-Even, c’est sa vision très élitiste et « hospitalo-universitaire » du système. Les personnalités auditionnées ? Quasiment toutes sont issues du sérail des CHU, de l’industrie pharmaceutique ou des agences.

La langue utilisée fleure bon le paternalisme du début du XXème siècle, et malheureusement, certaines solutions proposées, également.

Les auteurs semblent accrochés à un modèle où la valeur des « experts » se mesure au nombre de publications et citations scientifiques. Encore faudrait-il démontrer que la maîtrise de la méthodologie des études médicales va nécessairement de pair avec de bonnes connaissances cliniques, ce qui est loin d’être le cas.

La qualification hospitalo-universitaire apparaît comme l’alpha et l’oméga de la compétence, ce qui est tout de même surprenant pour qui connaît le système français, lui-même porteur de nombre des travers dénoncés dans le rapport.

Ainsi on peut y lire qu’ « il suffit pour ce travail d’expert d’être travailleur, informé et critique, avec une vraie expérience clinique, de savoir lire entre les lignes et de ne pas méconnaître les pièges et chausse-trappes (sic) des stratégies statistiques et des stratifications, justifiables ou non, appliquées aux essais, pour décoder aisément le message apparent et le message réel des essais cliniques et de leurs limites. »

Ce rapport dénonce très justement une situation archaïque et formule des propositions utiles pour certaines et radicales pour la plupart, mais nous conservons le sentiment qu’il reste figé dans le XXème siècle, trop inspiré de l’existant, et notamment de la FDA qui serait un organisme de régulation parfait selon les auteurs. Pourtant, le Congrès américain, a ajouté le 22 janvier 2009 cette agence présentée comme un modèle à suivre dans sa liste de programmes gouvernementaux à haut-risque de fraudes, dysfonctionnement ou non-optimisation des budgets de l’Etat. Mais ne dit-on pas que l’herbe paraît toujours plus verte chez le voisin ?

Plus grave, ce rapport semble complètement passer à côté de la révolution en cours, celle qui ouvre pourtant des chemins pour l’avenir.

Les auteurs louent par exemple la « méthode Prescrire » en ces termes :

« Ils sauvent l’honneur de l’évaluation française des médicaments. On peut, pour l’essentiel, les croire les yeux fermés. L’Agence du Médicament, ce sont eux et ils ne sont pas 1.000 avec un budget de 110 M€. Il leur a fallu pour cela, pour ne jamais dévier, ne jamais se décourager, beaucoup de travail, de rigueur, et aller sans cesse, sans relâche, à contre-courant du buzz-marketing des firmes et de l’indifférence de l’establishment médical, qui les ignore, ne les cite ni ne les aide jamais et qui est de facto complice de l’industrie, et finalement aussi aveugle que l’AFSSAPS. »

Pourtant, leurs propositions pour faire évoluer l’AFSSAPS se situent à l’exact contraire de ce qui se fait chez Prescrire. La lecture des ours de chaque numéro et des noms des relecteurs, renouvelés chaque année met en évidence :

  • L’absence de « prima donna » : le travail est collectif, comme la signature.
  • Un mélange homogène d’universitaires et de praticiens de terrain.
  • Un nombre assez important d’intervenants, qui permet de tempérer la réponse de l’expertise, et d’être au plus près de la vérité.

Ainsi, l’une des mesures mises en avant dans ce rapport vise à l’établissement d’un petit groupe de « super-experts ».

Mais, quelles que soient ses compétences et son intégrité, il existera toujours, pour un expert isolé, le risque de se tromper ou d’avoir une approche biaisée, bref une subjectivité.

Nous faisons également l’analyse que l’une des causes des dérives actuelles est la déconnexion qui existe entre les experts d’un côté – au-delà de leurs qualités personnelles – et les malades de l’autre lorsque ceux-ci s’incarnent dans l’abstraction de tableaux statistiques.

Si nous pouvons accueillir favorablement la désignation d’un petit nombre de personnalités – pas nécessairement issues du sérail universitaire – exemptes de tout conflit d’intérêt et engageant clairement leur responsabilité propre sur les décisions prises in fine, cela ne peut toutefois suffire.

Pour limiter les risques de dérives, il s’agit de faire le pari de l’intelligence collective en s’appuyant, par exemple, sur d’authentiques conférences de consensus qui regroupent des personnalités issues d’horizons les plus divers avec, précisément, des non spécialistes du sujet.

Pour être constructifs, quelques mesures nous semblent prioritaires et dont certaines rejoignent les 57 propositions publiées par La Revue Prescrire le 8 mars :

  • Mener une simplification et une rationalisation profonde des structures de régulation et de décision.
  • Mettre en place une méthode de travail fondée sur la collégialité, en s’inspirant de l’expérience réussie de La Revue Prescrire, qui associe les points de vue et les qualifications les plus diverses. Il nous semble en effet primordial de confronter les compétences des chercheurs les plus pointus avec l’expérience de praticiens de terrain, d’autres professionnels du soin, de représentants de patients, d’associations de consommateurs, de personnalités qualifiées en matière d’éthique, etc…
  • Désigner un corps d’excellence qui serait chargé d’organiser et de synthétiser ce travail en réseau et dont les responsabilités seraient clairement identifiées et assumées pour chaque décision prise.
  • Donner aux débats une totale publicité et aux votes qui devront être filmés et publiés en ligne, d’une manière complète et transparente.
  • Apporter la garantie d’une absence totale de conflits d’intérêts pour les décideurs dans chaque dossier traité.

Nous partageons bien l’idée que l’ère des agences aussi multiples qu’inefficaces est révolue. Mais n’envisager que de leur substituer un groupe d’élite, aussi qualifié et indépendant soit-il, c’est s’arrêter au milieu du gué.

Car nous sommes déjà dans l’ère de l’expertise partagée et du travail en réseau.

Il est temps pour l’expertise de passer au 2.0.

Jean-Marie Vailloud, cardiologue, administrateur de grangeblanche.com

Borée, médecin généraliste, administrateur de boree.eu

***

Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement les relectrices et relecteurs de ce texte pour l’ensemble de leurs suggestions et le temps qu’ils et elles ont bien voulu nous consacrer.

Inspiration

Auscultation, inspection, palpation.

Olfaction.

Le karité des cheveux de mon ivoirienne,
La vieille fumée ancrée dans la peau.

L’odeur de propre du tricot de Madeleine,
Celle de crasse des vieux garçons.

L’odeur limpide d’un nourrisson,
Celle qui pique d’une couche pleine.

L’odeur louche de la maison de retraite.
Les fesses enduites de Mitosyl.

L’odeur de l’alcool, l’haleine chargée,
Celle du musc sous les bras.

L’odeur de foin des paysans l’été.
Le déodorant du commercial.

L’odeur des ulcères et des kystes sébacés.
La transpiration de fin de journée.

L’odeur du sang, du désinfectant, celle de l’éther.
Le café préparé par la secrétaire.

L’odeur de la vie, l’odeur de la mort.
Mes narines se remplissent de vos corps.

Médecine, sexe et pouvoir

J’ai eu une externe de 4ème année en stage. Charmante et intelligente. Un vrai plaisir comme bien souvent.
Je me souviens d’une consultation avec une jeune femme. C’était en fin de journée, il faisait beau, on avait le temps et tout le monde était de bonne humeur.

On parle gynécologie. La patiente me dit l’exigence de son gynéco de lui faire des frottis tous les ans et qu’elle n’aime pas bien ça.
Je me tourne vers l’externe, je lui demande ce qu’elle en pense. La conversation s’engage à trois.

Cette externe, qui sera bientôt médecin, déjà une soignante et qui, j’en suis sûr, sera une soignante attentive, nous explique que c’est son gynécologue qui lui prescrit sa contraception et qu’elle le voit donc tous les ans. Qu’il exige qu’elle ait, chaque année, un examen au speculum avec un frottis. Que, sinon, il refuse de lui renouveler sa pilule. Qu’il lui demande toujours de se déshabiller intégralement et qu’il lui fait une palpation des seins.

Et je découvre, stupéfait, que tout ceci lui paraît absolument naturel. Une obligation désagréable certes, mais une obligation évidente qu’il n’y a même pas à questionner.

Les échanges lors de cette consultation et par la suite ont été, je crois, une vraie révélation mutuelle et cette stagiaire, qui n’imaginait pas qu’une consultation gynécologique puisse se dérouler différemment, a fait un vrai travail de recherche sur la manière dont ça pouvait se passer, ailleurs, et sur le ressenti des femmes.

Et je lui ai validé son stage. (Oui, bon… j’ai toujours validé les stages… disons que je l’ai validé avec enthousiasme.)

Je passerai rapidement sur l’inutilité de pratiquer un examen gynécologique chez une jeune femme de moins de 25 ans qui ne se plaint de rien. C’est même assez inacceptable avant 20 ans, à un âge où l’on est encore dans la découverte de son corps et de la sexualité.
Si on veut installer l’idée que le sexe, plutôt qu’une source de plaisir amoureux, est un danger permanent qu’il convient de médicaliser et, ainsi, de « génitaliser », c’est même un très bon moyen.

Je ne m’attarderai pas davantage sur le pur scandale que représente ce chantage à exiger que le patient se plie aux contraintes qu’on entend lui imposer sous peine de se voir refuser toute prise en charge.
Rappeler à une femme de 30 ans que le frottis c’est important, c’est notre boulot. Refuser de lui prescrire sa contraception si elle n’accepte pas de s’y prêter, c’est lui placer un revolver sur la tempe. C’est une relation de pouvoir et non pas une relation de soin.

Ce que j’ai trouvé vraiment édifiant dans ce dialogue, c’est combien certaines de nos maltraitances pouvaient être perpétuées non pas parce que les soignants français seraient fondamentalement malveillants (il y a bien quelques connards sadiques dans le lot mais je suis sûr qu’ils sont minoritaires), mais parce que, tout simplement, ils n’interrogent pas leurs pratiques.
Même pétris d’une réelle volonté de bien faire, des soignants peuvent pourtant être maltraitants au nom du simple « on a toujours fait comme ça ».

Il est donc temps, de clore cette trilogie que je n’avais pas anticipée par deux gestes que je n’ai pas encore abordés.
La palpation des seins tout d’abord.
L’habitude de déshabiller intégralement les femmes ensuite.

***

Faut-il tâter les tétons ?

(Je n’aborderai pas ici la question de la mammographie de dépistage – qui n’est de toute manière justifiée pour la population générale que de 50 à 70 ou 75 ans et uniquement dans un cadre organisé -, ni celle des femmes à haut risque en raison de leur terrain familial.)

La palpation des seins est pratiquée de longue date dans l’espoir de permettre le dépistage précoce de cancers du sein. L’idée sous-jacente est que « plus tôt on détecte, plus tôt on traite, mieux c’est ».

Cette technique paraît intéressante : elle est simple, gratuite, sans risque direct et généralement pas trop pénible.

Elle est même tellement simple qu’il a été proposé de l’enseigner aux femmes elles-mêmes et de les encourager à pratiquer régulièrement des autopalpations. Idée séduisante mais qui se heurte à la réalité.

Deux essais comparatifs réalisés en Russie et en Chine (reprises dans cette Méta-analyse et dans une synthèse Cochrane) ont regroupé au total 380 000 femmes (pour les non connaisseurs : c’est énorme et ça donne généralement des résultats très fiables).

La conclusion est malheureusement claire : aucun bénéfice n’a été retrouvé.

Par contre, la pratique des autopalpations a considérablement augmenté le nombre de consultations médicales, de biopsies négatives, d’examens invasifs et probablement l’anxiété de ces femmes.

Cette pratique – qui est pourtant encore régulièrement proposée – est donc, malheureusement, inutile et certainement même nuisible.

Ce qui n’empêche pas, bien évidemment, qu’une femme qui remarque une modification d’un de ses seins, une douleur ou toute autre anomalie suspecte doive consulter sans tarder. C’est la base d’une stratégie promue dans les pays anglo-saxons, plus particulièrement au sein de la profession infirmière : le « breast awareness« .

Ce terme n’a visiblement pas encore trouvé son équivalent en français. On pourrait parler de « mammo-vigilance » (si quelqu’un trouve un terme plus heureux, ce sera parfait).

Cette stratégie manque de preuves solides pour l’appuyer mais elle semble de bon sens et propose une démarche plus globale et moins systématique. Vous pouvez trouver ici la version francophone (mais oui !) de la brochure que propose le NHS (l’assurance maladie britannique) sur le sujet.

Bon, oui, ok, l’autopalpation ce n’est pas bien. Mais la palpation par un professionnel, ça fait tout de suite beaucoup plus sérieux, non ? C’est sûr que, ça, ça doit être efficace et sauver des vies.

Eh bien, on n’en sait rien. Rien du tout.

Aucune étude convenable n’a étudié les performances de la palpation de manière isolée. Les seules études ont été faites dans le cadre de stratégies associant ou non des mammographies. Une étude philippine avait démarré mais a rapidement été stoppée en raison de difficultés de suivi.

Il faudra donc probablement attendre la fin d’une grande et passionnante étude indienne (150 000 femmes de 35 à 64 ans, suivies dans des conditions très proches de ce que l’on pourrait faire dans la « vraie vie ») dont une analyse intermédiaire est parue récemment.

En-dehors d’un examen couplé à une mammographie, palper les seins d’une femme n’est certainement pas une faute. Ne pas les palper non plus puisqu’on ne dispose d’aucune preuve scientifique de l’intérêt de cet examen effectué seul.

Encore faut-il, si on souhaite proposer une palpation, se rapprocher du (faible) cadre que nous donnent les quelques études disponibles (uniquement dans le cadre de comparaisons avec la mammographie, je le rappelle) :

  • des femmes d’au moins 40 ans (les cancers du sein, bien que dramatiques, sont rarissimes avant 30-35 ans),
  • en respectant un protocole très précis (palpation et examen visuel nécessitant au minimum 3 minutes par sein),
  • par des professionnels qui ont suivi une formation spécifique.

En-dehors de ceci, la palpation des seins ne repose vraiment sur rien.

Il n’est donc pas illogique de la proposer avec prudence si on pense savoir la pratiquer convenablement. On peut raisonnablement la faire à une femme qui est demandeuse et que ça peut rassurer.

Mais l’imposer, en particulier à une très jeune femme, relève davantage du droit de pelotage que d’un acte médical.

***

A poil et couche-toi là.

De toutes les pratiques de certains gynécologues ou généralistes, il en est une qui me scandalise plus que tout…

Je discutais un jour avec un gynéco. Un jeune, de ma génération. Même pas l’excuse d’être un vieux rabougri.

« Ah bon ? Tu les fais déshabiller intégralement tes patientes ?

– Ouais, bon, elles ont le droit de garder les chaussettes hein !

– Mais pourquoi ?

– Ben, c’est comme ça. C’est quand même plus simple. Qu’est-ce que ça change ? De toute façon elles me montrent bien leur chatte. Et puis elles ont été habituées comme ça. »

Le cadre n’était pas à la polémique. Ce confrère était tellement loin du moindre questionnement que je n’ai pas voulu mener la bataille. J’ai donc lâchement changé de conversation et je me suis dit simplement que jamais je ne lui adresserai de patiente.

Mais j’avais quand même envie de lui hurler que ça changeait tout. Que se retrouver à poil, allongée à la disposition du médecin, c’était accepter clairement une position de soumission totale. Que c’était un mépris complet de la pudeur de ses patientes.

Et, surtout, que ça n’avait aucune, mais alors aucune, justification. Que ça ne servait à rien de rien.

Ah ! Si… à faire gagner peut-être 30 secondes au praticien.

Parce que, si vraiment on veut faire un examen génital et palper les seins, il faut quand même le faire en deux fois. Même le plus habile des gynécologues n’arrivera pas à faire les deux choses simultanément. Et il n’est donc tout de même pas très compliqué d’enlever le bas, faire l’examen génital. Laisser la femme remettre son pantalon ou sa jupe, puis enlever le haut pour examiner les seins.

Alors, oui… ça prendra peut-être un tout petit peu plus de temps mais ça me semble tout de même infiniment plus respectueux.

Considérer que ce petit gain de son temps est plus précieux que l’humiliation inutile subie par notre patiente, c’est avoir décidément une très haute opinion de soi-même et faire bien peu de cas de l’autre. Ou alors, si ce n’est pas une question de gain de temps, c’est encore pire : une attitude, peut-être même inconsciente, visant clairement à asseoir la domination du praticien (que ce soit un homme ou une femme n’y change rien) sur son patient.

C’est pourquoi, lors d’un examen gynécologique, refusez de vous déshabiller intégralement si ça doit susciter la moindre gêne chez vous. Car rien ne le justifie.

Et n’hésitez pas à changer de médecin s’il veut vous l’imposer. Ce n’est rien d’autre qu’un viol de votre intimité et ce n’est pas parce que l’autre porte le titre de « Docteur » qu’il ou elle en a le droit.

La noblesse de la médecine, c’est de prendre soin de nos patients. Ce n’est pas d’exercer notre pouvoir sur eux.

Le toucher vaginal est-il de la mauvaise médecine ?

Les commentaires du précédent billet sont vraiment passionnants et instructifs.

Docteurdu16 a publié un commentaire dans lequel il citait un article paru dans le BMJ (pour les non-initiés, le BMJ est l’une des trois principales revues médicales de référence sur le plan international). Cet article aborde la question d’examens pratiqués en routine en gynécologie et, en particulier, la question du toucher vaginal.

Plutôt que de laisser la discussion se développer dans les commentaires du billet sur la « position anglaise », il m’a semblé nécessaire de faire ce billet à part.

Je recopie donc ci-dessous le commentaire de Docteurdu16 avec, pour que tout le monde en profite, la traduction française de la référence citée. J’y joins aussi le commentaire que ‘S’ (mon « formateur ») a laissé à la suite.

Merci à eux deux.

***

Docteurdu16

Bon, voici un article de Des Spence dans le BMJ qui n’est pas tout à fait adapté au post de Borée, mais qui est adapté à la bad medicine, et au toucher vaginal. En anglais, malheureusement.
Pour ceux qui sont abonnés, ils trouveront le texte et des commentaires ici : http://www.bmj.com/content/342/bmj.d1342.full

Je n’ai pas le droit mais voici :

Mon ami me fixa anxieusement. Le professeur était cramoisi, les veines de son cou étaient saillantes, le visage de la colère. Bizarre qu’un simple mot comme « pourquoi » puisse provoquer une telle réaction allergique. Mais « pourquoi » est le mot le plus important en médecine.

Et, donc : pourquoi les médecins font-ils habituellement des touchers vaginaux et des examens au spéculum ? J’ai cherché les flèches dorées des sites de recommandations afin de me guider mais je me suis retrouvé à fouiller dans les poubelles de l’internet.

Concernant le toucher vaginal.

Il peut permettre de repérer des masses pelviennes mais quels sont les risques d’erreur ? Pour les patientes de gynécologie examinées durant une anesthésie générale, un tiers des masses n’a pas été détecté et les erreurs étaient encore plus importantes concernant les anomalies des annexes. Si nous extrapolons ces conclusions à une population consciente et avec une faible prévalence de pathologies, alors le risque de faux-positifs et de faux-négatifs est si élevé que ce n’est pas acceptable et qu’il rend le toucher vaginal pratiquement inutile comme examen de dépistage.

Le toucher vaginal est également sensé repérer les « irritations cervicales », un symptôme traditionnel des pathologies pelviennes inflammatoires. Mais l’irritation cervicale est tellement aspécifique qu’elle n’a aucune valeur de dépistage.

C’est pourquoi dans les pays riches, le toucher vaginal n’a aucune place dans les soins de première ligne. Les femmes doivent plutôt bénéficier rapidement d’examens fiables tels qu’une échographie. (De fait, les technologies modernes permettent de convertir un smartphone en échographe basique, c’est pourquoi on ferait mieux d’apprendre les techniques d’échographie à nos étudiants.)

Toute femme présentant des signes d’irritation pelvienne devrait donc pouvoir bénéficier de techniques fiables et sensibles.

Concernant l’examen au speculum.

Cet examen a clairement sa place lorsqu’il s’agit d’examiner le col de l’utérus ou de retirer un tampon coincé. Mais l’examen au speculum est couramment pratiqué pour de simples problèmes de pertes vaginales alors que les faits nous indiquent que ce n’est pas nécessaire. La plupart des pertes sont physiologiques et les patientes doivent simplement être rassurées. Par ailleurs, les infections vaginales banales, bactériennes ou candidosiques, rentrent souvent dans l’ordre spontanément mais ont tendance à récidiver, c’est pourquoi un simple traitement empirique paraît raisonnable.

Si un diagnostic de certitude paraît nécessaire, alors un auto-prélèvement par écouvillon semble une alternative logique au prélèvement obtenu au speculum. Concernant les chlamydiae et le gonocoque, les techniques indirectes, largement répandues, sont plus sensibles que la traditionnelle culture du prélèvement endocervical, en particulier en soin primaire. C’est pourquoi les examens nécessaires devant des pertes vaginales, sans douleur pelvienne, ne nécessitent pas d’examen au speculum. Ceci serait beaucoup plus acceptable pour les patientes et beaucoup plus simple pour le médecin.

Pourquoi continuer à pratiquer ces examens invasifs, non scientifiques, désagréables et illogiques ?

Il est temps de reconnaître que ces examens de routine en gynécologie sont de la mauvaise médecine.

***

S

Enfin, le sujet vraiment tabou est abordé.

J’avais prévu d’aborder le sujet du “toucher vaginal” très prochainement, et je ne peux que sauter sur l’occasion : cet examen a disparu de ma pratique depuis de nombreuses années, d’abord parce qu’il me dérange, comme le “toucher rectal” d’ailleurs qui devrait être systématique d’après mes cours, et surtout il ne m’apporte aucune information utile comme gynécologue.

Les très rares indications que je conserve se retrouvent en salle de travail pour le diagnostic de ce dernier et son évolution.

Et encore, travaillant avec des sages-femmes en première ligne, je fais confiance à leur expertise puisque c’est un geste qu’elles pratiquent régulièrement, au contraire de moi.

Ces dix dernières années, aucune, je dis bien aucune, faute de non-diagnostic n’est revenue à mes oreilles (et je vous promets qu’on ne m’aurait pas fait de cadeaux parmi mes confrères en cas contraire…).

Osons revisiter nos certitudes en nous appuyant sur la rigueur scientifique, point central de notre fonction de soignant, générant par là l’espace de confiance indispensable au soigné.