Le temps a passé, l’équipe a totalement changé, la nouvelle direction est infiniment plus soucieuse des aspects éthiques et, pour ce que j’en sais, c’est probablement devenu l’un des établissements les plus humains du département. Je peux donc me confesser.
J’ai commencé mon installation par un exploit : j’ai dénoncé la maison de retraite locale pour maltraitance.
Joli fait d’armes pour un début.
Avant de me décider à déménager, j’étais venu remplacer un confrère pendant une semaine, pour tâter le terrain.
À cette époque, la maison de retraite du village subissait de gros travaux de réhabilitation. Le directeur d’alors était connu pour une chose : il gérait le budget avec une rigueur extrême et excellait dans les tâches d’organisation ou de planification. Mais il ne sortait jamais de son bureau. Et n’allait jamais à la rencontre de ses résidents.
Généralement, lorsqu’il y a un tel chantier, un accord est trouvé avec d’autres établissements environnants pour qu’ils puissent accueillir quelques pensionnaires et qu’une rotation des locaux puisse se faire au fur et à mesure de l’avancée des travaux.
Ici, ça n’avait pas été le cas. Tout le monde était resté.
Certains résidents avaient été regroupés à trois dans des chambres prévues pour deux.
Mais ça ne suffisait pas.
C’est ainsi que certaines de ces personnes âgées s’étaient retrouvées dans des pièces dont les fenêtres étaient temporairement murées, occluant toute lumière naturelle.
C’est donc lors de ma semaine de remplacement que j’avais découvert ça. Effaré et indigné.
J’avais demandé à l’infirmière si personne ne protestait.
« Il y a bien quelques familles qui ont râlé. Du coup on a fait des échanges de chambres : on a mis dans les chambres murées les personnes les plus démentes et dont les familles ne viennent pas. »
Je crois qu’elle n’était pas très à l’aise.
Trois mois plus tard, quand je suis arrivé pour de bon, la situation n’avait pas changé. Certaines de ces personnes âgées en étaient à cinq mois de séjour dans des chambres aveugles.
J’ai hésité. Je me suis dit que de débuter mon installation en déclenchant un petit scandale local c’était un peu… imprévu. J’ai même rationalisé les choses en me disant, qu’au pire, je risquais d’attirer autant de personnes reconnaissantes que je perdrais de patients vexés.
J’ai donc téléphoné à la DDASS, qui ne s’appelait pas encore l’ARS en leur expliquant la situation et en leur demandant-s’il-vous-plaît d’éviter de mentionner mon nom « parce que c’est un peu délicat alors que je viens tout juste de démarrer. »
Une inspection avait été déclenchée. Pour ce que j’en sais, ce n’est pas allé très loin, car les travaux touchaient à leur fin et que, deux semaines plus tard, toutes les chambres avaient retrouvé une fenêtre.
Trois ans après, j’en rediscutais avec Nadine, l’infirmière qui m’a dit en souriant : « On s’est un peu douté dans la maison que ça venait de vous. »
Visiblement, personne avant moi n’avait jugé nécessaire d’alerter les autorités. C’était en France. C’était dans les années 2000.
bravo pour ton courage. La situation que tu décris n’était pas normale et même choquante. Pourtant je ne suis pas sûre de ce que j’aurais fait à ta place. Les institutions sont naturellement angoissantes, et il est difficile de s’identifier aux résidents à qui on n’a pas très envie de ressembler, du coup être à l’extérieur de l’institution est tellement plus facile qu’on peut se voiler la face sur ce qui se passe à l’intérieur…merci, prochaine visite, je repense à Borée.
Aahhh… Immense soupir de satisfaction… Un médecin généraliste qui s’implique… Mais, rêverais-je ??? Pourquoi ne vous êtes vous donc pas installé dans mon département ??? Moi, je rêve du jour où l’un de vos confrères passera la porte de mon bureau (de directrice de maison de retraite) pour me relater une situation qui le heurte. Car souvent, mais chut il ne faut pas le dire, ce sont les agissements de vos confrères et leur peu d’implication à soigner les Vieux qui me heurtent… Mais ceci est une autre histoire.
Bravo, en tous cas pour ce courage que vous avez eu. La maison de retraite a une bien vilaine image alors que, franchement, nous sommes de plus en plus nombreux à nous battre au quotidien pour la bientraitance et un accompagnement respectueux et humaniste.
Mais il est vrai que comme pour beaucoup de sujets, seul le sensationnel fait vendre et donc, les journalistes évitent soigneusement de montrer les facettes roses, préférant mettre en avant les noires…
Il y en aurait des choses à dénoncer dans les maisons de retraite… et les foyers-logements… et les familles 🙁 Ces personnes âgées ont eu de la chance que ce soit toi, avec ton regard neuf, parce qu’un autre aurait peut-être été blasé, ou indifférent, ou je ne sais quoi d’autre.
Ca ne m’étonne pas, que personne n’a fait quelque chose avant vous. Tous se disent, cela ne me concerne pas, et tous oublient qu’un jour eux seront ces personnes âgées….
Bravo, Borée. Effectivement il manque une implication de tous dans beaucoup de domaines, surtout le social, alors que dans d’autres il y a en a bien trop d’implication (là où cela concerne chacun un peu plus sur des bêtises tel que le prix d’une laitue et la politique d’achat-ventes des grandes surfaces – pourtant les laitue se vendent et les surfaces continuent leur pratique de plus belles mais les médias ont fait un petit CA avec ces gros titres).
J’espère que vous garderez ce courage tout au long de votre vie et que cela vous porteras chance.
Bonne journée
Bravo pour votre implication!!!!
C’est justement ce qui manque aujourd’hui dans notre société. On voit le « pas bien » ou le « mal », mais on ne veut pas se mouiller. Donc on se cache derrière les fameux mots « ça ne me regarde pas » « pas nos problèmes » etc.
Mais nous sommes tous responsables!!!! Quand on voit ce genre de situation et on ne fait rien, on est aussi coupable que la personne qui fait directement le « mal ».
C’est comme les gens qui se font agressé en pleine foule, dans le train etc et personne ne fait quelque chose…. Chacun sa gueule quoi, mais quand ces gens la ont un problème, ils éxigent de l’aide. De quel droit???
Chacun de nous devrait être beaucoup plus concerné par ce qu’il voit dans son entourage. Bravo encore une fois!!!
Merci pour vos commentaires.
Je me sens un peu embarrassé : je n’ai pas écrit ce billet pour me glorifier mais pour témoigner, en effet, de la passivité un peu effrayante de tout un tas d’intervenants et de témoins.
@RdT
Je suis bien convaincu que la maltraitante est largement partagée et que le corps médical en a sa part.
Par ailleurs, lorsque j’étais étudiant en médecine, il n’y a pas si longtemps, je faisais des remplacements infirmiers dans divers services, y compris en maison de retraite et en Long séjour. Je suis assez effaré de l’évolution qu’il y a eu : la lourdeur des cas que je vois actuellement dans une « maison de retraite » correspond largement à ce que j’avais connu à cette époque dans les longs séjours.
En fait, les personnes âgées à peu près valides ne vont pratiquement plus en « maison de retraite ». On les maintient à domicile et tant mieux pour elles. Ne sont institutionnalisés que les cas les plus durs et je comprends que le personnel ait souvent du mal à suivre.
J’ai refusé il y a peu qu’on place ma marraine (82 ans, Alzheimer en pleine progression, épilespsie de temps à autre) dans une maison de retraite, qui pourtant m’avait été désignée par l’assistante sociale. En effet, ma femme de ménage y travaille à temps partiel et m’a appris qu’il y était fréquent de refuser de répondre aux appels d’un pensionnaire demandant à ce qu’on l’accompagne aux toilettes afin qu’il devienne incontinent et qu’on puisse lui mettre des couches en toute tranquilité…
Je préfère encore qu’elle meurt chez elle d’une crise d’épilepsie ou d’un avc par « négligence » de ma part d’ici un an ou deux, plutôt que de la laisser moisir éternellement dans des endroits pareils!
@Aviatha: je vous souhaite d’y arriver- Cela ne sera pas facile de resister à la pression de mettre votre marraine dans une maison de retraite.
D’un autre coté, il faut rester juste envers le personnel qui par manque d’effectif, préfère les couche que l’accompagnement aux toilettes. D’ailleurs, dans les établissement allemands la mise de couche et mieux payer que l’aide aux toilette par les caisses d’assurances de maladie, et comme les maison de retraite sont de plus en plus entre les main des investisseurs dont le but n’est pas le social mais le profit (diminuer le plus que possible le personnel et réduire la prise en charge des pensionnaires aux strictes minimums tout en laissant la documentation prouver le contraire!)
Bon courage
Tiens donc, en cherchant un livre sur Martin Winckler, je vois qu’un livre sur vos chroniques est prévu, avec une préface de sa part. Bravo : http://livre.fnac.com/a4109967/Dr-Boree-Loin-des-villes-pres-des-gens
Il existe malheureusement encore des maisons de retraite où ils se soucient très peu des patients…
C’est bien de vous être inquiétés de la situation des personnes âgées dans cet établissement alors que vous débutiez. C’est trop souvent que les salariés, personnes âgées et familles sont prises en otage. Si peu de personnes extérieures viennent dans les établissements il y a heureusement le regard indépendant et extérieur du médecin pour alerter l’administration.