Mise aux points

Certains voudraient faire croire qu’il n’y a plus besoin pour les médecins généralistes d’assurer les gardes de nuit, que l’activité est faible, que c’est trop coûteux, que les services d’urgence peuvent bien suffire.

Tel n’est pas mon avis. Pour nos campagnes en tout cas, je suis convaincu de la persistance de notre utilité. Pour qui est vigilant aux réalités du terrain, la persévérance des médecins de campagne à assurer  leur tâche est une évidence.

Voici quelques temps, j’étais de garde, le permanencier du 15 m’appelle et me demande de me rendre au chevet d’un patient. Pour une suspicion de colique néphrétique.

Grommelant un peu, de devoir repartir alors que je m’apprêtais à me coucher, j’ai donc pris le volant.

Une quinzaine de kilomètres plus loin, je me garais devant la propriété. Je sonnais à trois reprises pour annoncer mon arrivée et passais une porte étroite qui jouxtait le portail.

Passant une allée d’acacias dont les branches retombaient de manière inquiétante dans la pénombre, je suis arrivé devant une grande bâtisse ancienne. Un porche, encadré de deux colonnes massives, un parvis ancien, je me demandais dans quel traquenard le régulateur m’avait précipité.

C’est alors que la porte s’ouvrit et qu’une jeune femme apparu. « Qui va là ? » demanda-t-elle. « Le Docteur. » répondis-je.

« Chéri, le Docteur est-là. » appela-t-elle.  « Qu’il passe la porte, j’arrive »

Je vis alors un grand escogriffe descendre les escaliers, le visage grimaçant, il me rejoint dans le hall d’entrée que décorait un sol pavé dessinant une mosaïque. La trentaine, grand et mince, ses jambes avançaient comme les deux branches d’un compas. Une main appuyée contre le bas de son dos, il se tenait courbé en avant, le corps à l’équerre.

Il se traîna jusqu’au salon et s’écroula sur le canapé en étouffant un cri. « Qu’est-ce que ça fait mal. Ça va, ça vient, c’est comme si un maillet me martelait les reins. » Je tâchais de l’examiner comme je pouvais, confirmant rapidement le diagnostic qui avait été évoqué.

« Vous avez une colique néphrétique.

–          Qu’est ce que c’est que ça ? gémit-il

–          Un calcul qui s’est formé dans votre rein et qui est en train de se déplacer vers la vessie.

–          Un calcul ?

–          Oui, comme une sorte de petite pierre. Qui trace son chemin pour ressortir à l’extérieur. Une petite pierre qui cherche la lumière.

–          Mais quelle brute, cette pierre ! cria-t-il Elle est obligée de faire aussi mal ? Elle ne pourrait pas simplement demander poliment où est la sortie ?

–          Ah ? Vous préféreriez avoir une petite pierre polie ? »

Coupant la conversation, je m’emparais de la boîte où se trouvaient mes produits injectables et saisissais une ampoule de morphine que j’administrais sans tarder.

Le temps, de faire les ordonnances, d’expliquer l’échographie qu’il faudrait faire, mon patient semblait se détendre.

Se relevant brusquement du canapé, il s’écria « Ça alors ! Je n’ai pratiquement plus mal. Vous êtes vraiment trop fort. »

Etouffant mon orgueil, je lui dis de se rassoir, que ce n’était peut-être pas fini et qu’il ferait mieux de rester sage.

Sa compagne  murmura avec un sourire bizarre « Et il est beau. ».

« Euh… oui… bon… Vous avez la carte Vitale ? Je vous fais le tiers-payant. C’est 20 euros 70 s’il vous plaît. » Elle sortit 20 euros 50 de son porte-monnaie. Je décidais de ne pas prêter attention à ce delta. Le manque de lumière probablement. Je me pressais de ranger mes papiers et mes outils dans ma besace avant de prendre congé en laissant mes dernières instructions.

De retour à l’extérieur, l’air était doux, chargé de l’odeur des acacias. Il n’y avait aucun nuage pour obscurcir la voûte étoilée qui surplombait ma tête.

J’avais le sentiment d’avoir été vraiment utile. Ma nuit de travail n’était peut-être pas achevée. Machinalement, je regardais ma montre, il était minuit.

Ce billet est un cadeau à quelques amis lecteurs pour cette nuit de solstice. Il se passe de commentaires. 😉