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Facile

Avant de partir en « voyage de Pacs », je vous offre ce petit billet « facile ».

Je ne pourrai probablement pas modérer les commentaires jusqu’à fin novembre : pas d’inquiétude.

***

J’adore Henri. Il me délasse.

Avec lui, tout est simple : je lui pose une question, il me répond sans chipoter. Je lui dis ce que je pense, il me dit d’accord.

La première fois que je l’avais rencontré, c’était avant même mon installation. Pour tâter le terrain, j’étais venu remplacer un confrère du secteur pendant une semaine. Henri avait choisi ce moment pour faire renouveler sa prescription et montrer les résultats de son bilan biologique. Des Gamma GT un peu hautes, des globules rouges un peu gros…

— Vous buvez surtout du vin à table ?

— Uuuhhh là ! C’est que l’eau, ça a pas beaucoup de goût.

Il était revenu trois mois après mon installation. Diabète, tension, goutte, on avait de quoi s’occuper.

Un jour, lors d’un renouvellement, il m’a annoncé fièrement qu’il faisait une « cure d’eau » depuis deux semaines et qu’il n’avait pas bu une larme de vin. Il voulait voir « ce que ça faisait. »

Il avait fini par reboire un peu d’alcool, moins souvent, moins beaucoup. Petit à petit, Henri changeait ses habitudes – « L’eau gagne. » – il perdait doucement du poids.

Un jour, son épouse qui est aussi rêche qu’il est rubicond a décidé de demander le divorce. Et de le mettre hors de la maison dont elle avait hérité de ses parents. À soixante-treize ans, Henri s’est retrouvé à habiter dans un petit F1 d’une résidence de personne âgées.

Passant devant, je l’aperçois un jour, lézarder sur la terrasse.

— Ça va, Monsieur Henri ?

— Uuuhhh la ! Un peu qu’ça va ! Y a personne qui m’emmerde et qui m’gueule dessus. J’fais tout comme je veux. J’suis comme un coq en pâte.

Il y a quelques mois, je l’ai vu au cabinet pour son renouvellement. Il en a profité pour me dire qu’il était « enrhumé » depuis trois jours. Au point d’avoir dû passer les deux dernières nuits dans son fauteuil. En fait, il était gonflé de partout et il avait pris sept kilos. Une belle poussée d’insuffisance cardiaque. Comme c’était la deuxième fois que ça arrivait, je lui ai dit de moins attendre à l’avenir et que, quand même, c’était le deuxième coup qu’il me parlait de « rhume » et que c’était plus grave que ça, et qu’il devrait comprendre. Et je l’ai envoyé aux Urgences.

Au retour de l’hôpital, je lui ai proposé de s’acheter une balance pour pouvoir se peser chaque semaine. Et je lui ai recommandé d’essayer de limiter un peu le sel.

Je l’ai revu récemment, trois mois plus tard, pour son renouvellement. Je lui ai demandé si ça allait et s’il avait bien compris les symptômes qui devaient l’inquiéter en cas de récidive.

— Si fait, j’ai bien compris maintenant ! D’ailleurs, j’me suis acheté une balance et je me pèse. Tous les lundis ! Ça bouge pas. Et p’is de t’te façon, je rajoute plus du tout d’sel. C’était un peu difficile au début, mais maintenant, ça va impeccab’ !

— Mais vous avez quand même le droit de saler un peu, si vous voulez. On n’en est pas là.

— Ah non, mais ça va impeccab’, hein.

Voilà, Henri fait partie de ces patients modèles. Ceux qui font tout le boulot eux-mêmes pour peu qu’on leur donne quelques clés.

Et qui, en plus, nous font croire qu’on y est pour quelque chose.

— Eh ben ! Moi, j’vous écoute. Faut toujours écouter son docteur. Sinon, à quoi qu’ça sert ?

Dis-moi que tu m’aimes

Ce billet fait suite au précédent « Tu fais chier, Winckler ».

Tout d’abord, je voulais remercier toutes celles et tous ceux qui, par leur commentaires, ont alimenté ce riche débat. Celui-ci m’a permis de préciser ma pensée et de mieux comprendre certaines choses.

Plus particulièrement, les témoignages de parents qui disent leur angoisse, très compréhensible en fait, face à mon « On ne peut rien faire mais ce n’est pas grave » et pour qui l’administration d’un placebo, même en sachant que c’en est un, permet d’avoir le sentiment d’au moins « faire quelque chose ». C’est une dimension que je n’avais peut-être pas suffisamment comprise jusque là.

Par ailleurs, certains commentateurs demandaient pourquoi j’avais dit que je me sentirais blessé si un patient m’écrivait pour me faire des reproches.

J’ai longtemps raillé certains confrères. Ceux qui se plaignent perpétuellement d’être surchargés, mais qui, lorsqu’un patient les quitte, en font un drame, donnant l’impression qu’on leur arrache la chair de leur chair.

Je me moque toujours d’eux.

Mais je crois que je les comprends un peu mieux.

Je ne manque pas de travail. J’ai de grosses journées et, si je parviens à ne pas totalement me laisser déborder, c’est en refusant régulièrement de nouveaux patients, dès lors qu’ils habitent trop loin du cabinet.

Et pourtant, lorsqu’il m’arrive de temps en temps qu’un patient « me quitte », je ne peux pas dire que ça me soit indifférent. C’est parfaitement son droit bien sûr. Je n’ai jamais fait la moindre difficulté pour lui remettre l’ensemble de son dossier. Je crois n’avoir jamais fait de remarques désobligeantes.

Mais je dois bien reconnaître que ça me fait à chaque fois un petit pincement, ça éveille des doutes. Parfois, je pense connaître la raison, mais, en général, non. Qu’ai-je fait ou pas fait pour qu’il veuille changer ? Ai-je eu un mot malheureux ? Est-ce une erreur de diagnostic ? Est-il tombé sur un confrère qui m’a cassé du sucre sur le dos ? Était-ce simplement que ça ne pouvait pas accrocher entre nous ?

Lorsque ça arrive, même si ça ne dure pas, la journée est généralement grisouille.

Il en est de même lorsque, rarement, mais ça s’est déjà produit, un patient me reproche de vive voix une expression, un geste, une prescription. Parfois, ce qui lui a déplu me paraît tellement anodin que je n’en ai aucun souvenir. Il m’est arrivé qu’on me prête des mots dont je me dis qu’il est impossible que je les aie eus et je m’interroge sur la distorsion entre les mémoires ou entre les perceptions. Ai-je pu laisser échapper ça ? A-t-il entendu ce qu’il avait envie d’entendre ?

Le plus souvent, je m’explique ou je présente mes excuses et ça ne va pas plus loin. Mais il reste un vague malaise qui peut mettre un jour ou deux à s’effacer.

Et je m’estime heureux de n’avoir jamais connu de gros clash.

Je n’ai jamais reçu de lettre de reproches, mais je suis sûr que ça m’affecterait certainement beaucoup. Qu’elle soit fondée et je me morfondrai. Qu’elle soit injuste et l’indignation me rongera.

Au demeurant, je pense que ça n’a rien de spécifique à la sphère médicale. Ce serait vrai pour n’importe qui dans n’importe quelle profession. Peut-être seulement que le « colloque singulier » rend ceci plus frontal et pesant encore.

À l’inverse, lorsqu’un patient a un mot gentil, qui dépasse la simple politesse d’usage, ça peut éclairer ma journée.
« Vous avez une excellente réputation. » « Merci, vous m’avez vraiment sortie d’un mauvais pas. » « Le cardiologue m’a fait de grands compliments sur vous. » « Les enfants vous adorent. » et je me sens plein d’énergie !

Alors si vous appréciez vraiment votre médecin (ou votre boulanger, votre garagiste, votre banquier…). Si vous pensez que c’est quelqu’un de bien et que, humainement, il vous donne un peu plus que ce que valent vos vingt-trois euros, n’hésitez pas à le lui rendre et dites-lui quelques mots gentils. S’ils sont sincères, ils lui feront beaucoup de bien !

P.-S. Pour les grincheux, je précise d’emblée que le titre est un clin d’oeil. Je sais qu’il n’est pas question d’amour dans la relation de soins et que développer des liens trop affectifs avec ses patients peut même être dangereux pour eux.