Lorsque j’ai choisi de fuir la ville pour m’installer au vert, je me suis demandé comment ça allait se passer.
Comment « ça » allait passer.
J’étais venu reconnaître le terrain avant de sauter le pas. Dix jours plus tard, nous y étions retournés en couple pour prendre la décision à deux.
En nous promenant dans le village, nous avions croisé le maire.
— Bonjour M. le Maire !
— Ah ! Bonjour Dr Borée, vous allez bien ? Content de vous revoir !
Il me serre vigoureusement la main puis tend la sienne à mon ami. « Ah, voilà, je vous présente mon ami. »
Il y eut une seconde d’arrêt. Et j’ai imaginé les réflexions dans la tête de notre brave édile rural… « Son ami ? Eh bien ! Voilà autre chose. Mais, bon, un an qu’on n’a plus de toubib dans le village et que les électeurs me tannent avec ça. J’en ai trouvé un, je ne le lâche pas. Tant pis, on gérera. »
La seconde de réflexion passée, grand sourire et poignée de main énergique « Eh bien, soyez le bienvenu ! »
Nous nous sommes donc installés dans le village et, ma foi, ça ne s’est pas mal passé. Les petits vieux des environs nous portaient leurs légumes et discutaient du beau temps. Régulièrement, mon ami allait récupérer notre chat chez la voisine.
Je savais bien que d’autres faisaient entendre des sons de cloche différents. J’en avais parfois quelques échos. Le Dr Moustache n’a pas pu s’empêcher de baver un peu et on me le rapportait. N’empêche que quand j’étais de garde et qu’ils avaient besoin d’un médecin, il n’y en a jamais eu pour faire les difficiles. Même l’équipe de rugby n’a pas rechigné : bien contents d’avoir quelqu’un pour leur faire les licences avant les entraînements.
Pour moi, l’affaire s’est close un an après mon installation lorsque Madeleine est venue me consulter. Elle m’avait déjà proposé de passer boire un apéritif. Je n’avais pas encore donné suite, un peu par manque de temps, un peu parce que j’évite de trop mélanger travail et familiarité.
Du haut de ses quatre-vingt-sept ans, elle avait décidé de me relancer.
— Je sais que vous êtes chargé, Docteur, mais venez prendre un verre à la maison un de ces jours. On ouvrira une bouteille de champagne.
— C’est gentil, Mme Madeleine, je vais essayer. Mais, vous savez, je n’ai pas énormément de temps.
— Bah ! Vous le trouverez. Et puis… vous avez un petit copain ?!
— Euh… oui, en effet.
— Mais venez donc avec !
C’est ainsi que nous y sommes finalement allés tous les deux et que nous avons passé un bon moment à papoter tous les quatre.
Depuis notre déménagement dans un village voisin, on me demande régulièrement des nouvelles : « Comment va votre ami ? Il a trouvé un travail ? C’est un tellement gentil garçon. »
L’an dernier, Gérard et Madeleine ont tenu à nous inviter pour leurs noces de platine. Très fiers, ils m’ont rapporté la photocopie de l’édition du journal régional relatant cet évènement. Avec grande photo en couleur. « Regardez Docteur, comme vous êtes beaux tous les deux sur la photo ! »
***
P.S. Le joli docteur qui illustre ce billet est vraiment médecin. Il s’agit du Dr Frank Spinelli qui exerce à New York. La loi américaine n’étant pas du tout aussi restrictive que la loi française, il a choisi de profiter de sa belle mine pour développer un créneau porteur dans une optique « communautaire » à l’anglo-saxonne.
Je n’ai pas cette ambition.
Edition du 30/08/2011
L’ami David Gilson m’a gratifié d’un tendre dessin pour illustrer ce billet :