Bon. Mon ami Dominique Dupagne s’est fendu, comme pour le CAPI, d’une nouvelle affiche pour dénoncer l’intégration d’une « Prime à la performance » dans la nouvelle convention des Syndicats médicaux.
Bien sûr, lorsque j’ai découvert cette affiche, j’ai un peu grincé des dents. Cette manière angélique de présenter les médecins qui refuseraient cette nouvelle disposition mène forcément à présenter en négatif ceux qui l’accepteraient.
Parler de « commissionnement » est peut-être juste sur le plan étymologique, mais c’est un peu comme si je parlais de rémunération « à la passe » pour le système actuel. Pas très élégant.
Bref, je m’étais dit que je n’allais pas refaire le débat du CAPI puisque, pour l’essentiel, les arguments et contre-arguments sont les mêmes.
Je pensais qu’on allait rester sur une belle déclaration de principe.
Quoi qu’on en pense, ceux qui refuseront la rémunération à la performance seront extrêmement minoritaires. D’une part, parce que l’acceptation est tacite et que c’est la renonciation qui demande une démarche volontaire. D’autre part, parce que cette renonciation représenterait un gros sacrifice financier pour beaucoup de médecins (et, j’en suis sûr, en particulier pour ceux qui pourraient se retrouver dans les arguments de Dominique Dupagne ou du SMG).
Je pensais donc, qu’on allait en rester à un de ces coups de gueule, le plus souvent salutaires, auxquels Dominique nous a habitués.
Et, finalement, je me retrouve à écrire ce billet et à endosser, parce qu’il en faut bien un, le mauvais rôle pour m’opposer à ceux qui aspirent à la béatification.
Car je viens de découvrir, un peu stupéfait, que deux jeunes consoeurs, pour qui j’ai amitié et estime, ont vraiment cru à ce combat et s’apprêtaient à faire leur lettre de renonciation.
Comme si ça allait changer quoi que ce soit pour les caisses.
Comme si les quelques âmes pures et admirables (sans ironie) et autres militants chevronnés allaient faire changer la convention signée entre l’assureur maladie et des syndicats médicaux ultra-majoritaires.
Je ne vais même pas parler du bien fondé ou non de cette rémunération à la performance. Mes arguments ne sont pas fondamentalement différents de ceux portant sur le CAPI.
Je n’ai (plus) aucune tendresse ni aucune naïveté vis-a-vis des Caisses maladies. J’ai pu expérimenter personnellement combien leurs statistiques pouvaient, à l’occasion, être fantaisistes, combien les critères choisis pouvaient, pour certains, être discutables, combien les médecins étaient mal armés pour se défendre, pots de terre contre marmite de fer.
Je n’en ai pas davantage vis-a-vis des syndicats médicaux dits représentatifs. Syndicats qui sont marqués, à des degrés divers, par un épouvantable conservatisme et une absence dramatique de capacités d’imagination, sans même parler de l’orientation politique de certains d’entre eux qui me révulse.
Mais ce sont aussi les principes de la démocratie. Je suis syndiqué, je vote à toutes les élections professionnelles, mais ensuite j’accepte d’être minoritaire.
Cette nouvelle convention, contrairement au CAPI, elle a été négociée entre nos syndicats « représentatifs » et l’Assurance maladie.
Il est totalement illusoire d’imaginer qu’on va la faire changer. C’est elle qui constituera dorénavant notre cadre professionnel.
Et il faut quand même souligner que cette nouvelle prime va constituer une importante avancée financière pour les généralistes alors que nous sommes habitués, depuis vingt ans, à péniblement quémander des revalorisations de 5 F ou d’1 € qui mettent des années à venir. Nous n’avons pas à nous excuser de cette revalorisation. A moins d’être des ça-fait-rien, la seule comparaison avec les pays étrangers pourrait suffire à clore le débat.
Il n’y aura pas, à court ou moyen terme, d’autre revalorisation que cette nouvelle prime et y renoncer représente donc un gros sacrifice.
(Pour parler en toute transparence, le montant de cette prime pourrait s’échelonner de zéro, si on s’acharne vraiment à travailler comme le Docteur Moustache, à 7 ou 8 000 euros pour un médecin dans mon genre. Et je rappelle que c’est une somme brute, et non pas du net qui tombe dans notre poche.)
Reste donc la seule question qui vaille : accepter cette prime constitue-t-il une telle atteinte à ma déontologie qu’il mérite que je renonce à ces x milles euros ?
On peut estimer que oui, et je le respecte.
J’aurais cependant tendance à penser que notre déontologie subit bien d’autres menaces probablement plus inquiétantes (parmi lesquelles le principe même du paiement à l’acte qui est, en soi, un sacré conflit d’intérêts). Mais, admettons.
Ce que je sais, c’est que n’iront au bout de cette démarche que quelques militants acharnés pour lesquels j’ai la plus sincère amitié et admiration, et ceux qui, installés depuis longtemps ou travaillant en secteur 2 avec dépassements d’honoraires, auront les reins financiers assez solides pour passer ce sacrifice par pertes et profits. Bravo à eux d’aller ainsi au bout de leurs convictions. Tant mieux pour eux d’avoir les moyens de se le permettre.
Ce seront là des démarches individuelles, personnelles. Comme pourrait l’être le fait de percevoir cette prime pour la reverser à MSF ou à la Cimade.
Faire croire que ça puisse déboucher sur un mouvement collectif qui ferait changer les choses est une escroquerie.
C’est pourquoi je trouve quand même un peu scandaleux qu’en se donnant ainsi en exemple et en prenant une telle posture, ils entraînent de jeunes confrères, justement parmi les plus sincères et les plus engagés, dans cette lutte de principe, perdue d’avance.
Car ceux-là n’ont certainement pas les réserves financières pour pouvoir se permettre un tel sacrifice.
Et quand je parle de sacrifice, je ne parle pas forcément de renoncer à acheter « des sacs à main ou des playmobils » mais, par exemple, d’investir dans leur matériel et l’aménagement de leur cabinet afin d’offrir les meilleures conditions d’accueil à leurs patients. Ou bien encore de pouvoir embaucher une secrétaire. Et de la rémunérer correctement.
Culpabiliser de jeunes médecins sincères et dévoués en les invitant à se pénaliser aussi considérablement me pose un vrai problème.
J’ai décidément toujours un peu de mal quand les conseilleurs ne sont pas les payeurs.