Je te fais ce petit mot pour te dire simplement que je t’aime bien. Tu es un patient très agréable.
Déjà, tu es quelqu’un d’impliqué : nous discutons ensemble des décisions concernant ta santé. C’est très motivant pour moi.
Il est vrai que tu as un bon niveau socioculturel, comme on dit, et que ça m’oblige à défendre solidement ce que je te propose. Encore que je me mette peut-être plus d’exigences que tu n’en as toi-même.
Un patient impliqué, mais pas chiant non plus. Tu sais rester en retrait, juste ce qu’il faut. Quand j’ai des arguments clairs, tu me fais confiance. Plusieurs fois, tu m’as répété :
– C’est vous le médecin, je vous laisse décider.
Parfois, tu n’es pas d’accord avec ce que j’envisage. Tu me le dis clairement, nous en discutons, nous trouvons un terrain d’entente. Comme la fois où je t’ai proposé de consulter un cardiologue. Tu n’en avais jamais vu et avec ta tension, ta clope… Tu m’as répondu :
– Vous m’avez déjà fait un électrocardiogramme, qu’est-ce qu’il me fera de plus que vous ?
Ce n’était pas une flatterie, juste un constat neutre. J’ai bien tenté :
– Une épreuve d’effort, ça serait bien.
Mais tu m’as répondu :
– Et avec tous les travaux que je fais dans ma maison, vous ne croyez pas que je la fais tous les jours, cette épreuve d’effort ?
Ce n’était pas vraiment faux et je n’ai pas insisté.
Je sais que ce n’est pas la peine de t’emmerder si je n’ai pas de solides raisons pour ça. Comme la fois où tu m’as dit que tu avais enfin arrêté de fumer. Mais que tu continuais à t’offrir trois cigares par semaine, en essayant de ne pas trop inhaler. Je t’ai félicité. Et je t’ai foutu la paix pour tes petits écarts. Tu n’avais pas besoin de moi pour savoir que zéro c’est mieux.
Ah ça ! Il faut le reconnaître, tu es un patient agréable. L’inverse de ce que la plupart des médecins diraient de leurs patients enseignants. Ou, pire, des autres professionnels de soins.
C’est vrai : quoi de plus pénible à soigner essayer de soigner qu’un autre médecin ? On avait même évoqué le sujet lors d’une de nos conversations, tous les deux.
Ce n’est plus de l’art, ça devient de la magie ! Il faut deviner ce qu’il ne dit pas puisqu’il croit qu’on le sait déjà, ce qu’il sait et ne sait pas, pour ne pas donner l’impression qu’on le prend pour un ignare tout en lui fournissant une information médicale complexe. Et partir du principe qu’il s’automédique en dépit du bon sens scientifique ! (1)
Combien de témoignages de médecins qui font pour eux-mêmes ou pour leurs proches ce qu’ils ne feraient jamais pour leurs patients ? A croire que, dès que l’on est impliqué personnellement, on abandonne toute rationalité.
Et lorsque l’on se décide, dans un moment de lucidité, à confier sa santé ou celle de ses enfants à un autre médecin, il nous est insupportable de renoncer à interférer avec le soin. On pose des questions tordues, exigeant des réponses impossibles que l’on serait bien en peine de fournir nous-mêmes, on bidouille les traitements (2), on arrange à notre sauce, on rajoute une ligne sur la prescription de prise de sang, on se plonge dans la littérature, on demande un second avis, des fois que… Pour se retrouver, bien évidemment, avec trois opinions différentes : celles des deux confrères et la sienne.
Quand je vois parfois comment je me comporte avec le vétérinaire pour mes animaux, je me fais peur pour le jour où j’aurais un pépin sérieux.
Non, vraiment, soigner un médecin, c’est l’enfer ! Tout l’inverse de toi.
Donc, voilà, je voulais simplement t’écrire ces quelques mots pour te remercier.
Et pour t’avouer que tu m’intimides un peu, quand même.
Lorsque tu me dis que tu me fais confiance et que tu me laisses décider, je me sens parfois bien petit.
Bien humble face à toi qui, jusqu’à ta retraite il y a deux ans, dirigeait le service de néphrologie d’un hôpital anglais.
Si un jour, j’ai besoin d’un autre toubib pour s’occuper de ma petite santé, ce serait pas mal que j’arrive à jouer le jeu comme toi tu le fais.
Merci Confrère.