A deux reprises, en discutant avec des confrères, je me suis dit que la « responsabilisation des patients » avait bon dos…
La première fois, c’était lors d’un de mes remplacements. Je prenais un café avec l’associé du médecin que je remplaçais. Il se lamentait d’une journée trop calme et me précisait qu’à moins de 15-20 patients sur la matinée, c’était ennuyeux à mourir.
Ses consultations duraient entre 10 et 15 minutes.
En fait, c’est à peine moins que la consultation moyenne chez un généraliste français : 16 minutes.
Bref, je lui demandais comment il arrivait à faire pour aller aussi vite, le temps d’interroger le patient, de l’examiner, de préparer l’ordonnance, de l’expliquer et, bien souvent, de prendre certains rendez-vous chez des spécialistes.
Et lui de me répondre « Ah mais, ça, je ne m’en occupe pas ! Concernant les rendez-vous, je laisse toujours faire le patient. C’est pour le RESPONSABILISER. »
Ben voyons…
Moi, je l’ai quand même un peu soupçonné que ce soit pour gagner du temps. Parce que, franchement, ceux qui savent ce que c’est que de prendre un rendez-vous chez un spécialiste, surtout si c’est à l’hôpital et surtout si c’est dans un CHU, savent combien ça peut être infernal. Alors quand c’est infernal pour nous qui maîtrisons à peu près les rouages de la machine, on imagine bien ce que ça peut donner pour un petit vieux un peu perdu…
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Quant au deuxième épisode, il mériterait un billet à lui tout seul.
Il y a deux ans, j’ai fait la connaissance d’un couple de retraités qui revenaient au pays depuis leur émigration de la grande ville.
Lui, petit, rond. Et sourd. Elle, maigre, sèche comme un vieux quignon de pain. Et vociférante.
Je découvre donc leurs dossiers médicaux.
Elle avait déjà eu un bon suivi psy mais ne prenait plus aucun traitement. A côté de ça, elle avait été opérée d’un goitre et prenait du Levothyrox© pour compenser. Assez banal. Comme toute bonne patiente d’une grande ville, elle se faisait suivre depuis 10 ans par un endocrinologue pour équilibrer son traitement. Ce qu’un modeste généraliste est bien sûr à peine capable de faire. En rentrant dans les détails, je découvre qu’elle prenait 150µg en été et 200µg en hiver. Ah, ben déjà c’est moins banal, le traitement saisonnier.
Et puis surtout, je découvre que son super-spécialiste-endocrinologue-de-la-ville, ça fait 10 ans qu’il la maintient en hyperthyroïdie avec une TSH indosable. « Pour mieux la contrôler » qu’il disait apparemment.
Je le jure : j’ai passé presque deux heures sur trois consultations à négocier, à expliquer, que c’était n’importe quoi et qu’à ce rythme là on allait lui bousiller le coeur très vite. J’ai appelé deux endocrinologues différents, avec le haut-parleur, pour la convaincre. Et j’ai fini par y arriver. Elle a accepté de revenir à un traitement plus « normal ».
Deux mois plus tard, elle avait pris 5 kg et se trouvait énorme. Je lui ai dit que ce n’était pas surprenant, qu’on avait juste retrouvé une situation normale et que c’était avant qu’on l’avait artificiellement fait maigrir.
Encore deux mois et elle n’avait pas pris plus de poids sur ma balance mais elle se trouvait encore plus énormément énorme, me suppliant de revenir à son ancien traitement. Je suis resté ferme.
Encore deux mois et elle avait changé de médecin. Je l’ai appris par son mari que je vois toujours et qui a l’air de déguster.
Un jour que j’avais au téléphone le nouveau médecin traitant, ça a été plus fort que moi, je lui ai demandé :
– Tu l’as remise sous son ancien traitement, celui de l’endocrinologue ?
– Ben, oui, je lui ai dit que ce n’était pas bien mais elle me le demandait.
– Et tu as quand même conscience qu’elle n’est vraiment pas très nette sur le plan psychiatrique ?
– Oh oui, mais moi je pense que les patients doivent prendre leurs R-E-S-P-O-N-S-A-B-I-L-I-T-É-S. Ces gens-là, ils doivent aller au bout de leur démarche.
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Eh bien cette histoire de « responsabilité des patients », on ne m’ôtera pas de l’idée que ce n’est parfois rien d’autre qu’une bonne excuse pour ne pas assumer les nôtres. De responsabilités.