Archives de catégorie : La consultation du Dr Borée

Faiseur de miracles

J’ai déjà parlé des pathologies qui m’ennuient.

Il y en a une par contre que j’adore : le coma hypoglycémique.

Le coma hypoglycémique est la martingale de la médecine générale.

C’est l’urgence qui vous permet, à tous les coups, de vous hisser au rang de Gregory House ou de David Copperfield.

Le 15 m’a appelé ce matin pour une mamie que je ne connaissais pas : diabétique sous insuline et en coma hypoglycémique.

De l’adrénaline à bon compte !

Je fonce jusqu’au village voisin. En plus des ambulanciers qui étaient déjà sur place, il y a toute la famille réunie autour du lit de Mme Hippo. Visages graves, affolement.

Il faut dire qu’elle a mauvaise mine, Mme Hippo. Couchée sur le côté, la bouche pendante, la respiration lourde, elle ne réagit plus du tout. Les ambulanciers ont sorti tout leur matériel : scope, tensiomètre, masque à oxygène, … « Le Glasgow est à 7 et le dextro à 0,28 ! » (*)

Je sors ma boite de seringues et une ampoule de sérum glucosé. Je regarde le bras de Mme Hippo et avise une veine qui a l’air assez accueillante – Ouf !

Je maintiens le bras d’une main, tiens la seringue de l’autre, attrape le capuchon de l’aiguille avec les dents (je sais, j’ai aussi mes petites coquetteries) et injecte mon ampoule de glucosé.

Le temps de ranger le garrot, et de mettre un pansement, je commence à appeler, penché au-dessus d’elle. « Ouh, ouh, Mme Hippo, vous êtes là ? »

Un grognement, une paupière qui s’ouvre.

Au bout de 10 secondes, le bras de Mme Hippo décolle du lit, monte lentement à la verticale, finit par attraper ma nuque. En même temps qu’il abaisse ma tête, celle de Mme Hippo se hisse tout doucement…

Et on entend un bisou claquer sur ma joue !

Relâchement, éclats de rire de la famille. « Ha ! Ha ! Il y a quoi dans vos seringues ??? » « Je crois qu’elle vous prend pour son petit-fils ! »

Je suis vraiment trop, trop fort.

… A tous les coups je vous dis !

(*) Pour les non professionnels, le score de Glasgow est une échelle permettant d’évaluer l’état de conscience. Il va de 3 (coma profond ou mort) à 15 (personne parfaitement consciente).
Quant au « dextro », c’est la mesure de la glycémie – le taux de sucre dans le sang – qu’on fait au bout du doigt. Normalement il est autour de 1,0 g. En-dessous de 0,90, on commence à avoir faim. A partir de 0,70, on n’est franchement pas très bien. A 0,50 on commence à perdre conscience. En-dessous de 0,30, c’est le bon vrai coma.

Non mais franchement

La première fois que j’ai vu Rose, elle était dans son fauteuil : rien n’allait, elle avait mal partout, 19 de tension et un pouls à 102.

Elle était en manque.

Elle venait de décider que son précédent généraliste l’empoisonnait et avait tout arrêté.

Elle n’avait pas vraiment tort.

De fait, Rose est raisonnablement folle, anxio-dépressive chronique, très ambivalente et n’a jamais vraiment réussi à se passer de son petit blanc sec.

N’empêche qu’on lui faisait des prescriptions de compétition. On pouvait y trouver 3 Seresta 50© au cours de la journée et SEPT au coucher. Soit 10 comprimés par jour quand la posologie maximale officielle est de 3 pour les « cas sévères en psychiatrie ».

A côté de ça, un antidépresseur, un « psychostimulant » prescrit dans  les « états d’apathie ou de manque d’énergie » (ben voui, avec ça…), plusieurs « phlébotoniques », l’incontournable Tanakan©, de l’Inexium 40© ET, pour être sûr, de la Cimétidine 400… Les connaisseurs apprécieront.

Je lui avais expliqué que, en effet, il y avait pas mal de ménage à faire mais qu’elle ne pouvait pas arrêter tout brutalement comme ça et qu’on allait régler ça tranquillement en faisant passer les infirmières tous les jours. Elle m’avait dit qu’elle acceptait le contrat.

Elle avait bien essayé de tricher un peu au début : j’avais fait l’erreur de lui laisser des ordonnances et elle s’était fait emmener à la pharmacie pour récupérer les boites et les planquer au fond de son buffet. « Mais non, Docteur, je vous JURE ! Je les ai données aux infirmières ! Quelles menteuses celles-là ! » On ne se refait pas…

N’empêche, petit à petit on est arrivé à un rythme de croisière. Depuis 6 mois, les infirmières venaient chaque matin lui remettre le traitement pour la journée. On avait diminué son Seresta par petites touches : 1/2 comprimé en moins toutes les 3 ou 4 semaines pour arriver gentiment à 2 fois 1 par jour.

Elle n’était pas devenue moins névrosée. Mais pas plus non plus. Et son fils la trouvait nettement moins abrutie quand il passait la voir.

Il y a 10 jours, Rose a été hospitalisée un dimanche par le médecin de garde pour de violents maux de ventre.

Diagnostic : constipation.

Et dans la lettre de sortie de l’hôpital (et pourtant c’est un service que j’aime bien), qu’est-ce que je peux lire ?

« Le bilan biologique retrouve une cholestase anictérique. La Bili-IRM est normale et nous avons décidé de ne pas pousser plus loin. – blablabla… – Devant un état d’énervement marqué, nous avons dû majorer le Seresta 50 à 1 matin, 1 midi, 2 le soir. »

Grrrrr…

Quand je pense que pour la moindre IRM avec une vraie indication urgente, je dois supplier, négocier et me rouler par terre pendant une demi-heure pour l’avoir, avec de la chance, sous 3 semaines. Et là, hop ! Trois jours d’hospitalisation pour une constipation et l’IRM est faite.

Ah, oui… c’est sûr… il fallait prendre en compte sa « cholestase anictérique » ! A voir… Des GGT à 71 pour une normale inférieure à 65 et des Phosphatases à 125 pour une normale à 108. On a vu plus inquiétant. Surtout que ça fait 2 ans au moins qu’elle a ces résultats et que ça ne bouge pas.

Et alors pour le Seresta, vraiment merci ! Six mois pour faire 4 pas en avant, une semaine pour en faire 2 en arrière.

Bien sûr, aucun coup de fil durant son hospitalisation au médecin traitant que je suis pour connaître les résultats antérieurs ou l’état habituel.

Alors, chers amis hospitaliers, je sais bien que vous avez généralement beaucoup de mépris pour la piétaille généraliste. Nous ne sommes certainement pas parfaits et méritons parfois bien des reproches.

Mais quand je vois parfois comment vous pouvez vous-même vous éloigner de toute recommandation officielle et, plus encore, vous écarter du bon sens le plus basique, je me dis que nous gagnerions certainement tous à nous respecter un peu plus.

Et à nous parler davantage.

Koplik (signe de)

Il y a des mots comme ça, qu’on apprend bien comme il faut pendant ses années de fac de médecine, le temps de passer les examens. Et puis qu’on oublie.

Qu’on oublie parce qu’on ne les voit jamais en vrai.

Mais il reste toujours, au fin fond du cerveau, des petits restes. Des morceaux qui évoquent de vagues souvenirs que ravive parfois le Dr House mais qu’on ne sait plus vraiment à quoi rattacher ou ce que ça donne en vrai. Souvent ils portent des noms de vieux médecins, du siècle dernier ou de celui d’avant, avec barbe et lorgnon : « Signe de Koplik », « Signe de Brudzinski », « Tétralogie de Fallot », « Anneau de Kayser-Fleischer », « Granulome de Wegener », « Dyspnée de Küssmaul », « Signe d’Argyll-Robertson»…

Robin a 13 ans. Ses parents sont de vrais bobos intellos. Il est peintre, elle est professeur de piano. Très sympas au demeurant. Pas trop adeptes de médecine, un peu naturopathes mais pas exagérément et, bien sûr, pas du tout fans de vaccins. Le DTP parce que c’est obligatoire et ça suffira.

A eux aussi, j’ai fait mon couplet sur l’intérêt des vaccins. Bonne discussion, intéressante et interactive, tranquille, mais qui se concluait invariablement par un « On va y réfléchir. » Bon…

J’ai vu Robin la semaine dernière. Une bonne fièvre à 39°5, vraiment pas en forme, avec le nez qui coule, les yeux rouges et un tableau d’angine. J’ai fait mon strepto-test : négatif. Traitement symptomatique. Pas besoin d’antibios, ils étaient contents.

Et le lendemain ils m’ont rappelé « Il a des boutons ! ».

« Ha ! Ha ! » que je me dis. Treize ans, une angine, des boutons : à tous les coups c’est une mononucléose. Je leur ai demandé de me le ramener pour confirmation de mon super diagnostic.

En effet, il avait des plaques rouges sur le cou et le thorax. Qui ne grattaient pas. Je le réexamine comme il faut : rate non palpable, une auscultation normale, un drôle de petit granité blanc derrière les lèvres, pas de ganglions…

Le père de Robin me dit que, d’ailleurs, un copain de classe a été absent récemment à cause d’une mononucléose.

Je me dis : « T’es trop fort ! ».

Je leur dis : « Bon, ben voilà, c’est une mononucléose. Robin, tu vas sûrement, rester fatigué un petit moment mais ce n’est pas grave. Les boutons, ça se voit fréquemment dans cette maladie. La seule chose bizarre, c’est que je ne trouve pas de ganglions alors que, d’habitude, il y en a des gros, mais bon… »

Et au moment où je dis ça, Robin à une quinte de toux.

Et je m’arrête. Un flash.

« Euh… attendez un instant, je vérifie juste une chose. »

J’hésite un peu entre « Kolpik », « Koplik » et « Klopik », finis par taper « Koplik » dans Google image et je tombe sur ça :

Koplik (signe de)

Déf. : Il consiste en taches rouges dont le centre est occupé par un point blanc bleuâtre, arrondi, légèrement saillant et ne dépassant jamais 1 mm, apparaissant à la face interne des joues. C’est un signe pathognomonique de la rougeole.

(S’il y en a qui voient un aspect bleuâtre sur la photo, qu’ils m’écrivent. Merci)

Merci donc aux parents de Robin d’avoir pensé que la rougeole ce n’était pas si sérieux que ça et que la vaccination des autres protégerait indirectement leur fiston. Grâce à eux, j’ai vu une maladie que je croyais ne jamais rencontrer de ma carrière !

Pour rappel, quand même, la rougeole peut être une maladie grave. C’est la troisième cause de mortalité infantile en Afrique après le paludisme et les diarrhées (2 millions de morts par an).

Après avoir quasiment disparu d’Europe, l’épidémie redémarre. D’abord en Grande-Bretagne et à présent en France en raison de la baisse de la couverture vaccinale. C’est ballot parce que c’est une maladie que l’on pourrait éradiquer vu qu’il n’y a aucun réservoir en-dehors de l’être humain.

Sur ce, faut que je vous laisse, m’en vais réviser les symptômes de la peste, de la lèpre et de la variole…

Révolution

Longtemps j’ai cru qu’on ne pouvait vieillir que malade, grabataire, dément. (*)

Et que, comme on était malade, grabataire ou dément, on était forcément institutionnalisé.

Mes grands-parents étaient déjà décédés depuis quelques années et je n’avais de vision des personnes âgées que celle que me renvoyaient l’hôpital pendant mes stages d’externe ou les maisons de retraite pendant mes nuits infirmières.

Pas très gai, autant dire.

Ce n’est qu’en débutant les remplacements que j’ai réalisé qu’on pouvait aussi avoir 85 ans, vivre chez soi, souvent encore en couple et en pas trop mauvaise santé. Une vraie découverte.

J’ai fait un jour un remplacement sur la côte bretonne. Et c’est au fin fond de la lande, dans un petit hameau, que j’ai fait une visite qui a totalement révolutionné ma façon de voir la vieillesse et comment elle pouvait être vécue.

La secrétaire m’avait prévenu : il fallait actionner le loquet en hauteur, rentrer, trouver la vieille dame et laisser l’ordonnance sur le buffet en partant, après avoir pris le chèque qui s’y trouverait.

C’était une très, très vieille dame. Et elle était très, très démente.

Les patients qui ont une maladie d’Alzheimer sont désorientés dans le temps et dans l’espace. Quand on leur demande « Qui est le président de la République ? », ils répondent « Giscard ». Par exemple.

Elle, elle avait une maladie d’Alzheimer extrêmement évoluée et elle ne répondait plus rien du tout : elle était totalement mutique et déambulait tranquillement dans sa maison comme un petit fantôme en chair et en os.

Parce qu’elle vivait toute seule la petite dame. Toute seule dans sa grande maison avec son petit jardin.

Les choses étaient bien organisées : les aides ménagères passaient trois fois par jour, pour la toilette et pour la faire manger. Le fils n’habitait pas trop loin et venait chaque jour. Il avait sécurisé la maison au mieux. Le gaz était coupé, les prises électriques obturées, les seuils protégés et tous les coins de meuble étaient rembourrés avec de la mousse collée avec du gros scotch marron. Ça donnait un petit air de maison que les déménageurs allaient bientôt vider.

Je n’ai pas vu le fils mais j’imagine qu’il avait parfaitement accepté la possibilité que sa mère tombe un jour et se casse la hanche, ou la tête. Ou bien qu’elle fasse un infarctus et que ça tourne mal parce qu’elle était incapable d’appeler des secours. Il avait visiblement accepté ça et décidé que, malgré tout, ça valait toujours mieux que de la laisser s’éteindre doucement dans la bulle sécurisée – encore que – d’une maison de retraite ou d’un long séjour.

Bien sûr, ce n’est pas toujours possible. Ça nécessite des moyens humains, et souvent financiers, conséquents. Certaines situations médicales sont réellement ingérables. Il faut qu’il y ait un entourage suffisamment présent et disponible. Et il faut que celui-ci ait accepté le risque d’un accident dont il pourrait se sentir fautif. Tout le monde n’en est pas capable.

N’empêche qu’avant cette visite, je n’aurais jamais imaginé qu’une personne atteinte d’une maladie d’Alzheimer puisse être ailleurs que dans une institution. Et alors, seule à domicile ! C’était tout simplement inconcevable.

Merci à cette petite grand-mère bretonne et à sa famille de m’avoir fait découvrir que ça l’était, concevable, et que d’autres solutions étaient possibles.

(*) Pour les non médecins, il me semble utile de préciser que le terme « démence » n’a pas du tout le même sens dans le langage médical et dans le langage courant. Dans le langage médical, ce mot évoque une altération des fonctions cognitives (les « fonctions supérieures » ou « nobles » du cerveau).
La « démence » relève de la neurologie ou de la gériatrie, pas de la psychiatrie. Parmi les démences les plus connues : la maladie d’Alzheimer, la maladie de Creutzfeld-Jacob, …

Salies

Elles arrivaient de la maison de retraite. Trois générations ensemble : la fille, la petite et l’arrière-petite-fille de Robert.

Elles n’avaient pas pris rendez-vous, sous le coup de l’émotion. Ça ne tombait pas trop mal, j’étais dans mes papiers et j’avais le temps.

Robert a 86 ans, du diabète et un drôle de caractère. Je n’ai jamais trop su la part de sa personnalité d’origine, de l’âge et de son ancien alcoolisme. Il est un peu simplet mais pas dément. Il sait parfaitement de quoi on parle.  Je ne suis pas un grand fan des neuroleptiques que lui prescrit le psychiatre mais il faut reconnaître que ça ne va pas trop mal avec.

Il m’amuse quand je le vois déambuler dans le village et qu’il me salut en levant le bras bien haut. Je me bidonne à chaque fois que les aides-soignantes me racontent, en râlant, ses ruses de sioux pour écumer les chambres des autres pensionnaires et leur piquer des petits gâteaux. Et je rigole dans ma tête quand je lui parle de son diabète, de l’alimentation et qu’il me jure que « Non, non, Docteur, je ne mange RIEN entre les repas ! » « Bon, c’est bien, il faut continuer comme ça, hein ! ».

Faut bien reconnaître qu’il est assez porté sur la chose, Robert. Il aime bien les dames. Quand il peut flirter un peu avec une qui est d’accord et échanger des bisous, c’est une bonne journée.

Il y a 10 jours, l’infirmière de la maison de retraite m’a raconté qu’ils avaient quelques soucis avec lui : on l’avait surpris deux fois dans les toilettes avec des pensionnaires, le pantalon sur les chevilles et la main dans la culotte de la dame.

La sexualité des personnes âgées, surtout dans une maison de retraite, est quelque chose d’assez tabou et qu’on a généralement beaucoup de mal à concevoir. Pourtant elle existe et il faut la respecter.

Le problème, c’est que Robert choisissait ses « partenaires » parmi les patientes les plus démentes et que, du coup, ça semblait difficile de parler de consentement. Un peu gênant…

Bref, il s’était fait convoqué chez le directeur qui l’avait sermonné et menacé en faisant les gros yeux de ne pas pouvoir le garder.

Moi, on me soumettait le cas, attendant de la médecine une solution miraculeuse.

J’avais répondu que je n’en avais pas. Que, si c’était vraiment nécessaire, on pouvait discuter de médicaments anti-testostérone mais que ça ne résoudrait peut-être pas tout et que ça posait quand même quelques problèmes éthiques chez un patient qui ne serait probablement pas d’accord si on lui demandait son avis et à qui c’était difficile de ne pas le demander puisqu’il n’était pas sous tutelle.

J’avais donc proposé de se donner un peu de temps et de voir ce que donnerai le sermon du directeur.

Et donc, aujourd’hui, elles étaient venues rendre visite à leur (arrière-) (grand-) père.

Elles sont venues directement chez moi juste après, éprouvées, me demander mon opinion. Je la leur ai donnée. Je leur ai expliqué les limites d’un éventuel traitement, les problèmes éthiques que ça pouvait soulever. Je leur ai surtout dit que je ne voyais pas très bien pour quelle raison on les avait mêlées à ça.

Car il y avait eu cette aide-soignante pour leur raconter les bêtises du papi en espérant…

En espérant quoi, pauvre idiote ? Que leurs sermons auraient plus d’efficacité que ceux du directeur avec sa grosse voix et son autorité ? Qu’elles allaient apporter une solution que personne d’autre n’avait ? Qu’au moins ça allait lui faire la leçon à ce vieux vicieux ? Qu’en leur mettant ça sur les épaules ça allait soulager les tiennes ?

Rien ! Ça ne changera rien à la situation de les avoir mêlées à ça.

Sinon qu’au lieu de garder en mémoire l’image d’un père et d’un grand-père un peu folklorique, gentiment fada et dragueur, elles garderont celle d’un vieux cochon avec le pantalon sur les chevilles.

Vraiment, bravo.

En quoi est-ce qu’elles méritaient, elles, de se sentir ainsi salies ?

Décalage

En écrivant le billet « Chacun cherche… », il m’est revenu une histoire concernant René qui nous avait bien amusés…

Parmi ses pérégrinations médicales, je reçois un jour la lettre d’un confrère Pneumologue du CHU. Après diverses considérations pneumologiques, ce charmant confrère conclut son courrier en me précisant « qu’il s’interroge sur les fonctions cognitives de M. René et qu’il serait peut-être souhaitable d’envisager un bilan plus poussé auprès de nos confrères gériatres ».

Bref, le Pneumologue se demande si René n’est pas en train de commencer une maladie d’Alzheimer.

« Ben ça… » me dis-je. Il est sûrement déprimé et un peu névrosé mais je n’ai jamais rien remarqué qui puisse me faire soupçonner une telle possibilité. Aurais-je manqué quelque chose ?

Quelques jours plus tard, je vois René en consultation et nous discutons de son passage au CHU qui l’a apparemment un peu ébranlé.

Il me raconte…

Avant la consultation en Pneumo, il devait aller faire un scanner. Ceci fait, la secrétaire de la radio lui remet les clichés et lui dit en substance « Voilà, prenez ça et emmenez-les avec vous pour aller voir le Pneumologue. Bonne journée. Au revoir. »

Et René s’est perdu. Dans le CHU. Au lieu de prendre l’ascenseur H, il a pris l’ascenseur G. Il est sorti au 7ème au lieu du 9ème. Après avoir tourné à gauche, être descendu de trois étages, remonté de un et pris le troisième couloir à droite, il a quand même fini par arriver en Pneumologie. Avec du retard. Il s’est gentiment excusé. « Je me suis égaré. »

Et puis, en arrivant devant le pneumologue, celui-ci a pris la jolie chemise cartonnée jaune que la secrétaire avait préparée, ajusté ses lunettes, sorti son stylo et, en vérifiant les informations, il a demandé à René

– Ah, tiens, il n’y a pas votre adresse, c’est quoi ?

– Eh bien, le Bourg.

– Oui mais vous avez bien une adresse, c’est laquelle ?

– Ben… le Bourg, je mets toujours « le Bourg ».

– M’enfin, vous habitez bien dans une rue, elle s’appelle comment ?

– Euh… je ne sais pas.

– Et votre numéro de rue, vous ne le savez pas non plus.

– Euh… non.

Et moi d’éclater de rire en imaginant la scène entre René et ce spécialiste apparemment très citadin.

Comme si le fait de se perdre dans les méandres d’un CHU était forcément un signe de désorientation spatiale !

Et comme si ne pas savoir son nom – et son numéro ! – de rue, c’était forcément qu’on l’avait oublié. Parce que, oui, oui, on a forcément un nom de rue dans son adresse. Tout le monde en a un.

Ben non. Quand on habite un patelin comme ici, les rues et les numéros, c’est tout juste bon pour le cadastre. Sur mes ordonnances, mon adresse c’est aussi « Le Bourg ».

Comme quoi, il n’y a pas besoin d’imaginer des situations très exotiques pour se rendre compte que le soignant peut être trompé par le décalage « culturel » qui peut exister entre sa propre vision et celle de son patient.

En tout cas, ça nous aura bien fait rigoler au moins, René et moi.

Edition du 30/08/11

L’amie Laurel m’a gratifié d’un dessin pour illustrer ce billet :

Glacé

Jacqueline était l’une de mes patientes préférées. Ancienne architecte, à l’époque où, pour une femme, elles ne devaient pas être nombreuses. 80 ans, encore vive, elle continuait à écrire des articles pour une revue professionnelle.

Un caractère de fer et une santé du même métal, je ne la voyais que de temps en temps, pour des bricoles. Elle n’avait aucun traitement de fond.

Jacqueline est venue me voir en octobre et j’ai détesté cette consultation.

Elle s’est assise en face de moi : elle était jaune comme un pissenlit. Je lui ai demandé depuis combien de temps.

– Une semaine environ, je ne l’ai pas remarqué, c’est ma femme de ménage qui est venue aujourd’hui et qui l’a vu.

– Vos selles sont normales ?

– Non, pas vraiment, elles sont décolorées.

– Vous avez mal quelque part ?

– Non, aucune douleur.

Pourquoi m’as-tu répondu ça !? Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu avais mal, là sous les côtes, à droite !? Au moins un peu… Que je puisse espérer que ce n’était qu’un bête calcul.

Je n’avais même plus besoin de t’examiner, je connaissais déjà la suite. Ça ne faisait que deux minutes que la consultation avait commencé mais, de te regarder et de te poser simplement ces deux questions, je savais déjà quel genre de saloperie te dévorait.

Toi, tu étais encore tranquille et sereine, attendant la suite. Moi, j’étais déjà glacé et paniqué, anticipant la fin.

Jacqueline est morte la semaine dernière.

Ligne rouge

Jeunes parents. Premier enfant mort 10 heures après être né. Prise en charge visiblement pas optimale. Drame. Mauvaise communication. Méfiance maximale vis-a-vis du milieu médical.

Ils étaient venus me voir avec leur petite fille. La deuxième. Et puis pour eux aussi. Le contact s’était noué sur le mode hard. Surtout qu’ils étaient assez branchés naturopathie. Jusqu’à un certain point, ça ne me posait pas de problème. Chaque décision devait être discutée, argumentée mais, en y allant doucement, on s’était petit à petit apprivoisés.

Ça faisait un petit moment que je ne les avais pas vus, tout allait bien. Je les revois pour une bricole. En ouvrant le dossier de la petite, j’ai une alerte automatique qui s’allume « rappel DTP ».

– Tiens ! Il va falloir faire le rappel du tétanos.

– Non, nous ne le ferons pas.

– Comment ça ?

– Nous en avons discuté avec mon mari, nous ne voulons plus faire aucun vaccin.

Et de m’expliquer toutes les horreurs qu’ils ont pu glaner sur l’internet au sujet de l’industrie pharmaceutique en général et des vaccins en particulier.

Et moi de commencer à exposer tout mon argumentaire pour patients rétifs aux vaccins (je n’y arrive pas trop mal en général). J’essaie de leur dire que, bon…, pour l’industrie je n’ai aucune tendresse non plus, que je m’en méfie, qu’ils savent très bien que je prescris globalement peu de médicaments et presque jamais les dernières nouveautés. Mais qu’il ne faut pas pour autant tout rejeter en bloc et que les vaccins, avec l’hygiène et les antibiotiques, sont quand même ce qui a révolutionné notre état de santé.

Je leur dis que même si je ne trouve pas ça très malin et que j’essaierai de les convaincre, s’ils ne veulent pas faire le ROR ni l’hépatite B, je ne me fâcherai pas avec eux. Que, pour ce qui les concernait eux-même, s’ils ne voulaient plus se faire vacciner, c’était idiot mais c’était leur droit.

Par contre pour un enfant. De un, c’est illégal. De deux, et surtout, c’est irresponsable parce que le tétanos, en vivant à la campagne, il n’y a aucun moyen autre que le vaccin d’écarter complètement le risque. Et que le tétanos, c’est une maladie mortelle.

« Je crois que nous devons nous mettre d’accord que nous ne sommes pas d’accord. » Me dit-elle.

En général, je garde à peu près mon calme pour gérer mes cancres mais là, je n’ai plus réussi à rester serein. Je n’ai pas hurlé mais j’étais en colère. Et du coup, probablement, plus du tout professionnel.

J’ai quand même examiné la gamine pour l’otite pour laquelle ils étaient venus. Rien de bien méchant.

Et je leur ai expliqué que, pour le coup, je ne pouvais pas « être d’accord de ne pas être d’accord », qu’en cas d’urgence je serai toujours là mais que, s’ils ne changeaient pas d’avis, il valait mieux qu’ils trouvent un autre médecin. Parce que, sinon, chaque consultation serait à l’avenir une épreuve de force, que je serai toujours en colère et qu’on ne ferait rien de bien ensemble.

J’ai fait l’ordonnance pour l’otite et ils sont partis.

Cette histoire m’a tourneboulé jusqu’au soir et, aujourd’hui encore, je ne sais pas ce que j’aurais dû faire.

Faire ce que j’ai fait en me disant qu’ils n’allaient visiblement pas changer et qu’on ne pourrait rien faire de valable ? Que, à choisir, je préférais ne plus les voir et qu’ils trouvent un confrère qui arriverait à se convaincre que ce n’était pas sa responsabilité à lui ? Quitte à les envoyer chez un charlatan en blouse blanche qui leur signera un certificat de complaisance ?

Ou bien réussir à trouver la sérénité nécessaire pour accepter de passer là-dessus en me disant qu’il fallait maintenir le lien thérapeutique et que, à la longue, j’arriverai à les convaincre ? Quitte à prendre le risque que la gamine fasse un jour un tétanos et que ce soit moi qui m’en sente responsable ?

Est-ce qu’on peut se permettre d’avoir des lignes rouges ?

Chacun cherche…

Plus d’une fois je me suis dit que, sur certaines ordonnances, j’aurais préféré inscrire « Adoption d’un chien – usage quotidien à volonté » plutôt que « Antidépressor 75 mg 1/j » ou que « Supertrankil 10 mg 1/2 matin et soir »…

Je m’occupe de René.

René a 80 ans et une vieille douleur dans une jambe. Il y a trois ans, cette douleur était pénible mais pas vraiment typique d’un beau diagnostic. On avait fait une série d’examens complémentaires : radios, IRM, EMG, scintigraphie, … et, en-dehors d’une hernie discale assez banale, pas trouvé grand chose à se mettre sous la dent.

Cahin-caha, ça n’allait pas trop mal. Et puis, de toute façon, on parlait surtout d’Émilie qui, elle, avait son compte de soucis.

Il y a deux ans, Émilie a vraiment eu un gros pépin et il a fallu l’hospitaliser. Le soir même, René m’a appelé : sa douleur était horrible et il n’arrivait même plus à se lever. J’ai dû lui faire une ampoule de morphine pour calmer la crise. Et rajouté un comprimé de Supertrankil.

Une semaine après, Émilie est morte.

Et les crises se sont succédées. Les anti-douleurs de base ne faisaient pas grand chose. Avec de la morphine en comprimé, c’était supportable et, de temps en temps, il y avait une « crise » et il fallait venir faire une injection. J’avais rajouté du Supertrankil en systématique même si je n’aime pas beaucoup ça.

On a refait le point avec le rhumatologue et avec le spécialiste de la douleur. Re-batterie d’examens, sans grands résultats. Infiltrations, pas très efficaces. Essai de Poética 100 mg que le rhumato il adore, qui coûte un bras et que le visiteur du labo doit avoir un discours super convaincant. Bof… Et quand même un peu d’Antidépressor 75 pour l’aider à remonter la pente et pour l’effet sur les douleurs neurologiques.

Avec le temps, ça a fini par se calmer un peu. Les crises sont devenues plus rares, les doses de morphine plus légères. Mais je le voyais quand même assez régulièrement, René, pour sa douleur de la jambe et pour d’autres bobos.

Il y a 6 mois, une chatte errante a eu la bonne idée de venir faire une portée de chatons dans son tas de bois. Et la mauvaise idée de se faire écraser 3 semaines plus tard.

Il n’en voulait pas de chats, René : trop de contraintes. Et puis qui est-ce qui s’en occuperait s’il devait aller à l’hôpital ou bien chez sa fille qui habite en ville ?

Mais, bon, trois chatons qui crient famine devant sa véranda, il fallait bien les nourrir. René leur a acheté des croquettes.

Il a pu trouver quelqu’un pour en prendre un mais il en restait deux.

Et finalement, la gamelle de croquettes est passé de l’extérieur à l’intérieur de la véranda. Pour finir dans la cuisine.

Le croirez-vous ? Ça fait, 6 mois que je ne vois plus René que tous les deux mois pour son renouvellement. Il lui faut bien encore du Paracétamol et on n’a pas encore arrêté l’Antidépressor. Mais le Supertrankil et la morphine, c’est fini.

Ordonnance pour 3 mois :

– Adoption d’un chien – usage quotidien, à volonté

 

Edition du 30/08/11

L’amie Laurel m’a gratifié d’un dessin pour illustrer ce billet :

Craquements

Pas loin de chez moi, il y a le Dr Nounours.

Le Dr Nounours est quelqu’un de jovial et sympathique. Je ne crois pas que ce soit un grand adepte de l’EBM, ni qu’il soit abonné à la Revue Prescrire.

Le Dr Nounours, par contre, a une vraie réputation pour les manipulations. Il aime quand ça craque.

De temps en temps quand je suis de garde, le téléphone sonne :

– Allô, vous êtes le remplaçant du Dr Nounours ?

– Ah non, moi je suis le Dr Borée, je suis le médecin de garde.

– Ah … Euh… Euh… Vous aussi vous êtes… rebouteux ?

– Non, désolé, moi je suis seulement médecin.