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Dior

Chacun ses trucs.

Tout médecin, même un généraliste, a des domaines qu’il aime et d’autres moins ; des choses qu’il maîtrise et d’autres qu’il tâche d’éviter.

Question de goûts personnels, de hasards lors du cursus des études, d’opportunités, de géographie.

Si vous vous êtes tordu une cheville ou fait un lumbago, vous n’êtes pas obligé de venir me voir.

Je ne serai peut-être pas totalement nul, mais je ne serai pas très bon non plus. Et en tout cas, vous aurez du mal à me motiver.

Je ne sais pas pourquoi, mais tout ce qui concerne les muscles et le squelette, je n’ai jamais réussi à m’y intéresser vraiment. Et puis, de toute façon, ça se termine quand même à peu près toujours pareil : paracétamol, antiinflammatoires, repos. Parfois une attelle.

Si vous avez un enfant à me montrer, par contre, vous serez les bienvenus : ça m’amuse et je saurai m’y prendre.

Si vous avez un problème de cardiologie ou de médecine interne, venez ! Je suis à peu près au point et je vais me passionner à décortiquer votre cas.

Si vous faites un infarctus ou un coma hypoglycémique, faites-moi appeler ! J’ai fait quelques mois de SAMU et j’aime me sentir vraiment utile.

Si c’est pour de la gynécologie, asseyez-vous. Vous réveillerez mes instincts militants et j’adorerai prendre un long moment pour tout vous expliquer en détail.

Mais si, vraiment, vous voulez me faire plaisir, venez avec une belle balafre. Une plaie, une blessure, une mandale, une entaille, une coupure, une estafilade. Ou bien encore un kyste sébacé à exciser, voire une kératose mal placée. Là, ce sera chouette.

Car, oui, j’aime les travaux manuels. C’est peut-être une des raisons qui m’a amené dans ce coin perdu. Les confrères qui sont installés près des villes ne font presque plus ces gestes : les gens ont pris l’habitude d’aller aux Urgences ou chez le spécialiste. Ici, ils sont généralement contents de ne pas avoir à se taper la longue route.

Petit à petit d’ailleurs, j’ai gagné en assurance. Il m’est arrivé également, au début, d’envoyer des patients chez le dermatologue, le chirurgien ou l’urgentiste. Et je me suis rendu compte que, bien souvent, j’aurais fait aussi bien ou même mieux sur le plan esthétique. Aujourd’hui, il faut vraiment que la plaie soit très moche ou la lésion vraiment inquiétante pour que je renonce.

Donc si vous vous êtes mis un coup de cutter ou qu’une vache vous a planté son sabot dans le tibia, venez me voir !

Je vous installerai bien à l’aise sur ma table d’examen, je désinfecterai votre blessure, je ferai une anesthésie pour que vous n’ayez pas mal. Je sortirai mon matériel stérile.

Et puis je m’attellerai au travail.

Telle une couturière appliquée, je choisirai ma technique, car nous sommes dans le sur-mesure : un point en Y ? Un point inversé profond ? Un invisible surjet intradermique que personne d’autre ne sait faire dans les environs ?

Scalpel, pincette, ciseaux, aiguille montée, je laisserai alors mes mains virevolter, en tirant un peu la langue. Parfois, je travaillerai en silence, laissant échapper un juron de temps en temps, parfois nous ferons la causette. En tout cas, mon esprit sera au repos. Comme j’aime ces moments de relâche entre un diabétique hypertendu artéritique et un patient dépressif !

Paradoxe du système français qui privilégie la technique à l’intelligence : ces gestes de petite chirurgie sont très bien rémunérés. C’est bien souvent le montant de trois ou quatre consultations sans être forcément plus long et bien moins épuisant.

Lorsque nous arriverons sur la fin, je ferai mes nœuds en vous laissant regarder, un coup à l’endroit, un coup à l’envers, vous me prendrez un peu pour un magicien.

Si ma secrétaire avait été là elle serait venue m’aider, car elle adore ça.

Et une fois venu le moment du pansement final, elle vous aurait dit, un peu pour vous rassurer, un peu par fierté d’entreprise « Et voilà, c’est fini. Le docteur Borée a encore fait de la haute couture pour vous. »

Naissance

Voilà, c’est aujourd’hui que sort mon livre.

Soixante-seize textes dont dix inédits. Dix-huit dessins de 14 illustrateurs différents. Une préface de Martin Winckler. Des citations de Spinoza et d’Albert Jacquard. Une couverture de David Gilson.

De la médecine, de la campagne, des gens, de l’amitié, de la mort. La vie quoi !

J’espère qu’il vous plaira.

Dédicaces

Je peux enfin vous donner davantage d’éléments concernant les dédicaces.

Voici donc comment il sera possible de procéder :

1. En « semi-différé » au Congrès de Nice de la Médecine générale, du 21 au 23 juin

Il y aura un petit stand sur lequel le livre sera en vente. Malheureusement, pour des raisons de préservation de mon anonymat, je n’y serai pas moi-même.

Par contre, vous pourrez y acheter le livre et venir le récupérer un peu plus tard, dédicacé (idem si vous venez avec un exemplaire que vous aviez déjà acheté).

2. De « vraies » séances dédicaces

Il devrait être possible d’organiser de « vraies » séances de dédicaces dans quelques grandes villes. Ce sera l’occasion de se rencontrer et d’échanger de vive voix. J’en suis à la fois très heureux et excité, et très anxieux, toujours pour des questions d’anonymat. Je préfère donc avertir tout de suite qu’il ne sera pas possible de prendre des photos 🙁 .

Pour le moment, voici le programme :

  • Bordeaux : Librairie Mollat – samedi 30 juin de 14h à 16h
  • Paris : Librairie L’oeil écoute – 77, bd Montparnasse 75006 – samedi 7 juillet de 17h à 19h
  • Strasbourg , Lyon, Marseille et Toulouse : probablement mais à la rentrée de septembre

(Je vous tiendrai au courant des éventuelles nouvelles dates en éditant ce message)

3. Les dédicaces par correspondance

Edition du 28/03/13 : c’est fini ! 🙁

Mon amie Jaddo avait déjà organisé ça pour son livre à elle. Je me suis donc inspiré de ce qu’elle avait fait. Par contre, ça devrait être plus simple ce coup-ci.

Ma librairie-copine est :
Librairie Mollat
15, rue Vital Carles
33000 Bordeaux

Il s’agit de la plus grosse librairie indépendante de France et ils ont un site internet très bien fait.

Vous pouvez commander votre (vos) exemplaire(s) et le(s) régler en ligne ICI.

En validant votre commande, vous choisissez si c’est à livrer ou si vous passez récupérer le livre à la librairie et il y a une zone de texte libre.

Inscrivez-y en titre « Dédicace – Borée » et complétez. Dites-moi au moins pour qui c’est, si vous avez des questions ou des remarques particulières, des choses gentilles à me dire, des déclarations d’amour à me faire…

Il faudra ensuite attendre que je passe sur Bordeaux pour une fournée (j’y passerai une à deux fois par mois au début).

Histoire de gagner du temps et que je puisse réfléchir à l’avance à quelque chose de sympa à vous écrire, vous pouvez me prévenir en copiant le texte de votre message et en me l’envoyant également à moi par mail (boree arobase boree point eu).

4. E-Dédicaces

Si vous êtes très pressés (ou que vous avez déjà acheté votre livre ailleurs) :

Vous me passez commande à moi, par mail, quand vous le sentez. Mettez-moi dans votre titre E-Dédicace. Je scanne, je maile, vous coupez amoureusement avec des ciseaux, vous collez avec de la colle.

5. La « vraie » couverture

Ce n’est pas sans une certaine consternation que j’ai découvert la très laide couverture choisie pour mon livre. Je ne suis pour RIEN dans ce choix.

J’ai donc demandé à l’ami David Gilson qui avait déjà été sollicité (j’en parlais dans « Fin du suspens« ) de me faire ce qui aurait dû être la « vraie » couverture de ce livre. Et j’ai fait imprimer quelques centaines de cette jaquette de mon côté.

Ce sera donc un petit cadeau supplémentaire pour ceux qui se feront dédicacer leur livre (sauf, bien sûr, les E-Dédicaces), ils auront cette jolie jaquette en prime !

Rameur certifié

Il y a quelque temps, j’ai participé à un séminaire sur la formation des internes qui viennent en stage dans nos cabinets (enfin… quand ils viennent parce que j’ai beau avoir le cabinet le plus génial de France, je suis loin de la Fac et ils ont apparemment un peu de mal à trouver le chemin.)

C’était intéressant.

On a eu de chouettes exposés par des pros de l’encadrement des étudiants. On a fait des mises en situation avec jeux de rôles. On nous a donné de très utiles outils pour nous guider dans notre mission de maîtres de stages.

Il y avait en particulier une grille en 25 points pour suivre le déroulé de la consultation lorsque l’on observe l’interne faire. C’est vraiment intéressant, car ça permet de formaliser les choses, de ne pas totalement oublier tel ou tel aspect même si, bien sûr, le but n’est pas de compléter les 25 points à chaque consultation.

Bon, il y a bien eu quelques éléments qui m’ont un peu chiffonné, je n’ai pas pu m’empêcher de l’ouvrir, mais ce n’était que des détails.

Jusqu’à la dernière session.

Celle où l’on nous a expliqué que cette grille en 25 points n’était pas qu’un outil pédagogique, mais qu’elle pourrait aussi servir pour la « certification » des internes.

Car, en effet, désormais les internes devront être « certifiés ». Les copains, professeurs de Médecine générale qui exposaient ces projets avaient des airs enthousiastes. D’ailleurs, tout ceci s’inscrit dans un grand mouvement « d’uniformisation » de la formation et de notre métier grâce, par exemple, à notre tout nouveau « référentiel métier ».

Moi, quand j’entends « uniformisation », j’entends d’abord « uniforme ».

Je me demande, dans cette logique, quelle est la place des électrons libres, des défricheurs, des empêcheurs de tourner en rond. Est-ce que je pourrais écrire ma « trilogie gynécologique » si je me pliais à l’uniformisation ? Est-ce que Dominique Dupagne aurait pu diffuser sa petite vidéo au sujet des PSA des années avant que les médias et les autorités ne se décident à ouvrir les yeux ?

Dominique Dupagne, justement.

Ça tombait bien, lors de ce séminaire, je commençais tout juste la lecture de son livre La Revanche du rameur.

Ça tombait mal, je n’en avais lu que cinquante pages.

Je sentais que quelque chose clochait dans ce qu’on nous exposait. Mais j’avais du mal à le mettre en mots et je manquais d’arguments.

Je sais bien que la situation actuelle n’est pas très satisfaisante. Tant chez les médecins installés que parmi les internes nouvellement formés, il y a des individus incompétents ou même dangereux. Ce n’est pas faute d’avoir dénoncé les méfaits du Dr Moustache.

Mais est-ce qu’il faut vraiment commencer à nous mettre dans des cases pour faire le tri ? Est-ce qu’il y a besoin d’avoir « juste » à 15 points sur 25 pour être un bon médecin ? Alors qu’en fait, lorsque j’étais étudiant, tout le monde savait qui étaient les quelques cas à problèmes, ceux qui étaient trop à côté de la plaque, mais qui, malgré tout, finissaient par valider leurs années parce que le système est ainsi fait qu’une fois la première année passée, plus rien n’empêche d’aller jusqu’au bout et parce que les profs finissent toujours par valider les stages, ne serait-ce que pour se débarrasser des cas à problèmes et les refiler au copain du service d’à côté.

De même, lorsque je discute avec des confrères actuellement, nous savons parfaitement qui sont les honnêtes médecins, qui sont les véreux, les incompétents ou les alcooliques. Nous n’avons pas besoin de grilles de certification pour ça.

Et puis, c’est bien connu, parmi les incompétents et les salauds, beaucoup restent très doués pour rentrer dans les cases et simplement contourner ces nouveaux obstacles.

Par ailleurs, n’y a-t-il pas un contresens terrible à vouloir utiliser un outil pédagogique pour le transformer en outil d’évaluation ? N’est-ce pas confondre la fin et les moyens ? Si le chemin devient lui-même le but à atteindre, on a vite fait de tourner en rond.

Après coup, je me suis dit qu’il était bien dommage de ne pas avoir terminé cette lecture avant ce séminaire. J’aurais eu davantage de billes.

Mais est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Pétris de bonnes intentions, convaincus de bien faire et d’aller dans la bonne direction, celle d’une « démarche qualité », ces responsables de l’enseignement de la Médecine générale pouvaient-ils entendre quelque chose ? Pouvaient-ils entendre que si nous voulions vraiment défendre notre discipline, nos confrères et, au-delà, nos patients, il y a sûrement mieux à faire que de singer le système hospitalo-universitaire ? Ou, ce qui est peut-être pire, s’inspirer des « démarches managériales » pour inventer de nouvelles usines à gaz qui se voudraient modernes, mais qui sont déjà terriblement archaïques ?

Je n’ai pas toujours été d’accord avec Dominique, mais la lecture de son ouvrage m’a largement convaincu.

Convaincu par exemple, qu’il n’était pas nécessaire de vouloir nous enfermer dans des grilles pour nous certifier, que l’intelligence collective pouvait avantageusement remplir cette fonction. À condition d’accepter de revoir largement nos systèmes de pensées, de remettre en cause nos dogmes et nos classiques hiérarchies.

À condition d’avoir du courage. Et de se battre pour avancer.

Couac

Quatre ans que je m’occupe de Jeffrey. Quatre ans que je lui renouvelle son traitement pour le diabète et la tension. Pas de gros soucis avec lui, ce sont des ordonnances de six mois.

Je l’ai vu hier. Il revenait de chez le chirurgien à qui je l’avais adressé pour une petite intervention banale. Comme d’habitude, il s’était présenté avec la lettre que je fais toujours reprenant les antécédents, les médicaments usuels, les allergies…

— Au fait, docteur, le chirurgien m’a demandé pourquoi j’étais sous aspirine.

— Mmmmh… c’est vrai ça, pourquoi est-ce que vous êtes sous aspirine ?

Ben, j’ai pas trouvé pourquoi.

Le traitement avait été instauré en Angleterre. Je l’avais simplement poursuivi. Il est vrai qu’une prescription d’aspirine chez un diabétique hypertendu, c’est monnaie courante, ça ne m’avait pas choqué.

Mais il est vrai aussi que Jeffrey n’avait aucune indication claire à ce médicament.

Ce n’était pas une hérésie, les études nous disent que, dans la situation de Jeffrey, les avantages et les risques de l’aspirine sont de toute façon mineurs, mais je m’en suis quand même bien voulu.

J’essaie toujours de remettre en question la pertinence des prescriptions de routine de mes nouveaux patients. De même, je m’efforce régulièrement de réfléchir à l’intérêt de poursuivre les traitements que j’ai moi-même institués.

Malgré ça, je me suis fait avoir. Quatre ans que je me faisais avoir, même.

Et je crois que ce qui m’a le plus énervé c’est que celui qui a levé le lièvre était… un chirurgien. C’te honte !

La routine, voilà l’ennemi !

Fin du suspens

Y en avait-il vraiment un ?

J’aurais aimé faire un beau texte comme Jaddo, annonçant la grossesse.

J’aurais aimé laisser ça mûrir, vous donner le temps de l’attendre alors que, là, l’accouchement est tout proche.

Tout a été tellement vite.

Avec le père, on s’est rencontrés en décembre. On s’est dit oui en janvier.

Il a fallu écrire d’arrache-pied pendant quelques semaines. Ecrire. Encore. Corriger. Relire. Ré-écrire ce qui avait déjà été fait et qui était, en réalité, truffé d’imperfections.

Et puis il a fallu contacter d’autres talents, histoire qu’ils mettent leur patte à cette création.

J’ai eu aussi un petit baby-blues avant l’heure, comme un manque d’inspiration.

Mais la grossesse est à présent trop avancée. Il est devenu inutile d’espérer la cacher, même avec mes vêtements les plus amples.

Et d’ailleurs, certains brouillons de faire-part on déjà été envoyés.

Donc, voilà, si Jaddo a eu son bébé pour ses trente ans, le mien arrivera juste avant mes quarante : je vais publier un livre.

Le dessin qui illustre ce billet est un projet de couverture par l’ami David Gilson. La couverture définitive sera un peu différente et elle sera superbe.

Le titre ? C’est quasiment celui-ci.

Le contenu ? Beaucoup de billets que vous avez déjà pu lire ici et que j’ai, à des degrés divers, retravaillés, réécrits, améliorés. Il y aura aussi une dizaine de textes inédits à découvrir. Je les publierai probablement ici à l’avenir. Sauf le texte de conclusion « Lignes de vie » qui restera dédié au papier.

Mes textes, seront illustrés par quelques dessinateurs et illustrateurs. Je frissonne rien qu’en vous livrant la liste :  Christophe Achard, Bambiii, BlaguiBlago, Boulet, le Burp, Camomille, Derek, Gérald Guerlais, Laurel, Mipou, Sess, WayneYann Wehrling, et toujours David Gilson, bien sûr.

C’est avec une immense fierté que je contemple cette superbe collection de talents qui ont bien voulu se prêter au jeu avec enthousiasme et gentillesse. Certains de ces dessins remontent à notre petite édition privée, d’autres ont servi de teasers, beaucoup encore seront à découvrir !

Last but not least, la préface.

Je sais que ça fera un peu recopiage de Jaddo mais je ne voyais pas à qui d’autre le demander. C’est bien maître Martin Winckler qui m’en fera l’honneur.

Voilà, c’est arrivé très vite. Je ne l’ai pas vu venir.

En réalité, lorsque je me suis lancé dans ce blog, je voulais simplement « ouvrir ma gueule ». J’étais à mille lieux de penser qu’il me conduirait jusqu’à ces chemins. Je n’imaginais pas non plus qu’il me donnerait l’occasion de tant de belles rencontres.

La sortie est prévue dans la première quinzaine de juin. Je vous confirmerai la date dès que possible.

Pour ceux qui le souhaiteront, il y aura la possibilité de dédicaces. A distance, et peut-être « en vrai » dans l’une ou l’autre ville. Là aussi, je vous tiens au courant très vite.

A très bientôt,

Les aveugles et les muets

Le temps a passé, l’équipe a totalement changé, la nouvelle direction est infiniment plus soucieuse des aspects éthiques et, pour ce que j’en sais, c’est probablement devenu l’un des établissements les plus humains du département. Je peux donc me confesser.

J’ai commencé mon installation par un exploit : j’ai dénoncé la maison de retraite locale pour maltraitance.

Joli fait d’armes pour un début.

Avant de me décider à déménager, j’étais venu remplacer un confrère pendant une semaine, pour tâter le terrain.
À cette époque, la maison de retraite du village subissait de gros travaux de réhabilitation. Le directeur d’alors était connu pour une chose : il gérait le budget avec une rigueur extrême et excellait dans les tâches d’organisation ou de planification. Mais il ne sortait jamais de son bureau. Et n’allait jamais à la rencontre de ses résidents.

Généralement, lorsqu’il y a un tel chantier, un accord est trouvé avec d’autres établissements environnants pour qu’ils puissent accueillir quelques pensionnaires et qu’une rotation des locaux puisse se faire au fur et à mesure de l’avancée des travaux.

Ici, ça n’avait pas été le cas. Tout le monde était resté.

Certains résidents avaient été regroupés à trois dans des chambres prévues pour deux.

Mais ça ne suffisait pas.

C’est ainsi que certaines de ces personnes âgées s’étaient retrouvées dans des pièces dont les fenêtres étaient temporairement murées, occluant toute lumière naturelle.

C’est donc lors de ma semaine de remplacement que j’avais découvert ça. Effaré et indigné.

J’avais demandé à l’infirmière si personne ne protestait.

« Il y a bien quelques familles qui ont râlé. Du coup on a fait des échanges de chambres : on a mis dans les chambres murées les personnes les plus démentes et dont les familles ne viennent pas. »

Je crois qu’elle n’était pas très à l’aise.

Trois mois plus tard, quand je suis arrivé pour de bon, la situation n’avait pas changé. Certaines de ces personnes âgées en étaient à cinq mois de séjour dans des chambres aveugles.

J’ai hésité. Je me suis dit que de débuter mon installation en déclenchant un petit scandale local c’était un peu… imprévu. J’ai même rationalisé les choses en me disant, qu’au pire, je risquais d’attirer autant de personnes reconnaissantes que je perdrais de patients vexés.

J’ai donc téléphoné à la DDASS, qui ne s’appelait pas encore l’ARS en leur expliquant la situation et en leur demandant-s’il-vous-plaît d’éviter de mentionner mon nom « parce que c’est un peu délicat alors que je viens tout juste de démarrer. »

Une inspection avait été déclenchée. Pour ce que j’en sais, ce n’est pas allé très loin, car les travaux touchaient à leur fin et que, deux semaines plus tard, toutes les chambres avaient retrouvé une fenêtre.

Trois ans après, j’en rediscutais avec Nadine, l’infirmière qui m’a dit en souriant : « On s’est un peu douté dans la maison que ça venait de vous. »

Visiblement, personne avant moi n’avait jugé nécessaire d’alerter les autorités. C’était en France. C’était dans les années 2000.

Digne de ta confiance

Chère Marguerite,

Dans le genre des patients qui ne veulent pas qu’on les enquiquine, je te préfère largement.

Il y a trois ans, quand le Docteur Panier est parti à la retraite et que je t’ai rencontrée pour la première fois, tu m’as accueilli dans ta cuisine.

Tu avais enfermé ton vieux chien depuis un moment et tu avais presque vingt de tension. Il faut dire que j’étais arrivé à dix-huit heures passées, tu n’avais pas l’habitude.

Tu ne prenais pas trop de médicaments, tu ne te plaignais de rien. Et tu m’as tout de suite expliqué que tu voulais surtout rester chez toi, ne jamais aller à l’hôpital. Jamais. Tu m’as même demandé de te le promettre.

Pourtant, en t’examinant, j’ai entendu ce gros souffle dans ton cœur. J’ai tenté de te dire que ça pourrait être une idée de voir le cardiologue pour savoir de quoi il en retournait. Je suis allé dans le mur direct. Une muraille aussi douce qu’infranchissable. Et d’ailleurs, pas la peine d’insister : tu ne supportes pas la voiture, cinq kilomètres et tu es malade.

En fait, tu n’as pas eu tellement à lutter : je te l’avais proposé un peu pour le principe. J’étais bien d’accord qu’à quatre-vingt-neuf ans, on n’allait certainement pas t’imposer cette dangereuse opération cardiaque.

Je crois qu’on s’aime bien.

Tu as fini par comprendre que mes horaires de visite, ça pouvait être aussi bien à quinze qu’à vingt heures et tu t’y es faite, tes chiffres de tension sont devenus progressivement plus habituels. Tu sais également que si tu es en train de gratouiller dans ton potager, lorsque j’arrive, et que le chien n’est pas enfermé ce n’est pas très grave. On a le temps.

Quand ton vieux chien est mort l’an dernier, ça m’a fait bien plaisir de te voir en reprendre un nouveau. La même race bien sûr : celle que tu as toujours eue.

Bien souvent, mes patients âgés rechignent à prendre un animal. C’est tout le temps : « Et s’il m’arrive quelque chose ? Et si je dois aller à l’hôpital ? Et puis, je suis trop vieux de toute façon. »

Avec toi, c’était beaucoup plus simple : gratter la terre de ton potager, dévorer les romans de la bibliothèque municipale, caresser ta chienne, dîner avec ta petite-fille qui habite à côté et qui vient chaque soir en rentrant du travail. Tu n’en demandes pas plus et on verra bien jusqu’où ça ira comme ça.

Il y a quatre mois, tu as commencé à te plaindre de ton genou. De plus en plus. Au point de ne presque plus bouger de ta chaise.

J’ai essayé les médicaments contre la douleur en montant les doses petit à petit, mais tu avais toujours autant mal.

En désespoir de cause, je t’ai proposé de tenter une infiltration. Bien sûr, hors de question d’aller voir un spécialiste : tu m’as demandé si je pouvais la faire. Je t’ai dit que ça ne m’enchantait pas, mais que, si tu le souhaitais, je la ferais.

Je peux te l’avouer maintenant, lorsque ta petite-fille t’a amenée au cabinet, c’était la première infiltration que je faisais. J’ai beau être assez débrouillard, je n’avais jamais appris le geste. Même si j’avais passé une heure avant à relire mes manuels et à regarder des vidéos, je n’en menais pas large !

Mais ça s’est très bien déroulé, j’étais fier de moi. Ça n’a pourtant servi à rien. Tu avais toujours les mêmes douleurs.

Lorsque je suis venu la semaine dernière, tu m’as avoué — « On se dit les choses, n’est-ce pas ? » — que ta nièce t’avait emmenée chez le médecin pour lequel elle travaille afin qu’il te fasse de la mésothérapie. Je t’ai dit que tu en avais tout à fait le droit et que ça ne me vexait pas. Surtout que le confrère n’avait pas été plus efficace que moi.

À un moment, ta petite-fille est arrivée. Nous avons poursuivi la conversation à trois.

Je t’ai confirmé que, malheureusement, je ne voyais plus trop de possibilités et que, même si tu as maintenant quatre-vingt-douze ans, une prothèse pouvait s’envisager. Que c’était devenu de la chirurgie de routine, qu’on pouvait le faire sous péridurale.

Tu m’as dit non d’abord. Et puis tu as rajouté que tu allais y réfléchir et en discuter avec tes petits-enfants. Et que tu me téléphonerais.

Je sais comment tu fonctionnes. Je me doutais déjà que, deux jours plus tard, ta petite-fille m’appellerait pour me dire que tu étais d’accord et que je devais te prendre un rendez-vous avec le spécialiste.

Je crois que c’est la chose à faire. Tu as beau avoir quatre-vingt-douze ans, tu es en forme et si cette douleur continue à te clouer au fauteuil, ce n’est pas bon du tout. C’est vrai que c’est devenu une technique assez banale.

Mais, tout de même, tu as quatre-vingt-douze ans et, à cet âge-là, le moindre grain de sable peut finir en catastrophe. Une chute ? Une phlébite ? Un anesthésiste trop zélé qui t’envoie d’autorité au CHU pour ton cœur ?

On a fixé le rendez-vous, je t’ai fait la lettre, le chirurgien a confirmé une date d’intervention.

Tu me fais confiance. Mais, les risques, c’est quand même toi qui les prends.

Me voici donc à croiser les doigts, espérant que ta confiance sera méritée. Que je ne t’ai pas trahie.

Et que ça se passera bien.

***

Epilogue

Comme je l’indiquais dans un commentaire, alors que tout était planifié, Marguerite avait décidé d’annuler l’intervention.

D’une certaine manière, ça m’avait rassuré sur sa capacité à prendre une décision autonome et pas seulement parce que je l’y poussais.

Evidemment, les douleurs ne se sont pas arrangées. Nous en avons rediscuté. Finalement, elle a fait le choix de rappeler le chirurgien.

L’intervention a eu lieu durant l’été, sans problèmes. Marguerite s’est ensuite impliquée de son mieux dans le programme de rééducation. Elle avait précisé à sa famille que c’était son affaire à elle et qu’ils n’avaient pas à se sentir obligés de venir lui rendre visite.

Elle est rentrée chez elle il y a quinze jours et je viens de passer la voir pour le renouvellement de son traitement. Elle va bien et n’a plus aucune douleur. Elle m’a parlé de son potager pour le printemps prochain.