Archives mensuelles : mai 2010

Y’a pas de miracle (contrepoint)

Visite de routine à la Maison de retraite. Je vais voir l’infirmière, une nouvelle dans la maison mais pas un perdreau de l’année.

– Bonjour, pas de soucis particuliers ?

– Ah si ! Mme Bidule, la nouvelle pensionnaire, c’est bien une patiente à vous ?!? Ça ne va PAS – DU – TOUT !

– Ah ?

– Elle n’arrête pas de déambuler. Partout ! Elle ne reste pas en place. Même à table, elle se lève sans arrêt ! Il faut faire quelque chose !

– Euh… ben… oui, certes, elle est démente (*) mais pas grabataire. Alors c’est sûr, elle déambule. Et puis, elle vient juste d’arriver, elle a besoin de se faire de nouveaux repères. Je comprends que ça ne doit pas être trop facile à gérer mais je ne vois pas trop quoi faire. Vous avez une idée, vous ?

– Ah mais non, c’est à vous de voir, hein ! Mais il faut faire QUELQUE CHOSE !

– Vous voulez que je l’assomme avec des médicaments ?

– Ah non, quand même pas.

– Vous voulez que je fasse une prescription pour qu’on l’attache ?

– Ah mais, non !

– Vous suggérez quoi alors ?

– Mais, je ne sais pas, moi, je ne suis pas médecin !

– … Ben, moi je ne suis pas le Bon Dieu.

(*) Pour la notion de démence, voir le billet Révolution

Edition du 30/08/11

L’ami Derek m’a offert un dessin pour illustrer ce billet :

Faiseur de miracles

J’ai déjà parlé des pathologies qui m’ennuient.

Il y en a une par contre que j’adore : le coma hypoglycémique.

Le coma hypoglycémique est la martingale de la médecine générale.

C’est l’urgence qui vous permet, à tous les coups, de vous hisser au rang de Gregory House ou de David Copperfield.

Le 15 m’a appelé ce matin pour une mamie que je ne connaissais pas : diabétique sous insuline et en coma hypoglycémique.

De l’adrénaline à bon compte !

Je fonce jusqu’au village voisin. En plus des ambulanciers qui étaient déjà sur place, il y a toute la famille réunie autour du lit de Mme Hippo. Visages graves, affolement.

Il faut dire qu’elle a mauvaise mine, Mme Hippo. Couchée sur le côté, la bouche pendante, la respiration lourde, elle ne réagit plus du tout. Les ambulanciers ont sorti tout leur matériel : scope, tensiomètre, masque à oxygène, … « Le Glasgow est à 7 et le dextro à 0,28 ! » (*)

Je sors ma boite de seringues et une ampoule de sérum glucosé. Je regarde le bras de Mme Hippo et avise une veine qui a l’air assez accueillante – Ouf !

Je maintiens le bras d’une main, tiens la seringue de l’autre, attrape le capuchon de l’aiguille avec les dents (je sais, j’ai aussi mes petites coquetteries) et injecte mon ampoule de glucosé.

Le temps de ranger le garrot, et de mettre un pansement, je commence à appeler, penché au-dessus d’elle. « Ouh, ouh, Mme Hippo, vous êtes là ? »

Un grognement, une paupière qui s’ouvre.

Au bout de 10 secondes, le bras de Mme Hippo décolle du lit, monte lentement à la verticale, finit par attraper ma nuque. En même temps qu’il abaisse ma tête, celle de Mme Hippo se hisse tout doucement…

Et on entend un bisou claquer sur ma joue !

Relâchement, éclats de rire de la famille. « Ha ! Ha ! Il y a quoi dans vos seringues ??? » « Je crois qu’elle vous prend pour son petit-fils ! »

Je suis vraiment trop, trop fort.

… A tous les coups je vous dis !

(*) Pour les non professionnels, le score de Glasgow est une échelle permettant d’évaluer l’état de conscience. Il va de 3 (coma profond ou mort) à 15 (personne parfaitement consciente).
Quant au « dextro », c’est la mesure de la glycémie – le taux de sucre dans le sang – qu’on fait au bout du doigt. Normalement il est autour de 1,0 g. En-dessous de 0,90, on commence à avoir faim. A partir de 0,70, on n’est franchement pas très bien. A 0,50 on commence à perdre conscience. En-dessous de 0,30, c’est le bon vrai coma.

Non mais franchement

La première fois que j’ai vu Rose, elle était dans son fauteuil : rien n’allait, elle avait mal partout, 19 de tension et un pouls à 102.

Elle était en manque.

Elle venait de décider que son précédent généraliste l’empoisonnait et avait tout arrêté.

Elle n’avait pas vraiment tort.

De fait, Rose est raisonnablement folle, anxio-dépressive chronique, très ambivalente et n’a jamais vraiment réussi à se passer de son petit blanc sec.

N’empêche qu’on lui faisait des prescriptions de compétition. On pouvait y trouver 3 Seresta 50© au cours de la journée et SEPT au coucher. Soit 10 comprimés par jour quand la posologie maximale officielle est de 3 pour les « cas sévères en psychiatrie ».

A côté de ça, un antidépresseur, un « psychostimulant » prescrit dans  les « états d’apathie ou de manque d’énergie » (ben voui, avec ça…), plusieurs « phlébotoniques », l’incontournable Tanakan©, de l’Inexium 40© ET, pour être sûr, de la Cimétidine 400… Les connaisseurs apprécieront.

Je lui avais expliqué que, en effet, il y avait pas mal de ménage à faire mais qu’elle ne pouvait pas arrêter tout brutalement comme ça et qu’on allait régler ça tranquillement en faisant passer les infirmières tous les jours. Elle m’avait dit qu’elle acceptait le contrat.

Elle avait bien essayé de tricher un peu au début : j’avais fait l’erreur de lui laisser des ordonnances et elle s’était fait emmener à la pharmacie pour récupérer les boites et les planquer au fond de son buffet. « Mais non, Docteur, je vous JURE ! Je les ai données aux infirmières ! Quelles menteuses celles-là ! » On ne se refait pas…

N’empêche, petit à petit on est arrivé à un rythme de croisière. Depuis 6 mois, les infirmières venaient chaque matin lui remettre le traitement pour la journée. On avait diminué son Seresta par petites touches : 1/2 comprimé en moins toutes les 3 ou 4 semaines pour arriver gentiment à 2 fois 1 par jour.

Elle n’était pas devenue moins névrosée. Mais pas plus non plus. Et son fils la trouvait nettement moins abrutie quand il passait la voir.

Il y a 10 jours, Rose a été hospitalisée un dimanche par le médecin de garde pour de violents maux de ventre.

Diagnostic : constipation.

Et dans la lettre de sortie de l’hôpital (et pourtant c’est un service que j’aime bien), qu’est-ce que je peux lire ?

« Le bilan biologique retrouve une cholestase anictérique. La Bili-IRM est normale et nous avons décidé de ne pas pousser plus loin. – blablabla… – Devant un état d’énervement marqué, nous avons dû majorer le Seresta 50 à 1 matin, 1 midi, 2 le soir. »

Grrrrr…

Quand je pense que pour la moindre IRM avec une vraie indication urgente, je dois supplier, négocier et me rouler par terre pendant une demi-heure pour l’avoir, avec de la chance, sous 3 semaines. Et là, hop ! Trois jours d’hospitalisation pour une constipation et l’IRM est faite.

Ah, oui… c’est sûr… il fallait prendre en compte sa « cholestase anictérique » ! A voir… Des GGT à 71 pour une normale inférieure à 65 et des Phosphatases à 125 pour une normale à 108. On a vu plus inquiétant. Surtout que ça fait 2 ans au moins qu’elle a ces résultats et que ça ne bouge pas.

Et alors pour le Seresta, vraiment merci ! Six mois pour faire 4 pas en avant, une semaine pour en faire 2 en arrière.

Bien sûr, aucun coup de fil durant son hospitalisation au médecin traitant que je suis pour connaître les résultats antérieurs ou l’état habituel.

Alors, chers amis hospitaliers, je sais bien que vous avez généralement beaucoup de mépris pour la piétaille généraliste. Nous ne sommes certainement pas parfaits et méritons parfois bien des reproches.

Mais quand je vois parfois comment vous pouvez vous-même vous éloigner de toute recommandation officielle et, plus encore, vous écarter du bon sens le plus basique, je me dis que nous gagnerions certainement tous à nous respecter un peu plus.

Et à nous parler davantage.

Koplik (signe de)

Il y a des mots comme ça, qu’on apprend bien comme il faut pendant ses années de fac de médecine, le temps de passer les examens. Et puis qu’on oublie.

Qu’on oublie parce qu’on ne les voit jamais en vrai.

Mais il reste toujours, au fin fond du cerveau, des petits restes. Des morceaux qui évoquent de vagues souvenirs que ravive parfois le Dr House mais qu’on ne sait plus vraiment à quoi rattacher ou ce que ça donne en vrai. Souvent ils portent des noms de vieux médecins, du siècle dernier ou de celui d’avant, avec barbe et lorgnon : « Signe de Koplik », « Signe de Brudzinski », « Tétralogie de Fallot », « Anneau de Kayser-Fleischer », « Granulome de Wegener », « Dyspnée de Küssmaul », « Signe d’Argyll-Robertson»…

Robin a 13 ans. Ses parents sont de vrais bobos intellos. Il est peintre, elle est professeur de piano. Très sympas au demeurant. Pas trop adeptes de médecine, un peu naturopathes mais pas exagérément et, bien sûr, pas du tout fans de vaccins. Le DTP parce que c’est obligatoire et ça suffira.

A eux aussi, j’ai fait mon couplet sur l’intérêt des vaccins. Bonne discussion, intéressante et interactive, tranquille, mais qui se concluait invariablement par un « On va y réfléchir. » Bon…

J’ai vu Robin la semaine dernière. Une bonne fièvre à 39°5, vraiment pas en forme, avec le nez qui coule, les yeux rouges et un tableau d’angine. J’ai fait mon strepto-test : négatif. Traitement symptomatique. Pas besoin d’antibios, ils étaient contents.

Et le lendemain ils m’ont rappelé « Il a des boutons ! ».

« Ha ! Ha ! » que je me dis. Treize ans, une angine, des boutons : à tous les coups c’est une mononucléose. Je leur ai demandé de me le ramener pour confirmation de mon super diagnostic.

En effet, il avait des plaques rouges sur le cou et le thorax. Qui ne grattaient pas. Je le réexamine comme il faut : rate non palpable, une auscultation normale, un drôle de petit granité blanc derrière les lèvres, pas de ganglions…

Le père de Robin me dit que, d’ailleurs, un copain de classe a été absent récemment à cause d’une mononucléose.

Je me dis : « T’es trop fort ! ».

Je leur dis : « Bon, ben voilà, c’est une mononucléose. Robin, tu vas sûrement, rester fatigué un petit moment mais ce n’est pas grave. Les boutons, ça se voit fréquemment dans cette maladie. La seule chose bizarre, c’est que je ne trouve pas de ganglions alors que, d’habitude, il y en a des gros, mais bon… »

Et au moment où je dis ça, Robin à une quinte de toux.

Et je m’arrête. Un flash.

« Euh… attendez un instant, je vérifie juste une chose. »

J’hésite un peu entre « Kolpik », « Koplik » et « Klopik », finis par taper « Koplik » dans Google image et je tombe sur ça :

Koplik (signe de)

Déf. : Il consiste en taches rouges dont le centre est occupé par un point blanc bleuâtre, arrondi, légèrement saillant et ne dépassant jamais 1 mm, apparaissant à la face interne des joues. C’est un signe pathognomonique de la rougeole.

(S’il y en a qui voient un aspect bleuâtre sur la photo, qu’ils m’écrivent. Merci)

Merci donc aux parents de Robin d’avoir pensé que la rougeole ce n’était pas si sérieux que ça et que la vaccination des autres protégerait indirectement leur fiston. Grâce à eux, j’ai vu une maladie que je croyais ne jamais rencontrer de ma carrière !

Pour rappel, quand même, la rougeole peut être une maladie grave. C’est la troisième cause de mortalité infantile en Afrique après le paludisme et les diarrhées (2 millions de morts par an).

Après avoir quasiment disparu d’Europe, l’épidémie redémarre. D’abord en Grande-Bretagne et à présent en France en raison de la baisse de la couverture vaccinale. C’est ballot parce que c’est une maladie que l’on pourrait éradiquer vu qu’il n’y a aucun réservoir en-dehors de l’être humain.

Sur ce, faut que je vous laisse, m’en vais réviser les symptômes de la peste, de la lèpre et de la variole…