Archives par étiquette : Vaccins

Chère Roselyne (bis),

Je me dépêche de t’envoyer ce petit mot : je ne suis pas sûr qu’il t’arrive encore si j’écris au Ministère dans quelques semaines.

Voilà quelques mois que je t’avais écris. J’espère que tu as bien reçu les doses de vaccins que je t’avais envoyées et que tu en as fait bon usage.

Je voulais simplement te dire que, décidément, les efforts que tu as déployés en compagnie des divers « experts » n’ont pas fini de donner leurs fruits. C’est ce qu’on appelle du travail sur le long terme et il faut te rendre cet hommage à une époque où l’on accuse trop facilement les hommes politiques de se contenter de naviguer à courte vue.

En effet, je croyais (naïf que j’étais !) que l’on en avait enfin fini avec ces polémiques autour de H1N1. Eh bien, non !

La moitié des petits vieux que je vois en ce moment me pose à peu près les mêmes questions « Au fait, docteur, je n’ai pas trop envie de me vacciner contre la grippe cette année, il paraît qu’ils ont mis le H1N1 dedans. D’ailleurs, c’est marqué sur la boîte. »

Et là, je sais que je suis parti pour une longue et laborieuse exégèse. Expliquer à de braves agriculteurs ce que sont des variants grippaux, des mutations génétiques, l’OMS, les adjuvants vaccinaux et la politique de santé en France, tu conviendras que c’est un exercice pédagogique de haute voltige.

Je prends une grande respiration et j’essaie donc de leur dire que oui, mais non, qu’il y a en effet du H1N1 dans le vaccin mais qu’on s’en fiche un peu. Que tous les ans il y a des variétés différentes et qu’on ne fait pas vraiment attention à ça. Que H1N1 ou H3N2 ou H127N526, ça n’a pas vraiment d’importance. Que la polémique de l’an dernier c’était à cause de la fabrication des vaccins et des « adjuvants » mais que, cette année, les vaccins sont fabriqués comme d’habitude et qu’il n’y a pas plus de craintes à avoir que d’ordinaire. Que, ça, on a bien raison de dire que c’est le bazar et que ce n’est pas étonnant que personne ne comprenne rien à rien mais que ce n’est pas une raison pour ne pas faire ce qu’il faut. Bref.

En général, ça fini avec des yeux un peu ronds, des gros points d’interrogation qui semblent flotter au-dessus des têtes et un « Bon, mais alors, vous pensez qu’il faut le faire ?

– Mais oui !

– Bon, ben d’accord alors, on le fait.

– Voilà ! »

Jusqu’à présent, je crois que j’ai à peu près réussi à rattraper le coup mais, crois-moi, ça me les brise quand même. Et pas qu’un peu.

Alors voilà, chère Roselyne, si je t’écris ce petit mot aujourd’hui, c’est pour te demander une chose s’il te reste un tout petit peu de commisération pour les généralistes français. Cette année, s’il-te-plaît, surtout ne nous organise pas de campagne médiatique autour de la vaccination antigrippale. Parce que, vraiment, ça n’aide pas.

Bisous,

Koplik (signe de)

Il y a des mots comme ça, qu’on apprend bien comme il faut pendant ses années de fac de médecine, le temps de passer les examens. Et puis qu’on oublie.

Qu’on oublie parce qu’on ne les voit jamais en vrai.

Mais il reste toujours, au fin fond du cerveau, des petits restes. Des morceaux qui évoquent de vagues souvenirs que ravive parfois le Dr House mais qu’on ne sait plus vraiment à quoi rattacher ou ce que ça donne en vrai. Souvent ils portent des noms de vieux médecins, du siècle dernier ou de celui d’avant, avec barbe et lorgnon : « Signe de Koplik », « Signe de Brudzinski », « Tétralogie de Fallot », « Anneau de Kayser-Fleischer », « Granulome de Wegener », « Dyspnée de Küssmaul », « Signe d’Argyll-Robertson»…

Robin a 13 ans. Ses parents sont de vrais bobos intellos. Il est peintre, elle est professeur de piano. Très sympas au demeurant. Pas trop adeptes de médecine, un peu naturopathes mais pas exagérément et, bien sûr, pas du tout fans de vaccins. Le DTP parce que c’est obligatoire et ça suffira.

A eux aussi, j’ai fait mon couplet sur l’intérêt des vaccins. Bonne discussion, intéressante et interactive, tranquille, mais qui se concluait invariablement par un « On va y réfléchir. » Bon…

J’ai vu Robin la semaine dernière. Une bonne fièvre à 39°5, vraiment pas en forme, avec le nez qui coule, les yeux rouges et un tableau d’angine. J’ai fait mon strepto-test : négatif. Traitement symptomatique. Pas besoin d’antibios, ils étaient contents.

Et le lendemain ils m’ont rappelé « Il a des boutons ! ».

« Ha ! Ha ! » que je me dis. Treize ans, une angine, des boutons : à tous les coups c’est une mononucléose. Je leur ai demandé de me le ramener pour confirmation de mon super diagnostic.

En effet, il avait des plaques rouges sur le cou et le thorax. Qui ne grattaient pas. Je le réexamine comme il faut : rate non palpable, une auscultation normale, un drôle de petit granité blanc derrière les lèvres, pas de ganglions…

Le père de Robin me dit que, d’ailleurs, un copain de classe a été absent récemment à cause d’une mononucléose.

Je me dis : « T’es trop fort ! ».

Je leur dis : « Bon, ben voilà, c’est une mononucléose. Robin, tu vas sûrement, rester fatigué un petit moment mais ce n’est pas grave. Les boutons, ça se voit fréquemment dans cette maladie. La seule chose bizarre, c’est que je ne trouve pas de ganglions alors que, d’habitude, il y en a des gros, mais bon… »

Et au moment où je dis ça, Robin à une quinte de toux.

Et je m’arrête. Un flash.

« Euh… attendez un instant, je vérifie juste une chose. »

J’hésite un peu entre « Kolpik », « Koplik » et « Klopik », finis par taper « Koplik » dans Google image et je tombe sur ça :

Koplik (signe de)

Déf. : Il consiste en taches rouges dont le centre est occupé par un point blanc bleuâtre, arrondi, légèrement saillant et ne dépassant jamais 1 mm, apparaissant à la face interne des joues. C’est un signe pathognomonique de la rougeole.

(S’il y en a qui voient un aspect bleuâtre sur la photo, qu’ils m’écrivent. Merci)

Merci donc aux parents de Robin d’avoir pensé que la rougeole ce n’était pas si sérieux que ça et que la vaccination des autres protégerait indirectement leur fiston. Grâce à eux, j’ai vu une maladie que je croyais ne jamais rencontrer de ma carrière !

Pour rappel, quand même, la rougeole peut être une maladie grave. C’est la troisième cause de mortalité infantile en Afrique après le paludisme et les diarrhées (2 millions de morts par an).

Après avoir quasiment disparu d’Europe, l’épidémie redémarre. D’abord en Grande-Bretagne et à présent en France en raison de la baisse de la couverture vaccinale. C’est ballot parce que c’est une maladie que l’on pourrait éradiquer vu qu’il n’y a aucun réservoir en-dehors de l’être humain.

Sur ce, faut que je vous laisse, m’en vais réviser les symptômes de la peste, de la lèpre et de la variole…

Chère Roselyne,

Permets-moi tout d’abord de te féliciter pour ta reconduction au Ministère. C’est là un beau témoignage de la progression de la parité en politique. En effet, quel meilleur exemple que de constater qu’une femme n’a plus besoin d’être compétente pour être considérée à l’égal des hommes ?

Permets-moi aussi, j’espère, ce tutoiement qui se veut bien plus républicain que familier.

Je sais que la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 n’a pas été un franc succès et que c’est une croix bien lourde que tu as à porter. Ce n’est pas mon ami Christian Lehmann qui dira le contraire. C’est pourquoi je suis désolé de devoir te retourner encore le couteau dans la plaie.

Fin janvier, tu nous as enfin autorisés, simples généralistes que nous sommes, à pouvoir vacciner nos patients. Le geste était sympathique mais un peu tardif puisque nous savions déjà tous que l’épidémie était terminée depuis quelques semaines. Certes, tu répétais à qui voulait l’entendre qu’on n’était pas vraiment sûr et qu’il pourrait y avoir une deuxième vague… plus tard, au printemps, pour la Pâques ou à la Trinité. Les experts et autres relais d’opinion répétaient en choeur le message.

On savait bien, nous, qu’il n’y avait pratiquement aucun risque et, de fait, nous n’avons rien vu venir. Même pas une vaguelette. La plage est restée calme.

Aussi j’ai été bien embêté quand un de mes petits papis de 92 ans s’est présenté le 1er février avec la lettre à en-tête que tu lui avais adressée pour lui dire que, ça y était, son tour était venu de se faire vacciner.

Le problème, c’est que c’était un papi très, très gentil mais aussi très, très sourd et chez qui je dois toujours tout expliquer deux ou trois fois.

Je lui ai dit en hurlant « Vous êtes sûr de vouloir vous faire vacciner ? Vous savez, l’épidémie de grippe est terminée cette année. »

Et lui de me répondre : « Mais, c’est marqué là que je dois me faire vacciner. » En me tendant le bon.

Là, je l’avoue, je n’ai pas voulu prendre les probables 20 minutes nécessaires pour essayer de lui expliquer, en ruinant mes cordes vocales, la situation et l’inutilité de cette injection. Essayer de lui faire comprendre que celle-ci ne servait probablement à rien mais que celle qu’on fait chaque année à l’automne servait probablement à quelque chose. Mais qu’on n’était pas vraiment sûr de tout ça. Et que la grippe saisonnière et la H1N1 ce n’était pas vraiment différent mais que les vaccins ce n’était pas les mêmes…

J’ai été lâche et j’ai abdiqué devant l’en-tête de la République Française.

J’ai préféré prendre 3 minutes pour traverser la rue et aller chercher une boîte de vaccins à la pharmacie en face.

Et je l’ai vacciné.

Comme à ce moment là, il n’y avait pas de vaccins à l’unité, je me suis retrouvé avec une boîte de 10 sur les bras.

Aujourd’hui, il m’en reste donc toujours 9 qui seront périmés en août et, vraiment, je ne vois pas ce que j’en ferai.

C’est pourquoi je te renvoie cette boite, peut-être en auras-tu l’utilité ? Tu avais l’air de tellement t’amuser lorsque tu te faisais vacciner devant les caméras.

Dans le pire des cas, je sais que ça te consolera un peu de savoir que c’est 9 doses de vaccins fichues pour les patients mais pas fichues pour le cours de Novartis.

Et que ça fera toujours 9 doses de plus pour présenter des statistiques un peu moins ridicules aux enquêteurs parlementaires.

Dans l’immédiat, permets-moi de te présenter, chère Roselyne, mes salutations les plus républicaines.

Ligne rouge

Jeunes parents. Premier enfant mort 10 heures après être né. Prise en charge visiblement pas optimale. Drame. Mauvaise communication. Méfiance maximale vis-a-vis du milieu médical.

Ils étaient venus me voir avec leur petite fille. La deuxième. Et puis pour eux aussi. Le contact s’était noué sur le mode hard. Surtout qu’ils étaient assez branchés naturopathie. Jusqu’à un certain point, ça ne me posait pas de problème. Chaque décision devait être discutée, argumentée mais, en y allant doucement, on s’était petit à petit apprivoisés.

Ça faisait un petit moment que je ne les avais pas vus, tout allait bien. Je les revois pour une bricole. En ouvrant le dossier de la petite, j’ai une alerte automatique qui s’allume « rappel DTP ».

– Tiens ! Il va falloir faire le rappel du tétanos.

– Non, nous ne le ferons pas.

– Comment ça ?

– Nous en avons discuté avec mon mari, nous ne voulons plus faire aucun vaccin.

Et de m’expliquer toutes les horreurs qu’ils ont pu glaner sur l’internet au sujet de l’industrie pharmaceutique en général et des vaccins en particulier.

Et moi de commencer à exposer tout mon argumentaire pour patients rétifs aux vaccins (je n’y arrive pas trop mal en général). J’essaie de leur dire que, bon…, pour l’industrie je n’ai aucune tendresse non plus, que je m’en méfie, qu’ils savent très bien que je prescris globalement peu de médicaments et presque jamais les dernières nouveautés. Mais qu’il ne faut pas pour autant tout rejeter en bloc et que les vaccins, avec l’hygiène et les antibiotiques, sont quand même ce qui a révolutionné notre état de santé.

Je leur dis que même si je ne trouve pas ça très malin et que j’essaierai de les convaincre, s’ils ne veulent pas faire le ROR ni l’hépatite B, je ne me fâcherai pas avec eux. Que, pour ce qui les concernait eux-même, s’ils ne voulaient plus se faire vacciner, c’était idiot mais c’était leur droit.

Par contre pour un enfant. De un, c’est illégal. De deux, et surtout, c’est irresponsable parce que le tétanos, en vivant à la campagne, il n’y a aucun moyen autre que le vaccin d’écarter complètement le risque. Et que le tétanos, c’est une maladie mortelle.

« Je crois que nous devons nous mettre d’accord que nous ne sommes pas d’accord. » Me dit-elle.

En général, je garde à peu près mon calme pour gérer mes cancres mais là, je n’ai plus réussi à rester serein. Je n’ai pas hurlé mais j’étais en colère. Et du coup, probablement, plus du tout professionnel.

J’ai quand même examiné la gamine pour l’otite pour laquelle ils étaient venus. Rien de bien méchant.

Et je leur ai expliqué que, pour le coup, je ne pouvais pas « être d’accord de ne pas être d’accord », qu’en cas d’urgence je serai toujours là mais que, s’ils ne changeaient pas d’avis, il valait mieux qu’ils trouvent un autre médecin. Parce que, sinon, chaque consultation serait à l’avenir une épreuve de force, que je serai toujours en colère et qu’on ne ferait rien de bien ensemble.

J’ai fait l’ordonnance pour l’otite et ils sont partis.

Cette histoire m’a tourneboulé jusqu’au soir et, aujourd’hui encore, je ne sais pas ce que j’aurais dû faire.

Faire ce que j’ai fait en me disant qu’ils n’allaient visiblement pas changer et qu’on ne pourrait rien faire de valable ? Que, à choisir, je préférais ne plus les voir et qu’ils trouvent un confrère qui arriverait à se convaincre que ce n’était pas sa responsabilité à lui ? Quitte à les envoyer chez un charlatan en blouse blanche qui leur signera un certificat de complaisance ?

Ou bien réussir à trouver la sérénité nécessaire pour accepter de passer là-dessus en me disant qu’il fallait maintenir le lien thérapeutique et que, à la longue, j’arriverai à les convaincre ? Quitte à prendre le risque que la gamine fasse un jour un tétanos et que ce soit moi qui m’en sente responsable ?

Est-ce qu’on peut se permettre d’avoir des lignes rouges ?