Il y a quelque temps, je téléphonais à ma mère, pour prendre des nouvelles. Nous avons raccroché de manière un peu précipitée. Pas vraiment fâchés, mais quand même.
— Oh, en ce moment, tout le monde est malade autour de nous ! J’ai appelé notre voisine, Mme Dupont. Elle avait une drôle de voix. En fait, on vient de trouver un cancer du sein chez sa fille. Elle a été opérée et elle a de la chimio : elle a perdu tous ses cheveux.
— Oui, OK, c’est moche pour elle.
— Et puis, il y a Monsieur Durand : il a dû aller aux urgences. Il avait une sacrée pneumonie, il a même craché du sang.
— Mmmh…
— Et ce n’est pas tout, il y a aussi Madame…
— Maman, ça va. Tu ne veux pas me parler d’autre chose que d’histoires de maladies. J’entends ça toute la journée.
— Oh bon, je te parle des gens qu’on connait, de ce qui se passe autour de nous.
Elle n’avait pas vraiment tort. Les questions de santé occupent une bonne part des discussions de tous les jours. Quoi de plus naturel ?
D’autant plus qu’en s’adressant à un médecin, on attend une certaine expertise, un éclairage supplémentaire. Et puis, il n’est pas illogique de se dire que ça va l’intéresser.
Les autres je ne sais pas. Mais, moi, je ne supporte pas.
Toute la journée, ou presque, je parle de maladie, de mort, de cancer, de douleurs, de dépression. Bien sûr, il y a des instants heureux, mais, tout de même, les gens viennent surtout nous voir quand ils ne vont pas bien.
Et toute cette souffrance me pompe.
Elle pompe mon énergie. Tous ces malheurs, toute cette douleur, même quand on a appris à se préserver et à garder une certaine distance, c’est fatigant.
C’est mon boulot, je l’ai choisi et je l’aime. J’accepte ça. Je prends ces nuages et ce brouillard, je les prends pour les moments de soleil.
Lors d’une consultation, je ne compte pas mon temps et je tâche d’être totalement à l’écoute. Si vous venez m’évoquer vos soucis et vos maladies, tant que vous serez dans mon bureau, il n’y aura que ça d’important à mes yeux. Mais, vraiment, quand j’ai quitté le cabinet, c’est fini. Je ne supporte plus d’entendre parler de problèmes de santé. Je pourrais presque en être agressif. Je veux du rose et du doré, du miel et du lait.
C’est aussi pour ça que j’habite un peu à l’écart, à quelques kilomètres du cabinet. C’est pour ça que je redoute d’avoir à me rendre dans les commerces du coin.
Si vous croisez votre médecin par hasard, en-dehors de son lieu de travail, vous pouvez aller lui dire bonjour, bavarder de choses et d’autres comme vous papoteriez avec n’importe quelle connaissance.
Mais, de grâce, ne lui parlez pas de santé. Ni de la vôtre, ni de celle des autres.
En tout cas, ne m’en parlez pas à moi. Parce que, en dehors de mon cabinet, et sauf si vous êtes de ma famille ou de mes amis proches, ça ne m’intéresse pas.