Un soir, de garde. Le téléphone sonne vers vingt-trois heures.
— Bonjour, ici la régulation du 15. Pouvez-vous voir une dame de quatre-vingt-sept ans qui a fait un malaise et qui se sent oppressée ?
— Groumpf ! Ok, eh bien, j’y vais.
Douze kilomètres de voiture plus tard, j’arrive devant la maison. Le mari m’attend à la porte-fenêtre.
Son épouse est sur le canapé. Elle fait bien quinze ans de moins que son âge.
— Bonsoir ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— J’ai fait un malaise. Je suis tombée d’un seul coup, plus rien ne me tenait, mais je n’ai pas perdu connaissance…
Lui : Elle est tombée comme ça, ici. J’ai essayé de la rattraper, mais je n’avais pas assez de force.
— Bon, d’accord. Et, là, vous vous sentez comment ?
— Un peu oppressée dans la poitrine. Mais ça va mieux.
Lui : C’est arrivé il y a déjà une heure. On ne savait pas quoi faire. Comme elle trouvait que son cœur battait vite, elle a pris un Atarax que lui prescrit le Dr Moustache.
J’examine la dame, je lui fais un électrocardiogramme. Je me félicite qu’il y ait un ancien tracé à la maison pour vérifier si les anomalies que je trouve y étaient déjà. Oui, bon.
— Vous avez combien de tension d’habitude ? Parce que là vous avez 20 sur 9…
— Le Dr Moustache me dit tout le temps qu’elle est normale. Mais il faut que je vous avoue : il y a six mois, le cardiologue a voulu me changer le traitement. Mais j’avais peur que ça augmente les diarrhées que j’ai toujours. Du coup j’ai arrêté le médicament qu’il me disait, mais je n’ai pas pris le nouveau qui…
Lui : Il faut que tu lui expliques tout ! Alors, voilà, il y a trois ans, elle a vu le cardiologue, qui lui a prescrit un médicament qui…
— Bon, d’accord, mais on va rester sur l’urgence, là, si vous voulez bien. Madame : vous avez un peu d’eau dans les poumons et les jambes gonflées, je pense que vous faites une petite poussée d’insuffisance cardiaque. Et de toute manière, un malaise comme vous avez fait, ce n’est peut-être rien de méchant, mais il faut le prendre comme un signal d’alerte. Je vous envoie à l’hôpital.
Lui : En cardiologie ?
— Probablement en cardiologie, mais elle va d’abord transiter par les Urgences pour voir un peu mieux ce qu’il se passe.
— Ah non ! les Urgences, j’y étais il y a deux ans pour mon infarctus. J’y ai traîné trois jours. Avec des lumières, du bruit, partout. S’il m’arrivait de nouveau quelque chose, je préfère crever à la maison que d’aller aux Urgences.
— Oui, mais, là, c’est pour votre épouse.
Elle : C’est vrai que tu ne me remontes pas beaucoup le moral.
Lui : Et ça ne peut pas attendre demain matin ? … Comment je vais faire, moi, à quatre-vingt-sept ans ?!
— Non, ça ne serait pas raisonnable de la laisser ici jusqu’à demain matin.
Dans l’attente de l’ambulance, la consultation s’est poursuivie de la même manière.
Elle qui essayait de ne pas paniquer, mais que je voyais fébrile.
Et lui qui parlait. Beaucoup. Dur, presque dans l’agressivité. Et qui ne parlait que de lui.
L’ambulance est arrivée. Ils ont pris la dame en charge.
Au moment de sortir de la maison, je les ai aperçus s’embrasser. Il avait les yeux rouges et ses larmes coulaient.
Et j’ai mieux compris. Ce n’était probablement pas un homme égoïste et dur. C’était simplement un homme qui avait la trouille.