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Pauvres de nous

« Grossesse : évitez les antalgiques », « Le paracétamol, facteur de risque pour les fœtus », « Les antalgiques déconseillés pendant la grossesse ».

Voici quelques grands titres de la presse francophone de ces derniers jours. Tout en nuances.

A l’origine de ces articles, une étude parue dans la revue Human Reproduction et signée par des chercheurs danois, finlandais et français.

De quoi s’agit-il ?

Cette étude avait pour objectif d’étudier l’impact de la prise de médicaments antalgiques usuels (Paracétamol, Ibuprofène et Aspirine) sur la survenue d’une malformation affectant les nouveau-nés masculins : la cryptorchidie (Les testicules se forment dans l’abdomen des fœtus et descendent normalement au cours de la grossesse pour prendre leur place dans les bourses. La cryptorchidie, c’est quand un testicule, ou les deux, ne descend pas complètement).

Pour étudier ceci, les chercheurs ont combiné deux volets : une étude épidémiologique chez des femmes enceintes danoises (1 040 garçons examinés) et finlandaises (1 470) et une étude expérimentale sur des rats.

Il est important de noter que le volet humain correspond à une étude épidémiologique descriptive. Ce type d’étude permet d’établir une corrélation mais n’autorise en aucun cas à affirmer un lien de cause à effet. On peut uniquement le soupçonner.

Que démontre-t-elle ?

(pour ceux qui veulent zapper la partie aride, rendez-vous plus bas à « Mais, mais, mais »)

D’une part que l’administration de Paracétamol et d’Aspirine chez la rate entraîne un surcroît de cryptorchidie, d’autant plus que les doses administrées sont importantes.

D’autre part qu’il semble exister, non pas UN mais DES liens statistiques entre la prise d’antalgiques par les femmes enceintes et la survenue d’une cryptorchidie chez les garçons nouveau-nés.

Pourquoi ces réserves ?

Déjà parce que l’étude a choisi de ne retenir que 491 des 1 040 mères danoises. En effet, dans l’étude danoise, les mères étaient interrogées sur leur consommation médicamenteuse soit par un auto-questionnaire écrit qui demandait s’il y avait eu « des prises médicamenteuses », soit par un entretien téléphonique au cours duquel on leur demandait expressément si elles avaient pris des antalgiques, soit avec les deux méthodes combinées. Or 56% des mères interrogées par téléphone ont déclaré une prise d’antalgiques contre seulement 26% de celles ayant utilisé l’auto-questionnaire et pour lesquelles, vraisemblablement, la prise d’antalgiques banaux était négligeable et ne correspondait pas à « des prises médicamenteuses ».

Au final, les chercheurs ont choisi de ne retenir pour l’analyse que les femmes interrogées par téléphone, considérant leurs données comme plus fiables. L’argument se tient.

Sauf que, dans une étude scientifique rigoureuse, exclure ainsi a posteriori plus de la moitié d’un échantillon, ça ne se fait pas. Si cette exclusion répond à un motif légitime, ce qui est le cas, c’est au minimum que l’étude a été mal conçue et planifiée et ça plombe sérieusement l’intérêt des résultats.

Par ailleurs, une grande spécialité des chercheurs et des statisticiens, c’est de découper leurs études en petits morceaux. Ce n’est pas illégitime et ça peut apporter des renseignements intéressants pour peu que, du coup, on ne fasse pas dire aux conclusions plus que ce qu’elles méritent.

En l’occurrence, un lien statistiquement significatif a été établi dans certaines comparaisons du groupe danois. Mais sur les 30 calculs statistiques publiés, 20 ne montrent pas de différence « statistiquement significative » (ce qui veut dire, conventionnellement, qu’il y a plus de 5 % de chances que le seul hasard explique les différences observées) simplement, parfois, des « tendances ».

En particulier, il n’y a pas de lien statistiquement significatif :

–          dans aucune des comparaisons du groupe finlandais

–          pour le paracétamol, sauf lorsqu’il est pris durant plus de deux semaines au total

Visiblement, le risque concerne essentiellement l’association de plusieurs antalgiques, l’aspirine et l’ibuprofène et la prise d’antalgiques durant plus de deux semaines au total.

L’article conclut assez sobrement et simplement par « L’ensemble de ces résultats tend vers un scénario dans lequel l’utilisation des antalgiques a un effet possible sur le développement fœtal avec des implications pour la future capacité reproductive. C’est pourquoi des explorations complémentaires sont absolument nécessaires (…) ».

OK, jusque là, pas trop de soucis. C’est une étude intéressante, pas tout à fait exempte de reproches méthodologiques, mais qui présente l’avantage de combiner un volet épidémiologique et un volet expérimental apportant des arguments physiopathologiques.

MAIS, MAIS, MAIS…

Une autre étude a été publiée au même moment dans une revue non moins prestigieuse, signée par des chercheurs non moins éminents.

Cette recherche a étudié, chez 47 400 garçons danois nouveau-nés (excusez du peu), le lien entre antalgiques et cryptorchidie. Oui, vous avez compris, c’est pratiquement la même étude, faite dans le même pays. Le Danemark ayant la plus forte incidence mondiale de cryptorchidie, on comprend qu’ils s’y intéressent.

La conclusion ? Aucun lien statistiquement significatif n’a été établi avec la prise d’aspirine ou d’ibuprofène. Le seul lien établi a été l’augmentation modérée (33%) du risque en cas de prise de paracétamol, en particulier pour des durées supérieures à 4 semaines.

Bref, c’est le bordel : les deux études se contredisent assez largement.

Décidément, la science c’est compliqué et les chercheurs ont parfois bien du mal à se mettre d’accord entre eux.

On pourra remarquer que cette seconde étude n’a été reprise par aucun média grand public. Peut-être aussi ces chercheurs avaient-ils moins bien soigné leur communication

Que penser de tout ça ?

Il existe vraisemblablement un lien modéré entre la prescription d’antalgiques et l’apparition de cryptorchidies. Cette augmentation du risque ne semble vraiment sensible que pour des doses assez importantes, des durées prolongées et en cas d’association de plusieurs antalgiques.

Il faut, en effet, des études complémentaires pour préciser les choses et il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la prise d’un médicament n’est jamais totalement anodine, et en particulier chez la femme enceinte.

Pas plus que d’autres choses au demeurant puisque, parmi les facteurs de risques démontrés de la cryptorchidie, on trouve : le régime végétarien (pas de bol pour les « naturopathes » anti-médicaments), la supplémentation en fer (qui est quand même préférable à une bonne anémie), l’exposition aux pesticides (risque multiplié par 1,7 chez les mères travaillant dans le jardinage) ou aux phtalates.

Par ailleurs, une cryptorchidie ce n’est pas super génial mais ce n’est pas mortel non plus. Ça se diagnostique très simplement en examinant le nouveau-né et ça se corrige par une intervention chirurgicale. Si celle-ci est réalisée suffisamment tôt après la naissance, il n’y a généralement pas de conséquences à long terme.

En tout cas, rien ne justifie d’avoir ainsi affolé la population et en particulier les femmes enceintes ou susceptibles de l’être. Rien ne méritait que l’on mette à la une des journaux des titres pareils. Rien n’autorisait à dramatiser les choses en rappelant dans ces articles que la cryptorchidie est un « facteur d’infertilité voire de cancer du testicule ».

Comme s’il fallait les traumatiser encore davantage les femmes enceintes. Comme si on ne leur expliquait pas déjà que tout est dangereux. Comme si le moindre écart au dogme n’était pas déjà le témoin de leur totale irresponsabilité.

Et encore ! Les Français ont échappé aux déclarations aussi gratuites que fracassantes de l’un des auteurs danois de l’étude, largement relayé par la presse anglophone, affirmant que « les antalgiques constituent de loin la principale source d’exposition aux perturbateurs endocriniens chez les femmes enceintes (…) Un seul comprimé de paracétamol constitue un potentiel de perturbation endocrinienne plus important que l’exposition combinée aux dix perturbateurs environnementaux connus durant toute la grossesse. Un seul comprimé va en fait plus que doubler l’exposition d’une grossesse aux perturbateurs endocriniens. » (!!!).

Alors, moi je propose que l’on prenne ces « journalistes santé » qui se contentent de recracher des communiqués de presse pour faire du sensationnel, infoutus qu’ils sont de chercher l’information à la source et de la critiquer avec un peu de distance.

Et puis qu’on prenne les chercheurs qui confondent diffusion du savoir et médiatisation de leur gloire. Qui choisissent d’affoler les médias pour se faire mousser et pour griller le scoop de l’équipe concurrente. Et qui se foutent totalement des conséquences de leur vanité.

Qu’on prenne donc ces pseudo-« journalistes santé » et puis qu’on les pende avec les tripes de ces chercheurs. Haut et court.

Parce que ce cher chercheur danois, je trouve quand même qu’il ne manque pas d’air. Après avoir mis le feu, il nous explique que, désolé, mais il n’est pas pompier : « Les femmes pourraient désirer diminuer leur consommation d’antalgiques durant la grossesse. (Mais oui, crétin, les antalgiques on les prend pour le fun) Cependant, en tant que biologistes, ce n’est pas de notre ressort de conseiller les femmes à ce sujet. Nous recommandons aux femmes enceintes de prendre l’avis de leur médecin avant d’utiliser des antalgiques. »

Ah ça c’est sûr, je sens qu’on n’a pas fini de ramer entre les explications complexes, la trouille du procès et la nécessité de soulager nos patientes.

Les psychiatres ont de beaux jours devant eux ! « Mon fils a des problèmes de fertilité. C’est de ma faute ! Je me rappelle que pendant ma grossesse, j’avais pris une fois ou deux du Paracétamol pour ces foutues migraines. Je m’en veux tellement… »

Parce qu’il faudra quand même me dire ce que qu’on pourra prescrire sereinement à une femme enceinte qui a 40° de fièvre. Vu que la fièvre elle-même est tératogène. « Vous préférez la spina bifida ou la cryptorchidie ? Et puis signez moi, s’il-vous-plaît, ce papier qui atteste que je vous ai bien informé des risques. Voilà, au-revoir et bon courage. Mais ne stressez pas trop quand même ! »

En même temps, elles ne pourront pas dire qu’elles n’étaient pas prévenues…

« L’Eternel dit à la femme : J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. »

Genèse 3,16

***

Post-scriptum (édition le 14/11 19:00) Dans le prolongement de ce billet, pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce qu’il convient de faire de l’étude publiée dans Human Reproduction, Openblueeyes a publié un billet à la fois complet et limpide.

Passe-moi le sel

Je suis régulièrement effaré de voir passer sur une même ordonnance des antihypertenseurs, et en particulier des diurétiques, et des formes de Paracétamol effervescentes.

Les besoins physiologiques en sel sont d’environ 3 grammes par jour.

Le Français moyen ingère environ 10 grammes par jour et 20 % des personnes ingèrent plus de 12 grammes par jour (rapport INSERM).

L’OMS recommande de ne pas dépasser 5 grammes par jour. La plupart des recommandations considèrent comme acceptable une consommation de 6 à 8 grammes chez un adulte en bonne santé.

La limite de 5 à 6 grammes est le plus souvent fortement recommandée chez un patient hypertendu.

Bon, et qu’en est-il des comprimés effervescents en question ? Le service Pharmacie du Centre Hospitalier de Béthune a fait une excellente synthèse.

Doliprane 1g effervescent =1,0 g de sel / comprimé

Efferalgan 1g effervescent = 1,4 g de sel / comprimé

Efferalgan 500mg effervescent = 1,0 g de sel / comprimé

Pour rappel : 1 g de sodium = 2,5 g de « sel » (alias chlorure de sodium, NaCl)

Le petit papi qui prend gentiment ses 3 fois 2 comprimés d’Efferalgan 500 par jour (un grand classique), il est déjà à 6 g de sel par jour et il n’a pas encore commencé à manger !

Ça vaut bien le coup de lui mettre de l’Hydrochlorthiazide ou du Furosémide…