Dans un commentaire du billet « Cher ami hospitalier », Erwan écrivait :
« Je voudrais comprendre pourquoi, sur quelles obscures recommandations, sur quelle étude en double aveugle sur échantillon représentatif, à quelle sourate du coran ils se réfèrent pour faire ressortir tous mes patients traités par IPP et hospitalisés munis d’une ordonnance d’inexium…
Aux chiottes les lanzo, omé et autres panto ! Au pinacle l’ésomé (certains prennent bizarrement la peine de le prescrire en DCI…hypocrisie ?).
Et moi pauvre capiste qui doit repasser derrière pour tout remettre en état et expliquer aux patients mon refus systématique (et antérieur au capi) de prescrire cette molécule.
On me dit que l’hôpital a un contrat avec le labo et que le seul IPP disponible chez eux est celui là.
Certes, je peux comprendre que dans un but louable d’économies, et par un habile mais obscur système d’échanges le pharmacien ait fait ce choix.
Mais pourquoi diable donc les médecins l’entérinent ils ?
Par flemme ?
Non…impossible… » (*)
Comme je l’ai déjà indiqué, il me semble que ce commentaire est en-deça de la réalité. Ce ne sont pas seulement les « patients traités par IPP » qui reviennent avec de l’Inexium, ce sont presque systématiquement TOUS les patients.
L’explication est en fait assez simple et pas si obscure que ça.
Le médicament à l’hôpital ne suit pas du tout les mêmes règles qu’en ville. Depuis 1987, son prix n’est plus réglementé (il existe simplement, depuis 2004, un encadrement pour les traitements « coûteux »). Le pharmacien hospitalier lance des appels d’offres pour acquérir les produits dont il a besoin au niveau de son établissement.
Généralement, il va référencer une, voire deux, substance par classe. Il n’est pas nécessaire d’avoir tous les IEC sous la main mais seulement un ou deux puisqu’ils sont assez largement interchangeables. Idem pour les macrolides, les ARA2 et… les IPP.
Le pharmacien hospitalier lance donc un appel d’offres du type « Qui me fait le meilleur prix pour 1 000 boîtes d’IPP pleine dose ??? »
M. Astrazeneca répond un truc du genre : « 1 000 boîtes ? Pas de problème ! Je vous offre 1 000 boîtes d’Inexium. Non, non, non, ne dites rien, ça me fait plaisir. C’est pour moi. Et puis, c’est Noël ! »
Le pharmacien hospitalier se dit alors quelque chose comme : « 1 000 boîtes gratuites ! Oo Chic alors, la bonne affaire que voilà ! Avec toutes ces économies, je vais peut-être pouvoir payer les trithérapies et les chimios qui me coûtent un max (et qui ne sont pas, elles, interchangeables). »
Le médecin de l’hôpital, lorsqu’il y a besoin d’un IPP note donc « Inexium » puisque c’est le seul qu’il a sous la main et que, en effet, c’est aussi efficace.
Lors de la sortie, c’est bien souvent l’interne qui rédige la prescription et qui va généralement recopier sur l’ordonnance le traitement qui était celui donné durant le séjour :
- Parce que, en effet, ça peut être pénible et compliqué, de retrouver le traitement d’avant et que « c’est pareil ». Le terme de « flemme » qu’utilise Erwan me semble donc juste mais un poil excessif.
- Parce que dans la logique d’un interne (et de beaucoup de médecins généralistes), le traitement donné lors de l’hospitalisation est forcément le meilleur possible, celui qu’on a soigneusement et laborieusement optimisé (et c’est en grande partie vrai) et qu’il est donc parfaitement raisonnable de le poursuivre lors de la sortie.
Comme beaucoup de généralistes n’osent pas modifier un traitement mis au point à l’hôpital par peur (« S’il arrive quelque chose et que j’ai changé le traitement, on me le mettra sur le dos. ») ou par manque de temps/de courage (changer une prescription hospitalière nécessite un vrai travail d’explication et de conviction), ils maintiennent l’Inexium. Pendant des années.
Et M. Astrazeneca, qui est bien plus malin que philanthrope, se dit qu’il a bien eu raison d’offrir ces 1 000 boîtes puisqu’elles vont finalement générer la vente de 10 000 autres boîtes en ville. Payées au prix fort.
Ceci marche aussi, par exemple, en remplaçant « Inexium » par « Coversyl » et « M. Astrazeneca » par « M. Servier ».
Pour moi, le vrai mystère est ailleurs. Je ne comprends pas pourquoi les patients hospitalisés sont presque systématiquement mis sous IPP. J’imagine qu’il doit y avoir une sorte de terreur de « l’ulcère de stress » qui me semble relever plus du loup-garou que d’une démarche scientifiquement validée (si quelqu’un connait des études, je suis preneur).
Alors, oui, c’est vraiment pénible mais il faut reconnaître qu’avec le fonctionnement actuel c’est assez imparable. Il nous reste surtout à espérer que les hospitaliers soient un peu plus vigilants sur la question de l’optimisation des coûts de leurs prescriptions (à qualité égale, autant prendre le moins cher) ce qui n’est pas du tout dans leur culture.
Surtout, ils devraient prendre l’habitude de se poser la question lors des sorties d’hospitalisation : « Bon… ce médicament qu’il avait durant son séjour à l’hôpital, est-il encore nécessaire à domicile ? »
Parce qu’au-delà de l’Inexium, énervant mais sans gravité, ça éviterait aussi quelques conneries avec les somnifères chez les patients âgés. Et, là, c’est vraiment un problème médical.
Quant aux généralistes, ils devraient être un peu plus confiants en eux-même : les prescriptions hospitalières ne sont pas forcément parole d’Evangile et on a le droit de les modifier si on a de bonnes raisons de le faire.
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