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Miettes

Cher confrère de l’hôpital,

Merci de t’être occupé de Michel. A 85 ans, sa situation n’était pas simple et tu es parvenu, au moins temporairement, à le remettre sur pieds.

C’est simplement un peu dommage de lui avoir laissé, une nouvelle fois, un somnifère qu’il n’avait jamais pris jusque là. Entre l’hospitalisation et la convalescence, ça fait cinq semaines qu’il le prend et il est déjà accro : on a essayé de l’enlever et il n’y arrive pas.

Tellement classique mais toujours un peu dommage.

Surtout, je voulais te féliciter. Ou, plus précisément, féliciter tes infirmières pour être particulièrement habiles et précises.

Ce qui n’est pas vraiment le cas de Michel avec ses mauvais yeux et ses gros doigts.

C’est pourquoi, je me dis que ce n’était pas une très bonne idée de l’avoir laissé rentrer avec un nouveau traitement anticoagulant sous la forme de « Minisintrom 3/4 par jour ».

Parce que « Minisintrom 3/4 par jour », ça donne ceci :

Et, ça, pour Michel, c’est juste pas possible.

P.S. Grange Blanche avait déjà évoqué le sujet des comprimés d’AVK il y a quelques années.

Inexium. Avec un ‘x’ comme multiplier.

Dans un commentaire du billet « Cher ami hospitalier », Erwan écrivait :

« Je voudrais comprendre pourquoi, sur quelles obscures recommandations, sur quelle étude en double aveugle sur échantillon représentatif, à quelle sourate du coran ils se réfèrent pour faire ressortir tous mes patients traités par IPP et hospitalisés munis d’une ordonnance d’inexium…
Aux chiottes les lanzo, omé et autres panto ! Au pinacle l’ésomé (certains prennent bizarrement la peine de le prescrire en DCI…hypocrisie ?).
Et moi pauvre capiste qui doit repasser derrière pour tout remettre en état et expliquer aux patients mon refus systématique (et antérieur au capi) de prescrire cette molécule.
On me dit que l’hôpital a un contrat avec le labo et que le seul IPP disponible chez eux est celui là.
Certes, je peux comprendre que dans un but louable d’économies, et par un habile mais obscur système d’échanges le pharmacien ait fait ce choix.
Mais pourquoi diable donc les médecins l’entérinent ils ?
Par flemme ?
Non…impossible… » (*)

Comme je l’ai déjà indiqué, il me semble que ce commentaire est en-deça de la réalité. Ce ne sont pas seulement les « patients traités par IPP » qui reviennent avec de l’Inexium, ce sont presque systématiquement TOUS les patients.

L’explication est en fait assez simple et pas si obscure que ça.

Le médicament à l’hôpital ne suit pas du tout les mêmes règles qu’en ville. Depuis 1987, son prix n’est plus réglementé (il existe simplement, depuis 2004, un encadrement pour les traitements « coûteux »). Le pharmacien hospitalier lance des appels d’offres pour acquérir les produits dont il a besoin au niveau de son établissement.

Généralement, il va référencer une, voire deux, substance par classe. Il n’est pas nécessaire d’avoir tous les IEC sous la main mais seulement un ou deux puisqu’ils sont assez largement interchangeables. Idem pour les macrolides, les ARA2 et… les IPP.

Le pharmacien hospitalier lance donc un appel d’offres du type « Qui me fait le meilleur prix pour 1 000 boîtes d’IPP pleine dose ??? »

M. Astrazeneca répond un truc du genre : « 1 000 boîtes ? Pas de problème ! Je vous offre 1 000 boîtes d’Inexium. Non, non, non, ne dites rien, ça me fait plaisir. C’est pour moi. Et puis, c’est Noël ! »

Le pharmacien hospitalier se dit alors quelque chose comme : « 1 000 boîtes gratuites ! Oo Chic alors, la bonne affaire que voilà ! Avec toutes ces économies, je vais peut-être pouvoir payer les trithérapies et les chimios qui me coûtent un max (et qui ne sont pas, elles, interchangeables). »

Le médecin de l’hôpital, lorsqu’il y a besoin d’un IPP note donc « Inexium » puisque c’est le seul qu’il a sous la main et que, en effet, c’est aussi efficace.

Lors de la sortie, c’est bien souvent l’interne qui rédige la prescription et qui va généralement recopier sur l’ordonnance le traitement qui était celui donné durant le séjour :

  • Parce que, en effet, ça peut être pénible et compliqué, de retrouver le traitement d’avant et que « c’est pareil ». Le terme de « flemme » qu’utilise Erwan me semble donc juste mais un poil excessif.
  • Parce que dans la logique d’un interne (et de beaucoup de médecins généralistes), le traitement donné lors de l’hospitalisation est forcément le meilleur possible, celui qu’on a soigneusement et laborieusement optimisé (et c’est en grande partie vrai) et qu’il est donc parfaitement raisonnable de le poursuivre lors de la sortie.

Comme beaucoup de généralistes n’osent pas modifier un traitement mis au point à l’hôpital par peur (« S’il arrive quelque chose et que j’ai changé le traitement, on me le mettra sur le dos. ») ou par manque de temps/de courage (changer une prescription hospitalière nécessite un vrai travail d’explication et de conviction), ils maintiennent l’Inexium. Pendant des années.

Et M. Astrazeneca, qui est bien plus malin que philanthrope, se dit qu’il a bien eu raison d’offrir ces 1 000 boîtes puisqu’elles vont finalement générer la vente de 10 000 autres boîtes en ville. Payées au prix fort.

Ceci marche aussi, par exemple, en remplaçant « Inexium » par « Coversyl » et « M. Astrazeneca » par « M. Servier ».

Pour moi, le vrai mystère est ailleurs. Je ne comprends pas pourquoi les patients hospitalisés sont presque systématiquement mis sous IPP. J’imagine qu’il doit y avoir une sorte de terreur de « l’ulcère de stress » qui me semble relever plus du loup-garou que d’une démarche scientifiquement validée (si quelqu’un connait des études, je suis preneur).

Alors, oui, c’est vraiment pénible mais il faut reconnaître qu’avec le fonctionnement actuel c’est assez imparable. Il nous reste surtout à espérer que les hospitaliers soient un peu plus vigilants sur la question de l’optimisation des coûts de leurs prescriptions (à qualité égale, autant prendre le moins cher) ce qui n’est pas du tout dans leur culture.

Surtout, ils devraient prendre l’habitude de se poser la question lors des sorties d’hospitalisation : « Bon… ce médicament qu’il avait durant son séjour à l’hôpital, est-il encore nécessaire à domicile ? »

Parce qu’au-delà de l’Inexium, énervant mais sans gravité, ça éviterait aussi quelques conneries avec les somnifères chez les patients âgés. Et, là, c’est vraiment un problème médical.

Quant aux généralistes, ils devraient être un peu plus confiants en eux-même : les prescriptions hospitalières ne sont pas forcément parole d’Evangile et on a le droit de les modifier si on a de bonnes raisons de le faire.

(*) Pour les non médecins : les IPP sont les Inhibiteurs de la Pompe à Proton. Il s’agit d’une famille de médicaments qui existe depuis une vingtaine d’années et qui a révolutionné la prise en charge de certains problèmes gastriques (ulcères, reflux gastrique, …) car ils sont remarquablement efficaces et globalement très bien tolérés.
Leur vrai nom se termine en ‘prazole’ : oméprazole, pantoprazole, rabéprazole, etc…
Pour contrecarrer la perte du brevet du Mopral© (oméprazole), les laboratoires Astra Zeneca nous ont sorti un coup de boneteau en 2000 (avec la bénédiction des autorités du médicament) l’Inexium© (ésoméprazole) qui n’est jamais rien d’autre qu’une variante chimique de l’oméprazole. Ceci mériterait un billet en soi.

Cher ami hospitalier

Oui, Cher ami hospitalier,

J’opte donc pour la forme écrite afin de te faire part de mon, petit, agacement.

Je te l’aurais bien dit de vive voix, mais, justement, ta secrétaire, ou une infirmière du service, m’a une nouvelle fois expliqué que je ne pouvais pas, mais alors vraiment pas, te parler parce que (au choix) :

  • tu n’étais pas encore arrivé
  • tu étais en « staff »
  • tu faisais la visite
  • tu n’étais pas dans le service
  • tu étais en train de manger
  • tu étais en consultation
  • tu étais parti, merci de rappeler demain « en journée » parce que, là, il est déjà 16 h 58.

Et, vraiment, vraiment, je dois te dire que lorsqu’on me soutient qu’on ne PEUT pas te déranger quand tu es en consultation, mais qu’on peut noter mon numéro et que tu me rappelleras « plus tard », ça m’énerve.

Oui, je sais, ce n’est jamais agréable d’être interrompu en cours de consultation ou de visite. Moi-même, ça me pèse quand le téléphone sonne et que je suis avec un patient.

Mais, en général, quand je cherche à te joindre et que j’insiste un peu, c’est vraiment que j’ai un problème. Avec un patient, qui est bien souvent le tien aussi d’ailleurs. Et qui est en face de moi.

Et quand tu me rappelleras « plus tard », l’ennui, c’est que ce sera à mon tour d’être « en consultation ».

Je sais bien que mes consultations de généraliste n’en sont pas des vraies et que c’est beaucoup moins important de les interrompre que celles des spécialistes, mais quand même. Et puis le souci, c’est que le patient qui me posait problème, lui, il sera reparti, que j’aurai peut-être son voisin ou sa belle-sœur en face de moi et que ce sera beaucoup plus compliqué de se parler tranquillement.

Et si, après notre discussion, il faut que je dise quelque chose à mon patient, si je dois le réexaminer, ou lui faire une lettre ou une ordonnance, il va falloir que je le rappelle, peut-être que je le fasse revenir. Ça ne sera pas très confortable pour lui et probablement pas tellement pour moi non plus.

Donc voilà, si tu pouvais faire passer un petit message à ta secrétaire pour lui dire que, quand un généraliste te téléphone et qu’il insiste en semblant avoir un problème, ça mérite, sauf impossibilité absolue, qu’on vienne te déranger. Ce serait vraiment, vraiment sympa. Merci d’avance.

Bisous,

Borée

P.-S. Ça m’ennuie un peu de dire ça par rapport à mes convictions personnelles, mais ça se passe quand même différemment avec les spécialistes libéraux. Eux, sauf absence ou intervention en cours, ils répondent toujours. Quand ils disent qu’ils rappellent, eh bien… ils rappellent. Ils ne font jamais sentir qu’on les emmerde même quand c’est pour une question idiote. Et ils sont souvent joignables même à ces heures extravagantes où il m’arrive d’être encore en consultation et d’avoir des problèmes à gérer, du genre 18h30 ou même 19h passées !

P.-P.-S. Que ce billet soit aussi l’occasion de rendre un hommage sincère aux confrères hospitaliers, modestes assistants ou chefs de services de CHU,  qui me répondent systématiquement quand je les appelle et qui acceptent de prendre un peu de leur temps pour m’aider.

Très franchement, sachez combien je vous en suis reconnaissant et que je vous apprécie pour ça. Comme il n’y a pas de hasard, vous êtes aussi bien souvent ceux qui sont les plus disponibles pour vos/nos patients. Honneur à vous.

Etiquette

Oui, bon, voilà… On va me dire « Encore un billet pour se moquer de l’hôpital, c’est trop facile, genre : lui il se plante jamais… ».

Oui, ok, mais il fallait vraiment que je la raconte.

Je m’occupe d’Astérix.

Astérix, il a des moustaches comme… comme… ben, comme Astérix en fait. Et puis il est petit, râblé, bourru et il clope. Il n’a probablement pas été très loin après l’école primaire mais ça ne l’a pas empêché de bosser dur toute sa vie. Comme on dit : « il a une gueule ».

Je ne l’avais pas vu très souvent jusque là, pas le style à courir chez le médecin.

Il y a quelques mois, Astérix a eu un sale accident en travaillant. Du genre où il aurait pu y rester : quatre côtes pétées à gauches et huit à droite avec un bel hémopneumothorax bilatéral. (Pour les non-médecins, c’est ce qui arrive quand une côte casse, se déplace et va perforer un poumon. Du coup il y a de l’air et du sang qui viennent se mettre autour du poumon et celui-ci se ratatine et il respire beaucoup moins bien. Quand ça arrive d’un seul côté c’est pas super mais on a encore un poumon pour respirer. Quand ça arrive des deux côtés en même temps, c’est assez sportif.)

Astérix a été rapatrié dare-dare en réanimation : drains, oxygène, morphine.

Et le réanimateur de me faire une belle lettre pour me raconter en détails le séjour dans son service.

« le mardi, le patient présente un fébricule à 38°, mais dans un contexte de pré DT (*) probable avec trémulation, front luisant et hallucinations visuelles justifiant l’instauration d’une hyper-hydratation, d’une vitaminothérapie, par ailleurs débutée dès l’entrée, ainsi que d’un traitement psychotrope à base d’Haldol et Mépronizine.

(…)

Conclusion
Mr Astérix, âgé de 58 ans, sans antécédent notable, a présenté un traumatisme fermé du thorax, …
Pré DT probable chez un patient niant par ailleurs toute ingestion d’alcool. »

Après la réanimation, Astérix est parti en pneumologie. Et j’ai reçu la lettre du pneumologue (pourtant, c’est mon pneumologue préféré que je tutoie, qui est très bien avec les patients et très compétent) :

« Biologiquement, on a un bilan hépatique perturbé avec cytolyse hépatique : TGO à 138, TGP à 242, Gamma Gt à 698 (*).

Les perturbations hépatiques sont à mettre en relation avec un éthylisme antérieur. Nous avons supprimé les produits potentiellement hépato-toxiques, et notamment le Paracétamol. »

Et voilà, Astérix est rentré chez lui avec une belle étiquette qui, forcément, s’imposait vu sa tronche : non seulement il fume mais en plus c’est un alcoolique. Et un bon puisqu’il a fait son pré-delirium trémens et qu’il avait des Gamma GT au plafond !

Quand je suis passé le voir à la maison, je lui ai posé la question « Euh… dites voir, il y a les médecins de l’hôpital qui ont l’air de dire que vous buviez un peu trop là…

– Ah, non ! C’est pas vrai ça ! Je vous jure, je bois pas une goutte de vin et pas de bière ! Je fumais, ça c’est vrai, mais je bois jamais ! Je vous jure que c’est vrai, je vois pas pourquoi je vous le dirais pas. »

Et, de fait, je ne voyais pas bien pourquoi il ne me l’aurait pas dit. Et d’ailleurs, j’étais assez surpris : je n’avais jamais « senti » un problème d’alcool chez Astérix. Mais, bon, on sait ce que c’est, Dr House et la Faculté nous l’ont appris : le patient est menteur. Surtout s’il est alcoolique ou drogué.

« Bon, ben de toute façon il va falloir faire des prises de sang de contrôle pour surveiller le foie. Et puis, si vous êtes d’accord, on fera un dosage qui permet de voir s’il y a un problème d’alcool. Comme ça, on pourra le prouver aux médecins de l’hôpital. Et ça me permettra de te montrer que c’est pas la peine de me mentir, espèce d’alcoolo. »

Les CDT (*) me sont revenues blanches comme la neige à 0,5%. Et le bilan hépatique s’est gentiment amélioré pour finir de revenir dans les normes.

Les « perturbations hépatiques » n’étaient pas à mettre en relation avec un éthylisme antérieur mais avec le fait que le foie est, lui aussi, situé sous les côtes et qu’il avait également bien morflé dans l’aventure.

Quant au « pré-DT probable avec trémulation, front luisant et hallucinations visuelles », on peut se dire raisonnablement qu’être attaché dans un lit de réanimation avec des tuyaux et des bips partout, quand on a mal et que pour ça on a des perfusions de morphine à bonne dose, ce sont aussi d’excellentes raisons pour être dans cet état.

Au final, le patient qui « niait toute ingestion d’alcool » avait bien raison de le faire.

Et nous, médecins (moi compris puisque j’ai également douté), nous nous sommes bien fourré le doigt dans l’oeil jusqu’au cholédoque…

Raconté comme ça, ça pourrait rester une anecdote amusante mais en fait pas vraiment.

On voit très bien dans les courriers comment le réanimateur a une conviction intime mais qu’il prend tout de même la précaution de rajouter un « probable » qui laisse la place au doute. Et comment le pneumologue, de bonne foi, transforme ceci en fait acquis et sans nuance.

Connaissant le mode de fonctionnement habituel des médecins en général, et des hospitaliers en particulier, je sais que le risque est grand qu’à l’avenir, un interne ressorte les lettres d’hospitalisations et se contente de recopier, toujours de bonne foi, « Antécédents : éthylisme chronique ». Et comme ça, de lettre en lettre, une hypothèse diagnostique erronée pourra devenir une vérité médicale dont Astérix devra continuer à se justifier face à des interlocuteurs qui postuleront qu’il est toujours dans le déni…

C’est pourquoi, depuis, je précise dans toutes mes lettres le concernant « Je vous prie de bien vouloir noter que l’hypothèse d’alcoolisme qui avait été émise a clairement été infirmée par la suite. »

Il y a des étiquettes qui relèvent du tatouage.

(*) Quelques explications supplémentaires pour les non-habitués :
– PréDT : est l’abréviation de Pré-Delirium Tremens. Le Delirium Tremens est un syndrome qui survient lorsqu’un patient alcoolique est brutalement sevré. Il associe de la fièvre, une déshydratation, des tremblements, des délires avec hallucinations, souvent animalières (les fameux « éléphants roses »), parfois des convulsions. Au delà de l’aspect folklorique, c’est une pathologie grave, potentiellement mortelle en l’absence de traitements.
– Transaminases et Gamma GT : sont des enzymes qui existent dans le foie et qui sont présentes en petite quantité dans le sang. Lorsque leur taux augmente dans le sang, c’est le signe que des cellules du foie sont abimées. Les taux retrouvés initialement chez Astérix représentent 5 à 12 fois les taux normaux. C’est beaucoup.
– CDT : est l’abréviation anglaise de « Carboxy-Deficient Transferrin » (Transferrine carboxy-déficiente en bon français). Il s’agit d’un dosage sanguin qui permet de repérer de manière très spécifique, les consommations d’alcool chroniquement excessives. Elle reste normale en cas de consommation modérée régulière ou en cas de consommation excessive ponctuelle. Après l’arrêt complet de l’alcool, elle met plusieurs semaines à se normaliser.

Non mais franchement

La première fois que j’ai vu Rose, elle était dans son fauteuil : rien n’allait, elle avait mal partout, 19 de tension et un pouls à 102.

Elle était en manque.

Elle venait de décider que son précédent généraliste l’empoisonnait et avait tout arrêté.

Elle n’avait pas vraiment tort.

De fait, Rose est raisonnablement folle, anxio-dépressive chronique, très ambivalente et n’a jamais vraiment réussi à se passer de son petit blanc sec.

N’empêche qu’on lui faisait des prescriptions de compétition. On pouvait y trouver 3 Seresta 50© au cours de la journée et SEPT au coucher. Soit 10 comprimés par jour quand la posologie maximale officielle est de 3 pour les « cas sévères en psychiatrie ».

A côté de ça, un antidépresseur, un « psychostimulant » prescrit dans  les « états d’apathie ou de manque d’énergie » (ben voui, avec ça…), plusieurs « phlébotoniques », l’incontournable Tanakan©, de l’Inexium 40© ET, pour être sûr, de la Cimétidine 400… Les connaisseurs apprécieront.

Je lui avais expliqué que, en effet, il y avait pas mal de ménage à faire mais qu’elle ne pouvait pas arrêter tout brutalement comme ça et qu’on allait régler ça tranquillement en faisant passer les infirmières tous les jours. Elle m’avait dit qu’elle acceptait le contrat.

Elle avait bien essayé de tricher un peu au début : j’avais fait l’erreur de lui laisser des ordonnances et elle s’était fait emmener à la pharmacie pour récupérer les boites et les planquer au fond de son buffet. « Mais non, Docteur, je vous JURE ! Je les ai données aux infirmières ! Quelles menteuses celles-là ! » On ne se refait pas…

N’empêche, petit à petit on est arrivé à un rythme de croisière. Depuis 6 mois, les infirmières venaient chaque matin lui remettre le traitement pour la journée. On avait diminué son Seresta par petites touches : 1/2 comprimé en moins toutes les 3 ou 4 semaines pour arriver gentiment à 2 fois 1 par jour.

Elle n’était pas devenue moins névrosée. Mais pas plus non plus. Et son fils la trouvait nettement moins abrutie quand il passait la voir.

Il y a 10 jours, Rose a été hospitalisée un dimanche par le médecin de garde pour de violents maux de ventre.

Diagnostic : constipation.

Et dans la lettre de sortie de l’hôpital (et pourtant c’est un service que j’aime bien), qu’est-ce que je peux lire ?

« Le bilan biologique retrouve une cholestase anictérique. La Bili-IRM est normale et nous avons décidé de ne pas pousser plus loin. – blablabla… – Devant un état d’énervement marqué, nous avons dû majorer le Seresta 50 à 1 matin, 1 midi, 2 le soir. »

Grrrrr…

Quand je pense que pour la moindre IRM avec une vraie indication urgente, je dois supplier, négocier et me rouler par terre pendant une demi-heure pour l’avoir, avec de la chance, sous 3 semaines. Et là, hop ! Trois jours d’hospitalisation pour une constipation et l’IRM est faite.

Ah, oui… c’est sûr… il fallait prendre en compte sa « cholestase anictérique » ! A voir… Des GGT à 71 pour une normale inférieure à 65 et des Phosphatases à 125 pour une normale à 108. On a vu plus inquiétant. Surtout que ça fait 2 ans au moins qu’elle a ces résultats et que ça ne bouge pas.

Et alors pour le Seresta, vraiment merci ! Six mois pour faire 4 pas en avant, une semaine pour en faire 2 en arrière.

Bien sûr, aucun coup de fil durant son hospitalisation au médecin traitant que je suis pour connaître les résultats antérieurs ou l’état habituel.

Alors, chers amis hospitaliers, je sais bien que vous avez généralement beaucoup de mépris pour la piétaille généraliste. Nous ne sommes certainement pas parfaits et méritons parfois bien des reproches.

Mais quand je vois parfois comment vous pouvez vous-même vous éloigner de toute recommandation officielle et, plus encore, vous écarter du bon sens le plus basique, je me dis que nous gagnerions certainement tous à nous respecter un peu plus.

Et à nous parler davantage.