« L’Académie [nationale de Médecine] est naturellement placée au centre d’un réseau de réflexion et d’échanges où sa mémoire, la somme de ses travaux et sa vigilance permanente sur les sujets d’actualité font d’elle un lieu privilégié de diagnostic et de pronostic dans le domaine de la santé publique.
Au cœur de l’évolution médicale, l’Académie est un observatoire et un réseau d’expertise privilégié.
Le financement de l’Académie provient du budget de l’Etat et de ses fonds propres.
Chaque semaine, communications scientifiques et revues générales permettent d’entendre des spécialistes venus de toute la France et même de l’étranger sur les sujets les plus divers dans l’actualité de la santé. »
Vénérable institution dont la mission est de nous éclairer « dans un domaine – la santé – de plus en plus large, complexe, polémique où sa pluridisciplinarité et son expertise sont devenues indispensables. »
Que dire de plus ?
De fait, l’Académie, même si elle est parfois un peu à côté de la plaque, sait également être assez novatrice et intéressante lorsqu’elle propose la création d’un statut de « lanceur d’alerte », ou lorsqu’elle prend position sur le plan de vaccination H1N1 avec pas trop de retard sur la blogosphère médicale.
Remarquable quand on voit l’âge des membres qui la composent.
Ils en ont d’ailleurs conscience eux-mêmes puisque, en 2002, ils faisaient le constat que leur moyenne d’âge était de 76 ans, et prenaient la décision d’augmenter le nombre des « membres correspondants » (les « juniors »).
Mission accomplie ?
Aujourd’hui, la moyenne d’âge des 145 membres titulaires est de 83 ans. Le La plus jeune a 63 ans. Le plus âgé… 106.
Quant aux fameux membres correspondants, au nombre de 95 sur le site de l’Académie, ils sont âgés de 49 à 98 ans. Leur moyenne d’âge est de 76 ans.
Et si ce n’était qu’une question d’âge. Il y a aussi celle de la représentation des sexes.
Les femmes membres titulaires ? Elles sont quatre. Bravo à elles ! Et quatre aussi parmi les membres correspondant.
Ce qui donne des choses tout de même assez amusantes…
Les membres de la Commission « Maternité, enfance, adolescence » sont 13. Moyenne d’âge : 82 ans.
Et qui pour s’occuper de votre santé Mesdames ? Douze hommes. Sympathique, non ?
Il y a tout de même une femme, soyons justes : le Dr Marie-Odile Réthoré. Et vous allez aimer sa biographie.
Membre de l’Académie Pontificale pour la Vie. Une autre Académie, fondée en 1994 par le pape Jean-Paul II en collaboration avec le Pr Jérôme Lejeune, découvreur de l’origine de la Trisomie 21, qui en fut le premier président et célèbre pour être l’icône des « pro-vie » français, violemment opposés au droit à l’avortement. Cette Académie publiait ainsi en avril 2000 un avis mentionnant que « l’illégalité absolue de procéder à des pratiques d’avortement subsiste également pour la diffusion, la prescription et l’absorption de la pilule du lendemain. »
Le Pr Réthoré est d’ailleurs toujours Directrice médicale de l’Institut Jérôme Lejeune, dédié à la prise en charge de la Trisomie 21 mais intimement lié à la Fondation Jérôme Lejeune qui se situe au coeur de la mouvance opposée au droit à l’avortement, à la recherche sur l’embryon ou à la fécondation in vitro.
C’est ainsi que l’on peut lire dans ce document destiné à la jeunesse, émanant de la Fondation que « l’avortement est une atteinte à la nature même de la femme qui est d’être mère », que « la contraception favorise des relations sexuelles avec des partenaires multiples, dans des relations instables, ce qui multiplie de fait les occasions de grossesse, non assumées », qu’« accepter l’avortement est contraire à la paix », que « ces manipulations (de fécondation in vitro) ne sont pas éthiques car elles dissocient la procréation de la sexualité et transforment les gamètes en matériau de laboratoire. » Et que, de toute façon, « les lois injustes ne sont pas des lois. » (ça ne vous rappelle rien cet argument dans l’actualité récente ?)
Voilà de quoi vous faire une petite idée au sujet de la seule membre féminine de cette commission dédiée à la Maternité, à l’enfance et à l’adolescence.
Alors, certes, cet exemple caricatural ne préjuge pas de la qualité de l’ensemble des membres de l’institution. On y trouve des personnalités remarquables telles que Yves Coppens, Jean-Louis Montastruc, le défunt Georges Charpak, et bien d’autres.
Mais, tout de même, plus encore que le Conseil de l’Ordre ou que les syndicats médicaux, n’y a-t-il pas à s’interroger sur la représentativité d’une telle institution ?
Alors que, depuis des années, la majorité des nouveaux médecins sont des femmes, comment justifier une telle omnipotence masculine ?
Il ne s’agit pas de crier harro sur les vieux. Mon ami Jacques Lucas me corrigerait avec raison : nous sommes tous des vieux en puissance. La sagesse des anciens est précieuse et il semble logique qu’une certaine expérience et maturité soient nécessaires pour participer aux débats.
Avoir donc des anciens au sein de nos instances, oui, bien sûr ! Mais n’avoir que des anciens ?
Comment s’étonner que les jeunes générations aient du mal à se reconnaître dans ces institutions et qu’elles remettent en cause leur représentativité ?
C’est d’ailleurs vrai dans la plupart des domaines, bien au-delà du champ de la médecine, il en va ainsi de notre système politique au premier chef : la France se distingue par sa gérontocratie.
Difficile d’y voir des promesses d’avenir et un signe de dynamisme.
P.S. Malgré quelques recherches, je n’ai pas réussi à trouver les statuts de l’Académie de Médecine (contrairement à ceux de l’Académie de Chirurgie, qui paraît sensiblement plus jeune), ni le montant des subventions allouées chaque année par les pouvoirs publics.
Je n’ai pas trouvé non plus combien de généralistes siégeaient sur ces bancs. Mon petit doigt me dit qu’ils ne doivent pas être nombreux.
P.P.S. Merci à ma copine Stockholm d’avoir repéré l’anomalie sur la Commission Maternité et enfance et de m’avoir laissé le plaisir et l’honneur d’en faire un billet. Si ne vous connaissez pas son blog, allez y faire un tour, c’est remarquable de culture et d’intelligence. Une vraie féministe comme je les aime et, le croirez-vous, elle est chirurgienne !
Edition du 25/06 à 21h
Merci à Vincent Granier qui a retrouvé les statuts de l’Académie. C’est assez incroyable, je vous laisse aller voir. 😀