Il y a quelques jours, en parcourant le quotidien local, je suis tombé par hasard sur une annonce nécrologique qui m’a ému. Celle de Georges, 81 ans.
Elle était publiée par « René, son compagnon » et les autres membres de sa famille.
J’ai pensé à ce vieux Monsieur qui était maintenant seul. Peut-on dire veuf ?
S’il ne peut plus rester seul, trouvera-t-il une maison de retraite pour l’accueillir avec respect ?
J’ai rapidement imaginé Georges et René, la vie qu’ils avaient pu avoir à une époque où, vivre ensemble lorsque l’on était deux hommes, à la campagne qui plus est, c’était certainement une autre histoire qu’aujourd’hui.
Et j’ai eu une pensée reconnaissante pour les pionniers de la « normalité », militants ou simples individus qui ne s’étaient pas dissimulés, qui avaient permis aux générations suivantes de vivre mieux.
***
Elle a soixante-et-un ans et c’est une très bonne élève.
Elle est gentille comme tout et son diabète est un plaisir à prendre en charge. Ça change.
Vingt-trois ans de diabète et onze d’insuline, mais elle garde son poids stable, fait ses quatre injections quotidiennes, ses surveillances glycémiques et ses prises de sang. Son hémoglobine glycquée ne bouge pas de la zone 7 – 7,5.
Si j’aime beaucoup Mylène, j’ai encore plus de tendresse pour Alice.
Alice est la compagne de Mylène. Depuis trente-six ans.
Et, autant Mylène pourrait aisément donner le change, autant Alice est un stéréotype sur pieds. Le visage rond comme le corps, les cheveux courts, elle fume et sa voix rocailleuse a un amusant accent parisien. Toujours bougonne, mais le cœur sur la main, elle passe son temps à râler du haut de son mètre cinquante-six. Avec sa voix de clopeuse, elle me lance des expressions que je ne connais pas.
— Oh lalalalalaaa ! Encore une prise de sang ! C’est le bruuuun…
Et je dois revenir dans un mois ?
— Oui. Entre votre diabète, votre bronchite chronique, vos reins et vos yeux, il y a trop de problèmes pas réglés chez vous.
— Et Mylène, elle, c’est pour trois mois que vous lui faites l’ordonnance. C’est la bonne élève, et moi le cancre… je sais.
J’appelle Alice « mon gentil bouledogue ». Ça nous fait rire.
Je crois que je n’ai jamais su comment elles ont atterri dans notre trou paumé où elles n’ont aucune attache. Elles habitent dans notre micro-cité HLM et donnent un coup de main au Secours Pop’.
Il y a un mois, elles m’ont demandé de passer chez elles : Alice avait une bronchite et était trop mal fichue pour conduire.
Elle était installée dans son canapé. La télé allumée diffusait une sorte de vidéogag. Le chat ronronnait sur son fauteuil. Le buffet était encombré des bibelots habituels : poupées en porcelaine avec plumes et paillettes, boules à neige… Un poster de Johnny Hallyday décorait le mur. Il y avait encore le sapin de Noël.
Je me suis posé à côté d’Alice, j’ai écouté ses poumons, rien de catastrophique. Après lui avoir pris la tension, nous sommes restés une minute ou deux, assis et silencieux, à regarder les gags qui défilaient à l’écran.
J’ai fini par sursauter.
— Bon… euh… ben, je crois qu’il n’y a rien de bien méchant. Je vous fais une ordonnance pour du paracétamol.
— Bon, ben alors ça va. — me répond Alice — Dis voir, la vieille, tu me ferais une Marmotte ?
— C’est quoi une Marmotte ?
— C’est une tisane de chez elle.
— Et vous l’appelez « la vieille » alors qu’elle a cinq ans de moins que vous ?
— Rhrhrhrhr ! Ça fait trente-six ans que je l’appelle la vieille !
Alice s’est alors levée pour me montrer une ancienne photo encadrée, en noir et blanc : Mylène, vingt-cinq ans, mince, blonde, très jolie et avec le même visage que je lui connais.
— Et vous avez aussi une photo de vous quand vous étiez jeune ?
— Ah ouais, celle de mon permis, je vous la cherche.
Et elle m’a rapporté cet improbable cliché d’une jeune femme de vingt ans, vraiment très sexy, avec de superbes boucles brunes et un air mutin.
— Oh ! Ben, vous étiez drôlement belle également !
— N’est-ce pas ? Rhrhrhrhrhrh !
Au fait, vous voulez une Marmotte vous aussi ?