La folie à deux est une pathologie psychiatrique manifestée par la transmission de symptômes psychotiques d’un individu à un autre. La vision délirante du monde du patient souffrant de cette affection est adoptée par d’autres individus avec lesquels il est en contact.
— Bonsoir Maître.
— Bonsoir jeune Padawan.
— Maître, je voulais vous poser une question… Quelles sont les qualités indispensables pour devenir un bon médecin généraliste tel que vous ?
— Eh bien, jeune Padawan. Avant tout, de l’empathie il te faudra : comprendre les sentiments de ton patient et les prendre en compte tu devras.
Ensuite, faire preuve de rationalité et de la plus grande rigueur scientifique, car la Force n’est pas matière à improvisations hasardeuses. Également, garder ton calme et ta sérénité : ne pas te laisser déborder par tes propres peurs.
Sans lui mentir, de toujours chercher à rassurer ton patient tu n’oublieras pas : point n’est utile de rajouter de l’anxiété à la souffrance. Enfin, constamment respecter son autonomie et lui préserver sa liberté.
— Tout ceci a l’air bien compliqué et abstrait Maître.
— Mais pas du tout ! Laisse ton Maître te conter une anecdote et à la lumière tu accéderas…
Je vais te raconter l’histoire de Gilles.
À cinquante-cinq ans, Gilles est un maçon qui aime le travail bien fait et la table bien mise. Tous les six mois, il va voir son généraliste, le Dr Borée pour renouveler son traitement pour la goutte et la tension. Il faut dire qu’il n’aime pas bien ça. Comme beaucoup d’hommes, l’affection qu’il porte aux médecins est inversement proportionnelle à l’anxiété qu’il peut nourrir au sujet de sa santé.
Ah, ça ! C’est un angoissé. Du genre à guetter le cancer du poumon derrière une banale bronchite.
Il a donc été voir le Dr Borée parce que son genou avait bizarrement enflé. Le praticien lui expliqua que ce n’était rien de bien méchant : une simple bursite avait-il dit. Que l’essentiel était d’éviter de s’appuyer sur ce genou. Et que si, malgré tout, la tuméfaction devait persister de trop, il serait toujours temps de reconsidérer les choses.
Au passage, il lui proposa d’augmenter un peu la dose d’amlodipine espérant mieux réguler la tension qu’elle ne l’était.
Deux semaines plus tard, Gilles qui n’était guère patient décida d’aller voir le Dr Notos qui pratiquait à vingt-cinq kilomètres de là et qui avait une sérieuse réputation en ce qui concernait les maux des os et des articulations. Peut-être aurait-il une panacée miraculeuse qui ferait disparaître l’enflure ?
Hélas, non. Il confirma les dires de son confrère.
L’examinant, il avisa les jambes et les trouva un peu gonflées. « Oh ! Oh ! — s’exclama-t-il en substance — Voilà qui ne me plaît guère ! Peut-être cela vient-il de votre amlodipine, mais je ne peux exclure qu’il y ait plus dangereux là-dessous. Ne craignez rien, je m’en occupe. »
Décrochant son téléphone sur le champ, il demanda — et obtint — un rendez-vous en urgence auprès d’un confrère angiologue afin de faire réaliser un examen doppler des veines.
Puis il prit son stylo et s’avisa qu’il était nécessaire de pratiquer un bilan sanguin et urinaire « complet ». Le précédent, que Gilles avait pris soin d’apporter, outre qu’il paraissait bien sommaire, était décidément trop ancien : cinq mois !
Au demeurant, la plume ne servit qu’à signer la prescription puisque celle-ci était la photocopie toute prête d’un bilan modèle aux vertus universelles :
• NFS, plaquettes et réticulocytes
• Vitesse de sédimentation et CRP
• Temps de Quick et taux de prothrombine
• Glycémie à jeun et HbA1C (Gilles n’étant pas diabétique, mais des fois que…)
• Créatinine et acide urique
• Cholestérol total, HDL et LDL, Triglycérides
• Bilirubine totale, TGO, TGP, GGT et lipase
• Natrémie, kaliémie, chlorémie, protides totaux, calcémie
• Fer et ferritine
• CPK
• Électrophorèse des protéines
• T3, T4, TSH, anticorps anti TPO et anticorps anti TG
• Acide folique et vitamine B12
• Protéinurie et microalbuminurie de 24 h
Si avec ça, on ne savait pas d’où venaient ces satanés œdèmes, ce serait à n’y rien comprendre !
En attendant d’avoir ces résultats, il était urgent d’aller donc chez l’angiologue pour le doppler. « Et — précisa le Dr Notos — appelez-moi en sortant sur mon portable. Même à vingt-deux heures ! »
Hélas ! L’angiologue confirma ses pires craintes en concluant son examen par « Absence d’anomalie sur les trajets explorés en dehors d’une insuffisance veineuse plus nette à droite. On peut conseiller une contention élastique, mais il faut certainement rechercher une autre cause (en particulier compressive abdominopelvienne) pouvant participer à la symptomatologie. »
Et voilà ! L’absence de tout élément vraiment inquiétant lors de cet examen ne pouvait signifier qu’une chose : il y avait bien plus grave en dessous, et ce serait certainement d’autant plus redoutable que c’était bien caché…
« Ne vous inquiétez pas ! — dit-il au téléphone — Je m’occupe d’organiser le scanner en urgence. Vous, faites la prise de sang. Et venez me voir jeudi à seize heures avec les résultats. »
Ainsi fut fait. Si le scanner ne révéla rien d’autre qu’un foie un peu gras, en harmonie avec le patient, il n’en était pas de même de la prise de sang…
Celle-ci montrait une ferritine augmentée à 1 600 ng/ml ! Et des Gamma GT à 84 ! Et des Triglycérides à 2,66 grammes !
Par chance, le reste du bilan était normal… Pour combien de temps encore ?
Et le Dr Notos d’expliquer à Gilles qu’il souffrait probablement d’une terrible maladie appelée « hémochromatose ».
Qu’elle attaquait son foie et qu’il faudrait certainement lui faire des saignées durant le restant de sa vie.
Il prit donc logiquement un rendez-vous chez un gastro-entérologue hospitalier, prescrit une nouvelle analyse sanguine complémentaire (NFS à nouveau, temps de saignement, TCA, facteur V, bilirubine, lipase [oui, oui, encore], fer, transferrine, immunoélectrophorèse, facteur II, facteur VII et facteur X). Oui, voilà, ça a l’air bien.
Il tendit une ordonnance pour des semelles en précisant « Ça n’a rien à voir, mais prenez rendez-vous chez M. Lasole qui est podologue, il vous fera des semelles, vous en avez besoin… Et puis revenez me voir le 3 à dix-sept heures. Ça fera trente-cinq euros, merci. »
Heureusement pour lui, Gilles avait une épouse qui était tout de même moins encline à l’affolement. Elle avait eu la précaution de lire les notices des médicaments et avait pris sur elle de demander à son homme de revenir à l’amlodipine 5 mg qu’il avait auparavant. Depuis, ses œdèmes avaient disparu.
Elle lui avait également dit qu’il serait peut-être opportun de revoir le Dr Borée pour faire le point.
Lorsque celui-ci découvrit le désastre, il se désola et trouva que c’était allé décidément bien loin pour une simple bursite de genou. Et qu’il était temps d’arrêter ce manège infernal.
Voilà, jeune Padawan, comprends-tu mieux à présent ce que ton vieux Maître voulait dire ?
— Je crois, Maître… Empathie, rationalité, rigueur scientifique, sérénité, réassurance et liberté du patient… Le Dr Notos a tout fait à l’envers ! Mais ce n’est là qu’une caricature imaginaire, heureusement.
— Je n’en jurerais pas…
***
P.S. Quelques remarques pour les non-médecins.
— Je suis désolé pour vous, vous risquez de ne pas apprécier tout l’aspect extravagant des bilans demandés par le Dr Notos. Ils sont vraiment extravagants.
— Jaddo avait déjà publié un billet abordant, sous un autre angle, la réalisation de ce type de bilans biologiques plus-que-complets. Elle avait déjà pointé combien c’était non seulement idiot et inutile mais, surtout, dangereux. J’y reviendrai probablement à l’avenir.
— De la même manière, il faudra que je parle de ce qu’est une « norme » biologique. Vous pourrez trouver une ébauche dans le commentaire que j’ai fait dans ce même billet de Jaddo.
— La Ferritine qui a tellement affolé le Dr Notos constitue en quelque sorte les réserves en fer de l’organisme. En gros, la moelle osseuse y puise le fer nécessaire à fabriquer l’hémoglobine des globules rouges. Les chiffres « normaux » sont déjà très fluctuants d’une personne à une autre et d’un moment à un autre (la « norme » varie d’un facteur 1 à 10).
Elle peut être augmentée dans tout un tas de situations de gravité et de significations très, très hétérogènes.
Bref, autant quand elle est basse, on peut le plus souvent dire que ça signe un manque de fer, autant quand elle est « trop haute », c’est la bouteille à l’encre.
En l’occurrence, la ferritine est habituellement majorée chez les personnes obèses et trop « bien portantes ».
L’hyperferritinémie est un des éléments classiques de ce que l’on appelle de manière générale les « surcharges métaboliques ».
Gilles présentait ce tableau de manière flagrante (obésité, hypertension, goutte). C’était donc tout sauf un scoop.
Bien évidemment, en aucun cas, le dosage de la ferritine ne fait partie du bilan de base d’œdèmes des jambes.
Quant à l’hémochromatose que le Dr Notos a annoncée à Gilles, il s’agit d’une maladie génétique dans laquelle l’organisme n’arrive pas à se débarrasser du fer. Dans ce cas, la ferritine est vraiment très augmentée (chez un homme de l’âge de Gilles) et il y a d’autres anomalies, indispensables à rechercher, avant d’évoquer le diagnostic.
Cette pathologie est d’ailleurs la seule indication qu’il reste à la très médiévale saignée.
— L’amlodipine que prend Gilles pour son hypertension fait partie des traitements de la tension les plus utiles. Cette famille de médicaments présente malheureusement un effet secondaire assez fréquent (jusqu’à 30 % des patients) : les œdèmes, des jambes en particulier. Il s’agit d’un effet indésirable bénin, mais gênant. Il suffit généralement de diminuer la dose pour faire disparaître ces œdèmes.
Ce qu’a spontanément fait l’épouse de Gilles.
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Pour le livre, l’ami Le Burp a réalisé ce dessin. Merci !