Vacances

Un petit billet-parenthèses pour m’excuser par avance…

Je pars trèèès loin pour mes premières vraies vacances depuis trèèès longtemps.

Vu que je serai dans un endroit sans internet ni même électricité, je ne serai donc pas là pour valider les commentaires de nouveaux intervenants dans les prochaines semaines. Désolé donc, si vos commentaires n’apparaissent pas avant mon retour.

Je m’étais fixé pour principe de me cantonner à ma vie professionnelle dans ce blog mais je ne peux m’empêcher d’y faire un petit accroc.

Si donc, vous voulez vous épargner une réflexion personnelle et non médicale, vous pouvez vous arrêter ici, je vous dis à bientôt. 🙂

Sinon…

Comme je le disais, je pars dans un pays lointain et mes seules obligations se sont résumées à refaire mon passeport. Un peu glacé par le relevé d’empreintes digitales mais ce n’est pas la mort et je n’avais pas le choix…

Parallèlement, un ami turc m’a sollicité pour venir visiter notre beau pays durant cet été.

Il y a bien des années, alors que je me promenais sac au dos en Turquie, je l’avais rencontré dans un bus et il avait hébergé quelques jours l’inconnu que j’étais.

Bien la moindre des choses de lui rendre la pareille.

Seulement, dans ce sens là, c’est beaucoup moins facile. Il a fallu que je lui adresse une « Attestation d’accueil ».

Jusque là, je ne savais même pas que ça existait tellement c’était naturel pour moi que de partir à l’étranger ce n’était pas très compliqué.

Déjà, ça coûte 45 €. Cool.

Et puis, il a fallu que je passe à ma mairie pour présenter un justificatif de domicile, copie de ma dernière feuille d’imposition, de ma dernière taxe foncière, superficie de mon logement, nombre d’habitants, … On m’a épargné la carte de groupe sanguin.

Ça va que le maire n’est pas facho et que j’ai de bonnes relations avec lui.

Et surtout, j’ai signé un « engagement » stipulant que j’étais « informé de ce que, sur la demande du maire, un agent de ses services ou de l’office des migrations internationales est susceptible de venir procéder à mon domicile à une vérification de la réalité des conditions d’hébergement et (que) je déclare donner mon consentement à cette initiative. »

J’avais vraiment les boules en faisant tamponner ce formulaire…

Mais, bon, pas d’inquiétude, Brice, il n’y en a qu’un !

Expectative

Je n’aime pas l’homéopathie et les homéopathes.

Oh, ils ne sont pas bien dangereux. Il faut leur laisser ça.

On pourrait même, comme pour la psychanalyse, défendre l’homéopathie comme un joyau de l’exception culturelle française. Hop ! Hahnemann et Freud entre le Beaujolais nouveau, Emmanuelle Béart et le croissant pur beurre.

Eh oui, il n’y a quasiment qu’en France que l’homéopathie a un tel droit de cité. Et c’est probablement le seul pays dont le système de Santé publique rembourse les petits granulés.

Alors, certes, elle ne repose sur aucun fondement scientifique sérieux. Rien ne permet d’expliquer son hypothétique mode de fonctionnement. Et il n’y a pas davantage d’études démontrant une efficacité spécifique au-delà de l’effet placebo.

Mais je ne vais pas rentrer dans ces débats qui rempliraient des pages et des pages et prêteraient à des controverses sans fin. Parce que, en fait, ce qui me pose problème dans l’homéopathie, ce ne sont pas ses spécificités.

Ce que je n’aime pas, c’est ce qu’elle a de commun avec l’allopathie.

Ce qui vraiment me hérisse le poil, c’est que, homéopathie ou allopathie, on reste dans cette satanée singularité française : un problème, une consultation, une ordonnance, un médicament.

Et quand je dis « un »…

On est triste, une gélule rouge.

On dort mal, un comprimé bleu.

On a le rhume, une cuillère de sirop vert.

On s’est fait un hématome, un coup de crème jaune.

On a mal au dos, des petits granulés blancs.

Pourquoi ? Pourquoi faut-il que 90% des consultations françaises se terminent par une prescription médicamenteuse quand ce n’est le cas que de 43% des consultations en Hollande ? Et, bien évidemment, sans aucune différence notable en termes de mortalité ou d’état de santé globale.

Pourquoi n’est-on pas capables de dire et d’entendre que, dans bien des situations, la nature n’est pas trop mal faite et que les choses vont rentrer dans l’ordre d’elles-mêmes quoi qu’on fasse. Ou que beaucoup de problèmes pourraient avantageusement se régler avec quelques modifications de l’alimentation ou des habitudes de vie. Un rhume ? Une semaine avec les médicaments, sept jours sans…

Fut une époque où les médecins pratiquaient « l’expectative ». Il leur arrivait de considérer que le moment n’était pas propice à leur intervention et que le mieux qu’ils pouvaient faire était de laisser les choses évoluer et de revenir voir le malade le lendemain.

Et cette attitude était considérée comme un authentique acte médical.

Ils n’avaient pas les moyens dont nous disposons actuellement, certes. Mais je crains que, précisément, la surabondance de nos techniques modernes ne soit le principal facteur de l’hypermédicalisation de nos vies.

A force de dire que la médecine pouvait tout soigner, on a fini par lui demander de soigner tout.

Voilà, chers amis homéopathes, pourquoi je vous en veux. Parce que, en vous étant arrêtés au milieu du gué, vous participez à cette escroquerie.

Lorsque vous expliquez que les médicaments « chimiques » ne sont pas toujours nécessaires et qu’ils font parfois plus de mal que de bien, vous avez parfaitement raison. Lorsque vous privilégiez des consultations longues et que vous accordez une écoute prolongée à vos patients – quand la consultation moyenne d’un généraliste ne dépasse pas 14 minutes -, vous faites bien.

Mais, pas plus que moi, vous ne savez « soigner » un rhume ou un hématome.

Et lorsque, invariablement, vous concluez vos consultations par des ordonnances à rallonge et que vos patients se retrouvent avec des valises pleines de petits granulés blancs, vous ne valez pas mieux que nous autres, « allopathes ».

Des deux pieds, vous sautez nous rejoindre dans le péché de l’hyperprescription.

Sans même avoir l’excuse de la rigueur scientifique. Ou, au moins, son ambition.

« Le grand problème de la production capitaliste n’est plus de trouver des producteurs et de décupler leurs forces mais de découvrir des consommateurs, d’exciter leurs appétits et de leurs créer des besoins factices. »

Paul Lafargue  – Le Droit à la Paresse – 1880 (on a bien avancé…)

Edition du 30/08/2011

L’amie Camomille m’a offert un dessin pour illustrer ce billet :

Y’a pas de miracle (contrepoint)

Visite de routine à la Maison de retraite. Je vais voir l’infirmière, une nouvelle dans la maison mais pas un perdreau de l’année.

– Bonjour, pas de soucis particuliers ?

– Ah si ! Mme Bidule, la nouvelle pensionnaire, c’est bien une patiente à vous ?!? Ça ne va PAS – DU – TOUT !

– Ah ?

– Elle n’arrête pas de déambuler. Partout ! Elle ne reste pas en place. Même à table, elle se lève sans arrêt ! Il faut faire quelque chose !

– Euh… ben… oui, certes, elle est démente (*) mais pas grabataire. Alors c’est sûr, elle déambule. Et puis, elle vient juste d’arriver, elle a besoin de se faire de nouveaux repères. Je comprends que ça ne doit pas être trop facile à gérer mais je ne vois pas trop quoi faire. Vous avez une idée, vous ?

– Ah mais non, c’est à vous de voir, hein ! Mais il faut faire QUELQUE CHOSE !

– Vous voulez que je l’assomme avec des médicaments ?

– Ah non, quand même pas.

– Vous voulez que je fasse une prescription pour qu’on l’attache ?

– Ah mais, non !

– Vous suggérez quoi alors ?

– Mais, je ne sais pas, moi, je ne suis pas médecin !

– … Ben, moi je ne suis pas le Bon Dieu.

(*) Pour la notion de démence, voir le billet Révolution

Edition du 30/08/11

L’ami Derek m’a offert un dessin pour illustrer ce billet :

Faiseur de miracles

J’ai déjà parlé des pathologies qui m’ennuient.

Il y en a une par contre que j’adore : le coma hypoglycémique.

Le coma hypoglycémique est la martingale de la médecine générale.

C’est l’urgence qui vous permet, à tous les coups, de vous hisser au rang de Gregory House ou de David Copperfield.

Le 15 m’a appelé ce matin pour une mamie que je ne connaissais pas : diabétique sous insuline et en coma hypoglycémique.

De l’adrénaline à bon compte !

Je fonce jusqu’au village voisin. En plus des ambulanciers qui étaient déjà sur place, il y a toute la famille réunie autour du lit de Mme Hippo. Visages graves, affolement.

Il faut dire qu’elle a mauvaise mine, Mme Hippo. Couchée sur le côté, la bouche pendante, la respiration lourde, elle ne réagit plus du tout. Les ambulanciers ont sorti tout leur matériel : scope, tensiomètre, masque à oxygène, … « Le Glasgow est à 7 et le dextro à 0,28 ! » (*)

Je sors ma boite de seringues et une ampoule de sérum glucosé. Je regarde le bras de Mme Hippo et avise une veine qui a l’air assez accueillante – Ouf !

Je maintiens le bras d’une main, tiens la seringue de l’autre, attrape le capuchon de l’aiguille avec les dents (je sais, j’ai aussi mes petites coquetteries) et injecte mon ampoule de glucosé.

Le temps de ranger le garrot, et de mettre un pansement, je commence à appeler, penché au-dessus d’elle. « Ouh, ouh, Mme Hippo, vous êtes là ? »

Un grognement, une paupière qui s’ouvre.

Au bout de 10 secondes, le bras de Mme Hippo décolle du lit, monte lentement à la verticale, finit par attraper ma nuque. En même temps qu’il abaisse ma tête, celle de Mme Hippo se hisse tout doucement…

Et on entend un bisou claquer sur ma joue !

Relâchement, éclats de rire de la famille. « Ha ! Ha ! Il y a quoi dans vos seringues ??? » « Je crois qu’elle vous prend pour son petit-fils ! »

Je suis vraiment trop, trop fort.

… A tous les coups je vous dis !

(*) Pour les non professionnels, le score de Glasgow est une échelle permettant d’évaluer l’état de conscience. Il va de 3 (coma profond ou mort) à 15 (personne parfaitement consciente).
Quant au « dextro », c’est la mesure de la glycémie – le taux de sucre dans le sang – qu’on fait au bout du doigt. Normalement il est autour de 1,0 g. En-dessous de 0,90, on commence à avoir faim. A partir de 0,70, on n’est franchement pas très bien. A 0,50 on commence à perdre conscience. En-dessous de 0,30, c’est le bon vrai coma.

Non mais franchement

La première fois que j’ai vu Rose, elle était dans son fauteuil : rien n’allait, elle avait mal partout, 19 de tension et un pouls à 102.

Elle était en manque.

Elle venait de décider que son précédent généraliste l’empoisonnait et avait tout arrêté.

Elle n’avait pas vraiment tort.

De fait, Rose est raisonnablement folle, anxio-dépressive chronique, très ambivalente et n’a jamais vraiment réussi à se passer de son petit blanc sec.

N’empêche qu’on lui faisait des prescriptions de compétition. On pouvait y trouver 3 Seresta 50© au cours de la journée et SEPT au coucher. Soit 10 comprimés par jour quand la posologie maximale officielle est de 3 pour les « cas sévères en psychiatrie ».

A côté de ça, un antidépresseur, un « psychostimulant » prescrit dans  les « états d’apathie ou de manque d’énergie » (ben voui, avec ça…), plusieurs « phlébotoniques », l’incontournable Tanakan©, de l’Inexium 40© ET, pour être sûr, de la Cimétidine 400… Les connaisseurs apprécieront.

Je lui avais expliqué que, en effet, il y avait pas mal de ménage à faire mais qu’elle ne pouvait pas arrêter tout brutalement comme ça et qu’on allait régler ça tranquillement en faisant passer les infirmières tous les jours. Elle m’avait dit qu’elle acceptait le contrat.

Elle avait bien essayé de tricher un peu au début : j’avais fait l’erreur de lui laisser des ordonnances et elle s’était fait emmener à la pharmacie pour récupérer les boites et les planquer au fond de son buffet. « Mais non, Docteur, je vous JURE ! Je les ai données aux infirmières ! Quelles menteuses celles-là ! » On ne se refait pas…

N’empêche, petit à petit on est arrivé à un rythme de croisière. Depuis 6 mois, les infirmières venaient chaque matin lui remettre le traitement pour la journée. On avait diminué son Seresta par petites touches : 1/2 comprimé en moins toutes les 3 ou 4 semaines pour arriver gentiment à 2 fois 1 par jour.

Elle n’était pas devenue moins névrosée. Mais pas plus non plus. Et son fils la trouvait nettement moins abrutie quand il passait la voir.

Il y a 10 jours, Rose a été hospitalisée un dimanche par le médecin de garde pour de violents maux de ventre.

Diagnostic : constipation.

Et dans la lettre de sortie de l’hôpital (et pourtant c’est un service que j’aime bien), qu’est-ce que je peux lire ?

« Le bilan biologique retrouve une cholestase anictérique. La Bili-IRM est normale et nous avons décidé de ne pas pousser plus loin. – blablabla… – Devant un état d’énervement marqué, nous avons dû majorer le Seresta 50 à 1 matin, 1 midi, 2 le soir. »

Grrrrr…

Quand je pense que pour la moindre IRM avec une vraie indication urgente, je dois supplier, négocier et me rouler par terre pendant une demi-heure pour l’avoir, avec de la chance, sous 3 semaines. Et là, hop ! Trois jours d’hospitalisation pour une constipation et l’IRM est faite.

Ah, oui… c’est sûr… il fallait prendre en compte sa « cholestase anictérique » ! A voir… Des GGT à 71 pour une normale inférieure à 65 et des Phosphatases à 125 pour une normale à 108. On a vu plus inquiétant. Surtout que ça fait 2 ans au moins qu’elle a ces résultats et que ça ne bouge pas.

Et alors pour le Seresta, vraiment merci ! Six mois pour faire 4 pas en avant, une semaine pour en faire 2 en arrière.

Bien sûr, aucun coup de fil durant son hospitalisation au médecin traitant que je suis pour connaître les résultats antérieurs ou l’état habituel.

Alors, chers amis hospitaliers, je sais bien que vous avez généralement beaucoup de mépris pour la piétaille généraliste. Nous ne sommes certainement pas parfaits et méritons parfois bien des reproches.

Mais quand je vois parfois comment vous pouvez vous-même vous éloigner de toute recommandation officielle et, plus encore, vous écarter du bon sens le plus basique, je me dis que nous gagnerions certainement tous à nous respecter un peu plus.

Et à nous parler davantage.

Koplik (signe de)

Il y a des mots comme ça, qu’on apprend bien comme il faut pendant ses années de fac de médecine, le temps de passer les examens. Et puis qu’on oublie.

Qu’on oublie parce qu’on ne les voit jamais en vrai.

Mais il reste toujours, au fin fond du cerveau, des petits restes. Des morceaux qui évoquent de vagues souvenirs que ravive parfois le Dr House mais qu’on ne sait plus vraiment à quoi rattacher ou ce que ça donne en vrai. Souvent ils portent des noms de vieux médecins, du siècle dernier ou de celui d’avant, avec barbe et lorgnon : « Signe de Koplik », « Signe de Brudzinski », « Tétralogie de Fallot », « Anneau de Kayser-Fleischer », « Granulome de Wegener », « Dyspnée de Küssmaul », « Signe d’Argyll-Robertson»…

Robin a 13 ans. Ses parents sont de vrais bobos intellos. Il est peintre, elle est professeur de piano. Très sympas au demeurant. Pas trop adeptes de médecine, un peu naturopathes mais pas exagérément et, bien sûr, pas du tout fans de vaccins. Le DTP parce que c’est obligatoire et ça suffira.

A eux aussi, j’ai fait mon couplet sur l’intérêt des vaccins. Bonne discussion, intéressante et interactive, tranquille, mais qui se concluait invariablement par un « On va y réfléchir. » Bon…

J’ai vu Robin la semaine dernière. Une bonne fièvre à 39°5, vraiment pas en forme, avec le nez qui coule, les yeux rouges et un tableau d’angine. J’ai fait mon strepto-test : négatif. Traitement symptomatique. Pas besoin d’antibios, ils étaient contents.

Et le lendemain ils m’ont rappelé « Il a des boutons ! ».

« Ha ! Ha ! » que je me dis. Treize ans, une angine, des boutons : à tous les coups c’est une mononucléose. Je leur ai demandé de me le ramener pour confirmation de mon super diagnostic.

En effet, il avait des plaques rouges sur le cou et le thorax. Qui ne grattaient pas. Je le réexamine comme il faut : rate non palpable, une auscultation normale, un drôle de petit granité blanc derrière les lèvres, pas de ganglions…

Le père de Robin me dit que, d’ailleurs, un copain de classe a été absent récemment à cause d’une mononucléose.

Je me dis : « T’es trop fort ! ».

Je leur dis : « Bon, ben voilà, c’est une mononucléose. Robin, tu vas sûrement, rester fatigué un petit moment mais ce n’est pas grave. Les boutons, ça se voit fréquemment dans cette maladie. La seule chose bizarre, c’est que je ne trouve pas de ganglions alors que, d’habitude, il y en a des gros, mais bon… »

Et au moment où je dis ça, Robin à une quinte de toux.

Et je m’arrête. Un flash.

« Euh… attendez un instant, je vérifie juste une chose. »

J’hésite un peu entre « Kolpik », « Koplik » et « Klopik », finis par taper « Koplik » dans Google image et je tombe sur ça :

Koplik (signe de)

Déf. : Il consiste en taches rouges dont le centre est occupé par un point blanc bleuâtre, arrondi, légèrement saillant et ne dépassant jamais 1 mm, apparaissant à la face interne des joues. C’est un signe pathognomonique de la rougeole.

(S’il y en a qui voient un aspect bleuâtre sur la photo, qu’ils m’écrivent. Merci)

Merci donc aux parents de Robin d’avoir pensé que la rougeole ce n’était pas si sérieux que ça et que la vaccination des autres protégerait indirectement leur fiston. Grâce à eux, j’ai vu une maladie que je croyais ne jamais rencontrer de ma carrière !

Pour rappel, quand même, la rougeole peut être une maladie grave. C’est la troisième cause de mortalité infantile en Afrique après le paludisme et les diarrhées (2 millions de morts par an).

Après avoir quasiment disparu d’Europe, l’épidémie redémarre. D’abord en Grande-Bretagne et à présent en France en raison de la baisse de la couverture vaccinale. C’est ballot parce que c’est une maladie que l’on pourrait éradiquer vu qu’il n’y a aucun réservoir en-dehors de l’être humain.

Sur ce, faut que je vous laisse, m’en vais réviser les symptômes de la peste, de la lèpre et de la variole…

Le monde merveilleux

Germaine était guichetière à la SNCF. Aujourd’hui, elle est retraitée.

Elle est toujours communiste. De ce communisme populaire du temps de l’engagement syndical et des conquêtes sociales. Du temps où on pensait qu’en se serrant les coudes, on ferait bouger les choses et que ça irait mieux demain.

Simple guichetière, elle reste totalement, entièrement, dévouée à la SNCF. A mi-chemin entre le corporatisme de fonction publique et le sentiment d’avoir participé à une Oeuvre au service de tous.

Quand je viens la voir en visite, ça n’y manque pas. Elle me parle de « la maison ».

Comme chaque sou compte, elle épluche ses relevés et appelle régulièrement la SNCF pour râler ou pour comprendre.

Elle est extraordinaire. Elle est convaincue, à chaque fois qu’elle appelle que la personne à l’autre bout du fil la connaît, elle, personnellement. Elle est convaincue que le téléopérateur me connaît bien aussi, directement, puisqu’il sait que c’est moi qui suis Germaine et quel traitement je lui prescrits.

Pour elle qui a vécu le temps des fiches cartonnées, un téléopérateur avec sur son écran la totalité des données qui la concerne, les remboursements qu’elle a eu, le nom de ses médecins, ce n’est tout simplement pas conceptuellement imaginable.

La semaine dernière, elle me disait, qu’elle avait discuté avec son fils de son avenir. Elle est en train de se demander si elle « ne va pas retourner chez ‘nous’ à la maison de retraite de la SNCF ».

Puis elle s’est lancée dans une histoire de remboursement de 7 euros qui correspondait d’après elle à deux bouteilles de sirop pour la toux qu’elle avait cherché à la pharmacie. « Ils ont dû se dire qu’elle était en train de crever la mère Germaine à la SNCF ! »

Ça… je suis même sûr que Guillaume Pépy demandait un bulletin médical complet  chaque matin.

Et de finir avec le divorce de son fils qui la préoccupe beaucoup. « Je lui ai dit qu’on avait des bons avocats à la boîte. C’est sûr, si la SNCF s’en mêle, elle f’ra pas la maline l’autre !' »

N’a-t-elle pas pu ? pas voulu ? voir changer les choses. Le reste du monde a bougé mais, elle, elle a tenu bon, accrochée à ce qui a fait sa vie. A son monde merveilleux.

D’une certaine façon, moi aussi ça m’émerveille.

In God we trust (bis)

Oh mon Dieu !!!

Je viens de voir un autre de mes patients américains qui passe les 6 mois d’été ici.

On l’a opéré l’an dernier des amygdales. A 48 ans il était temps.

Ça a été fait en hospitalisation de jour : arrivé le matin, reparti chez lui le soir.

L’addition facturée par la clinique ? SEIZE MILLE dollars !

Pour un acte qui doit tourner – chirurgie et anesthésie compris, hors dépassements – autour de 200 € en France.

« And my friends ask me why I want to live here ! »

Je ne suis toujours pas blasé.

Révolution

Longtemps j’ai cru qu’on ne pouvait vieillir que malade, grabataire, dément. (*)

Et que, comme on était malade, grabataire ou dément, on était forcément institutionnalisé.

Mes grands-parents étaient déjà décédés depuis quelques années et je n’avais de vision des personnes âgées que celle que me renvoyaient l’hôpital pendant mes stages d’externe ou les maisons de retraite pendant mes nuits infirmières.

Pas très gai, autant dire.

Ce n’est qu’en débutant les remplacements que j’ai réalisé qu’on pouvait aussi avoir 85 ans, vivre chez soi, souvent encore en couple et en pas trop mauvaise santé. Une vraie découverte.

J’ai fait un jour un remplacement sur la côte bretonne. Et c’est au fin fond de la lande, dans un petit hameau, que j’ai fait une visite qui a totalement révolutionné ma façon de voir la vieillesse et comment elle pouvait être vécue.

La secrétaire m’avait prévenu : il fallait actionner le loquet en hauteur, rentrer, trouver la vieille dame et laisser l’ordonnance sur le buffet en partant, après avoir pris le chèque qui s’y trouverait.

C’était une très, très vieille dame. Et elle était très, très démente.

Les patients qui ont une maladie d’Alzheimer sont désorientés dans le temps et dans l’espace. Quand on leur demande « Qui est le président de la République ? », ils répondent « Giscard ». Par exemple.

Elle, elle avait une maladie d’Alzheimer extrêmement évoluée et elle ne répondait plus rien du tout : elle était totalement mutique et déambulait tranquillement dans sa maison comme un petit fantôme en chair et en os.

Parce qu’elle vivait toute seule la petite dame. Toute seule dans sa grande maison avec son petit jardin.

Les choses étaient bien organisées : les aides ménagères passaient trois fois par jour, pour la toilette et pour la faire manger. Le fils n’habitait pas trop loin et venait chaque jour. Il avait sécurisé la maison au mieux. Le gaz était coupé, les prises électriques obturées, les seuils protégés et tous les coins de meuble étaient rembourrés avec de la mousse collée avec du gros scotch marron. Ça donnait un petit air de maison que les déménageurs allaient bientôt vider.

Je n’ai pas vu le fils mais j’imagine qu’il avait parfaitement accepté la possibilité que sa mère tombe un jour et se casse la hanche, ou la tête. Ou bien qu’elle fasse un infarctus et que ça tourne mal parce qu’elle était incapable d’appeler des secours. Il avait visiblement accepté ça et décidé que, malgré tout, ça valait toujours mieux que de la laisser s’éteindre doucement dans la bulle sécurisée – encore que – d’une maison de retraite ou d’un long séjour.

Bien sûr, ce n’est pas toujours possible. Ça nécessite des moyens humains, et souvent financiers, conséquents. Certaines situations médicales sont réellement ingérables. Il faut qu’il y ait un entourage suffisamment présent et disponible. Et il faut que celui-ci ait accepté le risque d’un accident dont il pourrait se sentir fautif. Tout le monde n’en est pas capable.

N’empêche qu’avant cette visite, je n’aurais jamais imaginé qu’une personne atteinte d’une maladie d’Alzheimer puisse être ailleurs que dans une institution. Et alors, seule à domicile ! C’était tout simplement inconcevable.

Merci à cette petite grand-mère bretonne et à sa famille de m’avoir fait découvrir que ça l’était, concevable, et que d’autres solutions étaient possibles.

(*) Pour les non médecins, il me semble utile de préciser que le terme « démence » n’a pas du tout le même sens dans le langage médical et dans le langage courant. Dans le langage médical, ce mot évoque une altération des fonctions cognitives (les « fonctions supérieures » ou « nobles » du cerveau).
La « démence » relève de la neurologie ou de la gériatrie, pas de la psychiatrie. Parmi les démences les plus connues : la maladie d’Alzheimer, la maladie de Creutzfeld-Jacob, …

Salies

Elles arrivaient de la maison de retraite. Trois générations ensemble : la fille, la petite et l’arrière-petite-fille de Robert.

Elles n’avaient pas pris rendez-vous, sous le coup de l’émotion. Ça ne tombait pas trop mal, j’étais dans mes papiers et j’avais le temps.

Robert a 86 ans, du diabète et un drôle de caractère. Je n’ai jamais trop su la part de sa personnalité d’origine, de l’âge et de son ancien alcoolisme. Il est un peu simplet mais pas dément. Il sait parfaitement de quoi on parle.  Je ne suis pas un grand fan des neuroleptiques que lui prescrit le psychiatre mais il faut reconnaître que ça ne va pas trop mal avec.

Il m’amuse quand je le vois déambuler dans le village et qu’il me salut en levant le bras bien haut. Je me bidonne à chaque fois que les aides-soignantes me racontent, en râlant, ses ruses de sioux pour écumer les chambres des autres pensionnaires et leur piquer des petits gâteaux. Et je rigole dans ma tête quand je lui parle de son diabète, de l’alimentation et qu’il me jure que « Non, non, Docteur, je ne mange RIEN entre les repas ! » « Bon, c’est bien, il faut continuer comme ça, hein ! ».

Faut bien reconnaître qu’il est assez porté sur la chose, Robert. Il aime bien les dames. Quand il peut flirter un peu avec une qui est d’accord et échanger des bisous, c’est une bonne journée.

Il y a 10 jours, l’infirmière de la maison de retraite m’a raconté qu’ils avaient quelques soucis avec lui : on l’avait surpris deux fois dans les toilettes avec des pensionnaires, le pantalon sur les chevilles et la main dans la culotte de la dame.

La sexualité des personnes âgées, surtout dans une maison de retraite, est quelque chose d’assez tabou et qu’on a généralement beaucoup de mal à concevoir. Pourtant elle existe et il faut la respecter.

Le problème, c’est que Robert choisissait ses « partenaires » parmi les patientes les plus démentes et que, du coup, ça semblait difficile de parler de consentement. Un peu gênant…

Bref, il s’était fait convoqué chez le directeur qui l’avait sermonné et menacé en faisant les gros yeux de ne pas pouvoir le garder.

Moi, on me soumettait le cas, attendant de la médecine une solution miraculeuse.

J’avais répondu que je n’en avais pas. Que, si c’était vraiment nécessaire, on pouvait discuter de médicaments anti-testostérone mais que ça ne résoudrait peut-être pas tout et que ça posait quand même quelques problèmes éthiques chez un patient qui ne serait probablement pas d’accord si on lui demandait son avis et à qui c’était difficile de ne pas le demander puisqu’il n’était pas sous tutelle.

J’avais donc proposé de se donner un peu de temps et de voir ce que donnerai le sermon du directeur.

Et donc, aujourd’hui, elles étaient venues rendre visite à leur (arrière-) (grand-) père.

Elles sont venues directement chez moi juste après, éprouvées, me demander mon opinion. Je la leur ai donnée. Je leur ai expliqué les limites d’un éventuel traitement, les problèmes éthiques que ça pouvait soulever. Je leur ai surtout dit que je ne voyais pas très bien pour quelle raison on les avait mêlées à ça.

Car il y avait eu cette aide-soignante pour leur raconter les bêtises du papi en espérant…

En espérant quoi, pauvre idiote ? Que leurs sermons auraient plus d’efficacité que ceux du directeur avec sa grosse voix et son autorité ? Qu’elles allaient apporter une solution que personne d’autre n’avait ? Qu’au moins ça allait lui faire la leçon à ce vieux vicieux ? Qu’en leur mettant ça sur les épaules ça allait soulager les tiennes ?

Rien ! Ça ne changera rien à la situation de les avoir mêlées à ça.

Sinon qu’au lieu de garder en mémoire l’image d’un père et d’un grand-père un peu folklorique, gentiment fada et dragueur, elles garderont celle d’un vieux cochon avec le pantalon sur les chevilles.

Vraiment, bravo.

En quoi est-ce qu’elles méritaient, elles, de se sentir ainsi salies ?