Suicide médicalisé

J’ai déjà parlé de la confiance dans le soin et de son importance. Confiance est sœur de fidélité.

Etre fidèle à son médecin, c’est bien. Le plus souvent, c’est bon pour votre santé : le nomadisme médical donne très rarement de bons résultats.

Et puis moi je trouve ça touchant.

Mais parfois, la fidélité à son médecin confine au suicide.

J’ai vu Paulo pour la première fois il y a deux semaines.

« Bonjour, je voudrais changer de médecin. Ça fait 17 ans que je vais chez le Dr Moustache mais maintenant j’en ai marre. L’autre jour, j’avais rendez-vous à 11 heures et à 11 heures il y avait encore 15 personnes devant moi. Il m’a dit « T’as qu’à attendre ! » mais je lui ai dit que cette fois-ci, je n’attendrai pas.

Deux, trois patients, je veux bien, c’est normal, mais quinze ! Et c’est toujours pareil, pourquoi il donne des rendez-vous alors ?

Déjà, il y a 5 ans, je travaillais encore et il ne donnait pas de rendez-vous à cette époque. Eh bien, pour être à l’heure à l’usine à 9 heures, j’arrivais à minuit et je dormais dans ma voiture devant son cabinet. Et, parfois, il y avait déjà quelqu’un avant moi !

Et puis, à chaque fois, il me parle de chasse mais alors pour s’occuper de moi… Donc c’est mon voisin qui m’a dit de venir vous voir, que ça allait me changer. »

Paulo a 61 ans et 20 ans de diabète derrière lui. C’est devenu mon recordman de l’insuline : 202 unités par jour !

Il me tend sa dernière prise de sang. Une hémoglobine glyquée à 10,7%, ouch ! (cf. L’école des cancres)

Le cholestérol ça va. Avec les traitements…

Par curiosité, je regarde les résultats antérieurs que rappelle le labo. Un cholestérol total à 4,21g et des triglycérides à 20,70 g (la norme est à 1,50). Je relis deux fois. Eh beeee…

Et puis je tique, sur la date : mai 2008. « Mais, vous aviez fait des prises de sang dans un autre labo entre temps ?

– Ah non, je vais toujours au même.

– Vous n’aviez pas eu d’autre prise de sang depuis 2 ans ???

– Ben, non. Sauf à l’hôpital. Et encore, la dernière, j’ai insisté pour qu’il me la prescrive. C’est comme le médecin des yeux : je l’ai vue il y a 6 mois mais c’est parce que je l’ai demandé.

– Mmmh… Et vous êtes suivi par un cardiologue ?

– Non. Enfin, on m’a fait un électrocardiogramme à l’hôpital l’an dernier quand j’ai été pour me faire déboucher la carotide. Mais, sinon, non. Ils m’avaient dit aussi qu’il faudrait que je fasse un machin d’effort, là, avec le vélo.

– Et vous ne l’avez pas fait ?

– Mais non ! Le Dr Moustache, il ne m’a pas fait de lettre et puis il m’a dit qu’il ne s’occupait pas de prendre les rendez-vous et que je pouvais me débrouiller. Mais, je sais pas lire ni écrire alors c’est pas facile. Et puis pour aller à la ville en voiture… Moi j’ai que 700 euros par mois, vous savez. Alors, 100 kilomètres en voiture, faut que je fasse attention. »

Finalement, l’instinct de conservation l’a emporté, Paulo n’a pas envie de mourir.

Quant à moi, j’ai laissé tomber le devoir de confraternité. Dr Moustache, t’es vraiment un connard.

***

P.S. Je devance les commentaires de ceux qui risquent de penser « Oui, bon, le patient, il raconte ce qu’il veut, si ça se trouve, c’est des bobards… »
Paulo a récupéré son dossier chez le Dr Moustache et me l’a fait passer. Il n’y a effectivement aucune prise de sang depuis celle de 2008. Et encore, sur celle-ci, Moustache a griffonné « Analyse prescrite par la diabétologue »

La loi de Borée

Il n’y a pas de raisons, moi aussi je veux laisser mon nom à la postérité médicale.

C’est pourquoi j’ai décidé de décrire un concept syndromique qu’il conviendra donc de désigner dorénavant par l’intitulé « Loi de Borée ».

En voici l’énoncé :

Pour tout patient, de préférence une femme de plus de 50 ans (critères non limitatifs), le degré d’attachement aux médications inutiles, voire dangereuses, (Tanakan©, Vastarel©, phlébotoniques, …) est strictement proportionnel à la probabilité de développer des intolérances, des effets indésirables et des « allergies » en lien avec les traitements les plus utiles et les mieux éprouvés sur le plan scientifique.

Vie de château

Henriette est une toute petite dame qui s’est pliée en deux au cours des ans. 37 kg toute mouillée pour 1m35. Elle est très, très, sourde, n’a plus que quelques dents mais encore tous ses neurones. Pas la peine de lui rappeler la date ni le montant de la visite.

Henriette est vieille fille. Elle porte un nom qu’on trouve dans les livres d’histoire et vit dans le petit château familial. Celui de mon village.

Chaque passage chez elle est un dépaysement.

Chaque prescription d’une prise de sang est une gageure.

« Dites bien aux infirmières de ne pas venir avant midi !

– Mais vous savez qu’elles doivent venir plus tôt, le laboratoire récupère les boîtes à 11 heures.

– Mais à 11 heures, je ne suis pas encore levée ! »

Elle a un « cousin » à particule qui s’occupe d’elle, lui fait les courses et entretient le château en attendant d’en hériter. Très théâtral, il est parfois là lors de mes visites.

« Bonjour Docteuuur ! Vous êtes venu voir ma petite Henriette. Ah, ça ne s’arrange pas ! »

Henriette est à côté, redresse la tête et demande « Vous parlez de moi ? »

« Mais non, Henriette, je lui demandait des nouvelles de sa famille. » « Elle est vraiment sourde comme un pot. Et toujours aussi désordonnée, vous n’avez pas idée ! Ce château, c’est un vrai ca-phar-na-üm. Bon, je vous laisse avec elle. » En hurlant : « Je vous laisse avec le Docteur, ma petite Henriette. Dites lui bien que vous ne prenez pas toujours vos médicaments du matin ! »

Et là Henriette me fait traverser le château à petits pas. Elle tient à me recevoir dans le salon.

A 88 ans, avec les problèmes de santé qu’elle a eu et ceux qu’elle a encore, il faut reconnaître que c’est un peu un miracle qu’elle soit toujours là.

Surtout qu’avec sa prise en charge « médicale », elle défie la médecine fondée sur les preuves. Les médicaments pour le coeur, c’est un peu quand elle veut. Par contre, à elle seule, elle assure la moitié du chiffre d’affaire français de la vente par correspondance de produits de naturopathie, de phytothérapie et d’autres poudres de perlimpinpin.

En me tendant un magazine coloré en papier glacé, « Ah Docteur ! Vous connaissez certainement cette revue, il y a des articles vraiment très intéressants sur la santé. On peut aussi y trouver de la publicité pour d’excellents produits. Regardez, on y trouve l’Elixir du Suédois et le Baume des Bénédictines. Vous le savez, j’achète beaucoup de produits par la poste. Mais que des meilleurs laboratoires ! » « Je n’en doute pas, Mademoiselle. »

Cette semaine, elle avait à nouveau un bel eczéma des jambes. Elle m’a confirmé qu’elle y appliquait diverses crèmes à base de plantes toutes plus allergisantes les unes que les autres… Je n’ai même pas envisagé de lui proposer un corticoïde, je savais que le dermatologue s’y était déjà cassé le nez : elle est « allergique »…

J’ai essayé de négocier un moindre mal : « Plutôt que vos plantes, peut-être pourriez-vous essayer de la simple vaseline, c’est naturel et ça marche bien. » « Ah vous pensez ? C’est vrai que ce sont parfois les choses les plus simples qui marche le mieux. »

Et pendant que je l’examine, elle me fait la conversation « Tout va bien dans votre maison, vous êtes bien installé ? Comment va votre cousin ? » (c’est ainsi qu’est pudiquement désignée ma moitié…)

Je lui donne la réplique en m’époumonant.

Arrivé à la rédaction de l’ordonnance, ma voix fatigue un peu mais pas Henriette qui me confie sa nostalgie du temps passé « Les temps changent et c’est bien malheureux. Autrefois, on avait des soirées chaudes jusqu’à la Toussaint. Regardez le temps qu’il fait à présent.

C’est comme les grillons. On ne les entend plus… »

***

Pour le livre, l’ami Gérald Guerlais m’a fait ce joli dessin :

Passe-moi le sel

Je suis régulièrement effaré de voir passer sur une même ordonnance des antihypertenseurs, et en particulier des diurétiques, et des formes de Paracétamol effervescentes.

Les besoins physiologiques en sel sont d’environ 3 grammes par jour.

Le Français moyen ingère environ 10 grammes par jour et 20 % des personnes ingèrent plus de 12 grammes par jour (rapport INSERM).

L’OMS recommande de ne pas dépasser 5 grammes par jour. La plupart des recommandations considèrent comme acceptable une consommation de 6 à 8 grammes chez un adulte en bonne santé.

La limite de 5 à 6 grammes est le plus souvent fortement recommandée chez un patient hypertendu.

Bon, et qu’en est-il des comprimés effervescents en question ? Le service Pharmacie du Centre Hospitalier de Béthune a fait une excellente synthèse.

Doliprane 1g effervescent =1,0 g de sel / comprimé

Efferalgan 1g effervescent = 1,4 g de sel / comprimé

Efferalgan 500mg effervescent = 1,0 g de sel / comprimé

Pour rappel : 1 g de sodium = 2,5 g de « sel » (alias chlorure de sodium, NaCl)

Le petit papi qui prend gentiment ses 3 fois 2 comprimés d’Efferalgan 500 par jour (un grand classique), il est déjà à 6 g de sel par jour et il n’a pas encore commencé à manger !

Ça vaut bien le coup de lui mettre de l’Hydrochlorthiazide ou du Furosémide…

Autorité

J’aime beaucoup mes patients anglais.

Ils sont le plus souvent très sympas, respectueux et plutôt drôles.

Alors que les Français semblent bien souvent considérer que les généralistes sont tout juste bons à « soigner » les rhumes et à signer des certificats (et encore, pas tous), pour les Anglais, nous sommes d’authentiques notables.

En effet, en Grande-Bretagne, tout médecin est considéré comme une « autorité » apte à attester certains documents officiels. Les premières fois ça m’a étonné : « Vous êtes vraiment sûr que c’est à moi de signer ça ? » « Oui, oui, la signature d’un docteur ça a beaucoup de valeur. » « Bon… »

Et, donc, ils me demandent régulièrement de certifier une photocopie conforme à l’original, de signer une attestation comme quoi ils sont bien en vie et qu’on peut continuer à leur verser leur pension de retraite ou, mon préféré, de signer au dos d’une photo d’identité « I, undersigned Dr Borée, M.D., certify that this is a true likeness of Mr John Doe. »

Faudrait que je pense à m’acheter une plume d’oie à l’occasion.

Tous les chemins mènent au blog

C’est l’été, mon dernier billet était un peu sombre, on a envie de se détendre et de se changer les idées et mes prochains billets en gestation ne sont pas plus hilarants que ça. Je vais donc me laisser aller à un peu de facilité.

Après 6 mois, il est temps de faire ma petite cérémonie des Googlars : la liste des requêtes Google qu’ont saisi des internautes pour atterrir sur mon blog. Je dois bien avouer qu’elle est moins riche que celles d’une dresseuse d’ours, mais il y a quand même de quoi faire.

Bien sûr, les fautes de frappe et d’orthographe sont d’origine.

***

Catégorie « Je me demande vraiment ce qu’ils cherchaient »

1 comprimé trois fois par jour pendant 10 jours + dr house : c’est pour traiter un lupus ?

au bonheur des dames mais de l’autre : voyons, voyons… Balzac ? Hugo ? Rimbaud ? Maupassant ? Duvivier ? Cayatte ?

blog message professionnelle carte vacances

eh bien… tu m’as dit il y a quelques temps… : oui ?

je sais pour un certain f et une s qu’il se passe quelque chose entre eux : mais quoi ? mais quoi ?

***

Catégorie « Nos amis les bêtes »

C’est dommage, personne ne recherche de renseignements sur la vie des ours chez moi. Je me rattrape, un peu, avec les cochons d’Inde…

bouchons cérumen cochon d’Inde : les envoyer à Guillaume.

otite interne du cochon dinde y a-t-il une guérison : j’espère bien, pauvre petite bête.

mamelles à la campagne : il y a bien quelques limousines à côté de mon cabinet. C’était bien ça ce que vous cherchiez ?

vieille cochonne : en bon français, c’est une vieille truie.

gerer une mise a bas chatte errante en exterieur : ouh la ! Allez plutôt demander à Boules de fourrure.

***

Catégorie « Le Dr Borée répond à toutes vos questions. Ou presque. »

gynécologie que veux dire l’abréviation cu : c’est le cuivre. Pour qu’un DIU soit efficace, il en faut au moins 350 mm². Et du coup, ça répond à l’autre question que vous vous posiez sûrement : « Ça veut dire quoi le ‘380’ après le ‘Cu’ ? »

hystéromètres+à quoi ça sert ? « Hystero » = utérus – « Mètre » = qui mesure. Ça sert à mesurer la profondeur de l’utérus avant de poser un DIU.

l’enfant peut-il aller à la piscine avec un yoyo ? Mais oui !

le lubrifiant peut il fausser une colposcopie : Mais non !

pas vu de gynéco depuis 5 ans : ce n’est pas très bien. Tous les 3 ans, c’est mieux. Un généraliste qui sait y faire, ça marche aussi.

combien de temps après le retrait du sterilet mirena recois ton ces regles : la réponse est « ça dépend », le plus souvent dans un délai de 6 à 8 semaines. Par contre, mon petit doigt me dit que vous êtes Alsacienne, vous.

j’ai une gastro je peux aller au gyneco quand même : mmh… ça risque de ne pas être très confortable, en effet. Mais vu les délais de rendez-vous…

qu’utiliser comme lubrifiant : pour les câlins, je vous recommande un lubrifiant à base d’eau. Pour votre voiture, voyez plutôt avec votre garagiste.

je vais faire quoi à la retraite : aller à la pêche, faire des voyages, finir la pile de livres qui traîne sur la table de nuit, se lancer dans un potager bio. Bref, tout ce que moi je n’arrive pas à trouver le temps de faire !

les enfants peuvent ils souffrir dans une piscine d’eau de mer : ça dépend combien de temps on leur laisse la tête sous l’eau.

comment appelle-t-on un faiseur de miracle : un médecin qui traite un coma hypoglycémique !

le meilleur o.r.l. de France : je ne sais pas. Mais le meilleur généraliste, c’est moi, bien sûr !

quel est le nom de la mère de borée ? : « Maman »…    Naaan, plus sérieusement, c’est peut-être Eos que vous cherchiez.

***

Catégorie « Ça les travaille. Et bien, même »

J’ai hésité pour cette catégorie… J’ai quand même fait un peu de ménage pour ne pas trop tomber dans la vulgarité. Si ? Un peu quand même…

cobaye pour examen gynéco –  cobaye pour la médecine anglaise –  cobaye pour les études en gynécologie –  gynécologue patientes cobayes : c’est beau tous ces gens qui s’intéressent à la recherche médicale !

blog vieux vicieux –  papi vicieux : je peux vous présenter Robert.

blog jeunes mameles : à ranger dans la catégorie « Nos amis les bêtes » ?

infirmière « pantalon sur les chevilles » –  secretaire française cochonne –  secretairer sans culotte : le fantasme de l’uniforme…

s enduire de lubrifiant : hum… avec de l’huile, ça pourrait faire un poulet à la broche.

speculum-dans-la-quequette : ouch !

***

Catégorie « Divers »

aucune nouvelle gynéco après frottis : pas de nouvelles…

aujourd’hui frottis : et lundi, c’est raviolis.

blog genicologie : c’est pour le frottis de la lampe magique ?

gynecologue de merde : ça…

le conjoint se rend compte qu’on a du gel lubrifiant : lui expliquer qu’on devait faire un frottis et qu’on avait lu le blog de Borée.

fabriquer gel lubrifiant –  fabriquer son gel lubrifiant maison a base d eau –  idée de lubrifiant maison : bonjour les bricoleurs ! Sérieusement, allez plutôt en acheter en supermarché.

on na pas de lubrifiant : voir avec les bricoleurs s’ils ont trouvé une recette.

j’ai jeté la boite du vaccin : tête en l’air !

ma fille insupportable à cause des otite séreuse : sales gosses !

vieux parents ingérables : sales vieux !

cholestase granitique : c’est mimi, ça. Tapez plutôt « cholestase gravidique », ça marchera mieux.

hippo dans la glicimie : encore plus mimi !

la diphterie on en meurt ou on en reste idiot : parfois on en guérit aussi.

pronation douloureuse homéopathie : moi je veux bien que l’homéopathie soigne tout mais là, franchement, il y a plus simple.

un bisou sur le doigt diabete : très bonne idée, à chaque fois qu’on pique le doigt pour la glycémie, un bisou et apumal !

l’amour mais pas la guerre : on est d’accord.

recherche boule de lessive vizirette : là, vraiment, dites moi comment vous êtes arrivé sur mon blog, je veux savoir !

 

Edition du 30/08/2011

L’ami Boulet m’a offert un dessin pour illustrer ce billet :

La bonne mort

C’est un terme qui se discute. Presque un oxymore.

J’en ai déjà vu quelques unes des morts.

Juste un peu avant, ou bien pendant, ou bien juste un peu après… Des patients que je connaissais un peu, d’autres que j’avais accompagné, des que je n’avais jamais vu avant.

En réalité, la mort n’est jamais belle. Jamais, jamais, jamais.

Elle est juste un peu plus ou un peu moins laide, un peu plus ou un peu moins triste, un peu plus ou un peu moins douloureuse, un peu plus ou un peu moins salvatrice.

Ceux qui parlent d’une « belle mort », c’est qu’ils utilisent simplement une tournure de phrase convenue. Ou qu’ils n’en ont jamais vu en vrai.

Mais parfois, c’est exact, il y a des morts qui sont moins hideuses. Que, tant qu’à faire, on se souhaiterait à soi-même ou à ses proches.

Ça faisait huit ans que Pierrette se battait contre son cancer du sein. Pas le genre à laisser tomber. Elle avait bossé toute sa vie avec son mari. Elle était la tête, il était les bras. Ils avaient toujours monté des projets. Quand l’un était achevé, ils redémarraient autre chose.

Mais, parfois, on a beau se battre et gagner des batailles, on ne gagne pas la guerre.

Pierrette était suivie par un confrère du village voisin. C’était en été et il m’avait appelé pour me passer la main pendant ses vacances. Il m’avait prévenu que ça n’allait pas fort, qu’elle avait décidé d’arrêter la chimio, qui ne servait plus à rien, et qu’elle s’affaiblissait de plus en plus.

Elle était perfusée à la maison et avait tout ce qu’il fallait pour calmer les douleurs. Une des infirmières du coin habitait à 200 mètres de chez elle et connaissait bien la famille. Elle passait souvent.

La première semaine, je suis allé la voir tranquillement. Elle avait des nausées. On avait mis en place du Zophren.

Le mardi suivant, elle allait mieux. Presque plus de nausées et, malgré son ventre de pierre, « Les douleurs, ça va, elles sont bien calmées. »

Le week-end à venir, ça tombait bien, j’étais de garde. Ça l’avait rassurée.

Le samedi en fin de matinée, l’infirmière m’appelle. « Il y a un souci : Pierrette n’a plus uriné depuis hier midi. Je l’ai sondée et la vessie était vide. Elle est vraiment fatiguée et les nausées reviennent. »

Ça signifiait que les reins ne fonctionnaient plus, qu’elle s’était mise en insuffisance rénale terminale.

Dans un autre contexte, ça aurait été synonyme de dialyse en urgence. Là, ça voulait dire que c’était la fin.

Je suis venu aussitôt. J’ai examiné Pierrette avec l’infirmière à côté. Toute la famille était réunie et attendait pudiquement dans le salon.

Après l’avoir examinée tranquillement, je me suis assis au bord du lit. Je lui ai demandé si elle avait mal quelque part.

–          Non, ça, ça va.

–          Bon… Vous savez, je crois que vos reins ne vont pas redémarrer, ce n’est pas bon signe…

–          Je m’en doute, vous savez.

–          Qu’est-ce qu’on fait ?

–          Je suis fatiguée.

–          Vous en avez marre de vous battre…

–          Oui, … j’en ai marre.

–          … Je peux mettre des médicaments dans la perfusion qui vont vous permettre de vous endormir et de ne pas avoir mal du tout. Vous voulez qu’on fasse comme ça ?

–          Oui, on va faire comme ça.

Je suis allé dans le salon, il y avait le mari, les enfants, les petits-enfants. Je leur ai dit que ça allait être la fin et qu’on ne pouvait plus retarder l’échéance. Ils s’en doutaient bien eux aussi. Les yeux étaient un peu rouges mais tout le monde était calme.

Je ne sais plus si c’était la réalité ou un souvenir déformé, mais je garde l’image d’une ambiance où la tristesse et la douleur se mêlaient à une sorte de douce sérénité.

J’ai fait des ordonnances, envoyé le petit-fils à la pharmacie de garde et annoncé que je reviendrai une heure plus tard après avoir vu une autre urgence.

A mon retour, tout était là. On a préparé la nouvelle perfusion, ensemble avec l’infirmière. Avant de la brancher, je suis allé voir la famille « Quand on aura démarré la perfusion, elle risque de s’endormir assez vite. Vous pouvez encore aller la voir. »

Ils y sont allés. Se parler ? S’embrasser ? Ou peut-être seulement se tenir la main ?

Quand tout a été en place, j’ai fini par laisser l’infirmière avec Pierrette et son mari. Avant de partir, le fils m’a proposé un café. Je me suis assis avec ses sœurs et lui, et on a parlé un petit moment. De Pierrette et de sa vie, de la maison qu’ils avaient achetée au Maroc et des voyages qu’elle avait faits.

Cinq heures après, dans la soirée, l’infirmière m’appelait pour me dire que Pierrette était partie voir de l’autre côté. Les derniers moments avaient été un peu éprouvants pour tous à cause des râles que la scopolamine n’avait pas fait disparaître mais le passage s’était fait sans douleur.

Lorsque je suis venu faire le certificat, la maison était toujours aussi calme. Les larmes avait coulé mais on sentait surtout tout l’amour qu’il y avait dans cette famille. J’ai aidé l’infirmière à préparer Pierrette et je suis parti.

Quelques mois plus tard, le fils de Pierrette nous invitait, le confrère et moi, pour une balade à cheval pour nous remercier. Et l’an dernier, c’est son père qui s’est remarié avec une femme qui avait connu la même histoire que lui. Life goes on.

Quant à moi, bien des fois, je repense à cette journée. Ce n’est vraiment pas souvent que les conditions sont réunies pour qu’une fin de vie se passe ainsi, à la maison. Mais, ce jour là, vraiment, je crois qu’on s’était tous rapprochés de la meilleure manière dont on pouvait l’envisager. Ensemble.

In God we trust (ter)

« Miroir, mon beau miroir… » est une intéressante étude qui vient d’être publiée par le « Commonwealth Fund ». Il s’agit de l’actualisation 2010 de l’étude régulièrement menée et visant à comparer le système de soins des Etats-Unis à d’autres références internationales.

Le Commonwealth Fund est une fondation privée, créée en 1918 et siégeant à New-York, qui vise à l’amélioration des systèmes de santé aux Etats-Unis et dans les autres pays industrialisés.

Cette étude a comparé les systèmes de sept pays de l’OCDE. Avec une forte tonalité anglo-saxonne puisque les deux seuls pays non anglophones qui y figurent sont l’Allemagne et, pour la première fois, les Pays-Bas.

A la stupéfaction générale, les Etats-Unis arrivent… derniers des sept pays comparés.

En fait, ça n’a évidemment rien d’étonnant.

Plus précisément, ça ne surprendra pas grand monde que les Etats-Unis figurent à la dernière place en ce qui concerne les aspects de coût, d’accessibilité ou d’équité.

Mais ce qui est frappant, c’est qu’ils sont également derniers (ou avant-derniers) pour ce qui concerne la sûreté du système de soins, sa coordination et la qualité globale des soins. Par exemple, ils sont derniers pour des items tels que les erreurs de posologie médicamenteuse, le délai de notification de résultats anormaux, les pertes de temps dues à des défauts d’organisation, …

Ils sont également en queue de peloton pour l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé.

Et, en parallèle, leur système de soins coûte presque deux fois plus cher par personne que le deuxième au classement (le Canada) et trois fois plus cher que la Nouvelle-Zélande. Ce qui permet de conclure une nouvelle fois, qu’en terme de système de soins, décidément, il y a (nettement) pire mais que c’est (beaucoup) plus cher !

Quant aux deux pays qui finissent en tête du classement, il s’agit des Pays-Bas et du Royaume-Uni.

On peut remarquer qu’ils figurent presque partout aux deux premières places sauf pour le critère « système de soins centré sur le patient ». Ils arrivent bons derniers sur des critères tels que l’information délivrée aux patients ou la prise en compte de leurs préférences. Peut-être est-ce une autre manière de dire qu’ils privilégient des considérations de santé publique au détriment des considérations individuelles.

L’étude souligne par ailleurs une idée fausse communément répandue. Les délais d’accès aux spécialistes sont généralement longs dans certains pays comme le Royaume-Uni et le Canada, ce qui est généralement attribué au fait qu’il s’agit de systèmes fortement socialisés avec peu de participation financière des patients. Or c’est également le cas aux Pas-Bas et en Allemagne avec, pour ces deux pays, des délais d’attente faibles.

Quant au critère d’espérance de vie totale et de vie en bonne santé, c’est personnellement celui que je trouve le plus discutable. De nombreuses données démontrent qu’il s’agit d’un critère qui n’est que partiellement dépendant du système de soins. Beaucoup d’autres facteurs viennent impacter ces éléments : conditions économiques, habitudes alimentaires, politiques familiales, éducation, législation du travail, … C’est d’ailleurs un point que soulignent les auteurs eux-mêmes.

Vivement la prochaine édition en croisant les doigts pour que la France y figure. Quelque chose me dit qu’on risque bien d’être assez déçus de notre « meilleur système de santé du monde ».

Fan club

J’ai un fan club.

Ce sont les personnes âgées du village qui habitent autour du cabinet. Une bonne petite bande qui ont été parmi mes premiers patients.

Parmi les membres du club, il y a René, Gérard et Madeleine. Et surtout des femmes, veuves pour la plupart.

Une laitue par ci, des tomates par là, une boîte de foie gras ou quelques oeufs, on me gâte.

Il y a en particulier Germaine, Charlotte et Simone. C’est le trio de choc de mon fan club. Ma garde prétorienne.

Gentilles comme tout. Grands sourires, bras levés, je les croise souvent dehors. Parfois au café, parfois alignées sur le banc en face du cabinet. Elles sont presque toujours fourrées ensemble.

Et parfois, en consultation, il y en a une qui se lâche :

« Oh, vous savez, Germaine ! Cette grosse tourte… »

« J’étais avec Simone, vous ne lui direz rien, hein. Parce qu’alors… elle est gentille n’est-ce-pas… Mais qu’est-ce qu’elle cause ! »

J’adore !