Chacun ses trucs.
Tout médecin, même un généraliste, a des domaines qu’il aime et d’autres moins ; des choses qu’il maîtrise et d’autres qu’il tâche d’éviter.
Question de goûts personnels, de hasards lors du cursus des études, d’opportunités, de géographie.
Si vous vous êtes tordu une cheville ou fait un lumbago, vous n’êtes pas obligé de venir me voir.
Je ne serai peut-être pas totalement nul, mais je ne serai pas très bon non plus. Et en tout cas, vous aurez du mal à me motiver.
Je ne sais pas pourquoi, mais tout ce qui concerne les muscles et le squelette, je n’ai jamais réussi à m’y intéresser vraiment. Et puis, de toute façon, ça se termine quand même à peu près toujours pareil : paracétamol, antiinflammatoires, repos. Parfois une attelle.
Si vous avez un enfant à me montrer, par contre, vous serez les bienvenus : ça m’amuse et je saurai m’y prendre.
Si vous avez un problème de cardiologie ou de médecine interne, venez ! Je suis à peu près au point et je vais me passionner à décortiquer votre cas.
Si vous faites un infarctus ou un coma hypoglycémique, faites-moi appeler ! J’ai fait quelques mois de SAMU et j’aime me sentir vraiment utile.
Si c’est pour de la gynécologie, asseyez-vous. Vous réveillerez mes instincts militants et j’adorerai prendre un long moment pour tout vous expliquer en détail.
Mais si, vraiment, vous voulez me faire plaisir, venez avec une belle balafre. Une plaie, une blessure, une mandale, une entaille, une coupure, une estafilade. Ou bien encore un kyste sébacé à exciser, voire une kératose mal placée. Là, ce sera chouette.
Car, oui, j’aime les travaux manuels. C’est peut-être une des raisons qui m’a amené dans ce coin perdu. Les confrères qui sont installés près des villes ne font presque plus ces gestes : les gens ont pris l’habitude d’aller aux Urgences ou chez le spécialiste. Ici, ils sont généralement contents de ne pas avoir à se taper la longue route.
Petit à petit d’ailleurs, j’ai gagné en assurance. Il m’est arrivé également, au début, d’envoyer des patients chez le dermatologue, le chirurgien ou l’urgentiste. Et je me suis rendu compte que, bien souvent, j’aurais fait aussi bien ou même mieux sur le plan esthétique. Aujourd’hui, il faut vraiment que la plaie soit très moche ou la lésion vraiment inquiétante pour que je renonce.
Donc si vous vous êtes mis un coup de cutter ou qu’une vache vous a planté son sabot dans le tibia, venez me voir !
Je vous installerai bien à l’aise sur ma table d’examen, je désinfecterai votre blessure, je ferai une anesthésie pour que vous n’ayez pas mal. Je sortirai mon matériel stérile.
Et puis je m’attellerai au travail.
Telle une couturière appliquée, je choisirai ma technique, car nous sommes dans le sur-mesure : un point en Y ? Un point inversé profond ? Un invisible surjet intradermique que personne d’autre ne sait faire dans les environs ?
Scalpel, pincette, ciseaux, aiguille montée, je laisserai alors mes mains virevolter, en tirant un peu la langue. Parfois, je travaillerai en silence, laissant échapper un juron de temps en temps, parfois nous ferons la causette. En tout cas, mon esprit sera au repos. Comme j’aime ces moments de relâche entre un diabétique hypertendu artéritique et un patient dépressif !
Paradoxe du système français qui privilégie la technique à l’intelligence : ces gestes de petite chirurgie sont très bien rémunérés. C’est bien souvent le montant de trois ou quatre consultations sans être forcément plus long et bien moins épuisant.
Lorsque nous arriverons sur la fin, je ferai mes nœuds en vous laissant regarder, un coup à l’endroit, un coup à l’envers, vous me prendrez un peu pour un magicien.
Si ma secrétaire avait été là elle serait venue m’aider, car elle adore ça.
Et une fois venu le moment du pansement final, elle vous aurait dit, un peu pour vous rassurer, un peu par fierté d’entreprise « Et voilà, c’est fini. Le docteur Borée a encore fait de la haute couture pour vous. »
Ah qu’est-ce que je comprends ça ! J’aime le manuel aussi et j’aime notamment le fait de pouvoir mettre ma cervelle au repos, pour juste me concentrer sur le geste… Que ça fait du bien de ne pas réfléchir…
Et le paradoxe est là : payé beaucoup mieux pour beaucoup moins d’efforts, et dans l’oeil du patient l’impression d’avoir fait quelque chose d’extraordinaire, chose qu’on ne retrouve pas forcément quand on passe des heures à écouter, cogiter, essayer de comprendre…
Heureusement qu’il est aussi varié notre métier.
En vous lisant je dois réprimer l’envie de me taillader un membre quelconque, juste pour le plaisir de me faire recoudre… Et puis je me souviens que la dernière fois que ça m’est arrivé je me suis retrouvée aux urgences, le jour du changement d’internes ( ou d’externes?) et que de mon box j’ai entendu dans le couloir: t’as déjà fait des sutures? Non, bon y’a deux bonnes femmes à suturer, je prends la première et tu regardes et tu fais la deuxième…coup de bol j’étais la première….
Ben dis donc, t’ es en forme !
Dis-moi ce que tu as fumé, que j’ en prenne également.
C’est beau…
le parallèle que tu fais, ou plus exactement que ta secrétaire fait, avec la haute couture va bien au-delà de la minutie de leur travail. Comme pour toi leur travail est leur passion, la perfection leur objectif et l’amour de leur métier leur carburant. Tu iras loin…
La prochaine fois que mon garçon se pète l’arcade, ou que ma fille s’explose le front, promis, je vous les amène.
J’ai aussi beaucoup aimé ce genre d’exercice; mais que dira t’on (assureur, justice et rumeur publique) s’il arrive un accident même insignifiant (chute par crise vagale, allergie à l’anesthésique, surinfection, hémophilie non connue, cicatrice chéloide..) surtout si vous n’avez pas de salle de réveil, un défibrillateur, de l’oxygène une aide de réanimation..
Allez! bon courage quand même
GUERISON
Je continue à faire comme toi dans mon cabinet de campagne moult points, résistant à la pression des sites hospitaliers d’urgences, et quand j’ai fini, non seulement je suis heureux de me dire que le patient que je viens de recoudre, aura moins de cicatrices que celles que m’ont laissés mes amis chirurgiens et même plasticiens, mais surtout je suis heureux de constater que la personne qui est ENTREE MALADE RESSORT GUERIE. Cela n’est pas tous les jours dans notre fichue métiers de spécialistes-généralistes que nous pouvons nous le dire et que cela fait du bien !
Un métier qui vous aurais éclaté : vétérinaire. Couture monnaie courante, chirurgie de tous ordres, imagerie, pharmacie, médecine générale, dentisterie, cardiologie, gynécologie, diététique et j’en passe et des meilleures… Et le tout sur toutes les espèces de la création… sauf une. 😉
C’est vraie qu’une belle suture c’est sympa et jouissif comme un beau diagnostic qui nous a fait cogiter à fond , surtout si il n’a pas été fait par nos grand spé hospitaliers. Et c’est vraie aussi qu’il faut ètre à la campagne pour pratiquer une médecine générale complète, dans la mesure de nos domaines de compétences préférentiels.