La plupart du temps.
La fois où, saoul comme un Polonais, il a débarqué à l’improviste dans mon cabinet après s’être tailladé les avant-bras, ça ne m’a pas amusé du tout.
C’était en fin de journée, je pensais avoir presque terminé et j’étais devant mon ordinateur à envoyer mes derniers mails quand il a toqué à ma porte. Après avoir retiré les feuilles d’essuie-tout qu’il avait utilisées pour emballer ses plaies, je me suis attaqué à désinfecter ses entailles, trop superficielles pour qu’il faille les suturer. Pendant que je faisais des pansements corrects en grommelant, Régis beuglait sur mon divan d’examen.
Ça ne m’a pas amusé non plus la fois où, un coup dans le nez, il avait essayé de me tirer une consultation alors que j’étais attablé pour déjeuner au PMU du village. Je l’avais envoyé promener en lui disant que les consultations c’était au cabinet. Il avait râlé, avait parlé de non-assistance à personne en danger et m’avait fait la gueule pendant quatre mois.
Avant de revenir comme si de rien n’était.
Mais, sinon, il m’amuse.
C’est mon petit morceau de ZUP à moi.
Il vient chaque mois renouveler son traitement. Aussi précis et fidèle avec moi qu’il peut être folklorique.
Il a fini par comprendre le fonctionnement du cabinet et par jouer le jeu. Il passe toujours le matin quand ma secrétaire est là pour prendre rendez-vous pour l’après-midi. Il est ponctuel et pas désagréable lorsqu’il est à jeun. D’ailleurs, ça fait au moins deux ans qu’il a sacrément réduit l’alcool. Du coup, je ne suis pas trop rigide non plus : les quelques fois où il vient sans rendez-vous, si je peux, j’essaie de le voir quand même.
Il me raconte souvent ses ennuis avec les voisins, avec ses enfants, avec les gendarmes.
Quand il me dit qu’il a un flingue, je ne sais pas trop si c’est réel ou pour se vanter.
Quand il me parle de ses cousins de la grande ville, c’est tout un univers inconnu que je découvre : un monde où les filles à marier s’achètent, où on se fait « saigner » si on déconne avec l’honneur de la famille, où les affaires se règlent en liquide.
Je l’écoute cinq minutes, je ne sais pas si tout est vrai ou s’il en invente une partie. Je ne sais pas si je dois rire ou m’offusquer.
Il y a toujours des grosses voitures devant chez Régis, des allemandes, bien sûr. Il les achète, il les revend. Parfois, j’appelle l’assistante sociale pour qu’elle lui donne des bons alimentaires, histoire qu’il se nourrisse d’autre chose que de conserves froides. D’autre fois, ou bien les mêmes, je vois des billets de 200 dépasser de son portefeuille.
Il me fait chier aussi, quand j’ai besoin de le joindre pour une prise de sang où un rendez-vous à l’hôpital, et que je suis obligé de passer chez lui et de le sortir du lit en plein après-midi.
— Vous ne pourriez pas vous prendre un téléphone une bonne fois ?
— Un téléphone ? Vous êtes fou ! On n’a jamais de téléphone chez nous, c’est beaucoup trop risqué avec les gendarmes.
La dernière fois, il fanfaronnait en m’expliquant ses techniques pour sortir les enveloppes des boites de dépôt bancaire et celles pour ouvrir les voitures.
— Mais on ne touchera jamais à la vôtre. On respecte !
Alors ça va.
Un c’est amusant, surtout raconté comme ça, une dizaine avec une maladie rénale chronique ou transplanté c’est beaucoup beaucoup moins drôle
Borée au PMU, Moi ça m’aurait amusé… 😉
J’adore ! me voilà renvoyée pendant mes études, en stage de PMI !
Nous, arrivant avec la voiture du conseil général pour des visites à domicile, face au gros dur qui garde l’entrée du « camp »
Lui, laissant subtilement voir une lame dans sa main : t’es l’assistante sociale ou la sage-femme ?
Nous : la sage-femme, on vient voir Mme Tropetibébé…
Lui : alors ça va, passe, l’assistante on la crève, mais toi, pas de problème.
Et le voilà qui nous prend les sacoches et nous fait escorte.
Heureuse et soulagée d’être respectée…
Ce genre de personne me fait parfois encore un peu peur, mais ont toujours un côté attachant.
Des fois ce type de respect n’est même pas lié au role…
Au cours de l’hiver (je ne sais plus lequel, après que quelqu’un avait parlé de racaille à la télé) je marche vers 21 h dans une rue, c’est vrai, peu eclairée. Je suis accostée par deux jeunes,blouson en cuir et attitude un peu de caid, qui m’adressent la parole, pour savoir ce que je fais , où je vais. Je réponds gentiment en continuant à marcher, mais j’ai bien la trouille! un des deux me demande mon numéro de téléphone, petit moment de panique, puis je réponds « Naaa, pas possible, j’ai déjà quelqu’un je suis une fille fidèle!! ».
Silence de l’autre coté.. panique qui monte…puis brusque changement d’attitude: « Ah c’est trop bien ça d’être fidèle, respect! et puis tu nous parles alors qu’il y en a qui nous traitent de racaille. Ben, à partir de maintenant si tu vas dans le quartier tu dis que je t’es sous ma protection! ».
Yo, man! et je n’ai même pas du dire que j’étais médecin… 🙂
Souvent au fin fond de leur âme de gros dur, il existe du respect pour le soignant.
En tant que dentiste, je sais qu’il est important que ces patients ne se sentent jamais abandonnés, incompris ou qu’ils n’aient jamais mal. C’est dans ces cas que la violence verbale ou physique commence. Et avec la dose de stress qu’ils ont en passant chez nous aussi balèzes qu’ils peuvent être, ça démarre facilement au quart de tour.
Ce qui m’amuse c’est cette capacité de se livrer aussi facilement sur des actes illégaux, chacun sa fierté, je préfère mes grands-mères qui se vantent de leur petits-enfants !
En lisant le commentaire de Sophie, (juste parce qu’elle est dentiste) j’ai repensé à ce que m’a dit mon mari la semaine dernière, sa mère de 80 ans était chez le dentiste, celui-ci lui a dit « ouvrez la gueule » (sic !) elle ne s’est pas laissée impressionner et lui a répondu, » et ma main, tu la veux dans ta gueule ? » …
Borée , je t ‘ adore ou plutôt tes posts mais arrête les à priori qui restent dans l ‘ inconscient collectif comme » SAOUL COMME UN POLONAIS » , ce n ‘ est pas utile
signé un médecin français petit fils d ‘ un polonais immigré mort de silicose dans les mines françaises et qui ne buvait pas une goutte d ‘ alcool
Pardon, c’est juste. J’aurais pu utiliser une autre formule en effet. Je le laisse ainsi puisque ce texte figure tel que dans mon livre mais merci de me rappeler à la vigilance.
Sophie : les grands mères qui me parlent de leurs petits enfants me saoulent! Heureusement qu’il y en a pour supporter ça. 😉