La première fois que j’ai vu Rose, elle était dans son fauteuil : rien n’allait, elle avait mal partout, 19 de tension et un pouls à 102.
Elle était en manque.
Elle venait de décider que son précédent généraliste l’empoisonnait et avait tout arrêté.
Elle n’avait pas vraiment tort.
De fait, Rose est raisonnablement folle, anxio-dépressive chronique, très ambivalente et n’a jamais vraiment réussi à se passer de son petit blanc sec.
N’empêche qu’on lui faisait des prescriptions de compétition. On pouvait y trouver 3 Seresta 50© au cours de la journée et SEPT au coucher. Soit 10 comprimés par jour quand la posologie maximale officielle est de 3 pour les « cas sévères en psychiatrie ».
A côté de ça, un antidépresseur, un « psychostimulant » prescrit dans les « états d’apathie ou de manque d’énergie » (ben voui, avec ça…), plusieurs « phlébotoniques », l’incontournable Tanakan©, de l’Inexium 40© ET, pour être sûr, de la Cimétidine 400… Les connaisseurs apprécieront.
Je lui avais expliqué que, en effet, il y avait pas mal de ménage à faire mais qu’elle ne pouvait pas arrêter tout brutalement comme ça et qu’on allait régler ça tranquillement en faisant passer les infirmières tous les jours. Elle m’avait dit qu’elle acceptait le contrat.
Elle avait bien essayé de tricher un peu au début : j’avais fait l’erreur de lui laisser des ordonnances et elle s’était fait emmener à la pharmacie pour récupérer les boites et les planquer au fond de son buffet. « Mais non, Docteur, je vous JURE ! Je les ai données aux infirmières ! Quelles menteuses celles-là ! » On ne se refait pas…
N’empêche, petit à petit on est arrivé à un rythme de croisière. Depuis 6 mois, les infirmières venaient chaque matin lui remettre le traitement pour la journée. On avait diminué son Seresta par petites touches : 1/2 comprimé en moins toutes les 3 ou 4 semaines pour arriver gentiment à 2 fois 1 par jour.
Elle n’était pas devenue moins névrosée. Mais pas plus non plus. Et son fils la trouvait nettement moins abrutie quand il passait la voir.
Il y a 10 jours, Rose a été hospitalisée un dimanche par le médecin de garde pour de violents maux de ventre.
Diagnostic : constipation.
Et dans la lettre de sortie de l’hôpital (et pourtant c’est un service que j’aime bien), qu’est-ce que je peux lire ?
« Le bilan biologique retrouve une cholestase anictérique. La Bili-IRM est normale et nous avons décidé de ne pas pousser plus loin. – blablabla… – Devant un état d’énervement marqué, nous avons dû majorer le Seresta 50 à 1 matin, 1 midi, 2 le soir. »
Grrrrr…
Quand je pense que pour la moindre IRM avec une vraie indication urgente, je dois supplier, négocier et me rouler par terre pendant une demi-heure pour l’avoir, avec de la chance, sous 3 semaines. Et là, hop ! Trois jours d’hospitalisation pour une constipation et l’IRM est faite.
Ah, oui… c’est sûr… il fallait prendre en compte sa « cholestase anictérique » ! A voir… Des GGT à 71 pour une normale inférieure à 65 et des Phosphatases à 125 pour une normale à 108. On a vu plus inquiétant. Surtout que ça fait 2 ans au moins qu’elle a ces résultats et que ça ne bouge pas.
Et alors pour le Seresta, vraiment merci ! Six mois pour faire 4 pas en avant, une semaine pour en faire 2 en arrière.
Bien sûr, aucun coup de fil durant son hospitalisation au médecin traitant que je suis pour connaître les résultats antérieurs ou l’état habituel.
Alors, chers amis hospitaliers, je sais bien que vous avez généralement beaucoup de mépris pour la piétaille généraliste. Nous ne sommes certainement pas parfaits et méritons parfois bien des reproches.
Mais quand je vois parfois comment vous pouvez vous-même vous éloigner de toute recommandation officielle et, plus encore, vous écarter du bon sens le plus basique, je me dis que nous gagnerions certainement tous à nous respecter un peu plus.
Et à nous parler davantage.
Bonjour,
Une question me vient : le pharmacien ne doit-il pas contrôler la posologie ? Peut-il s’opposer au médecin si celui-ci dépasse la posologie sur son ordonnance ?
Si, bien sûr, le pharmacien doit vérifier la posologie. Si celle-ci est inhabituelle, il doit s’assurer auprès du médecin qu’il ne s’agit pas d’une erreur. Une manière d’éviter ceci est de préciser sur l’ordonnance la mention « Je dis : … » qui indique que l’on a bien conscience de ne pas prescrire une posologie usuelle.
Je dois avouer que je ne sais pas dans quelle mesure le pharmacien peut refuser la délivrance si la prescription lui paraît vraiment aberrante.
Les posologies et les indications indiquées dans les autorisations de mise sur le marché (et reprises dans les notices et les bases médicamenteuses) ne sont pas opposables : le médecin a en principe le droit de ne pas les respecter. Ceci implique aussi qu’il puisse éventuellement justifier ce qui motive sa prescription.
Il arrive, par exemple, que dans certains cas sévères de psychiatrie (ce qui n’est pas le cas de Rose), on soit amenés à faire des prescriptions « hors-norme », par exemple en raison du phénomène d’accoutumance. Mais ça devrait rester exceptionnel.
Autre exemple, dans un domaine différent, les recommandations internationales indiquent que le médicament de référence des nausées de la grossesse est la Doxylamine. Celle-ci n’est officiellement disponible en France que comme somnifère léger dans l’insomnie occasionnelle de l’adulte. Comme il s’agit d’un vieux médicament qui vaut trois francs six sous, le laboratoire ne paiera jamais les frais importants pour obtenir l’indication officielle des nausées de la grossesse.
On peut donc tout à fait, dans ce cas, faire une prescription en-dehors du cadre officiel du fait que l’on a suffisamment de preuves scientifiques validées de l’intérêt de cette prescription.
Borée, je t’aime, épouse moi.
Depuis presque 1 an, je fais divers examens par rapport aux troubles du sommeil. les examens ont été prescrits par mon médecin, car je lui demandais ponctuellement des somnifères (ouuuhh pas bien !!!), donc j’ai dit ok on y va ( ils vont bien trouver que je suis dépressive me dis-je !).
Mais là n’est pas, là où je veux en venir !!! mais j’ai toujours demandé que mon médecin soit au courant de tous résultats (bon c’est un super, génial médecin, euh surtout depuis qu’il a vu les résultats, j’ai fait fort et maintenant suis dépressive !! euh je plaisante, mais c’est agréable de pouvoir faire confiance à son médecin). Médecin qui ne voit pas que la maladie, mais aussi les effets touchant la vie quotidienne.
Et pour en venir aussi, à, aux traitements, j’ai appris plein de chose, comme prendre certain médicament à certain moment et que surtout je suis une poule.
dans le sens que le meilleur remède c’est la lumière ! les poules l’ont bien comprises, elles, le soleil se lève, elles se lèvent, le soleil se couche, elles se couchent? bon c’est vrai qu’elles ne pensent pas beaucoup ! les poules !
Que notre vie moderne peut engendrer des accoutumances qui ne sont pas forcément bien étudiés mais en réponse rapide, et que l’automédication ( sans oublier le bio) est très à la mode mais pas forcément pour revenir à la source.
Comme quoi faut des gens compétents!! flute, je me retrouve encore à faire des affirmations.
Merci, Borée, merci de tout ces petits détails qui changent la pratique quotidienne.
Merci pour ton temps passé pour donner une info fiable sur les frottis, sur les diabolos, ici sur la doxylamine… et pour ces moments de plaisir à te lire.
Et bon courage !
Jeuneinstallément vôtre 😉
Rhooo… quelle journée ! 😀
@ Rrr
Merci de cette fougueuse déclaration. Venant de toi, je ne peux que rougir jusqu’à la pointe des oreilles ! Malheureusement, mon coeur est déjà pris. Mais, promis, dans une prochaine vie j’envisagerai très sérieusement cette perspective.
@ Myriam
Nous sommes un peu tous des poules… Nous dormons en moyenne 1 heure de moins qu’il y a un siècle et, en effet, les exigences de rapidité, de performance, « d’efficience » de la vie moderne nous obligent bien souvent à mépriser nos rythmes naturels et à maltraiter notre propre corps.
Le médecin n’est alors parfois là que pour pallier au mieux des problèmes dont il a conscience mais sur lesquels il n’a aucune prise.
@ Guillaume
Merci de ton message. J’aimais bien ton blog mais, apparemment tu t’es fait rattraper par « les exigences de la vie moderne ». Plus le temps ? Plus l’envie ?
je retourne 😉 le commentaire de fin au généraliste qui, dernièrement, a dit à une patiente d’arrêter l’adalate parce que sa tension était normale… sauf que l’adalate, c’était pour arrêter les contractions qu’on lui avait prescrit…cela dit, je suis d’accord avec toi…
Merci pour la réponse 🙂
« les exigences de la vie moderne » … c’est joliment dit …
Mais j’apprend justement à accepter de dire « je ne prend pas le temps » plutôt que « je n’ai pas le temps »…
L’envie est toujours là, les histoires aussi… reste juste à les coucher sur le papier (euh sur le clavier)
@ Borée :
aurais tu la gentillesse de préciser la poso de la doxylamine dans l’indication « vomissement gravidique ».
Même si ce n’est pas scientifique, as tu de bons résultats avec.
J’avoue que j’en suis au métoclopramide faute d’avoir trouvé mieux jusqu’ici (a part l’isolement carcérale des cas extrème ! vu aussi en hospitalier utiliser le sulpiride mais sur quel critère ???)
dommage qu’il n’y ai pas de forme remboursé de doxilamine…
@ Guillaume :
j’adore le jeuneinstallément vôtre, d’autan que je suis dans le même cas (et que en plus j’ai le même prénom…)
Alors tout pareil
jeuninstallément vôtre 😉
La revue Prescrire donne tous les arguments pour l’utilisation de la Doxylamine dans les nausées de la grossesse. C’est le produit pour lequel on a le plus d’études internationales et le plus long recul (plus de 50 ans). Santé Canada indique ici une posologie de 20 mg au coucher et la possibilité de prendre 1 comprimé à 10 mg supplémentaire si besoin (attention au risque de somnolence en cas de prise dans la journée). Ce site indique également les mesures non médicamenteuses à proposer.
Comme il n’y a que des comprimés à 15 mg sur le marché français, on peut recommander une dose maximum de 2 comprimés par jour, à prendre sous la forme de demi-comprimés ou de comprimés entiers.
L’expérience personnelle n’est pas du tout un critère scientifique valable. 😉 Comme par ailleurs mon secteur fait que je ne suis pas amené à suivre plus de 3 ou 4 grossesses par an, ça n’aurait vraiment aucune significativité. Je botte en touche !
Le métoclopramide est une alternative acceptable en cas d’efficacité insuffisante ou de somnolence trop marquée.
Certains médicaments sont à éviter car ils n’ont aucun avantage sensible et offrent moins de garanties (dompéridone, métopimazine, …). Quant au sulpiride, il n’est pas contre-indiqué dans la grossesse mais c’est un neuroleptique de la famille des Benzamides, exactement comme le métoclopramide (qui n’est pas présenté comme tel) et je ne vois pas très bien quel avantage supplémentaire il apporterait.
Encore merci de vos messages à tous.
Bonjour,
Je suis pharmacien d’officine et j’exerce depuis un peu moins de 6 mois.
On contrôle toutes les ordonnances et quand ça ne colle pas (pour ne pas dire autre chose…) on appelle le médecin. Mais auparavant on a vérifié l’historique du patient, les indications pour lequel cela a été prescrit….
En pratique le médecin n’as jamais tort !!!! Quand on l’a au téléphone c’est toujours OUI je sais Mais… (Et j’ai connu ça bien avant d’être diplômé, déjà quand que je travaillais comme étudiant c’était déjà le cas….
Alors quand est ce qu’un pharmacien ne délivre pas???
– Quand un des médicament inscrit sur ordonnance est prescrit hors AMM :
Exemple: quand étais étudiant, une cliente vient chercher des médicaments pour sa mère. Elle me donne l’ordonnance du médecin généraliste. Celle ci comportait son traitement pour le coeur… et rajouté tout a la fin un Coxib, le celebrex. Je parle avec la cliente, qui me dit que sa mère s’est tordu la cheville et qu’elle est insuffisante cardiaque…
La clairement, on est largement hors AMM pour le COXIB, j’appelle le médecin qui me dit c’est bon, c’est bon, je sais, je sais (je n’invente rien promis), allez y!!! Je lui ai répondu gentiment que je ne délivrerais pas. Il a donc modifié sa prescription.
Mais ce n’est pas toujours le cas, loin de la. Les cardiologues prescrivent souvent hors AMM, et pourtant on délivre quand même. On les appelle systématiquement au début et puis quand on voit passer une n éme ordonnance d’un n émé patient pour un même cardio, on laisse courir…
A contrario, en psychatrie, je vois passé toute la journéee des ordonnances ou les doses sont extrêmement chargées… Quand on regarde l’historique, il est long comme un pecheur marseillais… Alors la, même si c’est pas bien, on appelle pas le médecin et on délivre quand même.
Autre exemple, quand les doses sont trop élevées:
C’est le cas en particulier en pédiatrie, ou on vérifie systematiquement les dosages. D’ailleurs j’en profite pour dire à nos amis médecins, peser l’enfant et inscrivez son poids sur l’ordonnance, je vous en supplie!!!
Quand le dosage est trop haut, on appelle le médecin…
Si il n’est pas joignable, on rectifie de nous même.
– Quand le patient est allergique, la encore on appelle le médecin. Si il n’est pas joignable, on ne délivre pas.
En pratique, le pharmacien délivre systématiquement. Le refus de délivrance est l’exception. (Mis a part pour les stupéfiants… qui sont des cas très particulier). Si refus il y’a, il doit justifié par le pharmacien.
Cordialement,
boris
Pour rebondir sur deux sujets, j’ai reçu plusieurs fois des coups de fil de pharmaciens… parce que j’avais prescrit de la doxylamine pour des nausées gravidiques 🙂 J’ai tenté 1 cp le soir pour commencer, j’ai jamais revu la patiente pour juger de l’efficacité… j’osais pas trop le prescrire au début, j’y viens de plus en plus…