Longtemps j’ai cru qu’on ne pouvait vieillir que malade, grabataire, dément. (*)
Et que, comme on était malade, grabataire ou dément, on était forcément institutionnalisé.
Mes grands-parents étaient déjà décédés depuis quelques années et je n’avais de vision des personnes âgées que celle que me renvoyaient l’hôpital pendant mes stages d’externe ou les maisons de retraite pendant mes nuits infirmières.
Pas très gai, autant dire.
Ce n’est qu’en débutant les remplacements que j’ai réalisé qu’on pouvait aussi avoir 85 ans, vivre chez soi, souvent encore en couple et en pas trop mauvaise santé. Une vraie découverte.
J’ai fait un jour un remplacement sur la côte bretonne. Et c’est au fin fond de la lande, dans un petit hameau, que j’ai fait une visite qui a totalement révolutionné ma façon de voir la vieillesse et comment elle pouvait être vécue.
La secrétaire m’avait prévenu : il fallait actionner le loquet en hauteur, rentrer, trouver la vieille dame et laisser l’ordonnance sur le buffet en partant, après avoir pris le chèque qui s’y trouverait.
C’était une très, très vieille dame. Et elle était très, très démente.
Les patients qui ont une maladie d’Alzheimer sont désorientés dans le temps et dans l’espace. Quand on leur demande « Qui est le président de la République ? », ils répondent « Giscard ». Par exemple.
Elle, elle avait une maladie d’Alzheimer extrêmement évoluée et elle ne répondait plus rien du tout : elle était totalement mutique et déambulait tranquillement dans sa maison comme un petit fantôme en chair et en os.
Parce qu’elle vivait toute seule la petite dame. Toute seule dans sa grande maison avec son petit jardin.
Les choses étaient bien organisées : les aides ménagères passaient trois fois par jour, pour la toilette et pour la faire manger. Le fils n’habitait pas trop loin et venait chaque jour. Il avait sécurisé la maison au mieux. Le gaz était coupé, les prises électriques obturées, les seuils protégés et tous les coins de meuble étaient rembourrés avec de la mousse collée avec du gros scotch marron. Ça donnait un petit air de maison que les déménageurs allaient bientôt vider.
Je n’ai pas vu le fils mais j’imagine qu’il avait parfaitement accepté la possibilité que sa mère tombe un jour et se casse la hanche, ou la tête. Ou bien qu’elle fasse un infarctus et que ça tourne mal parce qu’elle était incapable d’appeler des secours. Il avait visiblement accepté ça et décidé que, malgré tout, ça valait toujours mieux que de la laisser s’éteindre doucement dans la bulle sécurisée – encore que – d’une maison de retraite ou d’un long séjour.
Bien sûr, ce n’est pas toujours possible. Ça nécessite des moyens humains, et souvent financiers, conséquents. Certaines situations médicales sont réellement ingérables. Il faut qu’il y ait un entourage suffisamment présent et disponible. Et il faut que celui-ci ait accepté le risque d’un accident dont il pourrait se sentir fautif. Tout le monde n’en est pas capable.
N’empêche qu’avant cette visite, je n’aurais jamais imaginé qu’une personne atteinte d’une maladie d’Alzheimer puisse être ailleurs que dans une institution. Et alors, seule à domicile ! C’était tout simplement inconcevable.
Merci à cette petite grand-mère bretonne et à sa famille de m’avoir fait découvrir que ça l’était, concevable, et que d’autres solutions étaient possibles.
Complètement d’accord, mais c’est possible parce que choisi par ce fils, et non subit parce qu’il n’y a pas de place en institution avant 18 ou 24 mois. Et qu’il n’a pas trois frères ou soeur qui mettent des batons dans les roues ou un voisin bien intentionné qui porte plainte pour maltraitance parce que le fils doit lui crier dans l’oreille pour ce faire entendre…
J’ai remarqué régulièrement que dans les couples très âgés, il y a la tête et les jambes. Le(a) dément(e) qui pousse le fauteuil roulant du conjoint(e) qui lui indique où aller, ce qu’il doit faire… équilibre fragile, mais équilibre tout de même.
Mais il doit bien exister une part de la population âgée qu’on ne connait pas, ceux qui ne sont ni institutionnalisé ni suivi par un docteur ?
Excellent article. Le tout serait de faire des calculs savants pour savoir si cela ne coûterait pas moins cher à la collectivité de garder ces patients déments à la maison (avec aide(s) à domicile, infirmière(s) et tout ce qu’on voudra.) qu’en institution. Ce que j’ai tendance à croire.