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« Libérez ma pilule » : liberté pour qui ?

 

 

Quelques réflexions sur le site liberezmapilule.com et la pétition associée…

 

Pourquoi ? À la première lecture de la lettre ouverte, l’impression ressentie est celle d’un texte confus, à l’argumentaire mal construit. De quoi parle-t-on ? D’une pilule progestative ? De toutes les pilules ?

 

A moins, au contraire, que ce texte et ce blog ne soient très bien construits et très habiles ?

 

Reprenons les choses dans l’ordre.

 

1- De quoi parle-t-on ?

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

3- Quels sont les coûts ?

4- A qui profite le projet ?

5- Les procédés rhétoriques

 

1- De quoi parle-t-on ?

 

  •  S’agit-il purement d’une pilule progestative, ou bien songe-t-on à étendre le dispositif aux œstroprogestatives (que l’on abrègera en OP), éventuellement dans une seconde phase ?
  •  Parle-t-on d’une autorisation de prescription de la part du pharmacien, d’une prescription facultative ou d’une vente libre ?

 

Reprenons le texte principal (la lettre ouverte). Toute l’introduction prend l’exemple de la situation US et des recommandations de l’ACOG (d’ailleurs similaires à celles de l’AAFP). Ces recommandations ne se limitent pas aux pilules progestatives, mais concernent bien toutes les familles de pilule. Le questionnaire envisagé explore les contre-indications des œstroprogestatives (voir les références sur l’AAFP).

 

Pour le moment il n’y a pas de pilule en vente libre aux USA. Les associations et organisations militant pour une vente libre (OTC, over-the-counter) envisagent que la première pilule autorisée soit progestative, mais ont pour objectif affiché les deux familles, en se basant sur des études montrant qu’un questionnaire permet d’éviter les contre-indications connues des OP.

 

Dans certains États des US, comme l’Oregon, les pharmaciens ont une autorisation de prescription, qui repose sur un questionnaire rempli avec l’aide du pharmacien. Il ne s’agit pas d’une vente libre.

 

La lettre ouverte ne mentionne les pilules progestatives qu’à deux reprises : pour évoquer une demande d’autorisation d’un laboratoire français aux US (Rx-to-OTC switch), marché potentiellement très fructueux (voir plus bas partie 3), et à la fin, pour demander aux laboratoires de déposer une AMM.

 

Le texte demeure donc très ambigu sur l’objectif à terme, progestatives ou OP, très certainement à dessein. Si l’objectif était uniquement les progestatives, il aurait pu être beaucoup plus explicite sur l’absence de contre-indications cardiovasculaires, par exemple, et beaucoup plus convaincant.

 

Tout en gardant en tête cette ambiguïté, nous privilégierons dans la suite ce qui semble être l’objectif à court terme : une AMM pour une pilule progestative en vente libre.

 

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

 

La santé publique est faite de délicats équilibres, souvent difficile à quantifier, et une idée généreuse peut se révéler nuisible…

 

Il est sans doute impossible de quantifier les rapports bénéfices/risques de la mesure proposée, mais nous pouvons au moins qualitativement examiner ses effets positifs et négatifs.

 

L’effet positif est clairement identifiable : un nouveau canal de diffusion serait disponible pour les pilules progestatives, sans consultation médicale. Certaines femmes ne consultant pas pour une raison ou une autre pourront acheter un contraceptif oral en pharmacie. Cela pourrait être bénéfique dans certaines zones où l’accès à un médecin, une sage-femme ou un centre de planning familial est limité.

 

Du côté des effets négatifs, les effets indésirables d’une pilule progestative sont mineurs et les contre-indications limitées et bien identifiées, et même pour une œstroprogestative, des études qu’il faudrait compléter semblent indiquer qu’un questionnaire auto-administré suffit à les éviter largement.

 

Cependant :

  • Si la délivrance sans ordonnance se limite aux pilules progestatives, le nouveau canal offre un choix limité. Chez une femme jeune et fertile, sans contre-indication aux OP, ce n’est pas forcément le meilleur choix en raison principalement d’une moindre efficacité et d’une plus grande dépendance aux horaires de prise que pour une OP. Un DIU au cuivre ou hormonal, un implant, un anneau peuvent être aussi proposés… À noter qu’une extension aux pilules OP améliorerait ce point, à compenser par un risque peut-être accru d’effets indésirables sérieux, à quantifier.
  • La consultation de prescription de contraception peut être faite par un•e gynécologue, un•e généraliste, un•e sage-femme, en cabinet, au planning familial, etc. Le choix est vaste, et souvent méconnu. Cette consultation ne comporte pas d’examen gynécologique.
  • Cette consultation est l’occasion, en particulier pour la première prescription, d’aborder, outre les diverses options de contraception, divers sujets sur la sexualité, les IST, les violences… S’en dispenser prive de cette occasion.

 

Le choix de prescripteur est suffisamment large pour qu’il n’y ait en réalité guère d’obstacle de disponibilité ou de distance pour cette consultation, sauf peut-être dans certaines zones. Un généraliste qui ne fait pas de gynécologie saura fréquemment renvoyer vers un•e collègue proche. À l’échelle de la France, et en particulier en zone urbaine, c’est principalement l’information qui fait défaut.

 

3- Quels sont les coûts ?

 

Actuellement :

 

  • Pour une personne hors AME/CMU :

– La consultation revient à 6,90 euros (ticket modérateur).

– Un an de pilules = 4 boîtes à environ 3 euros remboursés à 65 %, donc environ 4 euros.

Soit au total environ 11 euros par an.

(en réalité un peu plus pour une OP et un peu moins pour une progestative, à 1-2 euros près).

 

  • Pour une personne bénéficiant de l’AME/CMU, c’est gratuit.

 

  • Pour une pilule en vente libre, si elle est proposée au même prix :

– 4 boîtes à 3 euros, non remboursés : 12 euros.

 

Pas de gain donc, au contraire, en particulier pour les personnes en AME/CMU.

 

MAIS, ce qui est proposé est une nouvelle AMM, pour une spécialité médicale qui sera en vente libre. Il est extrêmement probable que le prix sera différent. Aux USA, une boîte pour un mois coûte entre 20 et 50 dollars hors assurance (5-30 dollars après éventuel remboursement).

 

Si les prix français ne sont pas ceux des USA, tous les médicaments qui ont été déremboursés ces dernières années pour passer en vente libre (parfois du fait des autorités, parfois à la demande des industriels) ont vu leurs tarifs augmenter rapidement de 46% en moyenne et de plus de 90% dans un quart des cas.

 

Par ailleurs, on peut raisonnablement penser que le prix d’une pilule en vente libre serait aligné sur celui des pilules actuellement non remboursées, soit de l’ordre de 10 à 15 € par mois, 120 à 180 € par an.

 

Notons que la lettre ouverte aurait pu demander que l’AMM se fasse dans un cadre remboursable, donc à prix régulé via le dispositif des médicaments « à prescription facultative » (le paracétamol en est un exemple). C’est d’ailleurs ce qui était demandé par le « Collectif des Pharmaciens » dans leur proposition n°4.

Ce n’est pas le cas de Libérez ma pilule.

 

4- À qui profite le projet ?

 

Il est toujours indispensable d’explorer conflits d’intérêts et motivations. Les promoteurs d’un projet comme celui-ci ont toujours une diversité de motivations. La santé publique en sera une, en général, mais il faut se poser la question des autres.

 

Le nom de domaine liberezmapilule.com a été enregistré au nom de Karim Ibazatene, d’après les informations publiquement disponibles. Il s’agit donc visiblement d’un promoteur clé de l’initiative.

Actif sur les réseaux sociaux, blogueur, ce pharmacien de formation déclare travailler pour l’industrie pharmaceutique. Il est qualifié de « spécialiste marketing santé, président de LNA » sur ce site d’école de commerce. En parallèle, il est ou a été gérant d’une multitude de sociétés, ayant en général une activité de conseil auprès de l’industrie pharmaceutique, enregistrées à Paris (LNA, TIM), Londres (LNA Limited), Luxembourg (Kahena), Riga (SIA PLTCare), Chypre (CRT Cyprus Readability Test), Madrid (LNA)…

A noter que son blog et son compte Twitter ont été fermés simultanément dans la nuit du 21 au 22 avril. Le cache Google permet de retrouver la page de présentation et le dernier billet.

 

Une pilule en vente libre, commercialisée autour de 30 euros la boîte de trois plaquettes, représenterait un marché très important pour l’industrie pharmaceutique. Ce promoteur du projet est donc très certainement en conflit d’intérêts majeur, non déclaré sur le site.

 

5- Les procédés rhétoriques

 

Une fois ces points examinés, il est utile de revenir sur le texte même, et sur les annexes (FAQ et autres articles) proposées sur le site web.

 

Ce site, bien conçu, comporte en effet de nombreux articles périphériques, utilisés dans la campagne de presse, et souvent repris dans les articles mentionnant le projet. Les examiner permet de mieux comprendre l’origine de ce projet et ses divers objectifs.

 

On l’a vu, le texte lui-même reste ambigu dans son introduction sur la nature de la pilule concernée, et sur la situation aux US. On pourrait penser à sa lecture que la pilule progestative y est en vente libre. On a vu plus haut que ce n’est pas le cas. En outre, d’après ce qui est actuellement public, HRA Pharma, contrairement à ce qui est annoncé, n’a pas déposé une demande de switch, mais a créé un partenariat avec Ibis Reproductive Health, une association, pour effectuer les recherches permettant de soumettre un dossier « d’ici quelques années ».

 

Un argument utilisé, juste après avoir parlé des USA, est que la délivrance sans ordonnance est une réalité dans de nombreux pays. La carte jointe montre qu’en réalité il s’agit, pour la plupart, de pays où la vente de médicament n’est globalement pas régulée, y compris pour des médicaments tels que des antibiotiques. A l’inverse, les pays où la prescription est nécessaire sont, globalement, les pays les plus développés et offrant le maximum de garanties aux patients/consommateurs/citoyens.

 

Dans la partie « Pourquoi seulement une pilule progestative », le texte fait référence uniquement aux œstroprogestatives de 3e et 4e génération qui sont annoncées comme « délicates à manier« .

(« Pour nous, ces pilules [de 3e et 4e génération] ont encore vocation à être prescrites par un médecin ou une sage-femme », pardon mais, les signataires de la lettre ouverte, vous signez vraiment cette phrase ???)

Il est étonnant de ne pas mentionner ici les œstroprogestatives de 2e génération, les seules qui devraient être prescrites dans l’immense majorité des cas, et dont les effets indésirables sont bien moindres. Mais les laboratoires défendent farouchement ces pilules 3G et 4G, beaucoup plus rentables.

 

La partie « Quels avantages à ne pas imposer une consultation » entretient une confusion entre un suivi gynécologique (« frottis ») et prescription de pilule, deux actes sans aucun rapport en réalité. Elle annonce que le suivi « vise à repérer certaines pathologies particulièrement rares ». Le cancer du col de l’utérus n’est, hélas, pas une pathologie rare. La HAS recommande un suivi entre 25 et 65 ans avec (en simplifiant) un frottis tous les trois ans. Ce texte, tel qu’il est rédigé, peut avoir un effet dissuasif sur un suivi nécessaire, tout en poussant à ne pas consulter pour une prescription de contraception (quelle qu’elle soit) en s’appuyant sur cette confusion. Il s’agit d’un procédé rhétorique à la fois malhonnête et dangereux.

 

 

Conclusion

 

Cette initiative semble partir d’une belle intention et, au premier abord, elle est séduisante. L’accès à la contraception reste problématique pour certaines femmes en France et tout ce qui peut contribuer à l’améliorer sera bienvenu. Le libre accès à une pilule constitue une piste. Parmi d’autres.

 

Plusieurs éléments font cependant que nous ne pouvons pas soutenir la lettre ouverte de Libérez ma pilule :

  • Le caractère positif de l’impact global en termes de santé publique de l’initiative, telle qu’elle est présentée ici, est incertain.
  • Automédication, autonomie des patients qui payent pour obtenir ce qu’ils souhaitent, cette initiative est d’inspiration plutôt libérale, teintée d’une vision consumériste de la médecine que nous ne partageons pas. Ce qui nous semble devoir primer est la discussion lors de la consultation ; la prescription pourrait être renouvelable dix ans au lieu d’un si c’est justifié médicalement.
  • Financièrement, cette initiative profitera surtout à l’industrie pharmaceutique qui, par l’intermédiaire de son syndicat, semble regretter que les prix des médicaments continuent à être régulés.
  • Le texte est ambigu sur ses objectifs, peu informatif, passe sous silence des éléments sans doute pour ne pas se restreindre (ailleurs que dans la phrase finale) aux pilules progestatives.
  • Certains promoteurs semblent en situation de conflit d’intérêts majeur non déclaré.

 

Nous croyons à la sincérité de la grande majorité des signataires de la lettre ouverte mais nous craignons qu’ils n’aient été enrôlés, à leur insu, dans une opération de marketing commercial. Et nous nous interrogeons sur la genèse de ce projet. De qui, précisément, provient l’initiative ? Qui a effectué le travail de recherche, rédigé ces textes et fourni la logistique ?

 

Peut-être faudrait-il lancer une initiative réellement citoyenne, claire sur ses objectifs (éventuellement avec deux étapes, progestatifs puis oestroprogestatifs ?), exposant clairement les bénéfices de chaque option, et très explicite sur ce qui est demandé pour une éventuelle AMM, par exemple avec une AMM remboursable à prescription facultative, donc à prix régulé.

La campagne associée pourrait mettre l’accent sur le découplage entre la prescription d’un contraceptif oral et un suivi gynécologique conforme aux recommandations officielles, ainsi que sur la diversité des acteurs disponibles pour ces deux actes et des solutions disponibles.

 

Au travail !

 

Borée & Hipparkhos

Médecine Générale 2.0

Le texte qui vous est présenté ici est issu d’une démarche collective.

Un ensemble de médecins « connectés », jeunes pour la plupart mais pas exclusivement, a souhaité prendre part au débat en cours sur l’avenir de la Médecine générale en France et formuler des propositions pour lutter contre les problèmes de désertification médicale.

Les signataires sont, symboliquement, les 24 médecins généralistes blogueurs (1) qui publient simultanément ces propositions sur leurs blogs respectifs. Cependant, la réflexion a associé des médecins issus d’autres spécialités ainsi que des jeunes confrères actifs sur le réseau Twitter.

Lorsque vous aurez lu ce texte (éventuellement dans sa version PDF), le débat et les remarques seront les bienvenus ici ou bien sur n’importe lequel de nos 24 blogs. Par ailleurs, si vous partagez nos positions, nous avons choisi de centraliser les soutiens au bas de la version du texte publiée sur Atoute.

***

Médecine générale 2.0

Les propositions des médecins généralistes blogueurs

pour faire renaître la médecine générale

Comment sauver la médecine générale en France et assurer des soins primaires de qualité répartis sur le territoire ? Chacun semble avoir un avis sur ce sujet, d’autant plus tranché qu’il est éloigné des réalités du terrain.

Nous, médecins généralistes blogueurs, acteurs d’un « monde de la santé 2.0 », nous nous reconnaissons mal dans les positions émanant des diverses structures officielles qui, bien souvent, se contentent de défendre leur pré carré et s’arc-boutent sur les ordres établis.

À l’heure où les discussions concernant l’avenir de la médecine générale font la une des médias, nous avons souhaité prendre position et constituer une force de proposition.

Conscients des enjeux et des impératifs qui sont devant nous, héritages d’erreurs passées, nous ne souhaitons pas nous dérober à nos responsabilités. Pas plus que nous ne souhaitons laisser le monopole de la parole à d’autres.

Notre ambition est de délivrer à nos patients des soins primaires de qualité, dans le respect de l’éthique qui doit guider notre exercice, et au meilleur coût pour les budgets sociaux. Nous souhaitons faire du bon travail, continuer à aimer notre métier, et surtout le faire aimer aux générations futures de médecins pour lui permettre de perdurer.

Nous pensons que c’est possible.

Sortir du modèle centré sur l’hôpital

La réforme de 1958 a lancé l’hôpital universitaire moderne. C’était une bonne chose qui a permis à la médecine française d’atteindre l’excellence, reconnue internationalement.

Pour autant, l’exercice libéral s’est trouvé marginalisé, privé d’enseignants, coupé des étudiants en médecine. En 50 ans, l’idée que l’hôpital doit être le lieu quasi unique de l’enseignement médical s’est ancrée dans les esprits. Les universitaires en poste actuellement n’ont pas connu d’autre environnement.

L’exercice hospitalier et salarié est ainsi devenu une norme, un modèle unique pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus un exercice libéral qu’ils n’ont jamais rencontré pendant leurs études.

C’est une profonde anomalie qui explique en grande partie nos difficultés actuelles.

Cet hospitalo-centrisme a eu d’autres conséquences dramatiques :

  • Les médecins généralistes (MG) n’étant pas présents à l’hôpital n’ont eu accès que tout récemment et très partiellement à la formation des étudiants destinés à leur succéder.
  • Les budgets universitaires dédiés à la MG sont ridicules en regard des effectifs à former.
  • Lors des négociations conventionnelles successives depuis 1989, les spécialistes formés à l’hôpital ont obtenu l’accès exclusif aux dépassements d’honoraires créés en 1980, au détriment des généralistes contraints de se contenter d’honoraires conventionnels bloqués.

Pour casser cette dynamique mortifère pour la médecine générale, il nous semble nécessaire de réformer profondément la formation initiale des étudiants en médecine.

Cette réforme aura un double effet :

  • Rendre ses lettres de noblesse à la médecine « de ville » et attirer les étudiants vers ce mode d’exercice.
  • Apporter des effectifs importants de médecins immédiatement opérationnels dans les zones sous-médicalisées.

Il n’est pas question dans ces propositions de mesures coercitives aussi injustes qu’inapplicables contraignant de jeunes médecins à s’installer dans des secteurs déterminés par une tutelle sanitaire.

Nous faisons l’analyse que toute mesure visant à obliger les jeunes MG à s’installer en zone déficitaire aurait un effet majeur de repoussoir. Elle ne ferait qu’accentuer la désaffection pour la médecine générale, poussant les jeunes générations vers des offres salariées (nombreuses), voire vers un exercice à l’étranger.

C’est au contraire une véritable réflexion sur l’avenir de notre système de santé solidaire que nous souhaitons mener. Il s’agit d’un rattrapage accéléré d’erreurs considérables commises avec la complicité passive de confrères plus âgés, dont certains voudraient désormais en faire payer le prix aux jeunes générations.

Idées-forces

Les idées qui sous-tendent notre proposition sont résumées ci-dessous, elles seront détaillées ensuite.

Elles sont applicables rapidement.

1) Construction par les collectivités locales ou les ARS de 1000 maisons de santé pluridisciplinaires qui deviennent aussi des maisons médicales de garde pour la permanence des soins, en étroite collaboration avec les professionnels de santé locaux.

2) Décentralisation universitaire qui rééquilibre la ville par rapport à l’hôpital : les MSP se voient attribuer un statut universitaire et hébergent des externes, des internes et des chefs de clinique. Elles deviennent des MUSt : Maisons Universitaires de Santé qui constituent l’équivalent du CHU pour la médecine de ville.

3) Attractivité de ces MUSt pour les médecins seniors qui acceptent de s’y installer et d’y enseigner : statut d’enseignant universitaire avec rémunération spécifique fondée sur une part salariée majoritaire et une part proportionnelle à l’activité.

4) Création d’un nouveau métier de la santé : « Agent de gestion et d’interfaçage de MUSt » (AGI). Ces agents polyvalents assurent la gestion de la MUSt, les rapports avec les ARS et l’Université, la facturation des actes et les tiers payants. De façon générale, les AGI gèrent toute l’activité administrative liée à la MUSt et à son activité de soin. Ce métier est distinct de celui de la secrétaire médicale de la MUSt.

1) 1000 Maisons Universitaires de Santé

Le chiffre paraît énorme, et pourtant… Dans le cadre d’un appel d’offres national, le coût unitaire d’une MUSt ne dépassera pas le million d’euros (1000  m2. Coût 900 €/m2).

Le foncier sera fourni gratuitement par les communes ou les intercommunalités mises en compétition pour recevoir la MUSt. Il leur sera d’ailleurs demandé en sus de fournir des logements à prix très réduit pour les étudiants en stage dans la MUSt. Certains centres de santé municipaux déficitaires pourront être convertis en MUSt.

Au final, la construction de ces 1000 MUSt ne devrait pas coûter plus cher que la vaccination antigrippale de 2009 ou 5 ans de prescriptions de médicaments (inutiles) contre la maladie d’Alzheimer. C’est donc possible, pour ne pas dire facile.

Une MUSt est appelée à recevoir des médecins généralistes et des paramédicaux. La surface non utilisée par l’activité de soin universitaire peut être louée à d’autres professions de santé qui ne font pas partie administrativement de la MUSt (autres médecins spécialistes, dentiste, laboratoire d’analyse, cabinet de radiologie…). Ces MUSt deviennent de véritables pôles de santé urbains et ruraux.

Le concept de MUSt fait déjà l’objet d’expérimentations, dans le 94 notamment, il n’a donc rien d’utopique.

2) L’université dans la ville

Le personnel médical qui fera fonctionner ces MUSt sera constitué en grande partie d’internes et de médecins en post-internat :

  • Des internes en médecine générale pour deux de leurs semestres qu’ils passaient jusqu’ici à l’hôpital. Leur cursus comportera donc en tout 2 semestres en MUSt, 1 semestre chez le praticien et 3 semestres hospitaliers. Ils seront rémunérés par l’ARS, subrogée dans le paiement des honoraires facturés aux patients qui permettront de couvrir une partie de leur rémunération. Le coût global de ces internes pour les ARS sera donc très inférieur à leur coût hospitalier du fait des honoraires perçus.
  • De chefs de clinique universitaire de médecine générale (CCUMG), postes à créer en nombre pour rattraper le retard pris sur les autres spécialités. Le plus simple est d’attribuer proportionnellement à la médecine générale autant de postes de CCU ou assimilés qu’aux autres spécialités (un poste pour deux internes), soit un minimum de 3000 postes (1500 postes renouvelés chaque année). La durée de ce clinicat est de deux ans, ce qui garantira la présence d’au moins deux CCUMG par MUSt. Comme les autres chefs de clinique, ces CCUMG sont rémunérés à la fois par l’éducation nationale (part enseignante) et par l’ARS, qui reçoit en retour les honoraires liés aux soins délivrés. Ils bénéficient des mêmes rémunérations moyennes, prérogatives et avantages que les CCU hospitaliers.

Il pourrait être souhaitable que leur revenu comprenne une base salariée majoritaire, mais aussi une part variable dépendant de l’activité (par exemple, 20 % du montant des actes pratiqués) comme cela se pratique dans de nombreux dispensaires avec un impact significatif sur la productivité des consultants.

  • Des externes pour leur premier stage de DCEM3, tel que prévu par les textes et non appliqué faute de structure d’accueil. Leur modeste rémunération sera versée par l’ARS. Ils ne peuvent pas facturer d’actes, mais participent à l’activité et à la productivité des internes et des CCUMG.
  • De médecins seniors au statut mixte : les MG libéro-universitaires. Ils ont le choix d’être rémunérés par l’ARS, subrogée dans la perception de leurs honoraires (avec une part variable liée à l’activité) ou de fonctionner comme des libéraux exclusifs pour leur activité de soin. Une deuxième rémunération universitaire s’ajoute à la précédente, liée à leur fonction d’encadrement et d’enseignement. Du fait de l’importance de la présence de ces CCUMG pour lutter contre les déserts médicaux, leur rémunération universitaire pourra être financée par des budgets extérieurs à l’éducation nationale ou par des compensations entre ministères.

Au-delà de la nouveauté que représentent les MUSt, il nous paraît nécessaire, sur le long terme, de repenser l’organisation du cursus des études médicales sur un plan géographique en favorisant au maximum la décentralisation hors CHU, aussi bien des stages que des enseignements.

En effet, comment ne pas comprendre qu’un jeune médecin qui a passé une dizaine d’années dans sa ville de faculté et y a construit une vie familiale et amicale ne souhaite bien souvent y rester ?

Une telle organisation existe déjà, par exemple, pour les écoles infirmières, garantissant une couverture assez harmonieuse de tout le territoire par cette profession, et les nouvelles technologies permettent d’ores et déjà, de manière simple et peu onéreuse, cette décentralisation pour tous les enseignements théoriques.

3) Incitation plutôt que coercition : des salaires aux enchères

Le choix de la MUSt pour le bref stage de ville obligatoire des DCEM3 se fait par ordre alphabétique avec tirage au sort du premier à choisir, c’est la seule affectation qui présente une composante coercitive.

Le choix de la MUSt pour les chefs de clinique et les internes se pratique sur le principe de l’enchère : au salaire de base égal au SMIC est ajouté une prime annuelle qui sert de régulateur de choix : la prime augmente à partir de zéro jusqu’à ce qu’un(e) candidat(e) se manifeste. Pour les MUSt « difficiles », la prime peut atteindre un montant important, car elle n’est pas limitée. Par rapport à la rémunération actuelle d’un CCU (45 000 €/an), nous faisons le pari que la rémunération globale moyenne n’excédera pas ce montant.

En cas de candidats multiples pour une prime à zéro (et donc une rémunération de base au SMIC pour les MUSt les plus attractives) un tirage au sort départage les candidats.

Ce système un peu complexe présente l’énorme avantage de ne créer aucune frustration puisque chacun choisit son poste en mettant en balance la pénibilité et la rémunération.

De plus, il permet d’avoir la garantie que tous les postes seront pourvus.

Ce n’est jamais que la reproduction du fonctionnement habituel du marché du travail : l’employeur augmente le salaire pour un poste donné jusqu’à trouver un candidat ayant le profil requis et acceptant la rémunération. La différence est qu’il s’agit là de fonctions temporaires (6 mois pour les internes, 2 ans pour les chefs de clinique) justifiant d’intégrer cette rémunération variable sous forme de prime.

Avec un tel dispositif, ce sont 6 000 médecins généralistes qui seront disponibles en permanence dans les zones sous-médicalisées : 3000 CCUMG et 3000 internes de médecine générale.

4) Un nouveau métier de la santé : AGI de MUSt

Les MUSt fonctionnent bien sûr avec une ou deux secrétaires médicales suivant leur effectif médical et paramédical.

Mais la nouveauté que nous proposons est la création d’un nouveau métier : Agent de Gestion et d’Interfaçage (AGI) de MUSt. Il s’agit d’un condensé des fonctions remplies à l’hôpital par les agents administratifs et les cadres de santé hospitaliers.

C’est une véritable fonction de cadre supérieur de santé qui comporte les missions suivantes au sein de la MUSt :

  • Gestion administrative et technique (achats, coordination des dépenses…).
  • Gestion des ressources humaines.
  • Interfaçage avec les tutelles universitaires
  • Interfaçage avec l’ARS, la mairie et le Conseil Régional
  • Gestion des locaux loués à d’autres professionnels.

Si cette nouvelle fonction se développe initialement au sein des MUSt, il sera possible ensuite de la généraliser aux cabinets de groupes ou maisons de santé non universitaires, et de proposer des solutions mutualisées pour tous les médecins qui le souhaiteront.

Cette délégation de tâches administratives est en effet indispensable afin de permettre aux MG de se concentrer sur leurs tâches réellement médicales : là où un généraliste anglais embauche en moyenne 2,5 équivalents temps plein, le généraliste français en est à une ½ secrétaire ; et encore, ce gain qualitatif représente-t-il parfois un réel sacrifice financier.

Directement ou indirectement, il s’agit donc de nous donner les moyens de travailler correctement sans nous disperser dans des tâches administratives ou de secrétariat.

Une formule innovante : les « chèques-emploi médecin »

Une solution complémentaire à l’AGI pourrait résider dans la création de « chèques-emploi » financés à parts égales par les médecins volontaires et par les caisses.

(À titre d’exemple, pour 100 patients enregistrés, la caisse abonderait l’équivalent de 2 ou 2,5 heures d’emploi hebdomadaires et le médecin aurait la possibilité de prendre ces « tickets » en payant une somme équivalente (pour arriver à un temps plein sur une patientèle type de 800 patients).)

Il s’agit d’un moyen de paiement simplifié de prestataires de services (AGI, secrétaires, personnel d’entretien) employés par les cabinets de médecins libéraux, équivalent du chèque-emploi pour les familles.

Il libérerait des tâches administratives les médecins isolés qui y passent un temps considérable, sans les contraindre à se transformer en employeur, statut qui repousse beaucoup de jeunes médecins.

Cette solution stimulerait l’emploi dans les déserts médicaux et pourrait donc bénéficier de subventions spécifiques. Le chèque-emploi servirait ainsi directement à une amélioration qualitative des soins et à dégager du temps médical pour mieux servir la population.

Il est beaucoup question de « délégation de tâche » actuellement. Or ce ne sont pas les soins aux patients que les médecins souhaitent déléguer pour améliorer leur disponibilité : ce sont les contraintes administratives !

Former des agents administratifs est bien plus simple et rapide que de former des infirmières, professionnelles de santé qualifiées qui sont tout aussi nécessaires et débordées que les médecins dans les déserts médicaux.

Aspects financiers : un budget très raisonnable

Nous avons vu que la construction de 1000 MUSt coûtera moins cher que 5 ans de médicaments anti-Alzheimer ou qu’une vaccination antigrippale comme celle engagée contre la pandémie de 2009.

Les internes étaient rémunérés par l’hôpital, ils le seront par l’ARS. Les honoraires générés par leur activité de soin devraient compenser les frais que l’hôpital devra engager pour les remplacer par des FFI, permettant une opération neutre sur le plan financier, comme ce sera le cas pour les externes.

La rémunération des chefs de clinique constitue un coût supplémentaire, à la mesure de l’enjeu de cette réforme. Il s’agit d’un simple rattrapage du retard pris dans les nominations de CCUMG chez les MG par rapport aux autres spécialités. De plus, la production d’honoraires par les CCUMG compensera en partie leurs coûts salariaux. La dépense universitaire pour ces 3000 postes est de l’ordre de 100 millions d’euros par an, soit 0,06 % des dépenses de santé françaises. À titre de comparaison, le plan Alzheimer 2008-2012 a été doté d’un budget de 1,6 milliard d’euros. Il nous semble que le retour des médecins dans les campagnes est un objectif sanitaire, qui justifie lui aussi un « Plan » et non des mesures hâtives dépourvues de vision à long terme.

N’oublions pas non plus qu’une médecine de qualité dans un environnement universitaire est réputée moins coûteuse, notamment en prescriptions médicamenteuses. Or, un médecin « coûte » à l’assurance-maladie le double de ses honoraires en médicaments. Si ces CCUMG prescrivent ne serait-ce que 20 % moins que la moyenne des  autres prescripteurs, c’est 40 % de leur salaire qui est économisé par l’assurance-maladie.

Les secrétaires médicales seront rémunérées en partie par la masse d’honoraires générée, y compris par les « libéro-universitaires », en partie par la commune ou l’intercommunalité candidate à l’implantation d’une MUSt.

Le reclassement des visiteurs médicaux

Le poste d’Agent de Gestion et d’Interfaçage (AGI) de MUSt constitue le seul budget significatif créé par cette réforme. Nous avons une proposition originale à ce sujet. Il existe actuellement en France plusieurs milliers de visiteurs médicaux assurant la promotion des médicaments auprès des prescripteurs. Nous savons que cette promotion est responsable de surcoûts importants pour l’assurance-maladie. Une solution originale consisterait à interdire cette activité promotionnelle et à utiliser ce vivier de ressources humaines libérées pour créer les AGI.

En effet, le devenir de ces personnels constitue l’un des freins majeurs opposés à la suppression de la visite médicale. Objection recevable ne serait-ce que sur le plan humain. Ces personnels sont déjà répartis sur le territoire, connaissent bien l’exercice médical et les médecins. Une formation supplémentaire de un an leur permettrait d’exercer cette nouvelle fonction plus prestigieuse que leur ancienne activité commerciale.

Dans la mesure où leurs salaires (industriels) étaient forcément inférieurs aux prescriptions induites par leurs passages répétés chez les médecins, il n’est pas absurde de penser que l’économie induite pour l’assurance-maladie et les mutuelles sera supérieure au coût global de ces nouveaux agents administratifs de ville.

Il s’agirait donc d’une solution réaliste, humainement responsable et économiquement neutre pour l’assurance maladie.

Globalement, cette réforme est donc peu coûteuse. Nous pensons qu’elle pourrait même générer une économie globale, tout en apportant plusieurs milliers de soignants immédiatement opérationnels là où le besoin en est le plus criant.

De toute façon, les autres mesures envisagées sont soit plus coûteuses (fonctionnarisation des médecins libéraux) soit irréalisables (implanter durablement des jeunes médecins là où il n’y a plus d’école, de poste, ni de commerces). Ce n’est certainement pas en maltraitant davantage une profession déjà extraordinairement fragilisée qu’il sera possible d’inverser les tendances actuelles.

Calendrier

La réforme doit être mise en place avec « agilité ». Le principe sera testé dans des MUSt expérimentales et modifié en fonction des difficultés rencontrées. L’objectif est une généralisation en 3 ans.

Ce délai permettra aux étudiants de savoir où ils s’engagent lors de leur choix de spécialité. Il permettra également de recruter et former les maîtres de stage libéro-universitaires ; il permettra enfin aux ex-visiteurs médicaux de se former à leurs nouvelles fonctions.

Et quoi d’autre ?

Dans ce document, déjà bien long, nous avons souhaité cibler des propositions simples et originales. Nous n’avons pas voulu l’alourdir en reprenant de nombreuses autres propositions déjà exprimées ailleurs ou qui nous paraissent dorénavant des évidences, par exemple :

  • L’indépendance de notre formation initiale et continue vis-a-vis de l’industrie pharmaceutique ou de tout autre intérêt particulier.
  • La nécessité d’assurer une protection sociale satisfaisante des médecins (maternité, accidents du travail…).
  • La nécessaire diversification des modes de rémunération.

Si nous ne rejetons pas forcément le principe du paiement à l’acte – qui a ses propres avantages –, il ne nous semble plus pouvoir constituer le seul socle de notre rémunération. Il s’agit donc de :

— Augmenter la part de revenus forfaitaires, actuellement marginale.

— Ouvrir la possibilité de systèmes de rémunération mixtes associant capitation et paiement à l’acte ou salariat et paiement à l’acte.

— Surtout, inventer un cadre flexible, car nous pensons qu’il devrait être possible d’exercer la « médecine de famille » ambulatoire en choisissant son mode de rémunération.

  • La fin de la logique mortifère de la rémunération à la performance fondée sur d’hypothétiques critères « objectifs », constat déjà fait par d’autres pays qui ont tenté ces expériences. En revanche, il est possible d’inventer une évaluation qualitative intelligente à condition de faire preuve de courage et d’imagination.
  • La nécessité de viser globalement une revalorisation des revenus des généralistes français qui sont aujourd’hui au bas de l’échelle des revenus parmi les médecins français, mais aussi en comparaison des autres médecins généralistes européens.

D’autres pays l’ont compris : lorsque les généralistes sont mieux rémunérés et ont les moyens de travailler convenablement, les dépenses globales de santé baissent !

Riche de notre diversité d’âges, d’origines géographiques ou de mode d’exercice, et partageant pourtant la même vision des fondamentaux de notre métier, notre communauté informelle est prête à prendre part aux débats à venir.

Dotés de nos propres outils de communication (blogs, forums, listes de diffusion et d’échanges, réseaux sociaux), nous ambitionnons de contribuer à la fondation d’une médecine générale 2.0.

(1)

AliceRedSparrowBorée – Bruit des sabots – Christian Lehmann – Doc Maman – Doc Souristine – Doc Bulle – Docteur Milie – Docteur V – Dominique Dupagne – Dr Couine – Dr Foulard – Dr Sachs Jr – Dr Stéphane – Dzb17 – Euphraise – Farfadoc – Fluorette – Gélule – Genou des Alpages – Granadille – Jaddo – Matthieu Calafiore – Yem

 ***

Post-scriptum du 04/09

Au lendemain du buzz qu’a suscité la publication de ce texte, Dominique Dupagne fait une brève et utile mise au point « #PrivésDeDéserts Le buzz, et après ? ».

Sinistres Tropiques

La douceur des plages de sables blanc, le bercement de la mer aux eaux turquoises, l’accueil amical et rieur des habitants, les Antilles françaises sont un petit bout de paradis de l’autre côté de l’Atlantique.

Guadeloupe, Martinique, les Saintes, Marie-Galante, la Désirade… des noms qui invitent au rêve.

S’allonger sous un cocotier, siroter un ti-punch, plonger sa main dans une corbeille de fruits frais. Coco ? Goyave ? Ananas ? Le choix est large. Va pour une banane !

Ah ! La banane des Antilles ! Si savoureuse. Un concentré de soleil et de plaisir.

Bonne pour vous, bonne pour la terre.

« Notre filière Banane de Guadeloupe & Martinique a été l’une des premières filière fruit à chercher des solutions concrètes pour réduire son empreinte environnementale. Mobilisée depuis plus de 10 ans, elle s’engage à faire continuellement évoluer ses pratiques pour mieux préserver l’air, l’eau et la terre, pour économiser les énergies, gérer ses déchets et développer la biodiversité dans ses plantations.

-72%  : c’est le pourcentage de diminution de l’usage des produits phytosanitaires par la filière en 10 ans. »

-72% ! Mazette ! Assurément le signe que nous avons affaire à des producteurs dont la conscience écologique est prégnante. Sans compter leur conscience sociale.

Laissez-moi vous raconter une petite histoire.

Une histoire dont les médias français se sont fait l’écho en 2007 mais qui est déjà largement oubliée. Une histoire mentionnée par la Revue Prescrire mais tout le monde n’y est pas abonné et, s’agissant d’une revue médicale, elle ne s’est pas appesantie sur le contexte sociopolitique. Une histoire que j’ai, pour ma part, découverte il y a un an. La belle, longue et triste histoire de la… chlordécone.

Derrière ce nom un peu ridicule, se cache un pesticide organochloré de la famille du DDT.

Brevetée en 1952, elle est commercialisée à partir de 1958 par Allied Signal (depuis, intégré au groupe Honeywell) sous un nom commercial à l’allure beaucoup plus rebelle et davantage utilisé par les anglo-saxons : la Képone©.

La chlordécone est un pesticide absolument merveilleux !

Déjà, elle tue à peu près toutes les salles petites bêtes qui empêchent de faire des cultures bien propres, bien ordonnées (question biodiversité, on repassera). A commencer par le charançon de la banane, l’ennemi juré des planteurs de banane antillaise.

Surtout, cette molécule a tout de Superman et de Hulk réunis : c’est une molécule super-stable qui résiste à tout. Aux UV, à l’eau, au vent, aux microorganismes, au temps qui passe. Et qui a une affinité toute particulière pour les sols riches en matière organique.

Du coup, c’est un pesticide très reposant qui dispense d’avoir à effectuer des épandages aussi réguliers que fastidieux.

Pensez-donc ! Selon les conditions d’environnement, il faut plusieurs dizaines d’années pour que la moitié du produit soit éliminée. Si bien que, selon leur nature, il faudra de 60 à 700 ans pour que les sols soient dépollués. Une notion à laquelle on est davantage habitués lorsque l’on parle de l’industrie nucléaire.

Un des soucis, c’est que la chlordécone n’est pas mauvaise que pour le charançon.

Commercialisée à partir de 1958, les premiers doutes concernant une toxicité humaine sont soulevés dès 1961. La chlordécone peut être absorbée à travers la peau et doit être manipulée avec précautions.

Le 29 novembre 1969, la Commission d’Etudes de l’Emploi des Toxiques en Agriculture propose le rejet du Kepone©. Le compte-rendu souligne : « On pose ici le problème de l’introduction d’un nouveau composé organochloré toxique et persistant. Bien qu’il n’y ait pratiquement pas de résidus dans les bananes, il y a quand même les risques de contamination du milieu environnant ». Et le 5 décembre, l’homologation du Kepone© est refusée.

Au début des années 1970, éclate le scandale de la James River. De graves troubles sont décrits chez les ouvriers de l’usine de Hopewell en Virginie, là où est produite la chlordécone. Les mêmes pathologies sont retrouvées au sein des familles des ouvriers ainsi que chez les riverains de la James River dans laquelle l’usine relarguait d’importantes quantités du pesticide. Des problèmes hépatiques et, surtout, de graves atteintes neurologiques.

Dès cette époque, des études démontrent de probables effets cancérigènes sur l’animal.

En 1978, le « rapport Epstein » américain ne laisse guère de doutes : « Le Kepone est très toxique et provoque une toxicité à effets cumulatifs et différés ; il est neurotoxique et reprotoxique pour un grand nombre d’espèces, incluant les oiseaux, les rongeurs et les humains ; il est cancérigène pour les rongeurs. « 

Pourtant, en 1972, le Ministère de l’agriculture français délivre une autorisation « provisoire » d’utilisation de la chlordécone aux Antilles.

Une autorisation que, en 2005, le ministre Bussereau déclarait ne plus retrouver (annexe I-A du rapport parlementaire). Une autorisation en théorie « provisoire » alors que tout démontre que le produit est utilisé sans interruption durant toutes les années 70 et 80.

Aux Antilles, tout va bien.

Le produit est largement utilisé. Et c’est bien souvent par avions ou hélicoptères que sont faits les épandages. On ne va pas chipoter.

Malheureusement, le scandale survenu en Virginie mène à l’interdiction du produit aux Etats-Unis en 1977. Il y a bien encore quelques stocks mais comment assurer la suite ?

Qu’à cela ne tienne ! Comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, une entreprise basée en Martinique et liée aux grands planteurs antillais, la société « Laurent de Laguarigue » obtient en 1981, une autorisation de production de chlordécone, sous le nom de marque Curlone©. Produit qui sera dès lors synthétisé par une usine brésilienne.

Et la Sicabam (l’ancien syndicat des planteurs antillais) qui, aujourd’hui, nous vante les qualités écologiques de la banane antillaise, d’écrire, en 1982 « Curlone© (…) est reconnu par l’industrie bananière et les instituts de recherche comme l’insecticide le plus efficace et le plus sûr pour un contrôle certain, durable et sélectif du charançon du bananier. » Sûr et sélectif…

C’est finalement en… 1990 que cette autorisation sera, tout de même, officiellement retirée. Quatorze ans après les Etats-Unis.

1990… Ah, non ! Attendez…

En 1990, le ministre Henri Nallet (dans cette histoire, la gauche n’a pas été beaucoup plus glorieuse que la droite) accorde une dérogation de deux années supplémentaires pour « écouler les stocks ».

Stocks qui devaient être confortable puisque, en 1992, c’est le nouveau ministre, Louis Mermaz, qui accorde « à titre dérogatoire », un délai supplémentaire d’un an jusqu’à février 1993.

Mais la chlordécone, c’est pire que l’héroïne : ça rend vraiment accro. Et en février 1993, le ministre Soisson octroit une nouvelle rallonge de six mois, tout en interdisant aux planteurs de faire publiquement mention de cette autorisation (annexe I-N du rapport parlementaire).

C’est ainsi qu’au moins 180 tonnes de chlordécone sont utilisées aux Antilles après 1980 et la fin de l’approvisionnement américain.

Malgré ces apparences, et heureusement, les autorités françaises ne sont pas restées inactives. Elles ont fait comme bien souvent quand la situation est explosive : elles ont… commandé des missions d’enquête et des rapports.

Mission Snegaroff 1977, Rapport Kerrmarec 1980, Rapport Vilardebo 1984, Rapport Unesco 1993,  Rapport Balland-Mestres-Fagot 1998… l’un après l’autre, ils pointent les doutes puis les certitudes, tant pour ce qui concerne l’ampleur des contaminations que la dangerosité du produit.

C’est ainsi qu’en une vingtaine d’année, une grande partie des sols de Martinique et de Guadeloupe vont être contaminé de manière durable.

On estime qu’aujourd’hui, ce sont 25% des terres agricoles de ces îles qui sont « moyennement » ou fortement contaminés.

Et lourdement contaminés.

Ce n’est qu’à la fin des années 90 que sont menées les premières campagnes de mesures destinées à évaluer l’ampleur de la pollution des eaux et des sols.

En 1998, 100% des échantillons d’eau dépassent les normes admises. Le pic  de contamination représente 103 fois la norme.

Certains échantillons de sol présentent des contaminations pouvant aller jusqu’à 100 000 fois les normes admises pour l’eau !

C’est à ce moment là, faute d’avoir cherché à les évaluer plus tôt, qu’on « découvre » l’ampleur des dégâts. Les principales ressources d’eau utilisées pour la consommation humaine sont fortement contaminées. Pas seulement par la chlordécone d’ailleurs. On y trouve un cocktail de pesticides tous plus appétissants les uns que les autres.

Ce n’est que dans les années 2000 que de lourds investissements sont consentis pour assurer la potabilisation de l’eau via des dispositifs de filtration sur charbon actif.

Pour autant, la chlordécone du milieu aquatique risque bien de se retrouver malgré tout dans votre estomac puisque l’on en retrouve dans les poissons et crustacés, largement consommés. Le produit a la propriété de pouvoir s’accumuler dans la chair des poissons pour pouvoir atteindre, dans certains cas, des teneurs 60 000 fois supérieures à celles du milieu naturel. Pas seulement les poissons d’eau douce d’ailleurs, mais également, les poissons de mer, crabes et autres langoustes.

Sans oublier la pollution des sols en particuliers avec l’accumulation de chlordécone dans certains légumes couramment consommés (patate douce, ignames, chou caraïbe, carotte…), ainsi que dans la graisse des animaux d’élevage, ou dans le lait.

Comment a-t-on pu en arriver là ?

Les Antilles françaises sont encore largement dominées, tant politiquement qu’économiquement, par les Békés, les descendants des premiers colons de Métropole. Ils détiennent l’essentiel des leviers économiques et, pour ce qui nous intéresse ici, contrôlent tant le circuit des produits phytosanitaires, que celui des machines agricoles.

Ce sont également parmi eux que l’on trouve les grands propriétaires terriens qui ne représentent que 10% des cultivateurs de bananes mais qui possèdent les 2/3 des terres et assurent 70% de la production.

Ils ont leur relais dans notre système politique, à l’Assemblée Nationale en particulier, et jusqu’auprès des instances européennes via une instance de lobbying spécifique.

Rien d’étonnant donc à ce qu’une telle situation ait pu se produire et perdurer, allant d’exception coupable en dérogation complice.

Quelles sont les conséquences sur la santé ?

La toxicité neurologique (tremblements, myoclonies, troubles de la coordination…) de la chlordécone était connue dès le début des années 70.

En 1979, le Centre de recherche internationale sur les cancers la classe comme « cancérogène possible ».

Comme d’autres organochlorés, il s’agit également d’un perturbateur endocrinien aux propriétés oestrogéniques. Les conséquences sur la fertilité, masculine en particulier, semblent donc assez évidentes.

C’est aussi pour cette raison que la chlordécone est soupçonnée de jouer un rôle important dans l’augmentation du risque de cancer de la prostate dont l’incidence atteint les plus fort taux mondiaux en Martinique et Guadeloupe (ainsi, cependant, que dans d’autres populations afro-américaines à haut niveau de vie). Cette étude suggère que les hommes les plus exposés à la chlordécone présentent un risque de cancer de la prostate multiplié par 2,5.

Pas seulement de la prostate, d’ailleurs. Une étude suggère ainsi une association entre l’exposition à ce toxique et l’augmentation du risque de myélome multiple.

Quant au foie, la chlordécone ne semble que modérément toxique par elle-même, sauf à atteindre des taux extrêmes. Mais elle présente l’amusante propriété de majorer fortement la toxicité d’autres substances. C’est ainsi que la toxicité de certains solvants peut être augmentée de 6 700 % lorsqu’ils sont associés à ce pesticide.

Plusieurs études et suivis de cohortes sont toujours en cours afin de préciser le risque et, dans la mesure du possible, d’essayer de le maîtriser.

Les Antillais se retrouvent ainsi avec une épée de Damoclès. Pour longtemps.

L’Etat s’est finalement décidé à mettre plusieurs dizaines de millions d’euros sur la table pour financer des plans d’actions spécifiques. De nombreuses recherches sont en cours, en particulier dans le cadre de l’INRA ou des CHU de Fort-de-France et de Pointe-a-Pitre.

Comme bien souvent en France, comme avec l’amiante, le Mediator ou les prothèses PIP, ce sont ainsi des fonds publics qui viennent éponger, ou tenter de le faire, les dégâts causés par la rapacité et l’impéritie d’intérêts privés.

En revanche, il y a tout de même quelques différences par rapport à ces récents scandales : les Antilles, c’est loin. Et c’est plein d’Antillais.

Autant dire que c’est beaucoup moins important que les coupe-faims ou les prothèses mammaires utilisés en métropole. Pas étonnant donc, que nous en ayons finalement peu entendu parler et que ce soit déjà largement oublié.

Si un tel scandale, avait eu lieu en Corrèze ou dans l’Aveyron, nous pouvons être sûrs qu’il aurait fait les gros titres des mois durant.

Si j’étais Martiniquais ou Guadeloupéen, je crois que je l’aurais quand même assez mauvaise.

***

Je n’ai livré ici aucun élément nouveau. Je me suis contenté de faire un petit résumé de l’affaire. L’essentiel des données peut être retrouvé à travers les différentes sources mises en lien, en particulier le Rapport d’Information parlementaire n°2430 de 2005, dont l’un des buts est cependant d’exonérer les pouvoirs publics de leurs responsabilités. On pourra également consulter le Rapport de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques de 2009, riche d’éléments d’information mais qui, lui aussi, botte un peu facilement en touche pour ce qui concerne les responsabilités. La synthèse de l’INRA de juillet 2010 complètera cette documentation de base.

L’ensemble du dossier est abordé dans le livre de Louis Boutrin et Raphaël Confiant : « Chronique d’un empoisonnement annoncé ». Les auteurs sont antillais, leur livre est clairement un ouvrage militant, mais il a l’intérêt de mettre en lumière les éléments sociaux et économiques relatifs aux Antilles françaises qu’ignorent les rapports strictement scientifiques.

Rien de vraiment nouveau donc mais, vu que le procès a l’air de s’enliser et que les responsables de l’affaire ne sont pas près de répondre de leurs actes devant un juge, il ne m’a pas semblé inutile de participer, modestement, à rafraîchir les mémoires.

Expertise 2.0

Après le cinglant rapport de l’IGAS, voici donc un nouveau rapport au vitriol concernant le système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments.

Un rapport offensif, parfois proche du pamphlet, décrit une situation à l’évidence désastreuse.

Alors que nos gouvernants répètent à l’envi qu’ils ont le meilleur système de santé du monde, il apparaît clairement que notre système de contrôle du médicament, qualifié dans le rapport de l’IGAS de « bureaucratie sanitaire », souffre d’archaïsmes dramatiques.

Il en va de même pour l’industrie hexagonale du médicament dont la survie tient essentiellement à la mise sur le marché de produits de second ordre ou de « me-too » (médicaments nouveaux sur le plan chimique mais sans avancée thérapeutique), bref sans intérêt. Tout ceci, en bénéficiant selon les auteurs de la complicité d’autorités qui, trop fréquemment, confondent enjeux de santé publique et enjeux économiques.

Ce rapport pointe la consternante insuffisance de l’éducation des médecins français en matière de pharmacologie et rappelle ainsi l’un des aspects de l’inadéquation entre la formation, tant initiale que continue, des praticiens et la réalité de leur métier.

Les auteurs dénoncent vigoureusement les relations troubles entre les autorités de régulation, les « experts » de tout poil et l’industrie pharmaceutique. Relations d’autant plus problématiques qu’elles sont largement minorées et dissimulées, profitant d’une culture du compromis quand les Anglo-saxons ont su développer, bien qu’imparfaitement, celle de la transparence.

Des propositions concrètes sont formulées. Beaucoup sont intéressantes, notamment la nécessité pour les experts travaillant pour les agences de régulation de ne présenter aucun conflit d’intérêt.

Et pourtant.

Et pourtant, ce qui frappe à la lecture du rapport Debré-Even, c’est sa vision très élitiste et « hospitalo-universitaire » du système. Les personnalités auditionnées ? Quasiment toutes sont issues du sérail des CHU, de l’industrie pharmaceutique ou des agences.

La langue utilisée fleure bon le paternalisme du début du XXème siècle, et malheureusement, certaines solutions proposées, également.

Les auteurs semblent accrochés à un modèle où la valeur des « experts » se mesure au nombre de publications et citations scientifiques. Encore faudrait-il démontrer que la maîtrise de la méthodologie des études médicales va nécessairement de pair avec de bonnes connaissances cliniques, ce qui est loin d’être le cas.

La qualification hospitalo-universitaire apparaît comme l’alpha et l’oméga de la compétence, ce qui est tout de même surprenant pour qui connaît le système français, lui-même porteur de nombre des travers dénoncés dans le rapport.

Ainsi on peut y lire qu’ « il suffit pour ce travail d’expert d’être travailleur, informé et critique, avec une vraie expérience clinique, de savoir lire entre les lignes et de ne pas méconnaître les pièges et chausse-trappes (sic) des stratégies statistiques et des stratifications, justifiables ou non, appliquées aux essais, pour décoder aisément le message apparent et le message réel des essais cliniques et de leurs limites. »

Ce rapport dénonce très justement une situation archaïque et formule des propositions utiles pour certaines et radicales pour la plupart, mais nous conservons le sentiment qu’il reste figé dans le XXème siècle, trop inspiré de l’existant, et notamment de la FDA qui serait un organisme de régulation parfait selon les auteurs. Pourtant, le Congrès américain, a ajouté le 22 janvier 2009 cette agence présentée comme un modèle à suivre dans sa liste de programmes gouvernementaux à haut-risque de fraudes, dysfonctionnement ou non-optimisation des budgets de l’Etat. Mais ne dit-on pas que l’herbe paraît toujours plus verte chez le voisin ?

Plus grave, ce rapport semble complètement passer à côté de la révolution en cours, celle qui ouvre pourtant des chemins pour l’avenir.

Les auteurs louent par exemple la « méthode Prescrire » en ces termes :

« Ils sauvent l’honneur de l’évaluation française des médicaments. On peut, pour l’essentiel, les croire les yeux fermés. L’Agence du Médicament, ce sont eux et ils ne sont pas 1.000 avec un budget de 110 M€. Il leur a fallu pour cela, pour ne jamais dévier, ne jamais se décourager, beaucoup de travail, de rigueur, et aller sans cesse, sans relâche, à contre-courant du buzz-marketing des firmes et de l’indifférence de l’establishment médical, qui les ignore, ne les cite ni ne les aide jamais et qui est de facto complice de l’industrie, et finalement aussi aveugle que l’AFSSAPS. »

Pourtant, leurs propositions pour faire évoluer l’AFSSAPS se situent à l’exact contraire de ce qui se fait chez Prescrire. La lecture des ours de chaque numéro et des noms des relecteurs, renouvelés chaque année met en évidence :

  • L’absence de « prima donna » : le travail est collectif, comme la signature.
  • Un mélange homogène d’universitaires et de praticiens de terrain.
  • Un nombre assez important d’intervenants, qui permet de tempérer la réponse de l’expertise, et d’être au plus près de la vérité.

Ainsi, l’une des mesures mises en avant dans ce rapport vise à l’établissement d’un petit groupe de « super-experts ».

Mais, quelles que soient ses compétences et son intégrité, il existera toujours, pour un expert isolé, le risque de se tromper ou d’avoir une approche biaisée, bref une subjectivité.

Nous faisons également l’analyse que l’une des causes des dérives actuelles est la déconnexion qui existe entre les experts d’un côté – au-delà de leurs qualités personnelles – et les malades de l’autre lorsque ceux-ci s’incarnent dans l’abstraction de tableaux statistiques.

Si nous pouvons accueillir favorablement la désignation d’un petit nombre de personnalités – pas nécessairement issues du sérail universitaire – exemptes de tout conflit d’intérêt et engageant clairement leur responsabilité propre sur les décisions prises in fine, cela ne peut toutefois suffire.

Pour limiter les risques de dérives, il s’agit de faire le pari de l’intelligence collective en s’appuyant, par exemple, sur d’authentiques conférences de consensus qui regroupent des personnalités issues d’horizons les plus divers avec, précisément, des non spécialistes du sujet.

Pour être constructifs, quelques mesures nous semblent prioritaires et dont certaines rejoignent les 57 propositions publiées par La Revue Prescrire le 8 mars :

  • Mener une simplification et une rationalisation profonde des structures de régulation et de décision.
  • Mettre en place une méthode de travail fondée sur la collégialité, en s’inspirant de l’expérience réussie de La Revue Prescrire, qui associe les points de vue et les qualifications les plus diverses. Il nous semble en effet primordial de confronter les compétences des chercheurs les plus pointus avec l’expérience de praticiens de terrain, d’autres professionnels du soin, de représentants de patients, d’associations de consommateurs, de personnalités qualifiées en matière d’éthique, etc…
  • Désigner un corps d’excellence qui serait chargé d’organiser et de synthétiser ce travail en réseau et dont les responsabilités seraient clairement identifiées et assumées pour chaque décision prise.
  • Donner aux débats une totale publicité et aux votes qui devront être filmés et publiés en ligne, d’une manière complète et transparente.
  • Apporter la garantie d’une absence totale de conflits d’intérêts pour les décideurs dans chaque dossier traité.

Nous partageons bien l’idée que l’ère des agences aussi multiples qu’inefficaces est révolue. Mais n’envisager que de leur substituer un groupe d’élite, aussi qualifié et indépendant soit-il, c’est s’arrêter au milieu du gué.

Car nous sommes déjà dans l’ère de l’expertise partagée et du travail en réseau.

Il est temps pour l’expertise de passer au 2.0.

Jean-Marie Vailloud, cardiologue, administrateur de grangeblanche.com

Borée, médecin généraliste, administrateur de boree.eu

***

Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement les relectrices et relecteurs de ce texte pour l’ensemble de leurs suggestions et le temps qu’ils et elles ont bien voulu nous consacrer.

Chère Roselyne (bis),

Je me dépêche de t’envoyer ce petit mot : je ne suis pas sûr qu’il t’arrive encore si j’écris au Ministère dans quelques semaines.

Voilà quelques mois que je t’avais écris. J’espère que tu as bien reçu les doses de vaccins que je t’avais envoyées et que tu en as fait bon usage.

Je voulais simplement te dire que, décidément, les efforts que tu as déployés en compagnie des divers « experts » n’ont pas fini de donner leurs fruits. C’est ce qu’on appelle du travail sur le long terme et il faut te rendre cet hommage à une époque où l’on accuse trop facilement les hommes politiques de se contenter de naviguer à courte vue.

En effet, je croyais (naïf que j’étais !) que l’on en avait enfin fini avec ces polémiques autour de H1N1. Eh bien, non !

La moitié des petits vieux que je vois en ce moment me pose à peu près les mêmes questions « Au fait, docteur, je n’ai pas trop envie de me vacciner contre la grippe cette année, il paraît qu’ils ont mis le H1N1 dedans. D’ailleurs, c’est marqué sur la boîte. »

Et là, je sais que je suis parti pour une longue et laborieuse exégèse. Expliquer à de braves agriculteurs ce que sont des variants grippaux, des mutations génétiques, l’OMS, les adjuvants vaccinaux et la politique de santé en France, tu conviendras que c’est un exercice pédagogique de haute voltige.

Je prends une grande respiration et j’essaie donc de leur dire que oui, mais non, qu’il y a en effet du H1N1 dans le vaccin mais qu’on s’en fiche un peu. Que tous les ans il y a des variétés différentes et qu’on ne fait pas vraiment attention à ça. Que H1N1 ou H3N2 ou H127N526, ça n’a pas vraiment d’importance. Que la polémique de l’an dernier c’était à cause de la fabrication des vaccins et des « adjuvants » mais que, cette année, les vaccins sont fabriqués comme d’habitude et qu’il n’y a pas plus de craintes à avoir que d’ordinaire. Que, ça, on a bien raison de dire que c’est le bazar et que ce n’est pas étonnant que personne ne comprenne rien à rien mais que ce n’est pas une raison pour ne pas faire ce qu’il faut. Bref.

En général, ça fini avec des yeux un peu ronds, des gros points d’interrogation qui semblent flotter au-dessus des têtes et un « Bon, mais alors, vous pensez qu’il faut le faire ?

– Mais oui !

– Bon, ben d’accord alors, on le fait.

– Voilà ! »

Jusqu’à présent, je crois que j’ai à peu près réussi à rattraper le coup mais, crois-moi, ça me les brise quand même. Et pas qu’un peu.

Alors voilà, chère Roselyne, si je t’écris ce petit mot aujourd’hui, c’est pour te demander une chose s’il te reste un tout petit peu de commisération pour les généralistes français. Cette année, s’il-te-plaît, surtout ne nous organise pas de campagne médiatique autour de la vaccination antigrippale. Parce que, vraiment, ça n’aide pas.

Bisous,

Chère Roselyne,

Permets-moi tout d’abord de te féliciter pour ta reconduction au Ministère. C’est là un beau témoignage de la progression de la parité en politique. En effet, quel meilleur exemple que de constater qu’une femme n’a plus besoin d’être compétente pour être considérée à l’égal des hommes ?

Permets-moi aussi, j’espère, ce tutoiement qui se veut bien plus républicain que familier.

Je sais que la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 n’a pas été un franc succès et que c’est une croix bien lourde que tu as à porter. Ce n’est pas mon ami Christian Lehmann qui dira le contraire. C’est pourquoi je suis désolé de devoir te retourner encore le couteau dans la plaie.

Fin janvier, tu nous as enfin autorisés, simples généralistes que nous sommes, à pouvoir vacciner nos patients. Le geste était sympathique mais un peu tardif puisque nous savions déjà tous que l’épidémie était terminée depuis quelques semaines. Certes, tu répétais à qui voulait l’entendre qu’on n’était pas vraiment sûr et qu’il pourrait y avoir une deuxième vague… plus tard, au printemps, pour la Pâques ou à la Trinité. Les experts et autres relais d’opinion répétaient en choeur le message.

On savait bien, nous, qu’il n’y avait pratiquement aucun risque et, de fait, nous n’avons rien vu venir. Même pas une vaguelette. La plage est restée calme.

Aussi j’ai été bien embêté quand un de mes petits papis de 92 ans s’est présenté le 1er février avec la lettre à en-tête que tu lui avais adressée pour lui dire que, ça y était, son tour était venu de se faire vacciner.

Le problème, c’est que c’était un papi très, très gentil mais aussi très, très sourd et chez qui je dois toujours tout expliquer deux ou trois fois.

Je lui ai dit en hurlant « Vous êtes sûr de vouloir vous faire vacciner ? Vous savez, l’épidémie de grippe est terminée cette année. »

Et lui de me répondre : « Mais, c’est marqué là que je dois me faire vacciner. » En me tendant le bon.

Là, je l’avoue, je n’ai pas voulu prendre les probables 20 minutes nécessaires pour essayer de lui expliquer, en ruinant mes cordes vocales, la situation et l’inutilité de cette injection. Essayer de lui faire comprendre que celle-ci ne servait probablement à rien mais que celle qu’on fait chaque année à l’automne servait probablement à quelque chose. Mais qu’on n’était pas vraiment sûr de tout ça. Et que la grippe saisonnière et la H1N1 ce n’était pas vraiment différent mais que les vaccins ce n’était pas les mêmes…

J’ai été lâche et j’ai abdiqué devant l’en-tête de la République Française.

J’ai préféré prendre 3 minutes pour traverser la rue et aller chercher une boîte de vaccins à la pharmacie en face.

Et je l’ai vacciné.

Comme à ce moment là, il n’y avait pas de vaccins à l’unité, je me suis retrouvé avec une boîte de 10 sur les bras.

Aujourd’hui, il m’en reste donc toujours 9 qui seront périmés en août et, vraiment, je ne vois pas ce que j’en ferai.

C’est pourquoi je te renvoie cette boite, peut-être en auras-tu l’utilité ? Tu avais l’air de tellement t’amuser lorsque tu te faisais vacciner devant les caméras.

Dans le pire des cas, je sais que ça te consolera un peu de savoir que c’est 9 doses de vaccins fichues pour les patients mais pas fichues pour le cours de Novartis.

Et que ça fera toujours 9 doses de plus pour présenter des statistiques un peu moins ridicules aux enquêteurs parlementaires.

Dans l’immédiat, permets-moi de te présenter, chère Roselyne, mes salutations les plus républicaines.