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« Libérez ma pilule » : liberté pour qui ?

 

 

Quelques réflexions sur le site liberezmapilule.com et la pétition associée…

 

Pourquoi ? À la première lecture de la lettre ouverte, l’impression ressentie est celle d’un texte confus, à l’argumentaire mal construit. De quoi parle-t-on ? D’une pilule progestative ? De toutes les pilules ?

 

A moins, au contraire, que ce texte et ce blog ne soient très bien construits et très habiles ?

 

Reprenons les choses dans l’ordre.

 

1- De quoi parle-t-on ?

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

3- Quels sont les coûts ?

4- A qui profite le projet ?

5- Les procédés rhétoriques

 

1- De quoi parle-t-on ?

 

  •  S’agit-il purement d’une pilule progestative, ou bien songe-t-on à étendre le dispositif aux œstroprogestatives (que l’on abrègera en OP), éventuellement dans une seconde phase ?
  •  Parle-t-on d’une autorisation de prescription de la part du pharmacien, d’une prescription facultative ou d’une vente libre ?

 

Reprenons le texte principal (la lettre ouverte). Toute l’introduction prend l’exemple de la situation US et des recommandations de l’ACOG (d’ailleurs similaires à celles de l’AAFP). Ces recommandations ne se limitent pas aux pilules progestatives, mais concernent bien toutes les familles de pilule. Le questionnaire envisagé explore les contre-indications des œstroprogestatives (voir les références sur l’AAFP).

 

Pour le moment il n’y a pas de pilule en vente libre aux USA. Les associations et organisations militant pour une vente libre (OTC, over-the-counter) envisagent que la première pilule autorisée soit progestative, mais ont pour objectif affiché les deux familles, en se basant sur des études montrant qu’un questionnaire permet d’éviter les contre-indications connues des OP.

 

Dans certains États des US, comme l’Oregon, les pharmaciens ont une autorisation de prescription, qui repose sur un questionnaire rempli avec l’aide du pharmacien. Il ne s’agit pas d’une vente libre.

 

La lettre ouverte ne mentionne les pilules progestatives qu’à deux reprises : pour évoquer une demande d’autorisation d’un laboratoire français aux US (Rx-to-OTC switch), marché potentiellement très fructueux (voir plus bas partie 3), et à la fin, pour demander aux laboratoires de déposer une AMM.

 

Le texte demeure donc très ambigu sur l’objectif à terme, progestatives ou OP, très certainement à dessein. Si l’objectif était uniquement les progestatives, il aurait pu être beaucoup plus explicite sur l’absence de contre-indications cardiovasculaires, par exemple, et beaucoup plus convaincant.

 

Tout en gardant en tête cette ambiguïté, nous privilégierons dans la suite ce qui semble être l’objectif à court terme : une AMM pour une pilule progestative en vente libre.

 

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

 

La santé publique est faite de délicats équilibres, souvent difficile à quantifier, et une idée généreuse peut se révéler nuisible…

 

Il est sans doute impossible de quantifier les rapports bénéfices/risques de la mesure proposée, mais nous pouvons au moins qualitativement examiner ses effets positifs et négatifs.

 

L’effet positif est clairement identifiable : un nouveau canal de diffusion serait disponible pour les pilules progestatives, sans consultation médicale. Certaines femmes ne consultant pas pour une raison ou une autre pourront acheter un contraceptif oral en pharmacie. Cela pourrait être bénéfique dans certaines zones où l’accès à un médecin, une sage-femme ou un centre de planning familial est limité.

 

Du côté des effets négatifs, les effets indésirables d’une pilule progestative sont mineurs et les contre-indications limitées et bien identifiées, et même pour une œstroprogestative, des études qu’il faudrait compléter semblent indiquer qu’un questionnaire auto-administré suffit à les éviter largement.

 

Cependant :

  • Si la délivrance sans ordonnance se limite aux pilules progestatives, le nouveau canal offre un choix limité. Chez une femme jeune et fertile, sans contre-indication aux OP, ce n’est pas forcément le meilleur choix en raison principalement d’une moindre efficacité et d’une plus grande dépendance aux horaires de prise que pour une OP. Un DIU au cuivre ou hormonal, un implant, un anneau peuvent être aussi proposés… À noter qu’une extension aux pilules OP améliorerait ce point, à compenser par un risque peut-être accru d’effets indésirables sérieux, à quantifier.
  • La consultation de prescription de contraception peut être faite par un•e gynécologue, un•e généraliste, un•e sage-femme, en cabinet, au planning familial, etc. Le choix est vaste, et souvent méconnu. Cette consultation ne comporte pas d’examen gynécologique.
  • Cette consultation est l’occasion, en particulier pour la première prescription, d’aborder, outre les diverses options de contraception, divers sujets sur la sexualité, les IST, les violences… S’en dispenser prive de cette occasion.

 

Le choix de prescripteur est suffisamment large pour qu’il n’y ait en réalité guère d’obstacle de disponibilité ou de distance pour cette consultation, sauf peut-être dans certaines zones. Un généraliste qui ne fait pas de gynécologie saura fréquemment renvoyer vers un•e collègue proche. À l’échelle de la France, et en particulier en zone urbaine, c’est principalement l’information qui fait défaut.

 

3- Quels sont les coûts ?

 

Actuellement :

 

  • Pour une personne hors AME/CMU :

– La consultation revient à 6,90 euros (ticket modérateur).

– Un an de pilules = 4 boîtes à environ 3 euros remboursés à 65 %, donc environ 4 euros.

Soit au total environ 11 euros par an.

(en réalité un peu plus pour une OP et un peu moins pour une progestative, à 1-2 euros près).

 

  • Pour une personne bénéficiant de l’AME/CMU, c’est gratuit.

 

  • Pour une pilule en vente libre, si elle est proposée au même prix :

– 4 boîtes à 3 euros, non remboursés : 12 euros.

 

Pas de gain donc, au contraire, en particulier pour les personnes en AME/CMU.

 

MAIS, ce qui est proposé est une nouvelle AMM, pour une spécialité médicale qui sera en vente libre. Il est extrêmement probable que le prix sera différent. Aux USA, une boîte pour un mois coûte entre 20 et 50 dollars hors assurance (5-30 dollars après éventuel remboursement).

 

Si les prix français ne sont pas ceux des USA, tous les médicaments qui ont été déremboursés ces dernières années pour passer en vente libre (parfois du fait des autorités, parfois à la demande des industriels) ont vu leurs tarifs augmenter rapidement de 46% en moyenne et de plus de 90% dans un quart des cas.

 

Par ailleurs, on peut raisonnablement penser que le prix d’une pilule en vente libre serait aligné sur celui des pilules actuellement non remboursées, soit de l’ordre de 10 à 15 € par mois, 120 à 180 € par an.

 

Notons que la lettre ouverte aurait pu demander que l’AMM se fasse dans un cadre remboursable, donc à prix régulé via le dispositif des médicaments « à prescription facultative » (le paracétamol en est un exemple). C’est d’ailleurs ce qui était demandé par le « Collectif des Pharmaciens » dans leur proposition n°4.

Ce n’est pas le cas de Libérez ma pilule.

 

4- À qui profite le projet ?

 

Il est toujours indispensable d’explorer conflits d’intérêts et motivations. Les promoteurs d’un projet comme celui-ci ont toujours une diversité de motivations. La santé publique en sera une, en général, mais il faut se poser la question des autres.

 

Le nom de domaine liberezmapilule.com a été enregistré au nom de Karim Ibazatene, d’après les informations publiquement disponibles. Il s’agit donc visiblement d’un promoteur clé de l’initiative.

Actif sur les réseaux sociaux, blogueur, ce pharmacien de formation déclare travailler pour l’industrie pharmaceutique. Il est qualifié de « spécialiste marketing santé, président de LNA » sur ce site d’école de commerce. En parallèle, il est ou a été gérant d’une multitude de sociétés, ayant en général une activité de conseil auprès de l’industrie pharmaceutique, enregistrées à Paris (LNA, TIM), Londres (LNA Limited), Luxembourg (Kahena), Riga (SIA PLTCare), Chypre (CRT Cyprus Readability Test), Madrid (LNA)…

A noter que son blog et son compte Twitter ont été fermés simultanément dans la nuit du 21 au 22 avril. Le cache Google permet de retrouver la page de présentation et le dernier billet.

 

Une pilule en vente libre, commercialisée autour de 30 euros la boîte de trois plaquettes, représenterait un marché très important pour l’industrie pharmaceutique. Ce promoteur du projet est donc très certainement en conflit d’intérêts majeur, non déclaré sur le site.

 

5- Les procédés rhétoriques

 

Une fois ces points examinés, il est utile de revenir sur le texte même, et sur les annexes (FAQ et autres articles) proposées sur le site web.

 

Ce site, bien conçu, comporte en effet de nombreux articles périphériques, utilisés dans la campagne de presse, et souvent repris dans les articles mentionnant le projet. Les examiner permet de mieux comprendre l’origine de ce projet et ses divers objectifs.

 

On l’a vu, le texte lui-même reste ambigu dans son introduction sur la nature de la pilule concernée, et sur la situation aux US. On pourrait penser à sa lecture que la pilule progestative y est en vente libre. On a vu plus haut que ce n’est pas le cas. En outre, d’après ce qui est actuellement public, HRA Pharma, contrairement à ce qui est annoncé, n’a pas déposé une demande de switch, mais a créé un partenariat avec Ibis Reproductive Health, une association, pour effectuer les recherches permettant de soumettre un dossier « d’ici quelques années ».

 

Un argument utilisé, juste après avoir parlé des USA, est que la délivrance sans ordonnance est une réalité dans de nombreux pays. La carte jointe montre qu’en réalité il s’agit, pour la plupart, de pays où la vente de médicament n’est globalement pas régulée, y compris pour des médicaments tels que des antibiotiques. A l’inverse, les pays où la prescription est nécessaire sont, globalement, les pays les plus développés et offrant le maximum de garanties aux patients/consommateurs/citoyens.

 

Dans la partie « Pourquoi seulement une pilule progestative », le texte fait référence uniquement aux œstroprogestatives de 3e et 4e génération qui sont annoncées comme « délicates à manier« .

(« Pour nous, ces pilules [de 3e et 4e génération] ont encore vocation à être prescrites par un médecin ou une sage-femme », pardon mais, les signataires de la lettre ouverte, vous signez vraiment cette phrase ???)

Il est étonnant de ne pas mentionner ici les œstroprogestatives de 2e génération, les seules qui devraient être prescrites dans l’immense majorité des cas, et dont les effets indésirables sont bien moindres. Mais les laboratoires défendent farouchement ces pilules 3G et 4G, beaucoup plus rentables.

 

La partie « Quels avantages à ne pas imposer une consultation » entretient une confusion entre un suivi gynécologique (« frottis ») et prescription de pilule, deux actes sans aucun rapport en réalité. Elle annonce que le suivi « vise à repérer certaines pathologies particulièrement rares ». Le cancer du col de l’utérus n’est, hélas, pas une pathologie rare. La HAS recommande un suivi entre 25 et 65 ans avec (en simplifiant) un frottis tous les trois ans. Ce texte, tel qu’il est rédigé, peut avoir un effet dissuasif sur un suivi nécessaire, tout en poussant à ne pas consulter pour une prescription de contraception (quelle qu’elle soit) en s’appuyant sur cette confusion. Il s’agit d’un procédé rhétorique à la fois malhonnête et dangereux.

 

 

Conclusion

 

Cette initiative semble partir d’une belle intention et, au premier abord, elle est séduisante. L’accès à la contraception reste problématique pour certaines femmes en France et tout ce qui peut contribuer à l’améliorer sera bienvenu. Le libre accès à une pilule constitue une piste. Parmi d’autres.

 

Plusieurs éléments font cependant que nous ne pouvons pas soutenir la lettre ouverte de Libérez ma pilule :

  • Le caractère positif de l’impact global en termes de santé publique de l’initiative, telle qu’elle est présentée ici, est incertain.
  • Automédication, autonomie des patients qui payent pour obtenir ce qu’ils souhaitent, cette initiative est d’inspiration plutôt libérale, teintée d’une vision consumériste de la médecine que nous ne partageons pas. Ce qui nous semble devoir primer est la discussion lors de la consultation ; la prescription pourrait être renouvelable dix ans au lieu d’un si c’est justifié médicalement.
  • Financièrement, cette initiative profitera surtout à l’industrie pharmaceutique qui, par l’intermédiaire de son syndicat, semble regretter que les prix des médicaments continuent à être régulés.
  • Le texte est ambigu sur ses objectifs, peu informatif, passe sous silence des éléments sans doute pour ne pas se restreindre (ailleurs que dans la phrase finale) aux pilules progestatives.
  • Certains promoteurs semblent en situation de conflit d’intérêts majeur non déclaré.

 

Nous croyons à la sincérité de la grande majorité des signataires de la lettre ouverte mais nous craignons qu’ils n’aient été enrôlés, à leur insu, dans une opération de marketing commercial. Et nous nous interrogeons sur la genèse de ce projet. De qui, précisément, provient l’initiative ? Qui a effectué le travail de recherche, rédigé ces textes et fourni la logistique ?

 

Peut-être faudrait-il lancer une initiative réellement citoyenne, claire sur ses objectifs (éventuellement avec deux étapes, progestatifs puis oestroprogestatifs ?), exposant clairement les bénéfices de chaque option, et très explicite sur ce qui est demandé pour une éventuelle AMM, par exemple avec une AMM remboursable à prescription facultative, donc à prix régulé.

La campagne associée pourrait mettre l’accent sur le découplage entre la prescription d’un contraceptif oral et un suivi gynécologique conforme aux recommandations officielles, ainsi que sur la diversité des acteurs disponibles pour ces deux actes et des solutions disponibles.

 

Au travail !

 

Borée & Hipparkhos

Pauvres de nous

« Grossesse : évitez les antalgiques », « Le paracétamol, facteur de risque pour les fœtus », « Les antalgiques déconseillés pendant la grossesse ».

Voici quelques grands titres de la presse francophone de ces derniers jours. Tout en nuances.

A l’origine de ces articles, une étude parue dans la revue Human Reproduction et signée par des chercheurs danois, finlandais et français.

De quoi s’agit-il ?

Cette étude avait pour objectif d’étudier l’impact de la prise de médicaments antalgiques usuels (Paracétamol, Ibuprofène et Aspirine) sur la survenue d’une malformation affectant les nouveau-nés masculins : la cryptorchidie (Les testicules se forment dans l’abdomen des fœtus et descendent normalement au cours de la grossesse pour prendre leur place dans les bourses. La cryptorchidie, c’est quand un testicule, ou les deux, ne descend pas complètement).

Pour étudier ceci, les chercheurs ont combiné deux volets : une étude épidémiologique chez des femmes enceintes danoises (1 040 garçons examinés) et finlandaises (1 470) et une étude expérimentale sur des rats.

Il est important de noter que le volet humain correspond à une étude épidémiologique descriptive. Ce type d’étude permet d’établir une corrélation mais n’autorise en aucun cas à affirmer un lien de cause à effet. On peut uniquement le soupçonner.

Que démontre-t-elle ?

(pour ceux qui veulent zapper la partie aride, rendez-vous plus bas à « Mais, mais, mais »)

D’une part que l’administration de Paracétamol et d’Aspirine chez la rate entraîne un surcroît de cryptorchidie, d’autant plus que les doses administrées sont importantes.

D’autre part qu’il semble exister, non pas UN mais DES liens statistiques entre la prise d’antalgiques par les femmes enceintes et la survenue d’une cryptorchidie chez les garçons nouveau-nés.

Pourquoi ces réserves ?

Déjà parce que l’étude a choisi de ne retenir que 491 des 1 040 mères danoises. En effet, dans l’étude danoise, les mères étaient interrogées sur leur consommation médicamenteuse soit par un auto-questionnaire écrit qui demandait s’il y avait eu « des prises médicamenteuses », soit par un entretien téléphonique au cours duquel on leur demandait expressément si elles avaient pris des antalgiques, soit avec les deux méthodes combinées. Or 56% des mères interrogées par téléphone ont déclaré une prise d’antalgiques contre seulement 26% de celles ayant utilisé l’auto-questionnaire et pour lesquelles, vraisemblablement, la prise d’antalgiques banaux était négligeable et ne correspondait pas à « des prises médicamenteuses ».

Au final, les chercheurs ont choisi de ne retenir pour l’analyse que les femmes interrogées par téléphone, considérant leurs données comme plus fiables. L’argument se tient.

Sauf que, dans une étude scientifique rigoureuse, exclure ainsi a posteriori plus de la moitié d’un échantillon, ça ne se fait pas. Si cette exclusion répond à un motif légitime, ce qui est le cas, c’est au minimum que l’étude a été mal conçue et planifiée et ça plombe sérieusement l’intérêt des résultats.

Par ailleurs, une grande spécialité des chercheurs et des statisticiens, c’est de découper leurs études en petits morceaux. Ce n’est pas illégitime et ça peut apporter des renseignements intéressants pour peu que, du coup, on ne fasse pas dire aux conclusions plus que ce qu’elles méritent.

En l’occurrence, un lien statistiquement significatif a été établi dans certaines comparaisons du groupe danois. Mais sur les 30 calculs statistiques publiés, 20 ne montrent pas de différence « statistiquement significative » (ce qui veut dire, conventionnellement, qu’il y a plus de 5 % de chances que le seul hasard explique les différences observées) simplement, parfois, des « tendances ».

En particulier, il n’y a pas de lien statistiquement significatif :

–          dans aucune des comparaisons du groupe finlandais

–          pour le paracétamol, sauf lorsqu’il est pris durant plus de deux semaines au total

Visiblement, le risque concerne essentiellement l’association de plusieurs antalgiques, l’aspirine et l’ibuprofène et la prise d’antalgiques durant plus de deux semaines au total.

L’article conclut assez sobrement et simplement par « L’ensemble de ces résultats tend vers un scénario dans lequel l’utilisation des antalgiques a un effet possible sur le développement fœtal avec des implications pour la future capacité reproductive. C’est pourquoi des explorations complémentaires sont absolument nécessaires (…) ».

OK, jusque là, pas trop de soucis. C’est une étude intéressante, pas tout à fait exempte de reproches méthodologiques, mais qui présente l’avantage de combiner un volet épidémiologique et un volet expérimental apportant des arguments physiopathologiques.

MAIS, MAIS, MAIS…

Une autre étude a été publiée au même moment dans une revue non moins prestigieuse, signée par des chercheurs non moins éminents.

Cette recherche a étudié, chez 47 400 garçons danois nouveau-nés (excusez du peu), le lien entre antalgiques et cryptorchidie. Oui, vous avez compris, c’est pratiquement la même étude, faite dans le même pays. Le Danemark ayant la plus forte incidence mondiale de cryptorchidie, on comprend qu’ils s’y intéressent.

La conclusion ? Aucun lien statistiquement significatif n’a été établi avec la prise d’aspirine ou d’ibuprofène. Le seul lien établi a été l’augmentation modérée (33%) du risque en cas de prise de paracétamol, en particulier pour des durées supérieures à 4 semaines.

Bref, c’est le bordel : les deux études se contredisent assez largement.

Décidément, la science c’est compliqué et les chercheurs ont parfois bien du mal à se mettre d’accord entre eux.

On pourra remarquer que cette seconde étude n’a été reprise par aucun média grand public. Peut-être aussi ces chercheurs avaient-ils moins bien soigné leur communication

Que penser de tout ça ?

Il existe vraisemblablement un lien modéré entre la prescription d’antalgiques et l’apparition de cryptorchidies. Cette augmentation du risque ne semble vraiment sensible que pour des doses assez importantes, des durées prolongées et en cas d’association de plusieurs antalgiques.

Il faut, en effet, des études complémentaires pour préciser les choses et il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la prise d’un médicament n’est jamais totalement anodine, et en particulier chez la femme enceinte.

Pas plus que d’autres choses au demeurant puisque, parmi les facteurs de risques démontrés de la cryptorchidie, on trouve : le régime végétarien (pas de bol pour les « naturopathes » anti-médicaments), la supplémentation en fer (qui est quand même préférable à une bonne anémie), l’exposition aux pesticides (risque multiplié par 1,7 chez les mères travaillant dans le jardinage) ou aux phtalates.

Par ailleurs, une cryptorchidie ce n’est pas super génial mais ce n’est pas mortel non plus. Ça se diagnostique très simplement en examinant le nouveau-né et ça se corrige par une intervention chirurgicale. Si celle-ci est réalisée suffisamment tôt après la naissance, il n’y a généralement pas de conséquences à long terme.

En tout cas, rien ne justifie d’avoir ainsi affolé la population et en particulier les femmes enceintes ou susceptibles de l’être. Rien ne méritait que l’on mette à la une des journaux des titres pareils. Rien n’autorisait à dramatiser les choses en rappelant dans ces articles que la cryptorchidie est un « facteur d’infertilité voire de cancer du testicule ».

Comme s’il fallait les traumatiser encore davantage les femmes enceintes. Comme si on ne leur expliquait pas déjà que tout est dangereux. Comme si le moindre écart au dogme n’était pas déjà le témoin de leur totale irresponsabilité.

Et encore ! Les Français ont échappé aux déclarations aussi gratuites que fracassantes de l’un des auteurs danois de l’étude, largement relayé par la presse anglophone, affirmant que « les antalgiques constituent de loin la principale source d’exposition aux perturbateurs endocriniens chez les femmes enceintes (…) Un seul comprimé de paracétamol constitue un potentiel de perturbation endocrinienne plus important que l’exposition combinée aux dix perturbateurs environnementaux connus durant toute la grossesse. Un seul comprimé va en fait plus que doubler l’exposition d’une grossesse aux perturbateurs endocriniens. » (!!!).

Alors, moi je propose que l’on prenne ces « journalistes santé » qui se contentent de recracher des communiqués de presse pour faire du sensationnel, infoutus qu’ils sont de chercher l’information à la source et de la critiquer avec un peu de distance.

Et puis qu’on prenne les chercheurs qui confondent diffusion du savoir et médiatisation de leur gloire. Qui choisissent d’affoler les médias pour se faire mousser et pour griller le scoop de l’équipe concurrente. Et qui se foutent totalement des conséquences de leur vanité.

Qu’on prenne donc ces pseudo-« journalistes santé » et puis qu’on les pende avec les tripes de ces chercheurs. Haut et court.

Parce que ce cher chercheur danois, je trouve quand même qu’il ne manque pas d’air. Après avoir mis le feu, il nous explique que, désolé, mais il n’est pas pompier : « Les femmes pourraient désirer diminuer leur consommation d’antalgiques durant la grossesse. (Mais oui, crétin, les antalgiques on les prend pour le fun) Cependant, en tant que biologistes, ce n’est pas de notre ressort de conseiller les femmes à ce sujet. Nous recommandons aux femmes enceintes de prendre l’avis de leur médecin avant d’utiliser des antalgiques. »

Ah ça c’est sûr, je sens qu’on n’a pas fini de ramer entre les explications complexes, la trouille du procès et la nécessité de soulager nos patientes.

Les psychiatres ont de beaux jours devant eux ! « Mon fils a des problèmes de fertilité. C’est de ma faute ! Je me rappelle que pendant ma grossesse, j’avais pris une fois ou deux du Paracétamol pour ces foutues migraines. Je m’en veux tellement… »

Parce qu’il faudra quand même me dire ce que qu’on pourra prescrire sereinement à une femme enceinte qui a 40° de fièvre. Vu que la fièvre elle-même est tératogène. « Vous préférez la spina bifida ou la cryptorchidie ? Et puis signez moi, s’il-vous-plaît, ce papier qui atteste que je vous ai bien informé des risques. Voilà, au-revoir et bon courage. Mais ne stressez pas trop quand même ! »

En même temps, elles ne pourront pas dire qu’elles n’étaient pas prévenues…

« L’Eternel dit à la femme : J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. »

Genèse 3,16

***

Post-scriptum (édition le 14/11 19:00) Dans le prolongement de ce billet, pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce qu’il convient de faire de l’étude publiée dans Human Reproduction, Openblueeyes a publié un billet à la fois complet et limpide.

Etiquette

Oui, bon, voilà… On va me dire « Encore un billet pour se moquer de l’hôpital, c’est trop facile, genre : lui il se plante jamais… ».

Oui, ok, mais il fallait vraiment que je la raconte.

Je m’occupe d’Astérix.

Astérix, il a des moustaches comme… comme… ben, comme Astérix en fait. Et puis il est petit, râblé, bourru et il clope. Il n’a probablement pas été très loin après l’école primaire mais ça ne l’a pas empêché de bosser dur toute sa vie. Comme on dit : « il a une gueule ».

Je ne l’avais pas vu très souvent jusque là, pas le style à courir chez le médecin.

Il y a quelques mois, Astérix a eu un sale accident en travaillant. Du genre où il aurait pu y rester : quatre côtes pétées à gauches et huit à droite avec un bel hémopneumothorax bilatéral. (Pour les non-médecins, c’est ce qui arrive quand une côte casse, se déplace et va perforer un poumon. Du coup il y a de l’air et du sang qui viennent se mettre autour du poumon et celui-ci se ratatine et il respire beaucoup moins bien. Quand ça arrive d’un seul côté c’est pas super mais on a encore un poumon pour respirer. Quand ça arrive des deux côtés en même temps, c’est assez sportif.)

Astérix a été rapatrié dare-dare en réanimation : drains, oxygène, morphine.

Et le réanimateur de me faire une belle lettre pour me raconter en détails le séjour dans son service.

« le mardi, le patient présente un fébricule à 38°, mais dans un contexte de pré DT (*) probable avec trémulation, front luisant et hallucinations visuelles justifiant l’instauration d’une hyper-hydratation, d’une vitaminothérapie, par ailleurs débutée dès l’entrée, ainsi que d’un traitement psychotrope à base d’Haldol et Mépronizine.

(…)

Conclusion
Mr Astérix, âgé de 58 ans, sans antécédent notable, a présenté un traumatisme fermé du thorax, …
Pré DT probable chez un patient niant par ailleurs toute ingestion d’alcool. »

Après la réanimation, Astérix est parti en pneumologie. Et j’ai reçu la lettre du pneumologue (pourtant, c’est mon pneumologue préféré que je tutoie, qui est très bien avec les patients et très compétent) :

« Biologiquement, on a un bilan hépatique perturbé avec cytolyse hépatique : TGO à 138, TGP à 242, Gamma Gt à 698 (*).

Les perturbations hépatiques sont à mettre en relation avec un éthylisme antérieur. Nous avons supprimé les produits potentiellement hépato-toxiques, et notamment le Paracétamol. »

Et voilà, Astérix est rentré chez lui avec une belle étiquette qui, forcément, s’imposait vu sa tronche : non seulement il fume mais en plus c’est un alcoolique. Et un bon puisqu’il a fait son pré-delirium trémens et qu’il avait des Gamma GT au plafond !

Quand je suis passé le voir à la maison, je lui ai posé la question « Euh… dites voir, il y a les médecins de l’hôpital qui ont l’air de dire que vous buviez un peu trop là…

– Ah, non ! C’est pas vrai ça ! Je vous jure, je bois pas une goutte de vin et pas de bière ! Je fumais, ça c’est vrai, mais je bois jamais ! Je vous jure que c’est vrai, je vois pas pourquoi je vous le dirais pas. »

Et, de fait, je ne voyais pas bien pourquoi il ne me l’aurait pas dit. Et d’ailleurs, j’étais assez surpris : je n’avais jamais « senti » un problème d’alcool chez Astérix. Mais, bon, on sait ce que c’est, Dr House et la Faculté nous l’ont appris : le patient est menteur. Surtout s’il est alcoolique ou drogué.

« Bon, ben de toute façon il va falloir faire des prises de sang de contrôle pour surveiller le foie. Et puis, si vous êtes d’accord, on fera un dosage qui permet de voir s’il y a un problème d’alcool. Comme ça, on pourra le prouver aux médecins de l’hôpital. Et ça me permettra de te montrer que c’est pas la peine de me mentir, espèce d’alcoolo. »

Les CDT (*) me sont revenues blanches comme la neige à 0,5%. Et le bilan hépatique s’est gentiment amélioré pour finir de revenir dans les normes.

Les « perturbations hépatiques » n’étaient pas à mettre en relation avec un éthylisme antérieur mais avec le fait que le foie est, lui aussi, situé sous les côtes et qu’il avait également bien morflé dans l’aventure.

Quant au « pré-DT probable avec trémulation, front luisant et hallucinations visuelles », on peut se dire raisonnablement qu’être attaché dans un lit de réanimation avec des tuyaux et des bips partout, quand on a mal et que pour ça on a des perfusions de morphine à bonne dose, ce sont aussi d’excellentes raisons pour être dans cet état.

Au final, le patient qui « niait toute ingestion d’alcool » avait bien raison de le faire.

Et nous, médecins (moi compris puisque j’ai également douté), nous nous sommes bien fourré le doigt dans l’oeil jusqu’au cholédoque…

Raconté comme ça, ça pourrait rester une anecdote amusante mais en fait pas vraiment.

On voit très bien dans les courriers comment le réanimateur a une conviction intime mais qu’il prend tout de même la précaution de rajouter un « probable » qui laisse la place au doute. Et comment le pneumologue, de bonne foi, transforme ceci en fait acquis et sans nuance.

Connaissant le mode de fonctionnement habituel des médecins en général, et des hospitaliers en particulier, je sais que le risque est grand qu’à l’avenir, un interne ressorte les lettres d’hospitalisations et se contente de recopier, toujours de bonne foi, « Antécédents : éthylisme chronique ». Et comme ça, de lettre en lettre, une hypothèse diagnostique erronée pourra devenir une vérité médicale dont Astérix devra continuer à se justifier face à des interlocuteurs qui postuleront qu’il est toujours dans le déni…

C’est pourquoi, depuis, je précise dans toutes mes lettres le concernant « Je vous prie de bien vouloir noter que l’hypothèse d’alcoolisme qui avait été émise a clairement été infirmée par la suite. »

Il y a des étiquettes qui relèvent du tatouage.

(*) Quelques explications supplémentaires pour les non-habitués :
– PréDT : est l’abréviation de Pré-Delirium Tremens. Le Delirium Tremens est un syndrome qui survient lorsqu’un patient alcoolique est brutalement sevré. Il associe de la fièvre, une déshydratation, des tremblements, des délires avec hallucinations, souvent animalières (les fameux « éléphants roses »), parfois des convulsions. Au delà de l’aspect folklorique, c’est une pathologie grave, potentiellement mortelle en l’absence de traitements.
– Transaminases et Gamma GT : sont des enzymes qui existent dans le foie et qui sont présentes en petite quantité dans le sang. Lorsque leur taux augmente dans le sang, c’est le signe que des cellules du foie sont abimées. Les taux retrouvés initialement chez Astérix représentent 5 à 12 fois les taux normaux. C’est beaucoup.
– CDT : est l’abréviation anglaise de « Carboxy-Deficient Transferrin » (Transferrine carboxy-déficiente en bon français). Il s’agit d’un dosage sanguin qui permet de repérer de manière très spécifique, les consommations d’alcool chroniquement excessives. Elle reste normale en cas de consommation modérée régulière ou en cas de consommation excessive ponctuelle. Après l’arrêt complet de l’alcool, elle met plusieurs semaines à se normaliser.

Yeau-yeau

Je suis en colère.

Je suis plus qu’en colère. Je suis furieux et révolté.

Furieux contre le système de santé français. Furieux contre les ORL de France. Furieux contre les médecins généralistes français qui ne se posent pas de questions et qui font bêtement confiance aux « spécialistes ». Furieux contre les sites « d’information santé » et leurs forums idiots.

Et furieux contre moi-même d’avoir bêlé avec le troupeau jusque là.

Je l’avais annoncé dans le post-scriptum de Ça glisse, Alice ! : je comptais bien m’intéresser à la question des aérateurs transtympaniques.

C’était au-delà de mes craintes…

Qu’est-ce qu’un aérateur transtympanique (ou trans-tympanique, alias « yoyo » ou « yo-yo ») ? C’est un tout petit tube en plastique, plus large que long d’où sa forme de yoyo, que l’on place dans le tympan de l’oreille. Le but est de maintenir une aération de l’oreille moyenne dans certains cas d’otites chroniques. Ceci concerne essentiellement des enfants, rarement des adultes.

Il y a quelques temps, je discutais avec la maman d’un petit bout de 3 ans qui a des aérateurs. Elle me disait combien c’était galère de lui faire prendre le bain. Sans compter que l’été prochain, pour la piscine, ça allait être l’enfer.

Ben oui : en France, on terrorise les parents d’enfants qui ont des aérateurs : « Pas d’eau dans les oreilles ! Surtout pas d’eau dans les oreilles !!! Sinon, ça va s’ I N F E C T E R. »

C’est ça, bien sûr, allez-y pour interdire à un enfant de 3 ans le bain et les éclaboussures… Et pour lui laver les cheveux ? Ah ça, pas de problème : vous trouverez sur le marché des tas de trucs à tous les prix : coton vaseliné, embouts en silicones, bandeaux en néoprène et autres « protecteurs ».

Pour le business des fabricants de ces machins – dont nous allons voir qu’ils ne servent à RIEN – et leurs revendeurs (les pharmaciens par exemple), ça va bien. Merci pour eux.

Et donc, voilà ce que répètent l’essentiel des ORL français, religieusement suivis par les généralistes et par les « sites santé » en langue française.

Mieux !  Voici ce que l’instance chargée de coordonner l’enseignement de l’ORL en France, le Collège Français d’ORL et de Chirurgie cervico-faciale, enseigne aux étudiants en médecine… « Ceci implique donc une restriction de l’introduction de l’eau dans les conduits auditifs externes (protection lors du bain, de la baignade, de la douche) ».

Le Bourrillon, qui est « la bible » pédiatrique des médecins généralistes français, est à peine plus nuancé.

Des preuves de ces affirmations sans appel ? Aucune.

Ce sont des conneries !

Une nouvelle fois, si vous voulez me suivre, il va falloir vous mettre à l’anglais. C’est pas marrant mais il n’y a pas le choix. (Pour ceux qui veulent zapper cette partie aride, aller directement plus bas à « De quoi en retourne-t-il ? »)

Depuis 1980, on peut trouver au moins 20 études différentes sur la question des aérateurs et de l’exposition à l’eau. Et au moins trois méta-analyses et synthèses. La majorité est étasunienne. Il y en a aussi des britanniques, françaises (mais en anglais), espagnoles, israéliennes et une dernière taïwanaise.

On pourrait commencer par la conclusion de la plus ancienne, celle de Chapman en 1980 :

« Interdire la nage aux enfants porteurs d’aérateurs est cause de souffrance, retarde l’apprentissage de la nage et des méthodes de sauvetage et ne repose sur aucune preuve publiée. »

et s’arrêter là.

Ah ben c’est sûr, c’est pas tout frais, tout frais comme étude. Trente ans quand même. Mais, depuis, rien n’est venu contredire cette conclusion. Rien.

A croire qu’on communique encore par pigeons voyageurs et que ce n’est jamais arrivé en France.

Tant qu’à avoir passé du temps à faire la recherche, voici quand même quelques arguments.

Deux études montrent qu’il faut une pression de 11 à 23 cm d’eau claire pour passer à travers un aérateur car le trou est trop petit pour que de l’eau qui n’est pas sous pression le franchisse. Avec de l’eau savonneuse, la pression nécessaire est un peu plus faible mais à peine : encore de 11 à 21 cm d’eau (Marks & Mills, 1982 et Pashley & Scholl, 1984).

On parle de pression d’eau sur le tympan. Ça tombe bien ! Une étude montre qu’après quatre minutes d’immersion continue dans l’eau, celle-ci n’atteint la surface du tympan que dans la moitié des cas. (Morgan, 1987)

Deux autres études, in vitro, ne retrouvent aucune pénétration d’eau à travers les aérateurs après une douche, le rinçage des cheveux ou l’immersion de la tête dans de l’eau claire (12,7 cm de profondeur).

Dans de l’eau savonneuse, l’eau pénètre dans 10% des cas. En cas d’immersion dans une piscine, la pénétration de l’eau n’est significative que pour des profondeurs supérieures à 60 cm. (Hebert & al., 1998)

Et si l’eau arrive quand même dans l’oreille moyenne ? Une étude faite sur des cochons d’Inde montre que de l’eau de bain introduite dans l’oreille moyenne cause une inflammation mais que ce n’est le cas ni avec de l’eau de piscine, ni avec de l’eau de mer. (Smelt & Monkhouse, 1985).

Plusieurs études se sont penchées sur la question de savoir s’il y avait plus d’infections chez des enfants que l’on autorisait à nager en piscine que chez ceux à qui on l’interdisait. Elles vont toutes dans le même sens : il n’y a aucune différence ! Certaines études semblent même mettre en évidence un supplément de risque chez les enfants à qui l’on interdit la piscine !  (Chapman, 1980 ; Smelt & Yeoh, 1984 ; Sharma, 1986 ; Wight & al., 1987 ; Cohen & al., 1994 ; Salata & Derkay, 1996 ; François & Benzekri, 1998 & Wang & al., 2009)

Ah ben, ça… Mais si on veut vraiment être sûr, il ne vaut quand même pas mieux utiliser des bouchons d’oreille ? Eh non ! Quatre études nous disent que, au mieux ils n’apportent rien et que, probablement, ils augmentent le risque d’infection ! (Arcand & al., 1984 ; Becker & al., 1987 ; Parker & al., 1994 & Goldstein & al., 2001)

Ce n’est pas très étonnant puisque ces bouchons semblent favoriser la pullulation des bactéries dans le conduit auditif. (Brook & Coolbaugh, 1984)

Bon, mais plonger, ce n’est pas bon quand même. Eh bien, oui mais non. Dans deux études, plonger était autorisé (jusqu’à 1,80 m de profondeur chez Salata & Derkay) et on n’a pas retrouvé de différence. (Sharma, 1986 & Salata & Derkay, 1996)

Plus précisément, une étude est très intéressante. Elle montre que ceux qui plongent ont 6 fois plus de risques d’infection que ceux qui s’en abstiennent. Oh mon Dieu, six fois plus !

Oui mais… Six fois plus de risque, ça veut dire en l’occurrence, qu’ils ont eu en moyenne une infection pour 100 journées avec piscine au lieu d’une infection pour 600 journées avec piscine. Ça relativise quand même bien les choses. (Loundsbury, 1985)

Et, au final, on a donc trois méta-analyses (Pringle, 1993 ; Lee & al., 1999 & Carbonell & Ruiz-Garcia, 2002) et deux synthèses (Pringle, 1992 & Goldstein, 2004) qui reprennent l’ensemble de ces études.

***

De quoi en retourne-t-il au final ?

***

Ce qui est sûr :

  • Autoriser la piscine, y compris en mettant la tête sous l’eau, sans protection particulière n’expose à aucun risque supplémentaire !
  • Il en va de même avec la douche et le rinçage des cheveux à la douchette. Aucune protection n’est nécessaire.
  • Les bouchons d’oreille sont au mieux inutiles, au pire nuisibles en augmentant le risque d’infection. Les autres types de protection sont inutiles.

Ce qui est probable :

  • L’eau de mer n’est probablement pas plus dangereuse que l’eau de piscine mais ça n’a été étudié qu’en laboratoire.
  • Plonger la tête sous l’eau jusqu’à 60 cm de profondeur (et peut-être davantage) n’augmente peut-être pas le risque d’infection, ou alors de manière très marginale. Ce n’est peut-être pas une très bonne idée mais ce n’est pas dramatique si vous voyez votre enfant plonger occasionnellement.
  • Il n’est probablement pas très souhaitable d’immerger la tête dans l’eau du bain. D’une part, l’eau savonneuse pénètre un tout petit peu plus facilement que l’eau claire à travers un aérateur. D’autre part, l’eau du bain contient beaucoup de germes venant de notre peau. Pas de soucis si l’enfant joue et s’éclabousse un peu mais, pour rincer les cheveux, mieux vaut le faire à la douchette qu’en trempant la tête sous l’eau. Ceci dit, ça correspond à des données de laboratoire et à des hypothèses raisonnables mais il n’existe aujourd’hui pas de preuve que l’eau du bain augmenterait vraiment le nombre d’infections.

En conclusion :

Comme pour les frottis sans lubrifiant, la grande majorité des médecins français se contente de répéter et de faire « comme on a toujours fait » sans remettre en cause ces habitudes et sans chercher à savoir si ceci repose sur des connaissances scientifiques validées. Pour les généralistes, ça peut être compréhensible (honnêtement, il faut être motivé pour passer un dimanche à chercher toutes ces références en anglais). Pour les spécialistes, et en particulier pour les enseignants, c’est inadmissible.

Combien d’enfants doivent-ils encore être privés de piscine, d’apprentissage de la natation ou, tout simplement, des joies du barbotage ?

Combien de parents doivent-ils encore être emmerdés, terrorisés et culpabilisés ? Combien faut-il leur faire dépenser pour l’achat de gadgets chers et inutiles ?

Tout ça, pour rien.

***

Edition le 12/02/2011 :
Mise à jour des liens bibliographiques grâce à Jaddo.
Référence complémentaire non mentionnée dans le billet original : Silimy & Bradley, 1986

Ça glisse, Alice !

Il y a quelques temps, j’ai eu un échange au sujet d’une question de gynécologie avec un ami qui s’y connait très bien.

Au milieu de sa réponse, je lis :

« J’insère toujours un spéculum après l’avoir trempé dans du liquide antiseptique ou dans du sérum phy, pour le lubrifier sans risquer de modifier un frottis, par exemple. »

Ah …

Ah ben merde, ça fait des années, que je fais tous mes frottis en utilisant du gel lubrifiant (celui qu’on trouve en supermarché, à côté des capotes…). C’est comme ça que j’avais appris « sur le tas » avec un gynéco du Planning familial.

Et là je me dis « Merde, merde, merde, combien de femmes, mon gars, as-tu condamnées aux pires horreurs en raison de tes conneries ? »

Mais, en même temps, je ne vois pas ce qui, intellectuellement, pourrait expliquer que du lubrifiant hydrosoluble fausse un frottis.

Je commence par appeler une collègue ana-path qui me dit que, non, mes frottis sont nickel, et que, pour ceux qu’elle fait elle-même, elle utilise un lubrifiant à base de vaseline sans que ça modifie ses lames (bon, là franchement, le lubrifiant à base de vaseline, je trouve ça un peu berk, mais bon…). Déjà, ça me rassure un peu.

Je décide donc d’aller voir ce que je peux trouver comme informations validées.

Je fais simple, Google est mon ami. Mots-clés : « frottis lubrifiant ». Sur les 50 premières référence, 48 recommandent de ne pas utiliser de lubrifiant (dont, le très officiel site de la Société Française de Colposcopie et de Pathologie Cervico-Vaginale) mais aucune référence d’étude. Tout le monde se contente de répéter la même chose. C’est comme ça, on a toujours fait comme ça et c’est comme ça qu’il faut faire. Et on ne discute pas.

Un site précise qu’il faut utiliser un lubrifiant. Mais ne le justifie pas non plus.

Et, tout de même, une synthèse belge mentionne deux études américaines qui concluent que l’utilisation de lubrifiant ne modifie pas le frottis.

En refaisant la même recherche en anglais, on retrouve les deux études de 2002 citées par la synthèse belge (l’étude de Harer WB et l’étude de Amies AM) ainsi qu’une étude texane (Griffith) de 2005.

Ces trois études, qui sont largement citées par les pages anglophones, ont la même conclusion : l’utilisation d’un gel lubrifiant à base d’eau ne change pas la qualité du frottis !

Conclusion : d’un côté une tradition française que rien ne vient étayer (en tout cas, je n’ai pas trouvé) et, de l’autre, trois études récentes qui vont toutes dans le même sens et qui sont reprises par les sites de référence en langue anglaise.

Alors, cette histoire m’inspire quelques éléments :

  • Mes patientes peuvent souffler, a priori, on n’a pas loupé de cancer du col.
  • Décidément, il faut toujours savoir remettre en cause ce qui nous est présenté comme des vérités acquises. Les « arguments d’autorité » et la tradition ne sont pas des preuves !
  • Une nouvelle fois, et ce n’est pas Martin Winckler qui me contredira, même pour une chose aussi basique, on gagne malheureusement à parler anglais pour pouvoir chercher ailleurs ce que notre filière française n’est pas capable de nous donner.
  • Enfin, je vais conclure en me contentant de citer la « note d’éditeur » de ce site américain parce que je n’ai pas trouvé comment mieux dire les choses :

« Au nom de toutes les femmes, merci pour les résultats de ces études ! Sérieusement, combien d’autres de nos pratiques officielles augmentent l’inconfort du patient sans aucune preuve d’un avantage ? Il y a d’énormes possibilités pour des recherches pragmatiques portant sur des aspects de routine des pratiques médicales.

Il est souhaitable que la Médecine de famille s’implique davantage dans la recherche, à la fois dans les centres académiques et au sein des réseaux afin d’améliorer les soins aux patients.

La recherche n’a pas besoin de sauver des vies ou de porter sur des sujets dramatiques pour faire des différences significatives pour les patients et pour les praticiens. »

Ne vous laissez plus faire de frottis

sans lubrifiant !

Sauf si vous aimez ça…

A suivre quand j’aurai le temps : l’eau et les « yoyos »

 

Edition du 30/08/11

Mon amie Gélule m’a offert un dessin pour illustrer ce billet :