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Maladite

Les gens, quand ils sont malades, ils aiment avoir un beau diagnostic.

Si ce n’est pas un mot compliqué, si ça ne provient pas du grec ou du latin, si ça ne finit pas en « ite » et que ça ne contient pas assez de « h » ou de « y », ça ne fait pas assez sérieux et ils ont l’impression d’être venus pour rien.

S’ils arrivent avec le nez qui coule, un peu de toux et une petite fièvre, ils ne vous laisseront jamais leur dire « Oui, bon, vous avez un rhume et vous êtes un peu mal fichu. Reposez-vous. » Ils penseront qu’il n’y a pas besoin d’avoir fait dix ans d’études et de réclamer vingt-trois euros pour ça. Leur voisine le fait aussi bien et c’est gratuit.

Même si on leur dit « C’est un virus. Ce n’est pas très grave. », ça risque de ne pas suffire. Un virus ? D’accord, mais quel virus ? Et puis ce n’est pas un diagnostic ça « un virus ». Rendez-moi mon chèque espèce de charlatan.

Parfois, quand j’ai affaire à des patients de bonne volonté, j’essaie de leur expliquer.

Je leur dis que, le plus souvent, les bactéries se fixent sur un organe précis, mais que les virus, eux, ils envahissent un peu tout l’organisme. Que, en particulier, les virus qui vous rentrent dans le nez quand c’est l’hiver, ils se diffusent toujours un peu partout : le nez, les sinus, la gorge, la trachée, les bronches, occasionnellement les oreilles et les yeux.

J’explique que d’avoir le nez qui coule, puis de tousser quand « ça descend sur les bronches » c’est l’évolution normale et assez inévitable, que je ne connais rien qui puisse empêcher ça.

Que rhinite, sinusite, pharyngite, trachéite ou bronchite, c’est souvent un peu kif-kite.

Et que, de toute manière, on s’en fiche un poil puisque ça revient au même et que le traitement (ou, le plus souvent, l’absence de traitement) est identique.

Mais ça prend un moment à exposer et ça ne marche pas à tous les coups. Avec certains patients, ça ne marchera jamais.

Ils ne voudront pas de ces explications, croiront que je cherche à me débarrasser d’eux et se diront qu’ils ont vraiment perdu leur temps à venir me voir.

C’est pourquoi il m’arrive de mentir un peu et, pour avoir l’air sérieux, de déclarer « C’est une rhinopharyngite que vous avez ! » Ou, parfois, une bronchite. Alors qu’en fait je n’en sais rien et que je me dis juste que c’est un bon rhume.

Et quand j’évoque le traitement, avec ces patients, je sais qu’il ne faut pas dire « Lavez-vous le nez avec de l’eau salée. » Ils feraient la moue, la mine peu convaincue, et iraient peut-être chez le pharmacien se faire refiler une saleté à base de pseudoéphédrine.

Avec eux, il faut parler de « drainage rhino-pharyngé avec une solution de sérum physiologique. » Alors seulement, ils trouveront qu’on les a pris au sérieux. Ils penseront qu’une telle science vaut bien vingt-trois euros et feront le chèque avec reconnaissance.

Ils iront ensuite voir leur femme, leur mari ou une voisine et lui diront, l’air grave, « Tu vois, tu pensais que j’avais seulement un rhume. Eh bien, le docteur a dit que j’avais une rhinopharyngite ! »

***

Pour le livre, l’amie BlaguiBlago a réalisé ce dessin. Merci !

Airbus

Thierry est un rescapé.

Lorsque je l’ai vu la première fois, cela faisait déjà une paire d’années qu’il avait fait son premier infarctus. À trente-six ans.

Pourtant, petite victoire, c’est le premier homme de sa famille, sur trois générations, à dépasser les cinquante ans. Infarctus, attaques cérébrales, artérite, néphropathie, sa généalogie est une encyclopédie médicale.

À peu près toutes ses artères se sont bouchées, les unes après les autres. Une bonne partie a déjà été désobstruée. Je ne suis plus très sûr du nombre d’interventions et de la quantité de stents (1) que son corps renferme.

Pourtant, il n’a jamais fumé ! Mais c’est vraiment le seul facteur de risque cardio-vasculaire qu’il n’a pas. Pour le reste, c’est la « complète ».

Bien sûr, il a une liste de médicaments absolument effrayante. Une douzaine de produits plus dangereux et délicats à manipuler les uns que les autres. Et le plus souvent, au maximum de la dose possible. Des traitements tout aussi vitaux pour lui qu’ils sont risqués.

On dit généralement que les interactions sont inévitables à partir de trois ou quatre substances différentes. Vous pouvez imaginer l’imbroglio dans le cas présent.

Il est venu me voir dans les premiers mois de mon installation. Auparavant, il était suivi par le pire charlatan des environs, bien pire que le Dr Moustache. Un médecin qui recrute ses patients-électeurs vingt-cinq kilomètres à la ronde, qui se vante de comptabiliser soixante à soixante-dix « actes » par jour et qui fait vraiment n’importe quoi. Un personnage d’autant plus répugnant qu’il intervient en particulier dans les milieux les plus modestes.

Je relis avec consternation ce que j’avais noté la première fois que je l’avais vu :

« Souhaite changer de MT. Situation catastrophique sur le plan des facteurs de risque.
1) Diabète : dernière HbA1C à 10,3%
Début de l’insuline le 27/01.  Doses adaptées par l’infirmière, a priori sans protocole clairement établi.
2) Anticoagulation
Pourquoi un AVK  ? A voir selon dossier
INR à 4,0 : est redescendu à 3/4 cp au lieu de 1. Ne reçoit aucune indication précise pour l’adaptation des doses (le médecin lui dirait de « se débrouiller avec les résultats »)
3) Cholestérol : LDL 2,04 g !!! Sous Lipanthyl (2)


Pas d’examen des yeux de fait depuis au moins 2 ans
Pas de microalbuminurie de faite
=> pour l’instant on adapte le Previscan et on récupère le dossier
Prévoir hospitalisation programmée pour essayer de rééquilibrer tout ça ? »

J’ai beaucoup d’affection pour Thierry et sa famille. Ce sont des gens extrêmement modestes : CMU, HLM, invalidité et pourtant ils ne déméritent pas. Son épouse travaille durement pour ramener un salaire à la maison. Lui l’aide comme il peut. Il ne sait pas lire.

Ce sont des patients vraiment attachants : très gentils, hyper sérieux avec les traitements et les — nombreux — rendez-vous.

D’ailleurs, les résultats sont là, au moins en partie. Thierry est toujours très obèse, mais il a perdu tranquillement une quinzaine de kilos, le diabète et le cholestérol sont presque dans les clous et il n’y a plus eu de gros pépin depuis cinq ans.

On a convenu qu’on en restait à des ordonnances mensuelles. Trop de problèmes à gérer, de courriers à faire, de rendez-vous à planifier. À l’inverse, quand ils ont un empêchement, ils m’appellent et je fais une prescription sans le revoir. Je sais que c’est occasionnel et que le suivi est rigoureux.

Même en le voyant très régulièrement, c’est exceptionnel que j’arrive à boucler la consultation dans les vingt minutes prévues. On déborde presque toujours.

En médecine générale, il y a des choses vraiment faciles à gérer. À peine besoin de réfléchir, on déroule. Une angine blanche chez un patient lambda, c’est simple comme de la trottinette.

Pour beaucoup de mes autres consultations, ça reste assez abordable : deux-trois cadrans, quelques leviers à actionner, l’un ou l’autre bouton.

Mais quand Thierry arrive dans mon cabinet et qu’il s’assoit en face de moi, quand j’ouvre son dossier et que clignotent alertes et pense-bêtes, quand je me prends à relire les diverses lettres reçues récemment, les résultats de prises de sang, et qu’il me faut la molette de la souris pour afficher tous ses traitements et ses antécédents, j’ai bien souvent l’impression de me retrouver dans la cabine d’un gros porteur.

Dans un cockpit aux multiples cadrans, aux dizaines de boutons et de leviers avec des lumières rouges et vertes dans tous les sens.

Le dossier de Thierry, c’est mon Airbus à moi. Avec lui comme copilote.

« Le Commandant Borée est heureux de vous accueillir à bord de ce vol. Des turbulences sont à craindre, veuillez attacher vos ceintures s’il vous plaît. »

(1) Un « stent » est une sorte de petit ressort qui permet de maintenir une artère ouverte après qu’on l’ait dilatée.
(2) Un vieux médicament contre le cholestérol sans efficacité notable démontrée. On a beaucoup plus efficace dans notre musette !

***

Pour le livre, l’ami Le Burp a réalisé ce dessin. Merci !

Fin du suspens

Y en avait-il vraiment un ?

J’aurais aimé faire un beau texte comme Jaddo, annonçant la grossesse.

J’aurais aimé laisser ça mûrir, vous donner le temps de l’attendre alors que, là, l’accouchement est tout proche.

Tout a été tellement vite.

Avec le père, on s’est rencontrés en décembre. On s’est dit oui en janvier.

Il a fallu écrire d’arrache-pied pendant quelques semaines. Ecrire. Encore. Corriger. Relire. Ré-écrire ce qui avait déjà été fait et qui était, en réalité, truffé d’imperfections.

Et puis il a fallu contacter d’autres talents, histoire qu’ils mettent leur patte à cette création.

J’ai eu aussi un petit baby-blues avant l’heure, comme un manque d’inspiration.

Mais la grossesse est à présent trop avancée. Il est devenu inutile d’espérer la cacher, même avec mes vêtements les plus amples.

Et d’ailleurs, certains brouillons de faire-part on déjà été envoyés.

Donc, voilà, si Jaddo a eu son bébé pour ses trente ans, le mien arrivera juste avant mes quarante : je vais publier un livre.

Le dessin qui illustre ce billet est un projet de couverture par l’ami David Gilson. La couverture définitive sera un peu différente et elle sera superbe.

Le titre ? C’est quasiment celui-ci.

Le contenu ? Beaucoup de billets que vous avez déjà pu lire ici et que j’ai, à des degrés divers, retravaillés, réécrits, améliorés. Il y aura aussi une dizaine de textes inédits à découvrir. Je les publierai probablement ici à l’avenir. Sauf le texte de conclusion « Lignes de vie » qui restera dédié au papier.

Mes textes, seront illustrés par quelques dessinateurs et illustrateurs. Je frissonne rien qu’en vous livrant la liste :  Christophe Achard, Bambiii, BlaguiBlago, Boulet, le Burp, Camomille, Derek, Gérald Guerlais, Laurel, Mipou, Sess, WayneYann Wehrling, et toujours David Gilson, bien sûr.

C’est avec une immense fierté que je contemple cette superbe collection de talents qui ont bien voulu se prêter au jeu avec enthousiasme et gentillesse. Certains de ces dessins remontent à notre petite édition privée, d’autres ont servi de teasers, beaucoup encore seront à découvrir !

Last but not least, la préface.

Je sais que ça fera un peu recopiage de Jaddo mais je ne voyais pas à qui d’autre le demander. C’est bien maître Martin Winckler qui m’en fera l’honneur.

Voilà, c’est arrivé très vite. Je ne l’ai pas vu venir.

En réalité, lorsque je me suis lancé dans ce blog, je voulais simplement « ouvrir ma gueule ». J’étais à mille lieux de penser qu’il me conduirait jusqu’à ces chemins. Je n’imaginais pas non plus qu’il me donnerait l’occasion de tant de belles rencontres.

La sortie est prévue dans la première quinzaine de juin. Je vous confirmerai la date dès que possible.

Pour ceux qui le souhaiteront, il y aura la possibilité de dédicaces. A distance, et peut-être « en vrai » dans l’une ou l’autre ville. Là aussi, je vous tiens au courant très vite.

A très bientôt,

Folie à deux

La folie à deux est une pathologie psychiatrique manifestée par la transmission de symptômes psychotiques d’un individu à un autre. La vision délirante du monde du patient souffrant de cette affection est adoptée par d’autres individus avec lesquels il est en contact.

— Bonsoir Maître.

— Bonsoir jeune Padawan.

— Maître, je voulais vous poser une question… Quelles sont les qualités indispensables pour devenir un bon médecin généraliste tel que vous ?

— Eh bien, jeune Padawan. Avant tout, de l’empathie il te faudra : comprendre les sentiments de ton patient et les prendre en compte tu devras.

Ensuite, faire preuve de rationalité et de la plus grande rigueur scientifique, car la Force n’est pas matière à improvisations hasardeuses. Également, garder ton calme et ta sérénité : ne pas te laisser déborder par tes propres peurs.

Sans lui mentir, de toujours chercher à rassurer ton patient tu n’oublieras pas : point n’est utile de rajouter de l’anxiété à la souffrance. Enfin, constamment respecter son autonomie et lui préserver sa liberté.

— Tout ceci a l’air bien compliqué et abstrait Maître.

— Mais pas du tout ! Laisse ton Maître te conter une anecdote et à la lumière tu accéderas…

Je vais te raconter l’histoire de Gilles.

À cinquante-cinq ans, Gilles est un maçon qui aime le travail bien fait et la table bien mise. Tous les six mois, il va voir son généraliste, le Dr Borée pour renouveler son traitement pour la goutte et la tension. Il faut dire qu’il n’aime pas bien ça. Comme beaucoup d’hommes, l’affection qu’il porte aux médecins est inversement proportionnelle à l’anxiété qu’il peut nourrir au sujet de sa santé.

Ah, ça ! C’est un angoissé. Du genre à guetter le cancer du poumon derrière une banale bronchite.

Il a donc été voir le Dr Borée parce que son genou avait bizarrement enflé. Le praticien lui expliqua que ce n’était rien de bien méchant : une simple bursite avait-il dit. Que l’essentiel était d’éviter de s’appuyer sur ce genou. Et que si, malgré tout, la tuméfaction devait persister de trop, il serait toujours temps de reconsidérer les choses.

Au passage, il lui proposa d’augmenter un peu la dose d’amlodipine espérant mieux réguler la tension qu’elle ne l’était.

Deux semaines plus tard, Gilles qui n’était guère patient décida d’aller voir le Dr Notos qui pratiquait à vingt-cinq kilomètres de là et qui avait une sérieuse réputation en ce qui concernait les maux des os et des articulations. Peut-être aurait-il une panacée miraculeuse qui ferait disparaître l’enflure ?

Hélas, non. Il confirma les dires de son confrère.

L’examinant, il avisa les jambes et les trouva un peu gonflées. « Oh ! Oh ! — s’exclama-t-il en substance — Voilà qui ne me plaît guère ! Peut-être cela vient-il de votre amlodipine, mais je ne peux exclure qu’il y ait plus dangereux là-dessous. Ne craignez rien, je m’en occupe. »

Décrochant son téléphone sur le champ, il demanda — et obtint — un rendez-vous en urgence auprès d’un confrère angiologue afin de faire réaliser un examen doppler des veines.

Puis il prit son stylo et s’avisa qu’il était nécessaire de pratiquer un bilan sanguin et urinaire « complet ». Le précédent, que Gilles avait pris soin d’apporter, outre qu’il paraissait bien sommaire, était décidément trop ancien : cinq mois !

Au demeurant, la plume ne servit qu’à signer la prescription puisque celle-ci était la photocopie toute prête d’un bilan modèle aux vertus universelles  :
•    NFS, plaquettes et réticulocytes
•    Vitesse de sédimentation et CRP
•    Temps de Quick et taux de prothrombine
•    Glycémie à jeun et HbA1C (Gilles n’étant pas diabétique, mais des fois que…)
•    Créatinine et acide urique
•    Cholestérol total, HDL et LDL, Triglycérides
•    Bilirubine totale, TGO, TGP, GGT et lipase
•    Natrémie, kaliémie, chlorémie, protides totaux, calcémie
•    Fer et ferritine
•    CPK
•    Électrophorèse des protéines
•    T3, T4, TSH, anticorps anti TPO et anticorps anti TG
•    Acide folique et vitamine B12
•    Protéinurie et microalbuminurie de 24 h

Si avec ça, on ne savait pas d’où venaient ces satanés œdèmes, ce serait à n’y rien comprendre !

En attendant d’avoir ces résultats, il était urgent d’aller donc chez l’angiologue pour le doppler. « Et — précisa le Dr Notos — appelez-moi en sortant sur mon portable. Même à vingt-deux heures ! »

Hélas ! L’angiologue confirma ses pires craintes en concluant son examen par « Absence d’anomalie sur les trajets explorés en dehors d’une insuffisance veineuse plus nette à droite. On peut conseiller une contention élastique, mais il faut certainement rechercher une autre cause (en particulier compressive abdominopelvienne) pouvant participer à la symptomatologie. »

Et voilà ! L’absence de tout élément vraiment inquiétant lors de cet examen ne pouvait signifier qu’une chose : il y avait bien plus grave en dessous, et ce serait certainement d’autant plus redoutable que c’était bien caché…

« Ne vous inquiétez pas ! — dit-il au téléphone — Je m’occupe d’organiser le scanner en urgence. Vous, faites la prise de sang. Et venez me voir jeudi à seize heures avec les résultats. »

Ainsi fut fait. Si le scanner ne révéla rien d’autre qu’un foie un peu gras, en harmonie avec le patient, il n’en était pas de même de la prise de sang…

Celle-ci montrait une ferritine augmentée à 1 600 ng/ml ! Et des Gamma GT à 84 ! Et des Triglycérides à 2,66 grammes !

Par chance, le reste du bilan était normal… Pour combien de temps encore ?

Et le Dr Notos d’expliquer à Gilles qu’il souffrait probablement d’une terrible maladie appelée « hémochromatose ».

Qu’elle attaquait son foie et qu’il faudrait certainement lui faire des saignées durant le restant de sa vie.

Il prit donc logiquement un rendez-vous chez un gastro-entérologue hospitalier, prescrit une nouvelle analyse sanguine complémentaire (NFS à nouveau, temps de saignement, TCA, facteur V, bilirubine, lipase [oui, oui, encore], fer, transferrine, immunoélectrophorèse, facteur II, facteur VII et facteur X). Oui, voilà, ça a l’air bien.

Il tendit une ordonnance pour des semelles en précisant « Ça n’a rien à voir, mais prenez rendez-vous chez M. Lasole qui est podologue, il vous fera des semelles, vous en avez besoin… Et puis revenez me voir le 3 à dix-sept heures. Ça fera trente-cinq euros, merci. »

Heureusement pour lui, Gilles avait une épouse qui était tout de même moins encline à l’affolement. Elle avait eu la précaution de lire les notices des médicaments et avait pris sur elle de demander à son homme de revenir à l’amlodipine 5 mg qu’il avait auparavant. Depuis, ses œdèmes avaient disparu.

Elle lui avait également dit qu’il serait peut-être opportun de revoir le Dr Borée pour faire le point.

Lorsque celui-ci découvrit le désastre, il se désola et trouva que c’était allé décidément bien loin pour une simple bursite de genou. Et qu’il était temps d’arrêter ce manège infernal.

Voilà, jeune Padawan, comprends-tu mieux à présent ce que ton vieux Maître voulait dire ?

— Je crois, Maître… Empathie, rationalité, rigueur scientifique, sérénité, réassurance et liberté du patient… Le Dr Notos a tout fait à l’envers ! Mais ce n’est là qu’une caricature imaginaire, heureusement.

— Je n’en jurerais pas…

***

P.S. Quelques remarques pour les non-médecins.

 Je suis désolé pour vous, vous risquez de ne pas apprécier tout l’aspect extravagant des bilans demandés par le Dr Notos. Ils sont vraiment extravagants.

 Jaddo avait déjà publié un billet abordant, sous un autre angle, la réalisation de ce type de bilans biologiques plus-que-complets. Elle avait déjà pointé combien c’était non seulement idiot et inutile mais, surtout, dangereux. J’y reviendrai probablement à l’avenir.

 De la même manière, il faudra que je parle de ce qu’est une « norme » biologique. Vous pourrez trouver une ébauche dans le commentaire que j’ai fait dans ce même billet de Jaddo.

— La Ferritine qui a tellement affolé le Dr Notos constitue en quelque sorte les réserves en fer de l’organisme. En gros, la moelle osseuse y puise le fer nécessaire à fabriquer l’hémoglobine des globules rouges. Les chiffres « normaux » sont déjà très fluctuants d’une personne à une autre et d’un moment à un autre (la « norme » varie d’un facteur 1 à 10).

Elle peut être augmentée dans tout un tas de situations de gravité et de significations très, très hétérogènes.

Bref, autant quand elle est basse, on peut le plus souvent dire que ça signe un manque de fer, autant quand elle est « trop haute », c’est la bouteille à l’encre.

En l’occurrence, la ferritine est habituellement majorée chez les personnes obèses et trop « bien portantes ».

L’hyperferritinémie est un des éléments classiques de ce que l’on appelle de manière générale les « surcharges métaboliques ».

Gilles présentait ce tableau de manière flagrante (obésité, hypertension, goutte). C’était donc tout sauf un scoop.

Bien évidemment, en aucun cas, le dosage de la ferritine ne fait partie du bilan de base d’œdèmes des jambes.

Quant à l’hémochromatose que le Dr Notos a annoncée à Gilles, il s’agit d’une maladie génétique dans laquelle l’organisme n’arrive pas à se débarrasser du fer. Dans ce cas, la ferritine est vraiment très augmentée (chez un homme de l’âge de Gilles) et il y a d’autres anomalies, indispensables à rechercher, avant d’évoquer le diagnostic.

Cette pathologie est d’ailleurs la seule indication qu’il reste à la très médiévale saignée.

— L’amlodipine que prend Gilles pour son hypertension fait partie des traitements de la tension les plus utiles. Cette famille de médicaments présente malheureusement un effet secondaire assez fréquent (jusqu’à 30 % des patients) : les œdèmes, des jambes en particulier. Il s’agit d’un effet indésirable bénin, mais gênant. Il suffit généralement de diminuer la dose pour faire disparaître ces œdèmes.

Ce qu’a spontanément fait l’épouse de Gilles.

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Pour le livre, l’ami Le Burp a réalisé ce dessin. Merci !