Jeudi 26 mars
Je vois plusieurs copains se lancer dans l’installation de centre de consultation spécialisés, les « Covidromes » près de chez eux.
J’admire leur enthousiasme, leurs capacités d’initiative, leur professionnalisme. Mais je n’arrive pas à adhérer à ce concept dont je ne comprends pas la pertinence en-dehors des déserts médicaux avec de nombreux patients sans médecins traitants. Sauf que, dans ces endroits là, si c’est pour y faire travailler les rares professionnels du coin…
La contagiosité du virus semble très importante (j’ai de plus en plus de mal à croire au taux de reproduction R0 estimé entre 2 et 3) comme le démontre l’incidence très importante chez les soignants des service d’urgence et de réanimation alors même qu’ils disposent de moyens de protection moins limités qu’en médecine de ville.
Je crains vraiment que le rassemblement sur un même lieu de nombreux patients infectés fasse courir un risque majeur, quelle que soient les précautions prises, pour les soignants qui y interviendront. Et pour les patients qui s’y rendront avec des symptômes suspects mais qui s’avèreraient, au final, dûs à une autre cause que le coronavirus.
L’idée semble être également de ne faire venir vers les cabinets habituels que les patients « sains ». Mais avec le nombre importants de porteurs asymptomatiques et avec, pour les autres, la contagiosité qui semble nettement précéder l’apparition des symptômes, on ne peut pas parler de patients « sains » ! Chaque patient est potentiellement infecté et contagieux.
Le risque me semble alors, dans les filières « saines », de relâcher la vigilance et les mesures d’hygiène.
Je reste convaincu que la seule option raisonnable est de limiter au maximum les contacts physiques, y compris dans le domaine du soin. Ne faire venir les patients que lorsque c’est incontournable, en évitant toute attente (ou, au pire, en les faisant attendre à l’extérieur ou dans leur voiture), en limitant les gestes et l’examen clinique au strict nécessaire et en déployant systématiquement les mesures d’hygiène « comme si » le patient et/ou le soignant étaient contagieux.
Toujours l’affaire de la chloroquine. Sur Twitter, certains rappellent les histoires, encore récentes, de médecins « sauveurs » aux promesses miraculeuses qui s’avérèrent d’amers miroirs aux alouettes.
Un article du Monde reprend les données d’une étude italienne qui estime que le virus circulait activement en Lombardie dès le début janvier. La conclusion est terrible :
« Les médecins italiens se gardent bien d’aller au delà dans leurs conclusions. Mais ce travail démontre que les autorités publiques qui ont démarré tôt de telles mesures seront donc à féliciter, en revanche celles qui ont retardé ces mesures, sous des prétextes divers et variés, parfois politiciens, auront probablement à rendre des comptes en fonction de l’état des connaissances au moment de leur prise de décision. »
Vendredi 27 mars
Lundi, on se posait la question de l’existence d’urticaires dans le COVID-19. Nous n’avions pas rêvé !
La presse se fait l’écho du décès d’un jeune de 17 ans à Los Angeles. Econduit du service d’urgence d’une clinique car il n’avait pas d’assurance, et renvoyé vers un hôpital public, il est décédé en route. L’épidémie aux USA sera encore plus dévastatrice qu’en Europe.
Un billet de blog du BMJ « Covid-19 – This too shall pass » m’apporte un peu de réconfort.
(EN) « When it is all over expect an explosion of life and colour. Once again, we will marvel at live theatre, holler for our favourite team in a stadium, and share intergenerational Sunday lunches in restaurants. And we will enjoy these things even more, knowing what it is like to do without.
In times of crisis, we all get to decide. Courage and kindness or looking out for yourself? The first will be what sustains us, individually and collectively. »
(FR) « Quand tout ça sera derrière nous, attendez-vous à une explosion de vie et de couleur. Encore une fois, nous nous émerveillerons dans un théâtre, nous encouragerons notre équipe préférée dans un stade, nous partagerons un repas de famille au restaurant. Et nous en profiterons encore plus, sachant ce que c’était de devoir s’en priver.
Dans les situations de crise, nous devons tous faire des choix. Courage et attentions aux autres, ou bien veiller sur soi-même. La première option est celle qui nous portera, individuellement et collectivement. »
Je fais le bilan de la semaine : 3 consultations présentielles (un vertige, une plaie et un ECG) pour… 49 téléconsultations. Les collègues c’est à peu près pareil.
Ah non, c’est mon tour de faire le samedi matin…
Samedi 28 mars
Matinée de consultations tranquille. 11h50, je téléphone au laboratoire pour savoir s’ils ont le résultat du test prélevé mercredi matin chez mon mari. Toujours pas.
Un article en anglais fait la synthèse du « dossier Raoult ». Etudes bancales, manipulation des résultats, « cherrypicking », fraudes, méthodes tyranniques et, finalement, harcèlement… En même temps, avec Trump, Estrosi ou Joyeux comme supporters…
J’utilise régulièrement la citation de Jacques Monod, dans le domaine de la recherche : « Ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique. »
Evidemment, on ne peut pas inverser la phrase. Le seul caractère scientifique d’une recherche ne suffit pas à la rendre éthique. Mais, si elle n’est pas suffisante, c’est une condition nécessaire, le socle de toute démarche de recherche. Aussi dénuée de risques ou de contraintes qu’elle soit, une étude qui n’a pas de rationnel scientifique solide n’est que futilité.
Un brillant article par Pascal Marichalar, « Savoir et prévoir », dans la Vie des Idées, retrace l’historique des connaissances entourant le COVID-19 depuis début janvier. Là encore, une conclusion cinglante : « Lorsque le temps de la justice et des comptes sera venu, il nous faudra comprendre comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle… »
Dimanche 29 mars
Aujourd’hui, j’ai réussi à passer 30 minutes à faire des exercices scolaires avec notre fille, à jardiner pendant 3 heures et à faire un Test de lecture mensuel de Prescrire. Déjà un début de normalisation ?
J. a envoyé le planning des gardes pour les 6 prochaines semaines. Depuis une dizaine d’années, c’est SOS qui assure les gardes de soirée sur notre secteur, nous ne faisons que les week-ends. Une quinzaine de médecins s’est portée volontaire pour faire un « planning bis » que nous allons communiquer au 15 avec, chaque soir, un médecin qui sera disponible si les effecteurs officiels sont débordés.
Je vois passer un tweet décrivant l’A310 que l’Allemagne utilise pour évacuer des patients depuis les hôpitaux italiens surchargés. 44 lits dont 16 de soins intensifs !
Dans le même temps, la France transfère des patients d’Alsace et de Lorraine vers les hôpitaux de Nouvelle-Aquitaine en TGV médicalisé.
Dans la situation actuelle, ces transferts sont nécessaires. Mais je n’ose imaginer leur coût financier. À mettre en rapport avec les économies faites sur les stocks ou le personnel de nos hôpitaux.
Je relaie deux vidéos qui me semblent remarquables. Tout d’abord l’interview du Pr Gilbert Deray qui fait entendre la voix de la sagesse dans la tempête médiatique.
Et l’intervention de Clément Viktorovitch qui pointe ce que la rhétorique guerrière a d’inacceptable.
Un article de l’Obs revient sur le livre « La Peur en Occident » de 1978, « Pour comprendre la psychologie d’une population travaillée par une épidémie… » Les parallèles sont impressionnants.
Grâce à notre amie, Margaux, je tombe une nouvelle fois sur un texte important et qui m’apporte du réconfort. Il s’agit de l’interview (en anglais) de David Kessler, spécialiste des processus de deuil.
Je trouve son analyse à travers le prisme des différentes phases du deuil remarquable. Je traduis ici quelques passages.
« La perte de la normalité, la peur de l’impact économique, la rupture des liens. Tout ceci nous frappe et nous sommes en deuil. Collectivement. Et nous ne sommes pas habitués à cette sorte de deuil collectif qui nous entoure. (…)
Nous ressentons également un deuil par anticipation. Le deuil par anticipation est ce sentiment que nous avons quand l’avenir est incertain. Généralement c’est centré sur la mort. Nous le ressentons quand quelqu’un apprend un diagnostic sombre (…). Quand il y a quelque chose de menaçant, là, à l’extérieur. Avec un virus, c’est très déroutant pour les gens. Nous sentons qu’il se passe quelque chose de dangereux mais nous ne pouvons pas le voir. Ceci rompt notre sentiment de sécurité. Je ne pense pas que nous ayons déjà tous collectivement ressenti ainsi cette perte de sécurité globale. Individuellement ou au sein de groupes, oui, des gens l’ont ressentie. Mais tous ensemble, c’est nouveau. Nous sommes en deuil sur un plan micro et sur un plan macro. (…)
Comprendre les étapes du deuil est un départ mais il faut se rappeler que ces étapes ne sont pas linéaires et peuvent ne pas se dérouler dans cet ordre. Ce n’est pas une carte mais ça donne des repères dans un monde inconnu. Il y a le déni : Ce virus ne nous atteindra pas. Il y a la colère : Vous me demandez de me confiner et de renoncer à mes activités. Il y a le marchandage : Ok, si on se confine 2 semaines, ça va aller, n’est-ce-pas ? Il y a le découragement : Je ne sais pas combien de temps ça va durer. Et finalement, il y a l’acceptation : C’est vraiment en train de se produire, je dois trouver des solutions pour m’adapter.
L’acceptation, c’est là qu’on reprend le pouvoir, qu’on retrouve le contrôle. Je peux me laver les mains. Je peux garder une distance de sécurité. Je peux apprendre à télétravailler. (…)
Il faut aussi réfléchir à laisser tomber ce qu’on ne peut pas contrôler. Ce que fait votre voisin est hors de votre contrôle. Ce que vous pouvez contrôler c’est de rester à 2 mètres de lui et de vous laver les mains. Concentrez-vous sur ça. (…)
C’est une situation temporaire. Ça aide de se le rappeler. J’ai travaillé 10 ans à l’hôpital, j’ai également étudié la pandémie de grippe espagnole de 1918. Les précautions que nous prenons sont les bonnes. L’Histoire nous dit ça : on peut survivre. Nous survivrons. C’est un moment où il faut se surprotéger mais pas surréagir.
Et je pense que nous y trouverons un sens. (…) En ce moment même, les gens se rendent compte qu’ils peuvent se connecter grâce à la technologie. Ils ne sont pas si isolés qu’ils le pensaient. Ils réalisent qu’ils peuvent avoir de longues conversations au téléphone. Ils apprécient de faire une promenade. Je crois que nous continuerons à y trouver du sens, maintenant et quand ce sera terminé. (…)
Il est absurde de penser que nous ne devrions pas ressentir un deuil en ce moment même. Autorisez-vous à ressentir ce deuil et continuez à avancer. »