Après le cinglant rapport de l’IGAS, voici donc un nouveau rapport au vitriol concernant le système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments.
Un rapport offensif, parfois proche du pamphlet, décrit une situation à l’évidence désastreuse.
Alors que nos gouvernants répètent à l’envi qu’ils ont le meilleur système de santé du monde, il apparaît clairement que notre système de contrôle du médicament, qualifié dans le rapport de l’IGAS de « bureaucratie sanitaire », souffre d’archaïsmes dramatiques.
Il en va de même pour l’industrie hexagonale du médicament dont la survie tient essentiellement à la mise sur le marché de produits de second ordre ou de « me-too » (médicaments nouveaux sur le plan chimique mais sans avancée thérapeutique), bref sans intérêt. Tout ceci, en bénéficiant selon les auteurs de la complicité d’autorités qui, trop fréquemment, confondent enjeux de santé publique et enjeux économiques.
Ce rapport pointe la consternante insuffisance de l’éducation des médecins français en matière de pharmacologie et rappelle ainsi l’un des aspects de l’inadéquation entre la formation, tant initiale que continue, des praticiens et la réalité de leur métier.
Les auteurs dénoncent vigoureusement les relations troubles entre les autorités de régulation, les « experts » de tout poil et l’industrie pharmaceutique. Relations d’autant plus problématiques qu’elles sont largement minorées et dissimulées, profitant d’une culture du compromis quand les Anglo-saxons ont su développer, bien qu’imparfaitement, celle de la transparence.
Des propositions concrètes sont formulées. Beaucoup sont intéressantes, notamment la nécessité pour les experts travaillant pour les agences de régulation de ne présenter aucun conflit d’intérêt.
Et pourtant.
Et pourtant, ce qui frappe à la lecture du rapport Debré-Even, c’est sa vision très élitiste et « hospitalo-universitaire » du système. Les personnalités auditionnées ? Quasiment toutes sont issues du sérail des CHU, de l’industrie pharmaceutique ou des agences.
La langue utilisée fleure bon le paternalisme du début du XXème siècle, et malheureusement, certaines solutions proposées, également.
Les auteurs semblent accrochés à un modèle où la valeur des « experts » se mesure au nombre de publications et citations scientifiques. Encore faudrait-il démontrer que la maîtrise de la méthodologie des études médicales va nécessairement de pair avec de bonnes connaissances cliniques, ce qui est loin d’être le cas.
La qualification hospitalo-universitaire apparaît comme l’alpha et l’oméga de la compétence, ce qui est tout de même surprenant pour qui connaît le système français, lui-même porteur de nombre des travers dénoncés dans le rapport.
Ainsi on peut y lire qu’ « il suffit pour ce travail d’expert d’être travailleur, informé et critique, avec une vraie expérience clinique, de savoir lire entre les lignes et de ne pas méconnaître les pièges et chausse-trappes (sic) des stratégies statistiques et des stratifications, justifiables ou non, appliquées aux essais, pour décoder aisément le message apparent et le message réel des essais cliniques et de leurs limites. »
Ce rapport dénonce très justement une situation archaïque et formule des propositions utiles pour certaines et radicales pour la plupart, mais nous conservons le sentiment qu’il reste figé dans le XXème siècle, trop inspiré de l’existant, et notamment de la FDA qui serait un organisme de régulation parfait selon les auteurs. Pourtant, le Congrès américain, a ajouté le 22 janvier 2009 cette agence présentée comme un modèle à suivre dans sa liste de programmes gouvernementaux à haut-risque de fraudes, dysfonctionnement ou non-optimisation des budgets de l’Etat. Mais ne dit-on pas que l’herbe paraît toujours plus verte chez le voisin ?
Plus grave, ce rapport semble complètement passer à côté de la révolution en cours, celle qui ouvre pourtant des chemins pour l’avenir.
Les auteurs louent par exemple la « méthode Prescrire » en ces termes :
« Ils sauvent l’honneur de l’évaluation française des médicaments. On peut, pour l’essentiel, les croire les yeux fermés. L’Agence du Médicament, ce sont eux et ils ne sont pas 1.000 avec un budget de 110 M€. Il leur a fallu pour cela, pour ne jamais dévier, ne jamais se décourager, beaucoup de travail, de rigueur, et aller sans cesse, sans relâche, à contre-courant du buzz-marketing des firmes et de l’indifférence de l’establishment médical, qui les ignore, ne les cite ni ne les aide jamais et qui est de facto complice de l’industrie, et finalement aussi aveugle que l’AFSSAPS. »
Pourtant, leurs propositions pour faire évoluer l’AFSSAPS se situent à l’exact contraire de ce qui se fait chez Prescrire. La lecture des ours de chaque numéro et des noms des relecteurs, renouvelés chaque année met en évidence :
- L’absence de « prima donna » : le travail est collectif, comme la signature.
- Un mélange homogène d’universitaires et de praticiens de terrain.
- Un nombre assez important d’intervenants, qui permet de tempérer la réponse de l’expertise, et d’être au plus près de la vérité.
Ainsi, l’une des mesures mises en avant dans ce rapport vise à l’établissement d’un petit groupe de « super-experts ».
Mais, quelles que soient ses compétences et son intégrité, il existera toujours, pour un expert isolé, le risque de se tromper ou d’avoir une approche biaisée, bref une subjectivité.
Nous faisons également l’analyse que l’une des causes des dérives actuelles est la déconnexion qui existe entre les experts d’un côté – au-delà de leurs qualités personnelles – et les malades de l’autre lorsque ceux-ci s’incarnent dans l’abstraction de tableaux statistiques.
Si nous pouvons accueillir favorablement la désignation d’un petit nombre de personnalités – pas nécessairement issues du sérail universitaire – exemptes de tout conflit d’intérêt et engageant clairement leur responsabilité propre sur les décisions prises in fine, cela ne peut toutefois suffire.
Pour limiter les risques de dérives, il s’agit de faire le pari de l’intelligence collective en s’appuyant, par exemple, sur d’authentiques conférences de consensus qui regroupent des personnalités issues d’horizons les plus divers avec, précisément, des non spécialistes du sujet.
Pour être constructifs, quelques mesures nous semblent prioritaires et dont certaines rejoignent les 57 propositions publiées par La Revue Prescrire le 8 mars :
- Mener une simplification et une rationalisation profonde des structures de régulation et de décision.
- Mettre en place une méthode de travail fondée sur la collégialité, en s’inspirant de l’expérience réussie de La Revue Prescrire, qui associe les points de vue et les qualifications les plus diverses. Il nous semble en effet primordial de confronter les compétences des chercheurs les plus pointus avec l’expérience de praticiens de terrain, d’autres professionnels du soin, de représentants de patients, d’associations de consommateurs, de personnalités qualifiées en matière d’éthique, etc…
- Désigner un corps d’excellence qui serait chargé d’organiser et de synthétiser ce travail en réseau et dont les responsabilités seraient clairement identifiées et assumées pour chaque décision prise.
- Donner aux débats une totale publicité et aux votes qui devront être filmés et publiés en ligne, d’une manière complète et transparente.
- Apporter la garantie d’une absence totale de conflits d’intérêts pour les décideurs dans chaque dossier traité.
Nous partageons bien l’idée que l’ère des agences aussi multiples qu’inefficaces est révolue. Mais n’envisager que de leur substituer un groupe d’élite, aussi qualifié et indépendant soit-il, c’est s’arrêter au milieu du gué.
Car nous sommes déjà dans l’ère de l’expertise partagée et du travail en réseau.
Il est temps pour l’expertise de passer au 2.0.
Jean-Marie Vailloud, cardiologue, administrateur de grangeblanche.com
Borée, médecin généraliste, administrateur de boree.eu
***
Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement les relectrices et relecteurs de ce texte pour l’ensemble de leurs suggestions et le temps qu’ils et elles ont bien voulu nous consacrer.
Voilà qui est bien écrit ! Mais la lourdeur du système, la compromission, l’aveuglement et les ambitions de nos politiques augurent de peu de changements en la matière, aussi nécessaires et urgents soient-ils…
Très bon texte.
Le plus inquiètant est que les personnes qui siègent aux assises du médicament me disent que tout cela ne va accoucher que d’une souris.
Je vous laisse lire une question posée à Valérie Pécresse sur la formation en « pharmaco-thérapeutique » des étudiants en médecine (en pharmacie, cela s’appelle cela de la pharmacie clinique). Une réponse pas du tout à la hauteur des enjeux.
Le pire est que depuis quasiment 5 ans les étudiants militent pour la création d’enseignements commun aux différentes filières en pharmacologie clinique, « pharmaco-thérapeutique », avec des TD pour développer la collégialité et la communications entre les différents acteurs de santé.
13 ème législature
Question écrite n° 16779 de M. Jean-Marc Todeschini (Moselle – SOC)
publiée dans le JO Sénat du 13/01/2011 – page 49
M. Jean-Marc Todeschini appelle l’attention de Mme la secrétaire d’État chargée de la santé sur la réorganisation de l’enseignement de la première année de médecine, et particulièrement sur la nécessaire adaptation et consolidation des enseignements de pharmacologie et de thérapeutique dans les études médicales.
La multiplication des « affaires » liées à la prescription de médicaments se révélant dangereux pour la santé des patients démontre la complexification croissante des méthodes de traitement et l’accroissement de la difficulté pour les médecins de proximité à fournir une prescription correcte des médicaments. Ces difficultés ne sont pas sans lien avec le niveau de formation et d’information dont disposent les médecins généralistes, en première ligne de la prescription médicamenteuse.
Ainsi, comme le rappelle l’Académie nationale de médecine (ANM) dans un récent rapport, il est urgent de mettre en place un enseignement « décent » de la pharmaco-thérapeutique pour les étudiants en médecine. En effet, selon ce rapport, les notions essentielles de pharmacologie et de thérapeutique ne sont plus enseignées efficacement dans les facultés de médecine, au détriment du bon usage des médicaments.
Dans ces conditions, il lui demande de lui indiquer quelles suites le Gouvernement entend donner aux recommandations émises par l’ANM afin de renforcer les enseignements relatifs à la pharmacologie et la thérapeutique dans la formation des futurs médecins de proximité.
>Transmise au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
Réponse du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche
publiée dans le JO Sénat du 31/03/2011 – page 810
Dans l’intérêt de la santé publique, le médicament, composante de la thérapeutique, doit répondre à des exigences de qualité, d’efficacité et de sécurité. Ces exigences s’imposent tout au long du cycle de vie du médicament, de sa conception à son utilisation, sous la responsabilité des professionnels de santé. Les étudiants en première année commune aux études de santé (PACES) seront sensibilisés à cette notion de responsabilité dès le début de leurs études. Le programme de la PACES, qui constitue l’annexe de l’arrêté du 28 octobre 2009 relatif à cette année d’études, comprend une unité d’enseignement (UE) intitulée « initiation à la connaissance du médicament », dont le programme a été élaboré par des enseignants praticiens médecins et pharmaciens pharmacologues. L’enseignement proposé dans cette UE a pour objectif principal de former l’étudiant à la connaissance du médicament, de son origine (chimique, minérale, végétale ou biotechnologique) à son utilisation et son suivi thérapeutiques (cycle de vie du médicament). Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’apporter à l’étudiant les éléments fondamentaux de pharmacologie moléculaire (étude des cibles et du mécanisme d’action moléculaire du médicament), de pharmacodynamie (étude des effets du médicament dans l’organisme) et de pharmacocinétique (étude quantitative du devenir du médicament dans l’organisme). Les items figurant dans le descriptif de l’UE incluent, de fait, l’enseignement de ces éléments, lesquels sont complétés par des notions de pharmacologie clinique (essais cliniques chez l’homme) et de pharmacovigilance (étude des méthodes de détection et de prévention des effets indésirables – latéraux ou toxiques) à laquelle il faut rattacher l’iatrogenèse ; cette dernière, véritable problème de santé publique, fait également l’objet d’un enseignement dans le module « santé publique » de l’UE « santé, société, humanité ». L’approche thérapeutique constitue un autre objectif de l’enseignement de l’UE relative à l’initiation à la connaissance du médicament. On relève notamment un item « règles de prescription-rapport bénéfice/risques » qui permettra à l’étudiant d’appréhender également les règles de bon usage des médicaments. À l’issue de l’enseignement dispensé en PACES et quelle que soit la filière en santé choisie, l’étudiant aura acquis les premiers éléments fondamentaux afférents à la connaissance du médicament, à sa réglementation et à son bon usage. Ces notions seront complétées tout au long de son cursus d’études, notamment par le truchement des enseignements généraux et spécialisés de pharmacologie et de thérapeutique. Le jeudi 17 février 2011, les assises du médicament ont été « installées » par M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé ; un groupe de travail sur le thème « Développer la formation et l’information sur les produits de santé », présidé par M. Alain-Michel Ceretti, a été mis en place. Le président de la conférence des doyens de médecine en fait partie. Des propositions seront faites pour d’éventuels renforcements de la formation des futurs praticiens dans les domaines de la pharmacologie et de la thérapeutique. La commission pédagogique nationale des études de santé, récemment installée, prendra en compte les recommandations formulées lorsqu’elle arrêtera le référentiel de formation correspondant au niveau master.
Hello, hello,
Fabinou est de retour sur le blog de Borée !!! pour à nouveau lier la thématique de l’influence , de la Médecine 2.0 à Dominique DUPAGNE, le site desbons et bien sûr …. Edgar MORIN !
autre remarque par rapport aux politiques : il me semble que le temps politique s’est adapté au temps de la vraie vie et que du coup le politique est tenu par le résultat à la petite semaine et ne se permet plus de vision à long terme. Nous manquons d’utopie !
Encouragements à tous les lecteurs de Borée, vous êtes attirés par quelque chose de très intéressant!
Amicalement
Le rapport Even Debré est quand même un rapport d’une grande maigreur scientifique. Ce sont des on-dit, des on-nous-a-dit, des nous-on-sait-mieux-que-les-autres mais, et c’est ce que je veux souligner, l’acronyme DGS n’apparaît nulle part alors que la DGS est le bras armé du gouvernement. Tant que la DGS sera décisionnaire de tout et de rien pour d’obscures raisons qui peuvent aller de la défense d’emplois à Gidy à des retours d’ascenseurs politico-industriels, rien ne sera fait. Les Assises du Médicament en sont la preuve. Mais, je veux bien que les conflits d’intérêt s’effacent avec le temps, Even et Debré sont de sacrés corrompus par l’industrie et, pour Debré, par les marchands de matériel.
N’oublions pas, non plus, que la majorité des décisions se prennent à Londres, voire à Bruxelles, et que l’AFSSAPS n’et plus qu’une chambre d’enregistrement.