Archives mensuelles : mai 2012

Rameur certifié

Il y a quelque temps, j’ai participé à un séminaire sur la formation des internes qui viennent en stage dans nos cabinets (enfin… quand ils viennent parce que j’ai beau avoir le cabinet le plus génial de France, je suis loin de la Fac et ils ont apparemment un peu de mal à trouver le chemin.)

C’était intéressant.

On a eu de chouettes exposés par des pros de l’encadrement des étudiants. On a fait des mises en situation avec jeux de rôles. On nous a donné de très utiles outils pour nous guider dans notre mission de maîtres de stages.

Il y avait en particulier une grille en 25 points pour suivre le déroulé de la consultation lorsque l’on observe l’interne faire. C’est vraiment intéressant, car ça permet de formaliser les choses, de ne pas totalement oublier tel ou tel aspect même si, bien sûr, le but n’est pas de compléter les 25 points à chaque consultation.

Bon, il y a bien eu quelques éléments qui m’ont un peu chiffonné, je n’ai pas pu m’empêcher de l’ouvrir, mais ce n’était que des détails.

Jusqu’à la dernière session.

Celle où l’on nous a expliqué que cette grille en 25 points n’était pas qu’un outil pédagogique, mais qu’elle pourrait aussi servir pour la « certification » des internes.

Car, en effet, désormais les internes devront être « certifiés ». Les copains, professeurs de Médecine générale qui exposaient ces projets avaient des airs enthousiastes. D’ailleurs, tout ceci s’inscrit dans un grand mouvement « d’uniformisation » de la formation et de notre métier grâce, par exemple, à notre tout nouveau « référentiel métier ».

Moi, quand j’entends « uniformisation », j’entends d’abord « uniforme ».

Je me demande, dans cette logique, quelle est la place des électrons libres, des défricheurs, des empêcheurs de tourner en rond. Est-ce que je pourrais écrire ma « trilogie gynécologique » si je me pliais à l’uniformisation ? Est-ce que Dominique Dupagne aurait pu diffuser sa petite vidéo au sujet des PSA des années avant que les médias et les autorités ne se décident à ouvrir les yeux ?

Dominique Dupagne, justement.

Ça tombait bien, lors de ce séminaire, je commençais tout juste la lecture de son livre La Revanche du rameur.

Ça tombait mal, je n’en avais lu que cinquante pages.

Je sentais que quelque chose clochait dans ce qu’on nous exposait. Mais j’avais du mal à le mettre en mots et je manquais d’arguments.

Je sais bien que la situation actuelle n’est pas très satisfaisante. Tant chez les médecins installés que parmi les internes nouvellement formés, il y a des individus incompétents ou même dangereux. Ce n’est pas faute d’avoir dénoncé les méfaits du Dr Moustache.

Mais est-ce qu’il faut vraiment commencer à nous mettre dans des cases pour faire le tri ? Est-ce qu’il y a besoin d’avoir « juste » à 15 points sur 25 pour être un bon médecin ? Alors qu’en fait, lorsque j’étais étudiant, tout le monde savait qui étaient les quelques cas à problèmes, ceux qui étaient trop à côté de la plaque, mais qui, malgré tout, finissaient par valider leurs années parce que le système est ainsi fait qu’une fois la première année passée, plus rien n’empêche d’aller jusqu’au bout et parce que les profs finissent toujours par valider les stages, ne serait-ce que pour se débarrasser des cas à problèmes et les refiler au copain du service d’à côté.

De même, lorsque je discute avec des confrères actuellement, nous savons parfaitement qui sont les honnêtes médecins, qui sont les véreux, les incompétents ou les alcooliques. Nous n’avons pas besoin de grilles de certification pour ça.

Et puis, c’est bien connu, parmi les incompétents et les salauds, beaucoup restent très doués pour rentrer dans les cases et simplement contourner ces nouveaux obstacles.

Par ailleurs, n’y a-t-il pas un contresens terrible à vouloir utiliser un outil pédagogique pour le transformer en outil d’évaluation ? N’est-ce pas confondre la fin et les moyens ? Si le chemin devient lui-même le but à atteindre, on a vite fait de tourner en rond.

Après coup, je me suis dit qu’il était bien dommage de ne pas avoir terminé cette lecture avant ce séminaire. J’aurais eu davantage de billes.

Mais est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Pétris de bonnes intentions, convaincus de bien faire et d’aller dans la bonne direction, celle d’une « démarche qualité », ces responsables de l’enseignement de la Médecine générale pouvaient-ils entendre quelque chose ? Pouvaient-ils entendre que si nous voulions vraiment défendre notre discipline, nos confrères et, au-delà, nos patients, il y a sûrement mieux à faire que de singer le système hospitalo-universitaire ? Ou, ce qui est peut-être pire, s’inspirer des « démarches managériales » pour inventer de nouvelles usines à gaz qui se voudraient modernes, mais qui sont déjà terriblement archaïques ?

Je n’ai pas toujours été d’accord avec Dominique, mais la lecture de son ouvrage m’a largement convaincu.

Convaincu par exemple, qu’il n’était pas nécessaire de vouloir nous enfermer dans des grilles pour nous certifier, que l’intelligence collective pouvait avantageusement remplir cette fonction. À condition d’accepter de revoir largement nos systèmes de pensées, de remettre en cause nos dogmes et nos classiques hiérarchies.

À condition d’avoir du courage. Et de se battre pour avancer.

Couac

Quatre ans que je m’occupe de Jeffrey. Quatre ans que je lui renouvelle son traitement pour le diabète et la tension. Pas de gros soucis avec lui, ce sont des ordonnances de six mois.

Je l’ai vu hier. Il revenait de chez le chirurgien à qui je l’avais adressé pour une petite intervention banale. Comme d’habitude, il s’était présenté avec la lettre que je fais toujours reprenant les antécédents, les médicaments usuels, les allergies…

— Au fait, docteur, le chirurgien m’a demandé pourquoi j’étais sous aspirine.

— Mmmmh… c’est vrai ça, pourquoi est-ce que vous êtes sous aspirine ?

Ben, j’ai pas trouvé pourquoi.

Le traitement avait été instauré en Angleterre. Je l’avais simplement poursuivi. Il est vrai qu’une prescription d’aspirine chez un diabétique hypertendu, c’est monnaie courante, ça ne m’avait pas choqué.

Mais il est vrai aussi que Jeffrey n’avait aucune indication claire à ce médicament.

Ce n’était pas une hérésie, les études nous disent que, dans la situation de Jeffrey, les avantages et les risques de l’aspirine sont de toute façon mineurs, mais je m’en suis quand même bien voulu.

J’essaie toujours de remettre en question la pertinence des prescriptions de routine de mes nouveaux patients. De même, je m’efforce régulièrement de réfléchir à l’intérêt de poursuivre les traitements que j’ai moi-même institués.

Malgré ça, je me suis fait avoir. Quatre ans que je me faisais avoir, même.

Et je crois que ce qui m’a le plus énervé c’est que celui qui a levé le lièvre était… un chirurgien. C’te honte !

La routine, voilà l’ennemi !

Fin du suspens

Y en avait-il vraiment un ?

J’aurais aimé faire un beau texte comme Jaddo, annonçant la grossesse.

J’aurais aimé laisser ça mûrir, vous donner le temps de l’attendre alors que, là, l’accouchement est tout proche.

Tout a été tellement vite.

Avec le père, on s’est rencontrés en décembre. On s’est dit oui en janvier.

Il a fallu écrire d’arrache-pied pendant quelques semaines. Ecrire. Encore. Corriger. Relire. Ré-écrire ce qui avait déjà été fait et qui était, en réalité, truffé d’imperfections.

Et puis il a fallu contacter d’autres talents, histoire qu’ils mettent leur patte à cette création.

J’ai eu aussi un petit baby-blues avant l’heure, comme un manque d’inspiration.

Mais la grossesse est à présent trop avancée. Il est devenu inutile d’espérer la cacher, même avec mes vêtements les plus amples.

Et d’ailleurs, certains brouillons de faire-part on déjà été envoyés.

Donc, voilà, si Jaddo a eu son bébé pour ses trente ans, le mien arrivera juste avant mes quarante : je vais publier un livre.

Le dessin qui illustre ce billet est un projet de couverture par l’ami David Gilson. La couverture définitive sera un peu différente et elle sera superbe.

Le titre ? C’est quasiment celui-ci.

Le contenu ? Beaucoup de billets que vous avez déjà pu lire ici et que j’ai, à des degrés divers, retravaillés, réécrits, améliorés. Il y aura aussi une dizaine de textes inédits à découvrir. Je les publierai probablement ici à l’avenir. Sauf le texte de conclusion « Lignes de vie » qui restera dédié au papier.

Mes textes, seront illustrés par quelques dessinateurs et illustrateurs. Je frissonne rien qu’en vous livrant la liste :  Christophe Achard, Bambiii, BlaguiBlago, Boulet, le Burp, Camomille, Derek, Gérald Guerlais, Laurel, Mipou, Sess, WayneYann Wehrling, et toujours David Gilson, bien sûr.

C’est avec une immense fierté que je contemple cette superbe collection de talents qui ont bien voulu se prêter au jeu avec enthousiasme et gentillesse. Certains de ces dessins remontent à notre petite édition privée, d’autres ont servi de teasers, beaucoup encore seront à découvrir !

Last but not least, la préface.

Je sais que ça fera un peu recopiage de Jaddo mais je ne voyais pas à qui d’autre le demander. C’est bien maître Martin Winckler qui m’en fera l’honneur.

Voilà, c’est arrivé très vite. Je ne l’ai pas vu venir.

En réalité, lorsque je me suis lancé dans ce blog, je voulais simplement « ouvrir ma gueule ». J’étais à mille lieux de penser qu’il me conduirait jusqu’à ces chemins. Je n’imaginais pas non plus qu’il me donnerait l’occasion de tant de belles rencontres.

La sortie est prévue dans la première quinzaine de juin. Je vous confirmerai la date dès que possible.

Pour ceux qui le souhaiteront, il y aura la possibilité de dédicaces. A distance, et peut-être « en vrai » dans l’une ou l’autre ville. Là aussi, je vous tiens au courant très vite.

A très bientôt,

Les aveugles et les muets

Le temps a passé, l’équipe a totalement changé, la nouvelle direction est infiniment plus soucieuse des aspects éthiques et, pour ce que j’en sais, c’est probablement devenu l’un des établissements les plus humains du département. Je peux donc me confesser.

J’ai commencé mon installation par un exploit : j’ai dénoncé la maison de retraite locale pour maltraitance.

Joli fait d’armes pour un début.

Avant de me décider à déménager, j’étais venu remplacer un confrère pendant une semaine, pour tâter le terrain.
À cette époque, la maison de retraite du village subissait de gros travaux de réhabilitation. Le directeur d’alors était connu pour une chose : il gérait le budget avec une rigueur extrême et excellait dans les tâches d’organisation ou de planification. Mais il ne sortait jamais de son bureau. Et n’allait jamais à la rencontre de ses résidents.

Généralement, lorsqu’il y a un tel chantier, un accord est trouvé avec d’autres établissements environnants pour qu’ils puissent accueillir quelques pensionnaires et qu’une rotation des locaux puisse se faire au fur et à mesure de l’avancée des travaux.

Ici, ça n’avait pas été le cas. Tout le monde était resté.

Certains résidents avaient été regroupés à trois dans des chambres prévues pour deux.

Mais ça ne suffisait pas.

C’est ainsi que certaines de ces personnes âgées s’étaient retrouvées dans des pièces dont les fenêtres étaient temporairement murées, occluant toute lumière naturelle.

C’est donc lors de ma semaine de remplacement que j’avais découvert ça. Effaré et indigné.

J’avais demandé à l’infirmière si personne ne protestait.

« Il y a bien quelques familles qui ont râlé. Du coup on a fait des échanges de chambres : on a mis dans les chambres murées les personnes les plus démentes et dont les familles ne viennent pas. »

Je crois qu’elle n’était pas très à l’aise.

Trois mois plus tard, quand je suis arrivé pour de bon, la situation n’avait pas changé. Certaines de ces personnes âgées en étaient à cinq mois de séjour dans des chambres aveugles.

J’ai hésité. Je me suis dit que de débuter mon installation en déclenchant un petit scandale local c’était un peu… imprévu. J’ai même rationalisé les choses en me disant, qu’au pire, je risquais d’attirer autant de personnes reconnaissantes que je perdrais de patients vexés.

J’ai donc téléphoné à la DDASS, qui ne s’appelait pas encore l’ARS en leur expliquant la situation et en leur demandant-s’il-vous-plaît d’éviter de mentionner mon nom « parce que c’est un peu délicat alors que je viens tout juste de démarrer. »

Une inspection avait été déclenchée. Pour ce que j’en sais, ce n’est pas allé très loin, car les travaux touchaient à leur fin et que, deux semaines plus tard, toutes les chambres avaient retrouvé une fenêtre.

Trois ans après, j’en rediscutais avec Nadine, l’infirmière qui m’a dit en souriant : « On s’est un peu douté dans la maison que ça venait de vous. »

Visiblement, personne avant moi n’avait jugé nécessaire d’alerter les autorités. C’était en France. C’était dans les années 2000.