Archives mensuelles : septembre 2010

Le vent du boulet

A chaque fois que que je m’apprête à écrire « PSA » sur une ordonnance de biologie, je pense à la plage de Jaddo et au petit baigneur que j’ai en face.

Les plus récentes études ont clarifié les choses et, à présent, je recommande généralement à mes patients de ne pas le faire. En tout cas, je leur présente les données dont on dispose et je les laisse choisir. Le plus souvent, ils me répondent « Ah ben, je comprends mieux. Si c’est comme ça, c’est sûr : on laisse tomber ! »

Mais parfois, il me dit « Ah, mais c’est vous le médecin, je vous laisse décider ! »

C’est ce que m’avait dit Bob « It’s up to you ! ». C’était il y a deux ans et comme il avait 58 ans, à cette époque je lui ai répondu « Let’s go. »

Et les PSA sont revenues à 6 avec seulement 6% de PSA libres. Et merde.

Quand la bouteille est ouverte, il faut la boire. Bob est allé voir un urologue qui a été lui piquer dans sa prostate.

Le laboratoire a répondu que ça n’avait pas l’air bien méchant. L’urologue a conclu qu’on surveillerait les PSA dans 6 mois et que, si elles augmentaient, on retournerait piquer un coup.

J’ai eu les résultats du contrôle la semaine dernière : 0,61. Waow !

Et j’ai vu Bob deux jours après, avec son épouse.

– Au fait, docteur, vous vous rappelez l’automne dernier quand j’avais fait la prise de sang et que les PSA étaient anormales ?

– Oui, oui.

– Vous ne vous en rappelez peut-être pas mais, deux jours avant, j’avais vu le gastro-entérologue pour mes hémorroïdes. Il m’avait fait un toucher rectal et avait été regarder. Vous ne pensez pas qu’il peut y avoir un rapport ?

– Euuuuuuuuh… si.

Mais kelcon, mais kelcon, mais kelcon !

Bien sûr qu’il y a un rapport ! La pauvre prostate, si on va la titiller de trop, même indirectement, ça fait monter les PSA pendant quelques temps.

J’avais prévu le bilan biologique et la consultation chez le gastro des semaines avant, je n’avais pas pensé qu’il attendrait autant avant de faire la prise de sang et, après coup, je n’avais plus fait le rapprochement.

Je me suis excusé auprès de mon patient de lui avoir fait subir inutilement des examens pas très rigolos. Il m’a dit que ce n’était vraiment pas bien grave et que c’était mieux dans ce sens « Better safe than sorry ! » et je me suis juré qu’on ne m’y reprendrait plus.

Enfin… j’espère.

Post-face

(Au début, ça devait être un post-scriptum, mais vu la tartine…)

Les « PSA » sont des protéines issues de la prostate que l’on peut doser dans le sang. Elles peuvent augmenter dans diverses situations : infection urinaire, calcul urinaire, « grosse prostate » des hommes âgés, cancer…

On considère le plus souvent que c’est anormal au-dessus de 4 ng/ml.

On peut aussi doser les « PSA libres ». Au-dessus de 25%, c’est rassurant (et en-dessous, ce n’est pas forcément inquiétant… c’est compliqué, hein).

L’intérêt de doser les PSA pour rechercher des cancers de la prostate avec l’idée de « Plus tôt on détecte, mieux c’est, plus on a de chances de guérir le patient » est très controversé. Il y a de bonne chances qu’en allant ainsi « à la pêche », on fasse plus de dégâts qu’autre chose.

Si on rajoute à ça, des « professionnels de la prostate » qui sont très agressifs et qui font un lobbying très insistant, des enjeux financiers massifs, la peur grandissante des risques judiciaires dans le domaine de la santé, des associations de médecins ou de patients qui tirent dans tous les sens, c’est assez explosif.

Je reviendrai d’ailleurs sur la question dans mon prochain billet.

Le problème, c’est que, tant pour les médecins que pour les patients, il est parfois beaucoup plus difficile d’assumer les conséquences d’un non-acte que celles d’un acte.

« Better safe than sorry ! » m’a dit Bob. Je l’ai laissé dire car je m’étais déjà excusé, j’avais dit combien j’étais désolé qu’il ait eu des examens inutiles et je n’allais pas me flageller davantage au prix d’explications complexes.

Mais ça peut être complètement faux.

Vu que pas loin de la moitié des hommes de 60 ans ONT des cellules cancéreuses dans la prostate (ce qui NE VEUT PAS DIRE qu’ils ont un cancer de la prostate), avec un peu de malchance, le laboratoire aurait trouvé l’une ou l’autre cellule cancéreuse dans les biopsies de mon patient.

Et là, scénario catastrophe : opération, rayons, hormones avec, au final, un Bob qui pouvait très bien se retrouver impuissant, incontinent et avec des brûlures chroniques du rectum. Super… Et tout ça avec une belle connerie comme point de départ.

Mais, Bob, avec tous les messages dont on est imprégnés et qu’on nous rabâche, il serait venu le sourire aux lèvres et la protection dans le slip, me serrer chaleureusement la main et me dire que ce n’était pas marrant tous les jours mais que merci de l’avoir sauvé à temps de cette horrible maladie.

Le vent du boulet n’est pas passé si loin que ça.

Pas de moi. De lui.

Suicide médicalisé

J’ai déjà parlé de la confiance dans le soin et de son importance. Confiance est sœur de fidélité.

Etre fidèle à son médecin, c’est bien. Le plus souvent, c’est bon pour votre santé : le nomadisme médical donne très rarement de bons résultats.

Et puis moi je trouve ça touchant.

Mais parfois, la fidélité à son médecin confine au suicide.

J’ai vu Paulo pour la première fois il y a deux semaines.

« Bonjour, je voudrais changer de médecin. Ça fait 17 ans que je vais chez le Dr Moustache mais maintenant j’en ai marre. L’autre jour, j’avais rendez-vous à 11 heures et à 11 heures il y avait encore 15 personnes devant moi. Il m’a dit « T’as qu’à attendre ! » mais je lui ai dit que cette fois-ci, je n’attendrai pas.

Deux, trois patients, je veux bien, c’est normal, mais quinze ! Et c’est toujours pareil, pourquoi il donne des rendez-vous alors ?

Déjà, il y a 5 ans, je travaillais encore et il ne donnait pas de rendez-vous à cette époque. Eh bien, pour être à l’heure à l’usine à 9 heures, j’arrivais à minuit et je dormais dans ma voiture devant son cabinet. Et, parfois, il y avait déjà quelqu’un avant moi !

Et puis, à chaque fois, il me parle de chasse mais alors pour s’occuper de moi… Donc c’est mon voisin qui m’a dit de venir vous voir, que ça allait me changer. »

Paulo a 61 ans et 20 ans de diabète derrière lui. C’est devenu mon recordman de l’insuline : 202 unités par jour !

Il me tend sa dernière prise de sang. Une hémoglobine glyquée à 10,7%, ouch ! (cf. L’école des cancres)

Le cholestérol ça va. Avec les traitements…

Par curiosité, je regarde les résultats antérieurs que rappelle le labo. Un cholestérol total à 4,21g et des triglycérides à 20,70 g (la norme est à 1,50). Je relis deux fois. Eh beeee…

Et puis je tique, sur la date : mai 2008. « Mais, vous aviez fait des prises de sang dans un autre labo entre temps ?

– Ah non, je vais toujours au même.

– Vous n’aviez pas eu d’autre prise de sang depuis 2 ans ???

– Ben, non. Sauf à l’hôpital. Et encore, la dernière, j’ai insisté pour qu’il me la prescrive. C’est comme le médecin des yeux : je l’ai vue il y a 6 mois mais c’est parce que je l’ai demandé.

– Mmmh… Et vous êtes suivi par un cardiologue ?

– Non. Enfin, on m’a fait un électrocardiogramme à l’hôpital l’an dernier quand j’ai été pour me faire déboucher la carotide. Mais, sinon, non. Ils m’avaient dit aussi qu’il faudrait que je fasse un machin d’effort, là, avec le vélo.

– Et vous ne l’avez pas fait ?

– Mais non ! Le Dr Moustache, il ne m’a pas fait de lettre et puis il m’a dit qu’il ne s’occupait pas de prendre les rendez-vous et que je pouvais me débrouiller. Mais, je sais pas lire ni écrire alors c’est pas facile. Et puis pour aller à la ville en voiture… Moi j’ai que 700 euros par mois, vous savez. Alors, 100 kilomètres en voiture, faut que je fasse attention. »

Finalement, l’instinct de conservation l’a emporté, Paulo n’a pas envie de mourir.

Quant à moi, j’ai laissé tomber le devoir de confraternité. Dr Moustache, t’es vraiment un connard.

***

P.S. Je devance les commentaires de ceux qui risquent de penser « Oui, bon, le patient, il raconte ce qu’il veut, si ça se trouve, c’est des bobards… »
Paulo a récupéré son dossier chez le Dr Moustache et me l’a fait passer. Il n’y a effectivement aucune prise de sang depuis celle de 2008. Et encore, sur celle-ci, Moustache a griffonné « Analyse prescrite par la diabétologue »