Archives mensuelles : juin 2011

Anticipation

Site DMP.gouv.fr – 5 juin 2011

Outil de coordination des soins, le DMP (Dossier Médical Personnel) est un service public proposé gratuitement à tous les bénéficiaires de l’assurance maladie. Il est mis en place par l’ASIP Santé (Agence des systèmes d’information partagés de santé), placée sous l’égide du ministère en charge de la santé.

Le DMP est un service vous permettant d’accéder simplement et rapidement, en toute sécurité, aux données de santé et aux informations pertinentes pour la prise en charge de votre patient.

Le DMP enrichit le dialogue avec votre patient : il vous permet d’accéder simplement et rapidement aux informations qui le concernent, tout en respectant le secret professionnel.

Si vous prenez en charge un patient en situation d’urgence, vous pouvez accéder directement à son DMP sans avoir à obtenir son accord. Il s’agit dans ce cas de la fonction « bris de glace ». Cette possibilité offre une aide concrète au diagnostic en situation d’urgence.

Le patient garde à tout moment la possibilité de le fermer, de supprimer tout ou partie des documents qu’il contient, ou de masquer certaines données de santé. De ce point de vue, le DMP, qui est à la fois personnel et partagé, est conforme aux droits des patients qui posent comme principes l’information, le consentement et la confidentialité. Il est strictement réservé au patient et aux professionnels de santé autorisés.

Libération – 21 décembre 2016

Dossier Médical Personnel et candidats à l’embauche : la Cour européenne saisie

Olivier Bloch a annoncé qu’il allait saisir la Cour européenne des droits de l’Homme suite au rejet de sa plainte par la Cour de Cassation. En effet, celle-ci a estimé qu’il n’était pas illégal de la part d’un employeur de demander aux candidats à l’embauche à ce que le médecin du travail puisse avoir accès à leur DMP (Dossier Médical Personnel) « dès lors qu’il existe des raisons sérieuses à s’assurer de la santé des candidats à l’embauche au regard des risques inhérents aux postes de travail brigués. » Par ailleurs, la cour a insisté sur le fait que l’accès au DMP par le médecin du travail « n’avait pas de caractère obligatoire et que le candidat était libre d’en refuser l’accès. »

Elle a ainsi rejeté les arguments de l’avocat de M. Bloch qui estimait que « cette liberté est virtuelle sur un marché du travail aussi déséquilibré, où le taux croissant du chômage place les prétendants à l’embauche dans une situation de fragilité et où un tel refus implique automatiquement de renoncer au poste envisagé. »

Google News– 16 mai 2017

Drame de Touleaux : plus jamais ça !

À la suite du drame de Touleaux survenu la semaine dernière, au cours duquel un déséquilibré a parcouru la ville en tirant au hasard occasionnant la mort de onze personnes, dont une fillette de six ans et son frère de neuf ans, le Président de la République, tout juste élu, a fait une déclaration dans laquelle il dit partager l’émotion et le sentiment d’horreur de la population. Il a annoncé que toutes les mesures nécessaires seraient prises pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise. Sans attendre, il a interpellé la Ministre de la Santé, lui enjoignant de se saisir des questions concernant les informations figurant sur le DMP (Dossier Médical Personnel).

L’enquête de police a en effet révélé que le déséquilibré avait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique pour des accès délirants en lien avec une schizophrénie. Il avait demandé à son médecin traitant officiel, comme la loi l’y autorisait, à supprimer ces données de son DMP. Profitant des vacances de ce généraliste, il avait consulté un autre praticien pour obtenir sa licence de tir sportif, sans le tenir avisé de ses lourds antécédents. Le Premier Ministre s’est rendu sur place pour présenter ses condoléances aux familles des victimes. Aux parents des deux enfants tués, il a déclaré que le gouvernement allait abroger cette possibilité de dissimulation d’informations médicales essentielles. « Plus jamais ça » a-t-il conclu.

Le Quotidien Médical – 30 janvier 2022

Des puces RFID pour le DMP ?

Le Quotidien a rencontré M. Henry Forster, PDG de la société Soma inc. qui est en cours de discussion avec l’Assurance Maladie afin de présenter son nouveau dispositif  de DMUP (Dossier Médical Ultra-Personnel).

Le Quotidien : En quoi consiste cette nouvelle technologie ?

H. Forster : Il s’agit d’une micropuce RFID ou transpondeur que nous proposons d’implanter directement sous la peau des patients et qui reprend l’ensemble des informations existantes sur le classique et, disons-le, un peu obsolète DMP. Les données peuvent être décryptées de manière automatique grâce à des lecteurs placés à quelques dizaines de centimètres de la personne.

L’implantation se fait à l’aide d’une aiguille à peine plus grosse que celle utilisée pour une injection intramusculaire. Grâce à un patch anesthésiant, le processus est totalement indolore. Ce transpondeur est tellement petit qu’il ne provoque aucune gêne : les patients l’oublient totalement.

Le Quotidien : Quel est l’intérêt de ce nouveau dispositif ?

H. Forster : Le DMP classique ne répond plus aux exigences actuelles. Trop souvent, les gens n’ont pas leur Carte VitalePlus sur eux et il n’est pas possible pour les médecins d’accéder à des informations pourtant cruciales. C’est tout particulièrement vrai dans le cadre de l’urgence. Des vies pourraient être sauvées si les secouristes pouvaient obtenir sans délai les données médicales des patients ! D’après nos estimations, ce ne sont pas moins de mille deux cents décès qui pourraient ainsi être évités chaque année grâce à ce dispositif. Nous devons tout faire pour prévenir de tels drames.

Le Fig Online – 24 août 2033

Le DMUP bientôt obligatoire

Le gouvernement a annoncé qu’il avait opté pour la procédure d’urgence afin d’adopter la proposition de loi cosignée par deux députés de la Droite Populaire et Nationale. Cette proposition vise à priver de droits sociaux les assurés refusant l’implantation d’un DMUP (Dossier Médical UltraPersonnel). Malgré les larges mesures de délégation aux assureurs privés, le déficit de la Sécurité Sociale a battu un nouveau record cette année. La députée du Var, Marinelle Luca a mis en avant le « coût faramineux, estimé à 800 millions de NéoFrancs , que représentent les examens inutiles et redondants dont profitent les assurés qui refusent l’implantation d’un DMUP. Un effort que la collectivité ne peut plus supporter. » Quant au député du Rhône, Christian Vannisch, il a insisté sur « les 150 millions de NéoFrancs que coûtent à la solidarité nationale les immigrés illégaux qui profitent des possibilités de fraude » offertes par le traditionnel DMP, avant d’ajouter « Il est temps pour certains d’assumer les conséquences financières de leur égoïsme. »

Le chef parlementaire de l’opposition, Arnaud Zay, s’est élevé contre cette « attaque sans précédent envers les libertés fondamentales » et a reproché au gouvernement de « profiter de la torpeur estivale pour mettre un nouveau coup de boutoir aux fondements de notre société. »

Fox News France – 10 novembre 2038

Un nouveau réseau « d’effaceurs » démantelé dans le Gers

La Police Nationale vient de procéder à l’arrestation de deux médecins et d’un informaticien qui étaient à la tête d’un important réseau « d’effaceurs » basé dans le Sud-Ouest. Les Drs Gras et Fantou effectuaient l’ablation des DMUP avant d’implanter des transpondeurs trafiqués par l’informaticien de la bande. Le réseau, qui semble avoir agi pour des motifs idéologiques, était essentiellement fréquenté par des immigrés clandestins et des rebelles de l’ultra-gauche, membres du groupuscule « Droit à l’oubli ». Le directeur de la Police Nationale a confirmé que des ordinateurs ont été saisis. Ceci devrait permettre de remonter jusqu’à des femmes qui ont pu ainsi faire disparaître de leurs données personnelles les avortements qu’elle avaient pratiqué à l’époque où ceci était encore autorisé et à des toxicomanes qui avaient suivi de soi-disant traitements de substitution.

Ne manquez pas les images de l’arrestation dans notre édition de 20 heures avec George O’Brien.

***

Seul le premier paragraphe est authentique. Le reste ne constitue qu’un exercice de pure fiction.

Toute ressemblance avec des faits ou des personnes réels n’est cependant pas vraiment fortuite.

Pour illustrer ce billet, j’ai choisi l’affiche du film « Bienvenue à Gattaca ». Il figure dans ma top-liste cinématographique. Je ne peux qu’encourager celles et ceux qui ne le connaissent pas à le visionner. Ils comprendront certainement pourquoi je ne suis pas prêt d’alimenter le DMP de mes patients au-delà des allergies et du groupe sanguin.

Tous mes patients « lourds » disposent de la version papier de leur dossier médical. Je l’actualise une à deux fois par an et je leur demande de la garder avec eux au cas où ils auraient un problème en mon absence.

Je conclurai en reprenant la citation mise en exergue par le blog Police :

« Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre. »
Thomas Jefferson

***

Edition du 17/06 – 0h20

Je voulais développer quelques arguments suite à certains commentaires. Ma réponse prenant du volume, il m’a semblé plus judicieux d’en faire un post-scriptum.

J’ai choisi de m’attaquer à l’un des questionnements éthiques soulevés par la question du DMP.

Il existe aussi une multitude d’arguments très pragmatiques qui pourraient être mis en avant. L’aspect usine à gaz, la fiabilité technique, l’implication et la motivation des professionnels de soins, etc… mais d’autres en ont déjà parlé bien mieux que moi.

Bien sûr qu’il est déjà faisable, pour qui le veut vraiment, de connaître les données médicales d’autrui. Le site Ameli offre déjà des possibilités. Mon cabinet n’est pas très dur à cambrioler. Les barbouzes ont toujours existé.

Mais ceci n’a rien à voir avec un fichier centralisé, détaillé, complet et sans limites de temps.

On peut penser que j’ai tort, même si j’aurais tendance à considérer que l’évolution de nos sociétés depuis 20 ans va dans ce sens : on peut imaginer des tas de protections, garanties et limitations aujourd’hui. Je veux bien croire, en effet, en la bonne foi de la majorité des décideurs ou techniciens actuels.

Mais je n’ai guère confiance pour l’avenir. Je suis convaincu que, progressivement, au gré de faits divers et des bouffées émotionnelles de l’opinion, ces barrières sauteront. Les unes après les autres. Et je trouve bien aventureux de se doter d’outils qui pourraient aussi aisément être détournés en tablant sur l’honnêteté, l’intégrité et le caractère démocratique de nos sociétés pour les cent ans à venir.

Bien sûr, ces problèmes existent déjà largement ailleurs et c’est un inquiétant phénomène global. Les banques, les administrations, Facebook nous ont largement devancé. En revanche, dans ce cas précis, ce sont les médecins généralistes qui seront les chevilles ouvrières du dispositif.

Sur le reste, je n’ai pas plus de prise que n’importe quel citoyen. Mais là-dessus, oui, je peux agir à mon petit niveau.

En ce qui concerne le fond : qu’il y ait des problèmes de communication dans notre système de santé, bien sûr !

Mais plutôt qu’un problème technique, c’est une affaire de volonté. Et de moyens.

Mes patients me rapportent fréquemment l’étonnement de certains correspondants, anesthésistes compris, face à mes courriers longs et détaillés reprenant l’ensemble des antécédents et des traitements, quelques données importantes et les derniers bilans biologiques. Le mérite est relatif : la plupart des logiciels médicaux permettent de faire ceci simplement et rapidement.

Mais ça prend quand même un peu de temps.

Comme il prend du temps le fait d’alimenter son propre dossier, de le tenir à jour, de vérifier que les données y sont et qu’elles sont actualisées.

Comme il prend du temps d’appeler les confrères pour récupérer les lettres qui se sont égarées où qu’ils n’ont pas pris le temps de faire.

Et, je l’ai déjà exprimé, on sait que notre système ne rémunère pas la qualité et surtout pas la qualité qui prend du temps. Pas étonnant que la communication se fasse mal.

Peut-être qu’avant d’imaginer que la déesse Technologie va nous apporter la solution là où la responsabilité individuelle ne suffit pas toujours, on pourrait imaginer d’autres pistes, simples, pragmatiques. Sans même pousser le raisonnement aussi loin que Philippe Ameline le propose dans ses commentaires ci-dessous (et son analyse est très intéressante).

Pourquoi ne pas imaginer une rémunération de quelques euros pour chaque lettre rédigée sous condition qu’elle renferme certaines informations impératives (antécédents, traitement avec les posologies complètes, allergies…) ?

Aujourd’hui, la Sécurité sociale offre une humiliante prime de 4 euros pour une « consultation annuelle approfondie » pour nos patients en Affection de Longue Durée avec remise d’un document de synthèse.

Pourquoi le réserver aux patients en ALD ? Croit-on sérieusement qu’il y a beaucoup de médecins pour produire un dossier de synthèse sérieux pour une somme aussi ridicule ?

Que l’on rémunère convenablement la qualité. Que l’on valorise sérieusement l’indispensable travail de coordination. Eventuellement, que l’on sanctionne ceux qui travaillent comme des porcs en faisant courir des risques à leurs patients.

Mais que l’on ne me fasse pas croire que la technologie pourrait à moindre coût combler ces défaillances.

Tellement de risques pour si peu de bénéfices.

Il est drôle (pas tellement en fait) de voir certains parmi les commentateurs reprendre très précisément le raisonnement que j’ai caricaturé dans le billet. Il sera TOUJOURS possible d’imaginer des situations, en effet parfois dramatiques, qu’on aurait, peut-être, éventuellement, pu éviter avec un dispositif de type DMP.

Dans un premier temps, il faudrait démontrer que la réalité verrait s’accomplir les promesses faites sur le papier. On peut avoir quelques doutes.

Mais surtout, se pose la question, beaucoup plus large, déjà entraperçue dans Mauvais Sang, de la capacité à vivre le risque qu’ont encore, ou pas, notre société et les individus qui la composent.

L’actualité nous fournit sans cesse de nouveaux exemples. Parce qu’il y a un violeur sur cent qui récidive après sa peine (et il y en aura toujours, l’un ou l’autre, c’est aussi imprévisible qu’inévitable), faut-il laisser les 99 autres enfermés jusqu’à leur mort ?

Jusqu’où est-on prêt à aller dans la remise en cause de certaines valeurs fondamentales dans le but (chimérique ?) d’éliminer tout risque ?

Déontologie ? Où ça ?

J’ai reçu récemment un aimable message de mon Conseil de l’Ordre. Une « circulaire » plus précisément.

Nous y apprenions que des Conseils départementaux avaient été sollicités en février par l’Université McGill de Montréal – certainement une microscopique université de seconde zone dans un pays de pingouins (1) – afin de diffuser une enquête du département de neurosciences auprès des médecins de France.

Il s’agissait du volet français d’une étude portant sur « Les placebos dans la pratique de la santé » menée par le Pr Amir Raz, un psychiatre formé dans des universités probablement aussi subalternes qu’étrangères (Jerusalem, Cornell, Columbia). Cette étude visait à identifier les déterminants de la prescription de placebos par les médecins.

Tout à leur sagesse, les Conseils départementaux avaient sollicités le Conseil national pour savoir s’il était possible de diffuser cette enquête.

Les grands manitous se sont donc penchés sur les aspects déontologiques de la chose. C’est normal, c’est leur boulot. Sauf qu’ils auraient tout aussi pu considérer plus raisonnable de refuser cette demande et d’aider les auteurs de l’étude à s’orienter vers d’autres voies de diffusion plus adéquates (Facs, organisations professionnelles…). Ces chercheurs canadiens, peu habitués à notre très-français système « d’Ordre », ne le savaient probablement pas mais est-il de la mission du Conseil de l’Ordre de faire l’intermédiaire entre les chercheurs et les médecins ?

Plutôt que de dénaturer éventuellement un travail scientifique en rendant impossible toute comparaison internationale, peut-être auraient-ils mieux fait de ne pas s’occuper de ça.

Mais, non. Haussant les sourcils, dodelinant de la tête, ajustant leurs lunettes, ils ont analysé l’étude, ont sursauté et ont demandé que deux questions de l’enquête soient modifiées.

Il s’agissait de la question n°17 « J’ai prescrit ou administré un placebo au cours de situations suivantes : » dont une des options proposées était « afin que le patient cesse de se plaindre » ; et de la question n°19 « Les placebos ont plus de chance d’avoir un effet thérapeutique puissant pour les catégories de personnes suivantes : » dont un des items était « les patients dont l’héritage culturel n’est pas occidental ».

En effet, d’après nos conseillers ordinaux « Ces deux affirmations, dans leur rédaction, sont contraires au principe de notre déontologie médicale qui rappelle que le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience, toutes personnes quelle que soient leur origine, leurs moeurs et leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée. »

A ce stade, nous pourrons constater qu’il n’a pas paru particulièrement anti-déontologique à l’Ordre que des médecins aient pu prescrire des antibiotiques pour une infection qu’ils savaient virale, injecter une solution saline en intramusculaire (question n°10), qu’ils aient pu mentir au patient en affirmant qu’un placebo est un vrai médicament (question n°12) ou qu’ils aient cédé à une demande injustifiée pour une médication (question n°17). Ni qu’ils considèrent qu’un placebo puisse être davantage efficace chez les femmes, les patients de faible niveau scolaire ou les malades mentaux (question n°19).

Mais, bon, passons…

L’auteur de l’étude a accepté de modifier les deux items incriminés et finalement, le Conseil de l’Ordre a bien voulu diffuser ce questionnaire :

  • dans sa version originale non rectifiée (c’était bien la peine de se donner tout ce mal pour se mélanger dans les fichiers),
  • dans une version pdf pour une enquête destinée à être remplie en ligne… mais sans indiquer l’adresse web (elle est tronquée sur les documents transmis).

Bravo, bravo, on sent que nous sommes à la pointe des nouvelles technologies.

Bon, je me moque, je me moque mais, jusque là, il n’y a pas vraiment de quoi fouetter un chat. Ni en faire un billet de blog.

Ce qui m’a vraiment atterré dans cette affaire, c’est bien cette « censure » qu’a voulu imposer le Conseil de l’Ordre au nom de la déontologie.

Plutôt que de se poser des questions légitimes, de chercher à comprendre les mécanismes de la prescription médicale, on préfère nier le problème en évitant tout simplement de poser la question. Un mécanisme de type « arrêtducrime » en novlangue orwélienne.

Prescrire un placebo « pour que le patient arrête de se plaindre » : quel médecin ne l’a jamais fait ? Et les ordonnances de Daflon « pour les jambes lourdes », de Ginko « pour la mémoire », de Vastarel « pour les vertiges », c’est quoi ?

Mais d’après le Conseil de l’Ordre, ça n’existe pas, ça ne PEUT pas exister, puisque ce n’est pas déontologique.

Prenons l’exemple du « syndrome méditerranéen », dont j’ai entendu parler dès mon premier stage d’externe : que vaut-il mieux ? Essayer de comprendre sur quelles croyances médicales il repose, le confronter à la réalité, éventuellement le dénoncer s’il s’agit d’un concept erroné ou, s’il y a une réalité, l’étudier pour lui donner une définition moins condescendante ? Ou alors se contenter de dire que c’est un mythe, que jamais aucun médecin n’a pu parler de « syndrome méditerranéen » puisque c’est contraire à la déontologie, et qu’il n’y a donc aucune question à se poser ? Circulez, il n’y a rien à voir.

Vraiment, ça me met en rogne de lire que les préoccupations déontologiques de nos représentants portent sur ceux qui interrogent les éventuels problèmes plutôt que sur les problèmes eux-mêmes. Qu’on casse le thermomètre pour ignorer la fièvre.

Soyez rassurés, braves gens, les médecins français ont toujours un comportement irréprochable (si vous suivez mon blog, vous le saviez déjà). L’inverse est tout bonnement impossible puisque ce ne serait pas conforme au code de déontologie.

Le plus amusant, c’est qu’avant de faire de la recherche médicale, le Pr Amir Raz avait fait une carrière de magicien.

Il est donc bien surprenant que les conseillers de l’Ordre ne lui aient pas réservé meilleur accueil. Après un aussi joli coup de bonneteau déontologique, ils auraient pu se trouver bien des points communs.

***

Si vous êtes médecin, je vous encourage à participer à cette étude dont le questionnaire original (en français) est en ligne ICI.

Pour ceux qui seraient trop chastes ou respectueux de l’autorité, ils peuvent quand même participer en répondant au questionnaire caviardé ici.

 

(1) En réalité, l’Université McGill est au 19ème rang mondial des Universités. La meilleure « université » française est… 33ème et notre glorieuse Polytechnique, 36ème. En médecine c’est encore mieux : McGill est classée 13ème mondiale quand aucune Faculté française ne figure dans les… 150 premières. Cocorico !

Money, money

Les médecins et l’argent : entre clichés et suppositions fantaisistes, difficile d’aborder le sujet sans déclencher de polémique. Malgré quelques articles qui tentent de mettre fin à la légende du médecin nanti, allant jusqu’à parler de « smicard de la santé », ou se contentant de chiffrer des revenus mensuels, on reste finalement dans le flou. Car l’évaluation d’un revenu va bien au-delà d’une série de chiffres : outre la soustraction initiale entre rentrées et charges fixes, il faut en effet tenir compte de nombreux autres facteurs, parfois inattendus.

Quand il a été question de changer de région pour m’installer, je me suis posé quelques questions. Combien je vais gagner ? Au bout de combien de temps ? Quel emprunt je vais pouvoir assumer pour une maison ? Ce genre de petits détails.

Oh… il n’est pas bien difficile de trouver quelques chiffres mais, en fait, ils ne veulent pas dire grand chose. Savoir que le généraliste français gagne en moyenne 67 000 € par an, ça ne m’aidait que très approximativement. Vu que je ne suis pas forcément « le généraliste moyen ».

J’ai donc fait un beau tableur Excel comme je sais bien les faire et, histoire d’avoir un plan de route, j’ai rempli les cases des dix premières années : combien je pensais que j’allais gagner sur les honoraires, sur les astreintes, combien j’allais dépenser pour payer une secrétaire, pour le loyer…

Avec cinq ans de recul à présent, je peux dire que je me suis un peu planté.

La raison principale c’est que, lorsque je faisais des remplacements, je voyais 20 à 25 patients par jour sans trop forcer et en essayant de faire du bon boulot.

Maintenant que je suis installé et vu la manière dont je travaille, je vois plutôt entre 15 et 20 patients par jour. Quand j’atteins le vingtième, ça veut dire en général que je rentre à 21h30.

Donc je me suis dit que ça pourrait peut-être intéresser quelques futurs installés de savoir, non pas ce que gagne M. Le-généraliste-moyen, mais ce que moi je gagne, comment et à quel travail ça correspond exactement.

Je me suis aussi dit que ce serait l’occasion de calculer mon revenu horaire moyen. Au moment où je débute ce billet je n’en ai, en fait, aucune idée.

I Mes revenus

Tout d’abord, qu’entend-t-on par revenus ? Plusieurs choses dans mon cas. Et ces divers revenus peuvent être classés en deux grandes catégories : les revenus principaux et les revenus annexes.

A Les revenus principaux

Il s’agit avant tout des revenus liés à mon activité conventionnée. C’est ce qu’on envisage en priorité lorsque l’on parle des médecins et, de fait, c’est le gros morceau.

A tout seigneur, tout honneur, les honoraires que je touche pour les actes que j’effectue représentent 84 600 €.

Viennent ensuite quelques autres revenus conventionnés qui représentent pour l’essentiel des paiements forfaitisés :

  • Indemnités d’astreinte  : elles ne sont pas du tout anecdotiques pour moi. Ce montant correspond à 110 astreintes par an, des nuits de 20h à 8h ou des journées du dimanche : 16 500 €
  • Forfaits « Médecin traitant ALD » (40 € par an pour tout patient en Affection Longue Durée) : 8 760 € (soit 219 patients en ALD)
  • Aide à la transmission (qui ne couvre pas le prix du matériel et des logiciels nécessaires) : 220 €
  • Par honnêteté, je vais ajouter ma prime CAPI(1). Je ne l’ai touchée que début 2011 mais comme c’est une nouvelle prime annuelle, il me semble logique de la prendre en compte : 3 700 €.

Total des revenus principaux :  113 780 €.

Il est intéressant de noter que, dans ce montant global, les honoraires restent largement majoritaires mais que les sommes « forfaitisées » représentent tout de même environ 25% du revenu. C’est en grande partie lié à mon nombre important de gardes.

B Revenus annexes

  • J’ai une activité d’expertise pour laquelle je touche des indemnités pour « perte de revenu » : 3 600 €
  • Indemnisations pour la participations à des Formations « conventionnelles » (c’est-a-dire agréées par les Caisses) : 2 640 €
  • Honoraires pour surveillance de manifestations sportives (deux dimanches) : 600 €
  • Indemnité de Maître de stage : 480 €
  • Indemnité pour une étude thérapeutique : 420 € (une étude observationnelle, je finis celle-ci  pour honorer mon engagement mais je ne recommencerai plus.)
  • Participation à un réseau ville-hôpital : 180 €

Total des revenus annexes : 7 920 €

Total des revenus cumulés : 121 700 €

Et là, on se dit « Ouah, ça doit être champagne et foie gras tous les soirs chez Borée ! ». Mais il se trouve que j’ai aussi quelques…

II Dépenses

Levons enfin une partie du voile sur les mystérieuses « charges » des médecins.

  • Charges sociales (URSAFF, CSG et Caisse de Retraite) : 16 080 €
  • Salaire net et charges sociales pour ma secrétaire (16 heures par semaine) : 10 400 €
  • Loyer et charges locatives : 7 450 €
  • Frais de voiture (au barème kilométrique) : 5 040 €
  • Amortissements (pour ceux qui ne sont pas habitués à la comptabilité, il s’agit des « gros » achats – ameublement, ordinateur, ECG, autoclave, etc… – dont le paiement est étalé sur plusieurs années d’un point de vue comptable. C’est un bon reflet de la moyenne de ces dépenses)  : 2 920 €
  • Fournitures médicales : 2 350 €
  • Documentation (livres, abonnements aux revues) et logiciels médicaux : 2 030 €
  • Cotisations personnelles et syndicales (Syndicats, Association agréée, Groupe de FMC, …) : 1 560 €
  • Frais bancaires, assurances et expert comptable : 1 750 €
  • Rétrocessions aux remplaçants : 1 650 €
  • Frais de téléphone et frais postaux : 1 630 €
  • « Petit outillage » (matériel informatique, ameublement, câble d’ECG, cafetière, …) : 1 340 €
  • Frais de repas du midi : 1 160 € (une fois enlevée la part non déductible)

Total des charges : 55 360 €

III Analyse de mon revenu

A Que disent ces chiffres ?

Charges déduites, il me reste donc 66 340 €.

Ceci ne correspond pas exactement au « BNC » (Bénéfices Non Commerciaux) que je déclare aux impôts puisqu’il y a quelques déductions, notamment liées à l’activité conventionnée, qui viennent impacter ce montant.

Mais je pense que c’est toutefois le chiffre le plus proche de la réalité de « ce que je gagne pour de vrai ».

Me voici donc avec un revenu net mensuel avant impôts d’environ 5 530 €.

Par rapport à énormément de gens, c’est très confortable. Il n’est vraiment pas question que je me plaigne lorsque je vois nombre de mes patients qui galèrent. L’objectif de cette analyse ne vise donc pas à minimiser mes revenus mensuels, mais simplement à éclairer ce qu’ils recouvrent.

B – Que ne disent-ils pas ?

1 – Ils ne parlent pas des congés payés

En comparaison avec des personnes qui ont un revenu salarié, il conviendrait de déduire 10% de ce revenu car je n’ai évidemment pas de congés payés.

Lorsque je décide de prendre des vacances, je n’ai aucune rentrée mais mes dépenses sont toujours les mêmes. Chaque semaine de congés prise, c’est environ 1 500 € en moins sur mon compte avant même d’avoir commencé  à payer pour mes loisirs. J’y réfléchis donc à deux fois et, au final, je ne prends qu’environ 3 semaines de vacances par an et quelques journées par-ci, par-là.

2 – Ils ne parlent pas du volume horaire

Le volume de travail peut se diviser en plusieurs catégories : l’activité directement liée au cabinet, l’activité d’expertise, l’activité liée à la formation, et quelques activités annexes.

a – L’activité liée au cabinet :

Comment se déroule ma semaine de travail ?

  • Elle comprend quatre journées pleines au cours desquelles je pars de chez moi à 8h40 et où je rentre chez moi généralement vers 21h. Soit des journées de 12h20 auxquelles je retire 30 minutes pour une rapide pause repas et environ 50 minutes à la louche pour le temps passé sur mon blog, à twitter, à participer à des discussions syndicales, etc… Le caractère non directement professionnel de ces activités est discutable puisque, d’une certaine manière, ça participe à ma formation et à mon équilibre professionnel. Mais comme ce sont des activités bénévoles et « superflues », je les laisse de côté.
  • Elle comprend ensuite une cinquième journée, que je commence à 9 h et termine généralement vers 14 h, sans pause.

Soit des semaines moyennes d’environ 49 heures ce qui est dans la moyenne française (et probablement un peu moins que beaucoup de médecins ruraux).

  • Lorsque je suis de garde, un week-end par mois, je passe le samedi à mon cabinet à faire, entre deux consultations ou visites, de la paperasse, des demandes d’ALD, etc… Comptons 10 heures.
  • Quant à mes autres actes de garde (nuit, dimanche, …), c’est un peu au pif mais je pense qu’on peut raisonnablement compter au bas mot 6 heures supplémentaires par mois.

Si je retire mes 3 semaines de congés, quelques absences et des fériés, mon activité directement liée au cabinet représente donc environ 212 heures par mois en moyenne.

b – L’activité d’expertise

Mon activité d’expertise me prend généralement 5 heures par mois, prises sur un week-end. Il y a ensuite une réunion mensuelle qui me prend environ 10 heures (en comptant le transport durant une partie duquel je travaille mes dossiers) mais qui se fait pour l’essentiel à la place d’une journée de travail.

b – L’activité liée à la formation

  • Les FMC conventionnelles qui ont représenté 8 journées de 9 heures en 2010. Soit 72 heures dont la moitié représentée par des vendredis où je n’ai donc pas travaillé au cabinet. Une moyenne de 6 heures par mois.
  • Il y a un groupe de FMC local auquel je participe. Des réunions de deux heures, un mois sur deux, soit 1 heure par mois.
  • Pour la lecture de revues de formation (Prescrire, Médecine, Exercer) à la maison et des recherches sur internet, je vais compter environ 3 heures par mois.
  • Pour la réalisation du test de lecture mensuel Prescrire et la formation thématique Prescrire, comptons environ 2 heures par mois.

d – Activités annexes

  • Surveillance de manifestations sportives : deux dimanches d’une douzaine d’heures, soit une moyenne de 2 heures par mois.
  • Je gère ma comptabilité tout seul (sauf pour ce qui concerne les bulletins de salaire de ma secrétaire). Ceci me prend en moyenne 2 heures par mois aussi, mais me permet d’économiser pas loin de 1 000 € par an.

J’arrive donc à un total de charge de travail mensuelle de :

  • 212 (-10 d’expertise – 3 de FMC conventionnelle) = 199 heures au cabinet ou en visite.
  • + 15 heures pour le travail d’expertise
  • + 12 heures de formation
  • + 2 heures de surveillance sportive
  • + 2 heures de comptabilité

Soit 230 heures mensuelles ce qui est tout de même pas mal.

Conclusion

Du côté des chiffres :

Revenus, dépenses et volume horaire me permettent de calculer mon revenu horaire moyen : il est de 24 € nets.

Si on compare avec un revenu salarié, il faudrait en retirer 10% et partir sur une base de 21,63 € de l’heure. Ce qui correspond à un peu moins du double du salaire horaire moyen français. Et qui, on peut le voir, est inférieur au salaire horaire moyen d’un cadre.

Une autre manière de faire la comparaison serait de ramener mes 5 530 € à un salaire à 35 heures hebdomadaires avec congés payés : on arriverait alors à un revenu mensuel net de 3 180 €.

Plus globalement :

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’une bonne partie des heures travaillées correspond à des heures de nuit ou de dimanche.

Vous aurez remarqué aussi que la rémunération pour les astreintes de garde n’est pas du tout négligeable dans mon revenu. Je n’ai compté dans le volume horaire que les heures vraiment « travaillées » mais, une nuit et un week-end sur quatre, je suis d’astreinte ce qui est une contrainte réelle.

Pour pouvoir raisonnablement analyser ceci, il faut tenir compte que je suis un médecin qui travaille « lentement » : je pratique environ 3 600 actes par an ce qui est sensiblement moins que la moyenne française qui tourne plutôt entre 4 500 et 5 000. Alors même que j’ai une patientèle globalement âgée (35% de patients de plus de 60 ans au lieu de 25% pour ma moyenne régionale) et polypathologique (219 de mes 750 patients enregistrés officiellement sont en ALD).

Je fais donc moins d’actes mais des actes longs.

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Au total, le but de ce billet n’est absolument pas de lancer le concours pour savoir qui a la plus grosse. Je pense que beaucoup de médecins généralistes gagnent mieux leur vie que moi, mais je n’ai certainement pas choisi la manière de travailler la plus lucrative.

Je gagne donc très confortablement ma vie par rapport à des tas de gens, sachant que ce revenu confortable se fait surtout au prix d’un volume horaire très important et « grâce » au nombre important de gardes dans mon secteur.

Si l’on tient compte du niveau de qualification, des responsabilités et des contraintes (nuits, week-ends, …) je pense pouvoir raisonnablement dire que mon revenu horaire n’est pas scandaleux. Sur la base de comparaisons internationales, il est même certainement assez modeste.

Il est aussi une illustration, mais ce n’est pas un scoop et ça justifierait un autre débat, que dans le système de santé français, essayer de faire un travail de qualité signifie généralement faire le choix de gagner moins.

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P.S. Merci à mes relecteurs, et particulièrement à GM, de leurs conseils pour limiter les risques que les commentaires de ce billet ne dégénèrent. La critique est, bien sûr, permise mais je demanderais à ceux qui souhaiteraient s’y livrer de me savoir gré, au moins, d’avoir fait cet exercice de transparence en toute franchise.


(1) Ce contrat d’amélioration des pratiques individuelles (Capi) prévoit le versement à chaque praticien d’une prime annuelle de 7 euros par patient dont il est le médecin traitant, à condition d’atteindre des objectifs fixés par la Sécu. Dans certains cas, la prime, qui s’ajoute aux honoraires, pourrait dépasser les 5.000 euros.
Les objectifs fixés portent notamment sur le taux de prescription de médicaments disposant d’un générique.
En matière de prévention, ils portent sur le taux de vaccination des plus de 65 ans contre la grippe ou le taux de dépistage des cancers du sein après 50 ans. « Début décembre, 12.600 médecins, soit 30% des professionnels concernés, ont choisi d’adhérer au Capi. Ces médecins sont représentatifs de l’ensemble des médecins généralistes. Ils sont à 79% des hommes âgés de 52 ans en moyenne, des caractéristiques que l’on observe sur la profession en général », selon un document rendu public récemment.