Archives mensuelles : février 2010

Tempus fugit

J’ai revu Gérard et Madeleine. Ça ne va pas trop mal. Physiquement.

Gérard n’a pas un sommeil extraordinaire : il ronfle, il s’agite un peu, sa prostate marque les heures…

A côté, Madeleine veille et ne dort pas beaucoup. Elle guette la respiration, les mouvements, les ronflements de Gérard.

En fin de visite, elle m’entraîne dans la cave pour me dégoter un pot de confiture qu’elle a faite. Et, pour faire bonne mesure, un pot des rillettes concoctées par Gérard.

Elle me dit ses nuits blanches : « Que voulez-vous ? Je sais bien que ça arrivera, à nos âges… Mais vous imaginez ! Si un jour il meurt à côté de moi dans le lit ? Qu’est-ce que je vais faire ? »

Et moi, qu’est ce que je pouvais lui dire ? « Allons, allons, que racontez-vous là ! Vous vous faites des idées. » ?

Eh bien, non. Il a 91 ans, il est cardiaque et, objectivement, statistiquement, il risque de mourir bientôt. Demain ? Dans un mois ? L’an prochain ou dans 10 ans ? Qui sait ? Mais on est plus près de la fin que du début, ça c’est sûr.

J’ai essayé de lui dire, à Madeleine, qu’on n’en savait rien. Qu’il n’avait pas de maladie grave qui pouvait laisser prévoir que ça tournerait vinaigre bientôt. Qu’ils pouvaient encore être ensemble pendant des années et que ce serait bien dommage de se gâcher le temps restant en se faisant tout ce souci.

N’empêche.

Je sais bien ce qu’on raconte. Que la mort fait partie de la vie, que c’est comme ça, que ça ne sert à rien d’être triste, et tout le tintouin.

N’empêche.

J’en ai déjà fait des certificats de décès, vu des familles en larmes, essayé de consoler des veufs, des veuves, des enfants. J’ai appris à garder de la distance avec ça, à me protéger.

N’empêche.

N’empêche que je sais bien que malgré tout ce qu’on dit, quand on se rend compte qu’il ne reste plus grand chose dans le sablier, pour ses proches encore plus que pour soi-même. Eh bien, on a la trouille.

Et ce sont bien mes propres angoisses qui se sont soulevées quand Madeleine m’a dit les siennes.

Que pouvais-je lui répondre ?

Responsabilités partagées

A deux reprises, en discutant avec des confrères, je me suis dit que la « responsabilisation des patients » avait bon dos…

La première fois, c’était lors d’un de mes remplacements. Je prenais un café avec l’associé du médecin que je remplaçais. Il se lamentait d’une journée trop calme et me précisait qu’à moins de 15-20 patients sur la matinée, c’était ennuyeux à mourir.

Ses consultations duraient entre 10 et 15 minutes.

En fait, c’est à peine moins que la consultation moyenne chez un généraliste français : 16 minutes.

Bref, je lui demandais comment il arrivait à faire pour aller aussi vite, le temps d’interroger le patient, de l’examiner, de préparer l’ordonnance, de l’expliquer et, bien souvent, de prendre certains rendez-vous chez des spécialistes.

Et lui de me répondre « Ah mais, ça, je ne m’en occupe pas ! Concernant les rendez-vous, je laisse toujours faire le patient. C’est pour le RESPONSABILISER. »

Ben voyons…

Moi, je l’ai quand même un peu soupçonné que ce soit pour gagner du temps. Parce que, franchement, ceux qui savent ce que c’est que de prendre un rendez-vous chez un spécialiste, surtout si c’est à l’hôpital et surtout si c’est dans un CHU, savent combien ça peut être infernal. Alors quand c’est infernal pour nous qui maîtrisons à peu près les rouages de la machine, on imagine bien ce que ça peut donner pour un petit vieux un peu perdu…

*

Quant au deuxième épisode, il mériterait un billet à lui tout seul.

Il y a deux ans, j’ai fait la connaissance d’un couple de retraités qui revenaient au pays depuis leur émigration de la grande ville.

Lui, petit, rond. Et sourd. Elle, maigre, sèche comme un vieux quignon de pain. Et vociférante.

Je découvre donc leurs dossiers médicaux.

Elle avait déjà eu un bon suivi psy mais ne prenait plus aucun traitement. A côté de ça, elle avait été opérée d’un goitre et prenait du Levothyrox© pour compenser. Assez banal. Comme toute bonne patiente d’une grande ville, elle se faisait suivre depuis 10 ans par un endocrinologue pour équilibrer son traitement. Ce qu’un modeste généraliste est bien sûr à peine capable de faire. En rentrant dans les détails, je découvre qu’elle prenait 150µg en été et 200µg en hiver. Ah, ben déjà c’est moins banal, le traitement saisonnier.

Et puis surtout, je découvre que son super-spécialiste-endocrinologue-de-la-ville, ça fait 10 ans qu’il la maintient en hyperthyroïdie avec une TSH indosable. « Pour mieux la contrôler » qu’il disait apparemment.

Je le jure : j’ai passé presque deux heures sur trois consultations à négocier, à expliquer, que c’était n’importe quoi et qu’à ce rythme là on allait lui bousiller le coeur très vite. J’ai appelé deux endocrinologues différents, avec le haut-parleur, pour la convaincre. Et j’ai fini par y arriver. Elle a accepté de revenir à un traitement plus « normal ».

Deux mois plus tard, elle avait pris 5 kg et se trouvait énorme. Je lui ai dit que ce n’était pas surprenant, qu’on avait juste retrouvé une situation normale et que c’était avant qu’on l’avait artificiellement fait maigrir.

Encore deux mois et elle n’avait pas pris plus de poids sur ma balance mais elle se trouvait encore plus énormément énorme, me suppliant de revenir à son ancien traitement. Je suis resté ferme.

Encore deux mois et elle avait changé de médecin. Je l’ai appris par son mari que je vois toujours et qui a l’air de déguster.

Un jour que j’avais au téléphone le nouveau médecin traitant, ça a été plus fort que moi, je lui ai demandé :

– Tu l’as remise sous son ancien traitement, celui de l’endocrinologue ?

– Ben, oui, je lui ai dit que ce n’était pas bien mais elle me le demandait.

– Et tu as quand même conscience qu’elle n’est vraiment pas très nette sur le plan psychiatrique ?

– Oh oui, mais moi je pense que les patients doivent prendre leurs R-E-S-P-O-N-S-A-B-I-L-I-T-É-S. Ces gens-là, ils doivent aller au bout de leur démarche.

*

Eh bien cette histoire de « responsabilité des patients », on ne m’ôtera pas de l’idée que ce n’est parfois rien d’autre qu’une bonne excuse pour ne pas assumer les nôtres. De responsabilités.

Polysémie (*)

(*) n.f. Propriété d’un mot ayant plusieurs sens.

Pas besoin d’habiter une mégalopole avec une population multicolore pour avoir des problèmes de langage et de compréhension avec nos patients.

Dans l’endroit où vous habitez, je ne sais pas. Mais dans la grande ville où j’ai grandi, quand on dit « Je suis fatigué », ça veut dire qu’on est fatigué.

Par là, on signifie généralement à son interlocuteur qu’on manque de sommeil. Parfois, il faut l’entendre comme une fatigue physique, un besoin de récupération. Parfois, enfin, un manque de dynamisme et d’énergie.

Ici, non.

Enfin… pas toujours.

Ici, la traduction la plus proche possible de « Il est fatigué », ce serait « Il n’est pas bien ».

Admirez la précision.

A vrai dire, ça peut aller de « Il-a-un-petit-coup-de-pompe-mais-rien-de-bien-méchant » à « Il-est-carrément-en-train-de-claboter ».

Au début de mon installation, quand un patient m’annonçait au téléphone qu’il était « fatigué », je ne comprenais pas. Vraiment, ça m’énervait. Je pensais même parfois qu’on se payait carrément ma tête.

Je me souviens d’une garde où on m’appelle à 3 heures du matin.

– Il faudrait que vous veniez pour mon père.

– Qu’est-ce qui lui arrive ?

– Il est fatigué.

– …

En pleine nuit… moi aussi. C’est quoi le problème ?

– Non, mais vraiment, il est F A T I G U É ! Faudrait que vous veniez.

– Bon…

De fait, il l’était. Son coeur avait décidé de danser le slow sur un beat à 30 par minute et il ne pouvait pas se redresser sans tourner de l’oeil. Pour le coup, d’ailleurs, je me suis dit que c’était une des rares fois où on ne pouvait guère être plus précis.

Depuis, j’ai compris qu’ici, quand on est fatigué, on peut être grippé ou faire un infarctus, déprimé ou en OAP, saoul ou en choc septique.

Ou parfois, mais assez rarement, simplement fatigué.

A l’anglaise

Ça y est, je l’ai fait !

J’avais découvert en lisant « Le Choeur des Femmes » qu’il était possible de faire la plupart des gestes gynécologiques dans la « posture anglaise ». C’est-a-dire avec la femme allongée sur le côté (en décubitus latéral, pour les médecins et les recherches google).

Ça m’avait paru plutôt intéressant parce que, a priori, moins humiliant que la traditionnelle position gynécologique avec le médecin campé entre les cuisses de sa patiente.

Premier essai aujourd’hui donc. Pour un frottis.

Franchement, c’était moins confortable pour moi. Il faut se tordre un peu le cou.

La patiente, elle, était plutôt contente. Pour le coup, elle a été une patiente patiente et s’est gentiment moqué de moi et de mes hésitations (ben oui, l’anatomie féminine, moi je n’en ai que des notions… gynécologiques… ). Comme on se connaissait bien, ça allait.

A reproposer à l’avenir.

Merci donc à Martin Winckler pour avoir écrit « Le Choeur des Femmes » et pour avoir pris le temps de répondre à mes questions de débutant.

Et merci à ma patiente qui a bien voulu être mon cobaye pour cette première fois.

Je me rends compte que ce blog prend une tournure bien gynécologique… Va falloir que je trouve à parler des hommes aussi mais, désolé, je n’ai pas eu de journée de la quéquette récemment, moi !

Lettre à Isabelle

J’ai bien vu que tu n’en menais pas large la première fois qu’on s’est vu.

Ça faisait 5 ans que tu avais ton DIU au cuivre (*) et à peu près autant que tu n’avais plus vu de toubib. Tu avais des règles vraiment pénibles depuis quelques mois. Je t’ai proposé de retirer ce DIU et de t’envoyer faire une écho avant de remettre un Mirena. Tu étais d’accord.

Tu étais d’accord aussi pour que l’externe qui était en stage chez moi reste pendant l’examen. Ah, ça, tu n’en menais pas large… Je t’ai bien dit que tu n’étais pas obligée du tout mais tu as joué le jeu. « Il faut bien apprendre ! »

On s’est revus un mois plus tard pour poser le Mirena. On était seuls cette fois-ci.

J’ai passé l’hystéromètre. Un peu difficilement.

Mais alors pour le DIU… nada ! J’ai insisté. Tant qu’on y était, je ne voulais pas t’imposer de remettre ça une autre fois. Je devais être rouge et en sueur, j’étais tellement ennuyé.

« Ça va, je ne vous fais quand même pas trop mal ? Je suis vraiment désolé, je n’arrête pas de bloquer… » Sagement, tu me répondais que ça allait mais je voyais bien que ce n’était quand même pas une partie de plaisir.

Et j’ai fini par renoncer avant de merder complètement. C’était la deuxième fois que ça m’arrivait et je n’étais pas fier.

J’ai appelé un gynéco de l’hôpital pour lui demander s’il pouvait prendre le relais au prochain cycle vu que j’avais lamentablement échoué. Il a essayé de me rassurer en me disant que, parfois, après l’hystéromètre, le col se spasme et qu’on ne peut plus rien faire. Toi tu es restée calme et souriante.

Je t’ai croisée dans la rue il y a quelques jours. Tu m’as dit que, décidément, tu n’arrêtais pas de te rater avec le gynéco. Quand ce n’était pas lui qui ne pouvait pas, c’était toi. Et puis que, vraiment, 45 km aller-retour ça t’embêtait un peu. Et que, si je voulais bien réessayer, ça t’arrangerait.

Je t’ai dit que, bon, … moi je voulais bien mais que vraiment j’avais un peu la trouille de louper à nouveau.

Mais tu m’as répondu que tu me faisais confiance, qu’il n’y avait pas de raison que ça ne marche pas cette fois-ci, que, si vraiment ça ne marchait pas, ce ne serait pas grave et que, à ce moment-là, tu te déciderais à les faire, les 45 km.

On va donc se revoir bientôt. A ton prochain cycle.

Je voulais te faire ce petit mot pour te remercier. Te remercier de cette confiance que tu m’accordes parce que, je le sais bien, confier comme ça son intimité, ce n’est pas si évident que ça. Cette confiance offerte, ça fait vraiment partie de ce qui me fait aimer ce boulot.

Et puis je voulais aussi te dire que – même si j’essaierai de ne pas trop te le montrer – la prochaine fois, c’est moi qui n’en mènerai pas large.

(*) DIU est l’acronyme de Dispositif Intra-Utérin. En France, on connait davantage le terme « stérilet » mais il faudrait l’oublier vu qu’on est les seuls au monde à l’utiliser et que c’est un terme qui avait été imposé par les gynécos réacs pour discréditer les DIU en particulier et la contraception en général. Un DIU ne rend pas stérile !
La plupart des DIU ont pour principe actif un petit fil de cuivre. Le Mirena© remplace le cuivre par un manchon qui délivre de la porgestérone pendant 5 ans. Il a comme principale particularité, chez la plupart des femmes, de faire disparaître les règles tant qu’il est en place. Ce qui n’est pas une « ménopause » artificielle puisque les cycles hormonaux naturels continuent à exister.

L’école des cancres

« HbA1C du 12/01 à 10.8%…
Glycémies à jeûn acceptables : 1.10 à 1.20
1.40 à 1.90 en journée
En fait, me dit au passage, la bouche en coeur, qu’il ne prend pas le Glibenclamide du déjeuner parce que c’est le seul médicament qu’il a à midi et que c’est plus simple comme ça.
Il me rend fou ! »  (*)

que j’ai écrit dans son dossier.

Ce n’est même pas vraiment vrai. Il n’arrive plus à me rendre fou.

C’est un de mes cancres.

Je les aime bien mes cancres. Tous des hommes. Tous sympas et bon vivants. Mais comme patients, ils sont vraiment nuls.

Ils sont cardiaques, diabétiques et assez obèses. Parfois ils continuent à fumer.

Ils veulent bien prendre les médicaments en général. Mais pas toujours.

Quant aux habitudes de vie, ils veulent bien faire des efforts. Un peu. Et pas trop longtemps.

De consultation en consultation, ils me racontent leurs écarts, leurs bonnes bouffes et de quoi les arroser. En toute sincérité et avec le sourire. Même pas besoin de leur demander. « Ah, tiens, vous avez encore pris 2 kg ?! » « Oh ben, vous savez, on avait les petits-enfants en vacances / c’était les Fêtes / je mange des sandwichs sur la route / le midi, je suis au restaurant avec les clients / ma femme, elle sait cuisiner ! »

Au début, je fais comme j’ai l’habitude : j’explique tout bien, je fais des schémas, des dessins, j’imprime des fiches conseils, je leur fais faire des enquêtes alimentaires qui ressemblent aux menus étape d’ici…

Et puis, au bout d’un moment, j’arrête.

Comme ce sont des cancres sympas, je ne les envoie pas au coin, je les laisse à leur place. Tant qu’ils se tiennent tranquilles, qu’ils prennent à peu près leurs médicaments, qu’ils font leurs prises de sang, leurs fonds d’œil, … j’arrête de les embêter. Je reste basique et l’ordonnance c’est pour trois mois. Ça leur va.

Ça m’embête quand même un peu. Parce qu’ils sont sympas et que je n’ai pas vraiment envie que leur infarctus ou leur AVC arrive trop vite.

Mais vraiment, il y en a, je ne sais pas comment faire. Je n’arrive pas à trouver les bons mots, les bons leviers à activer. Je ne sais même pas s’il y en a, ni si un autre ferait mieux que moi.

Peut-être pas, peut-être qu’il n’y a rien d’autre à faire que de limiter les dégâts en attendant qu’ils se créent leur propre déclic.

Ou peut-être que si, que c’est juste moi qui ne sait pas m’y prendre avec eux. Et en fait, c’est ça qui me rend fou.

(*) Pour les non médecins :
– HbA1C : c’est un dosage qui permet d’évaluer l’équilibre moyen du diabète durant les 3 derniers mois. En-dessous de 7%, c’est impeccable. Entre 7 et 8%, c’est bof-bof. Au-dessus de 8%, c’est vraiment mauvais. 10,8%, c’est…
– La glycémie, c’est le niveau de sucre dans le sang : normalement c’est 1,0 g à jeûn.
– Le glibenclamide est un des médicaments essentiels dans le traitement du diabète. C’est tout sauf un médicament « optionnel ».

Les mamelles de la Médecine

Les gastro-entérites m’emmerdent. Sans mauvais jeu de mot.

Et s’il y a une chose qui m’emmerde encore plus que les gastro, ce sont les rhinopharyngites.

Et pourtant… Gastro et rhino sont les deux mamelles de la médecine générale française.

Dix minutes en prenant son temps et 22 euros dans la caisse, sans se forcer. Pour un truc où on ne sert à rien.

Parce qu’il faut bien le reconnaître : quand votre médecin dit qu’il « soigne » votre gastro/rhino, c’est un escroc. A la limite, il « soigne » votre anxiété, il « soigne » vos indemnités en vous faisant un arrêt de travail mais, sur le fond, il ne soigne rien du tout.

– Qu’on soit bien d’accord, parce que je connais les arguments : je parle des pathologies « ordinaires » survenant chez des personnes sans facteurs de risques particuliers et où l’interrogatoire téléphonique permet en 30 secondes d’éliminer les signes de gravité possibles. –

Ce qui vous soigne, ce sont vos propres anticorps à vous, tout naturels, tout gratuits, et qui savent très bien se débrouiller comme des grands contre ces maladies virales banales.

Dans le meilleur des cas, ce que vous prescrit votre médecin, va – très modérément – calmer des symptômes qui, de toute façon, ne dureraient pas longtemps. Dans le pire, vous aurez droit aux effets indésirables des médicaments et ça ira moins bien.

Alors à chaque fois que j’ai une demande de rendez-vous pour une rhinogastro, j’hésite…

Est-ce que je vais donner les quelques consignes de base, rassurer les gens et leur dire que, non, non, ce n’est pas vraiment nécessaire de venir en consultation, que je peux leur préparer une ordonnance de métoclopramide/paracétamol, qu’ils passeront récupérer et que, si vraiment ça ne va pas mieux dans 48 heures, qu’ils me rappellent et on verra ?

Ou est-ce que je vais leur donner leur rendez-vous en sachant que, pour une fois, ce sera une consultation vite faite bien faite, que, certes, je ne servirai à rien mais que ça ne se verra pas de trop et que, même si je n’en suis pas très fier, ce sera 22 euros facilement gagnés. Parce que, franchement, si je ne faisais que des consultations de 30 ou 40 minutes je ne m’en sortirais pas ?

Je n’ai toujours pas trouvé comment échapper à cette ambivalence. Je crois que, tant qu’on restera dans un système de paiement à l’acte, je ne pourrai pas.

Sur la mauvaise pente

Gérard et Madeleine sont amoureux. Depuis 70 ans.

Après 70 ans, ils sont toujours pas-trop-mauvais pied, bon oeil. Et bonne tête. Ils aiment rigoler, ils aiment boire une coupe de champagne, ils aiment continuer à faire leur foie gras, ils aiment se jeter des petits regards complices.

Bon, Gérard est quand même un peu cardiaque sur les bords. Il a eu un double pontage. A 88 ans. Mais si on peut me garantir d’être comme lui à son âge, je serais assez d’accord.

Bref, il y a quinze jours, ma secrétaire m’appelle le matin « Il faudrait passer voir M. Gérard avant vos consultations, il a du mal à respirer. »

En arrivant, Gérard et Madeleine sont là tous les deux pour m’accueillir, ça ne va pas trop mal. Il m’explique que ça fait plusieurs nuits qu’il a de plus en plus de mal à respirer, qu’il doit se lever vers 5 heures et que, ensuite, ça va mieux.

Bon, je me dis déjà que c’est une poussée d’insuffisance cardiaque. Qu’on va majorer un peu les diurétiques, peut-être prévoir un bilan bio et, s’il le faut, avancer la consultation cardio prévue en juin.

« Où est-ce que je peux vous examiner ? » « Oh, ben, on va aller dans la chambre. » « D’accord. »

Nous y allons, je commence à l’examiner assis au bord du lit sous le regard quand même un peu anxieux de Madeleine.

Et c’est là que j’ai un flash.

Pensant bien faire, Madeleine avait relevé les pieds du lit. Certes, elle avait mis des petites cales sous les pieds du lit, mais, elle avait aussi rajouté deux gros oreillers sous le bas du matelas. Au total, les pieds se retrouvaient bien 25 cm plus hauts que la tête. Elle pensait bien faire.

Et c’est en maniant mon stétho de la main droite, la main gauche cramponnée au bord du lit pour éviter de glisser sur Gérard que je me l’imagine. La nuit. La tête en bas comme un cochon pendu. Et que je me dis qu’on ne doit quand même pas très bien respirer dans cette position.

On a remis le lit à plat et ça va mieux.

Gérard et Madeleine fêtent leurs noces de Platine dans 5 jours. Ils se sont mariés à la St Valentin.

Ça glisse, Alice !

Il y a quelques temps, j’ai eu un échange au sujet d’une question de gynécologie avec un ami qui s’y connait très bien.

Au milieu de sa réponse, je lis :

« J’insère toujours un spéculum après l’avoir trempé dans du liquide antiseptique ou dans du sérum phy, pour le lubrifier sans risquer de modifier un frottis, par exemple. »

Ah …

Ah ben merde, ça fait des années, que je fais tous mes frottis en utilisant du gel lubrifiant (celui qu’on trouve en supermarché, à côté des capotes…). C’est comme ça que j’avais appris « sur le tas » avec un gynéco du Planning familial.

Et là je me dis « Merde, merde, merde, combien de femmes, mon gars, as-tu condamnées aux pires horreurs en raison de tes conneries ? »

Mais, en même temps, je ne vois pas ce qui, intellectuellement, pourrait expliquer que du lubrifiant hydrosoluble fausse un frottis.

Je commence par appeler une collègue ana-path qui me dit que, non, mes frottis sont nickel, et que, pour ceux qu’elle fait elle-même, elle utilise un lubrifiant à base de vaseline sans que ça modifie ses lames (bon, là franchement, le lubrifiant à base de vaseline, je trouve ça un peu berk, mais bon…). Déjà, ça me rassure un peu.

Je décide donc d’aller voir ce que je peux trouver comme informations validées.

Je fais simple, Google est mon ami. Mots-clés : « frottis lubrifiant ». Sur les 50 premières référence, 48 recommandent de ne pas utiliser de lubrifiant (dont, le très officiel site de la Société Française de Colposcopie et de Pathologie Cervico-Vaginale) mais aucune référence d’étude. Tout le monde se contente de répéter la même chose. C’est comme ça, on a toujours fait comme ça et c’est comme ça qu’il faut faire. Et on ne discute pas.

Un site précise qu’il faut utiliser un lubrifiant. Mais ne le justifie pas non plus.

Et, tout de même, une synthèse belge mentionne deux études américaines qui concluent que l’utilisation de lubrifiant ne modifie pas le frottis.

En refaisant la même recherche en anglais, on retrouve les deux études de 2002 citées par la synthèse belge (l’étude de Harer WB et l’étude de Amies AM) ainsi qu’une étude texane (Griffith) de 2005.

Ces trois études, qui sont largement citées par les pages anglophones, ont la même conclusion : l’utilisation d’un gel lubrifiant à base d’eau ne change pas la qualité du frottis !

Conclusion : d’un côté une tradition française que rien ne vient étayer (en tout cas, je n’ai pas trouvé) et, de l’autre, trois études récentes qui vont toutes dans le même sens et qui sont reprises par les sites de référence en langue anglaise.

Alors, cette histoire m’inspire quelques éléments :

  • Mes patientes peuvent souffler, a priori, on n’a pas loupé de cancer du col.
  • Décidément, il faut toujours savoir remettre en cause ce qui nous est présenté comme des vérités acquises. Les « arguments d’autorité » et la tradition ne sont pas des preuves !
  • Une nouvelle fois, et ce n’est pas Martin Winckler qui me contredira, même pour une chose aussi basique, on gagne malheureusement à parler anglais pour pouvoir chercher ailleurs ce que notre filière française n’est pas capable de nous donner.
  • Enfin, je vais conclure en me contentant de citer la « note d’éditeur » de ce site américain parce que je n’ai pas trouvé comment mieux dire les choses :

« Au nom de toutes les femmes, merci pour les résultats de ces études ! Sérieusement, combien d’autres de nos pratiques officielles augmentent l’inconfort du patient sans aucune preuve d’un avantage ? Il y a d’énormes possibilités pour des recherches pragmatiques portant sur des aspects de routine des pratiques médicales.

Il est souhaitable que la Médecine de famille s’implique davantage dans la recherche, à la fois dans les centres académiques et au sein des réseaux afin d’améliorer les soins aux patients.

La recherche n’a pas besoin de sauver des vies ou de porter sur des sujets dramatiques pour faire des différences significatives pour les patients et pour les praticiens. »

Ne vous laissez plus faire de frottis

sans lubrifiant !

Sauf si vous aimez ça…

A suivre quand j’aurai le temps : l’eau et les « yoyos »

 

Edition du 30/08/11

Mon amie Gélule m’a offert un dessin pour illustrer ce billet :

Tribute

Voilà quelques temps que je pensais à me jeter à l’eau.

J’avais parcouru quelques blogs du champs médical et j’avais fini par me dire que, moi aussi,  j’avais peut-être quelques choses à dire au sujet de mon métier, de mes expériences.

Qu’en toute immodestie, ça pouvait aussi intéresser quelques personnes.

Et puis, sinon, que ça me ferait toujours un journal intime à relire, la larme à l’oeil. Quand je serai vieux.

Il faut dire que le système de santé français ne brille pas par son ouverture d’esprit et ses capacités d’innovations. Si ce n’est pas sur internet qu’on peut dire les choses, il ne faut pas compter sur nos « instances officielles » pour le faire.

Bref, si vous lisez ce blog et qu’il vous inspire quelques réflexions, ce sera déjà pas mal.

Pour terminer ce tout premier billet, je voulais faire une petite courbette spéciale pour trois bloggeurs spéciaux :

  • Thomas, un infirmier un peu globe-trotter, très amusant et doué autant pour se moquer des autres que pour l’auto-dérision ;
  • Le fils du Dr Sachs, mon frère quasi jumeau. Pour moi aussi, le Dr Sachs a été un déclic. Comme lui, j’ai fait le pari d’une médecine de famille à la campagne, d’une médecine humaine ET de qualité. Pour le moment, le pari est tenu.
  • Et last but not least, Rrr, la Dresseuse d’ours, le must du blog médical. Un médecin à couettes qui dit tout ce que j’ai envie de dire mais avec tellement de style ! Si mon coeur n’était pas déjà pris, voudrais-tu m’épouser ?!?

Que les hommes m’accordent leur estime si j’arrive à atteindre une petite parcelle de leur talent. Que je sois couvert d’opprobre et méprisé si j’y manque. *

(* librement interprété du serment d’Hippocrate)