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Yeau-yeau

Je suis en colère.

Je suis plus qu’en colère. Je suis furieux et révolté.

Furieux contre le système de santé français. Furieux contre les ORL de France. Furieux contre les médecins généralistes français qui ne se posent pas de questions et qui font bêtement confiance aux « spécialistes ». Furieux contre les sites « d’information santé » et leurs forums idiots.

Et furieux contre moi-même d’avoir bêlé avec le troupeau jusque là.

Je l’avais annoncé dans le post-scriptum de Ça glisse, Alice ! : je comptais bien m’intéresser à la question des aérateurs transtympaniques.

C’était au-delà de mes craintes…

Qu’est-ce qu’un aérateur transtympanique (ou trans-tympanique, alias « yoyo » ou « yo-yo ») ? C’est un tout petit tube en plastique, plus large que long d’où sa forme de yoyo, que l’on place dans le tympan de l’oreille. Le but est de maintenir une aération de l’oreille moyenne dans certains cas d’otites chroniques. Ceci concerne essentiellement des enfants, rarement des adultes.

Il y a quelques temps, je discutais avec la maman d’un petit bout de 3 ans qui a des aérateurs. Elle me disait combien c’était galère de lui faire prendre le bain. Sans compter que l’été prochain, pour la piscine, ça allait être l’enfer.

Ben oui : en France, on terrorise les parents d’enfants qui ont des aérateurs : « Pas d’eau dans les oreilles ! Surtout pas d’eau dans les oreilles !!! Sinon, ça va s’ I N F E C T E R. »

C’est ça, bien sûr, allez-y pour interdire à un enfant de 3 ans le bain et les éclaboussures… Et pour lui laver les cheveux ? Ah ça, pas de problème : vous trouverez sur le marché des tas de trucs à tous les prix : coton vaseliné, embouts en silicones, bandeaux en néoprène et autres « protecteurs ».

Pour le business des fabricants de ces machins – dont nous allons voir qu’ils ne servent à RIEN – et leurs revendeurs (les pharmaciens par exemple), ça va bien. Merci pour eux.

Et donc, voilà ce que répètent l’essentiel des ORL français, religieusement suivis par les généralistes et par les « sites santé » en langue française.

Mieux !  Voici ce que l’instance chargée de coordonner l’enseignement de l’ORL en France, le Collège Français d’ORL et de Chirurgie cervico-faciale, enseigne aux étudiants en médecine… « Ceci implique donc une restriction de l’introduction de l’eau dans les conduits auditifs externes (protection lors du bain, de la baignade, de la douche) ».

Le Bourrillon, qui est « la bible » pédiatrique des médecins généralistes français, est à peine plus nuancé.

Des preuves de ces affirmations sans appel ? Aucune.

Ce sont des conneries !

Une nouvelle fois, si vous voulez me suivre, il va falloir vous mettre à l’anglais. C’est pas marrant mais il n’y a pas le choix. (Pour ceux qui veulent zapper cette partie aride, aller directement plus bas à « De quoi en retourne-t-il ? »)

Depuis 1980, on peut trouver au moins 20 études différentes sur la question des aérateurs et de l’exposition à l’eau. Et au moins trois méta-analyses et synthèses. La majorité est étasunienne. Il y en a aussi des britanniques, françaises (mais en anglais), espagnoles, israéliennes et une dernière taïwanaise.

On pourrait commencer par la conclusion de la plus ancienne, celle de Chapman en 1980 :

« Interdire la nage aux enfants porteurs d’aérateurs est cause de souffrance, retarde l’apprentissage de la nage et des méthodes de sauvetage et ne repose sur aucune preuve publiée. »

et s’arrêter là.

Ah ben c’est sûr, c’est pas tout frais, tout frais comme étude. Trente ans quand même. Mais, depuis, rien n’est venu contredire cette conclusion. Rien.

A croire qu’on communique encore par pigeons voyageurs et que ce n’est jamais arrivé en France.

Tant qu’à avoir passé du temps à faire la recherche, voici quand même quelques arguments.

Deux études montrent qu’il faut une pression de 11 à 23 cm d’eau claire pour passer à travers un aérateur car le trou est trop petit pour que de l’eau qui n’est pas sous pression le franchisse. Avec de l’eau savonneuse, la pression nécessaire est un peu plus faible mais à peine : encore de 11 à 21 cm d’eau (Marks & Mills, 1982 et Pashley & Scholl, 1984).

On parle de pression d’eau sur le tympan. Ça tombe bien ! Une étude montre qu’après quatre minutes d’immersion continue dans l’eau, celle-ci n’atteint la surface du tympan que dans la moitié des cas. (Morgan, 1987)

Deux autres études, in vitro, ne retrouvent aucune pénétration d’eau à travers les aérateurs après une douche, le rinçage des cheveux ou l’immersion de la tête dans de l’eau claire (12,7 cm de profondeur).

Dans de l’eau savonneuse, l’eau pénètre dans 10% des cas. En cas d’immersion dans une piscine, la pénétration de l’eau n’est significative que pour des profondeurs supérieures à 60 cm. (Hebert & al., 1998)

Et si l’eau arrive quand même dans l’oreille moyenne ? Une étude faite sur des cochons d’Inde montre que de l’eau de bain introduite dans l’oreille moyenne cause une inflammation mais que ce n’est le cas ni avec de l’eau de piscine, ni avec de l’eau de mer. (Smelt & Monkhouse, 1985).

Plusieurs études se sont penchées sur la question de savoir s’il y avait plus d’infections chez des enfants que l’on autorisait à nager en piscine que chez ceux à qui on l’interdisait. Elles vont toutes dans le même sens : il n’y a aucune différence ! Certaines études semblent même mettre en évidence un supplément de risque chez les enfants à qui l’on interdit la piscine !  (Chapman, 1980 ; Smelt & Yeoh, 1984 ; Sharma, 1986 ; Wight & al., 1987 ; Cohen & al., 1994 ; Salata & Derkay, 1996 ; François & Benzekri, 1998 & Wang & al., 2009)

Ah ben, ça… Mais si on veut vraiment être sûr, il ne vaut quand même pas mieux utiliser des bouchons d’oreille ? Eh non ! Quatre études nous disent que, au mieux ils n’apportent rien et que, probablement, ils augmentent le risque d’infection ! (Arcand & al., 1984 ; Becker & al., 1987 ; Parker & al., 1994 & Goldstein & al., 2001)

Ce n’est pas très étonnant puisque ces bouchons semblent favoriser la pullulation des bactéries dans le conduit auditif. (Brook & Coolbaugh, 1984)

Bon, mais plonger, ce n’est pas bon quand même. Eh bien, oui mais non. Dans deux études, plonger était autorisé (jusqu’à 1,80 m de profondeur chez Salata & Derkay) et on n’a pas retrouvé de différence. (Sharma, 1986 & Salata & Derkay, 1996)

Plus précisément, une étude est très intéressante. Elle montre que ceux qui plongent ont 6 fois plus de risques d’infection que ceux qui s’en abstiennent. Oh mon Dieu, six fois plus !

Oui mais… Six fois plus de risque, ça veut dire en l’occurrence, qu’ils ont eu en moyenne une infection pour 100 journées avec piscine au lieu d’une infection pour 600 journées avec piscine. Ça relativise quand même bien les choses. (Loundsbury, 1985)

Et, au final, on a donc trois méta-analyses (Pringle, 1993 ; Lee & al., 1999 & Carbonell & Ruiz-Garcia, 2002) et deux synthèses (Pringle, 1992 & Goldstein, 2004) qui reprennent l’ensemble de ces études.

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De quoi en retourne-t-il au final ?

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Ce qui est sûr :

  • Autoriser la piscine, y compris en mettant la tête sous l’eau, sans protection particulière n’expose à aucun risque supplémentaire !
  • Il en va de même avec la douche et le rinçage des cheveux à la douchette. Aucune protection n’est nécessaire.
  • Les bouchons d’oreille sont au mieux inutiles, au pire nuisibles en augmentant le risque d’infection. Les autres types de protection sont inutiles.

Ce qui est probable :

  • L’eau de mer n’est probablement pas plus dangereuse que l’eau de piscine mais ça n’a été étudié qu’en laboratoire.
  • Plonger la tête sous l’eau jusqu’à 60 cm de profondeur (et peut-être davantage) n’augmente peut-être pas le risque d’infection, ou alors de manière très marginale. Ce n’est peut-être pas une très bonne idée mais ce n’est pas dramatique si vous voyez votre enfant plonger occasionnellement.
  • Il n’est probablement pas très souhaitable d’immerger la tête dans l’eau du bain. D’une part, l’eau savonneuse pénètre un tout petit peu plus facilement que l’eau claire à travers un aérateur. D’autre part, l’eau du bain contient beaucoup de germes venant de notre peau. Pas de soucis si l’enfant joue et s’éclabousse un peu mais, pour rincer les cheveux, mieux vaut le faire à la douchette qu’en trempant la tête sous l’eau. Ceci dit, ça correspond à des données de laboratoire et à des hypothèses raisonnables mais il n’existe aujourd’hui pas de preuve que l’eau du bain augmenterait vraiment le nombre d’infections.

En conclusion :

Comme pour les frottis sans lubrifiant, la grande majorité des médecins français se contente de répéter et de faire « comme on a toujours fait » sans remettre en cause ces habitudes et sans chercher à savoir si ceci repose sur des connaissances scientifiques validées. Pour les généralistes, ça peut être compréhensible (honnêtement, il faut être motivé pour passer un dimanche à chercher toutes ces références en anglais). Pour les spécialistes, et en particulier pour les enseignants, c’est inadmissible.

Combien d’enfants doivent-ils encore être privés de piscine, d’apprentissage de la natation ou, tout simplement, des joies du barbotage ?

Combien de parents doivent-ils encore être emmerdés, terrorisés et culpabilisés ? Combien faut-il leur faire dépenser pour l’achat de gadgets chers et inutiles ?

Tout ça, pour rien.

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Edition le 12/02/2011 :
Mise à jour des liens bibliographiques grâce à Jaddo.
Référence complémentaire non mentionnée dans le billet original : Silimy & Bradley, 1986