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Le toucher vaginal est-il de la mauvaise médecine ?

Les commentaires du précédent billet sont vraiment passionnants et instructifs.

Docteurdu16 a publié un commentaire dans lequel il citait un article paru dans le BMJ (pour les non-initiés, le BMJ est l’une des trois principales revues médicales de référence sur le plan international). Cet article aborde la question d’examens pratiqués en routine en gynécologie et, en particulier, la question du toucher vaginal.

Plutôt que de laisser la discussion se développer dans les commentaires du billet sur la « position anglaise », il m’a semblé nécessaire de faire ce billet à part.

Je recopie donc ci-dessous le commentaire de Docteurdu16 avec, pour que tout le monde en profite, la traduction française de la référence citée. J’y joins aussi le commentaire que ‘S’ (mon « formateur ») a laissé à la suite.

Merci à eux deux.

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Docteurdu16

Bon, voici un article de Des Spence dans le BMJ qui n’est pas tout à fait adapté au post de Borée, mais qui est adapté à la bad medicine, et au toucher vaginal. En anglais, malheureusement.
Pour ceux qui sont abonnés, ils trouveront le texte et des commentaires ici : http://www.bmj.com/content/342/bmj.d1342.full

Je n’ai pas le droit mais voici :

Mon ami me fixa anxieusement. Le professeur était cramoisi, les veines de son cou étaient saillantes, le visage de la colère. Bizarre qu’un simple mot comme « pourquoi » puisse provoquer une telle réaction allergique. Mais « pourquoi » est le mot le plus important en médecine.

Et, donc : pourquoi les médecins font-ils habituellement des touchers vaginaux et des examens au spéculum ? J’ai cherché les flèches dorées des sites de recommandations afin de me guider mais je me suis retrouvé à fouiller dans les poubelles de l’internet.

Concernant le toucher vaginal.

Il peut permettre de repérer des masses pelviennes mais quels sont les risques d’erreur ? Pour les patientes de gynécologie examinées durant une anesthésie générale, un tiers des masses n’a pas été détecté et les erreurs étaient encore plus importantes concernant les anomalies des annexes. Si nous extrapolons ces conclusions à une population consciente et avec une faible prévalence de pathologies, alors le risque de faux-positifs et de faux-négatifs est si élevé que ce n’est pas acceptable et qu’il rend le toucher vaginal pratiquement inutile comme examen de dépistage.

Le toucher vaginal est également sensé repérer les « irritations cervicales », un symptôme traditionnel des pathologies pelviennes inflammatoires. Mais l’irritation cervicale est tellement aspécifique qu’elle n’a aucune valeur de dépistage.

C’est pourquoi dans les pays riches, le toucher vaginal n’a aucune place dans les soins de première ligne. Les femmes doivent plutôt bénéficier rapidement d’examens fiables tels qu’une échographie. (De fait, les technologies modernes permettent de convertir un smartphone en échographe basique, c’est pourquoi on ferait mieux d’apprendre les techniques d’échographie à nos étudiants.)

Toute femme présentant des signes d’irritation pelvienne devrait donc pouvoir bénéficier de techniques fiables et sensibles.

Concernant l’examen au speculum.

Cet examen a clairement sa place lorsqu’il s’agit d’examiner le col de l’utérus ou de retirer un tampon coincé. Mais l’examen au speculum est couramment pratiqué pour de simples problèmes de pertes vaginales alors que les faits nous indiquent que ce n’est pas nécessaire. La plupart des pertes sont physiologiques et les patientes doivent simplement être rassurées. Par ailleurs, les infections vaginales banales, bactériennes ou candidosiques, rentrent souvent dans l’ordre spontanément mais ont tendance à récidiver, c’est pourquoi un simple traitement empirique paraît raisonnable.

Si un diagnostic de certitude paraît nécessaire, alors un auto-prélèvement par écouvillon semble une alternative logique au prélèvement obtenu au speculum. Concernant les chlamydiae et le gonocoque, les techniques indirectes, largement répandues, sont plus sensibles que la traditionnelle culture du prélèvement endocervical, en particulier en soin primaire. C’est pourquoi les examens nécessaires devant des pertes vaginales, sans douleur pelvienne, ne nécessitent pas d’examen au speculum. Ceci serait beaucoup plus acceptable pour les patientes et beaucoup plus simple pour le médecin.

Pourquoi continuer à pratiquer ces examens invasifs, non scientifiques, désagréables et illogiques ?

Il est temps de reconnaître que ces examens de routine en gynécologie sont de la mauvaise médecine.

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S

Enfin, le sujet vraiment tabou est abordé.

J’avais prévu d’aborder le sujet du “toucher vaginal” très prochainement, et je ne peux que sauter sur l’occasion : cet examen a disparu de ma pratique depuis de nombreuses années, d’abord parce qu’il me dérange, comme le “toucher rectal” d’ailleurs qui devrait être systématique d’après mes cours, et surtout il ne m’apporte aucune information utile comme gynécologue.

Les très rares indications que je conserve se retrouvent en salle de travail pour le diagnostic de ce dernier et son évolution.

Et encore, travaillant avec des sages-femmes en première ligne, je fais confiance à leur expertise puisque c’est un geste qu’elles pratiquent régulièrement, au contraire de moi.

Ces dix dernières années, aucune, je dis bien aucune, faute de non-diagnostic n’est revenue à mes oreilles (et je vous promets qu’on ne m’aurait pas fait de cadeaux parmi mes confrères en cas contraire…).

Osons revisiter nos certitudes en nous appuyant sur la rigueur scientifique, point central de notre fonction de soignant, générant par là l’espace de confiance indispensable au soigné.