Archives par étiquette : Système de santé

« Libérez ma pilule » : liberté pour qui ?

 

 

Quelques réflexions sur le site liberezmapilule.com et la pétition associée…

 

Pourquoi ? À la première lecture de la lettre ouverte, l’impression ressentie est celle d’un texte confus, à l’argumentaire mal construit. De quoi parle-t-on ? D’une pilule progestative ? De toutes les pilules ?

 

A moins, au contraire, que ce texte et ce blog ne soient très bien construits et très habiles ?

 

Reprenons les choses dans l’ordre.

 

1- De quoi parle-t-on ?

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

3- Quels sont les coûts ?

4- A qui profite le projet ?

5- Les procédés rhétoriques

 

1- De quoi parle-t-on ?

 

  •  S’agit-il purement d’une pilule progestative, ou bien songe-t-on à étendre le dispositif aux œstroprogestatives (que l’on abrègera en OP), éventuellement dans une seconde phase ?
  •  Parle-t-on d’une autorisation de prescription de la part du pharmacien, d’une prescription facultative ou d’une vente libre ?

 

Reprenons le texte principal (la lettre ouverte). Toute l’introduction prend l’exemple de la situation US et des recommandations de l’ACOG (d’ailleurs similaires à celles de l’AAFP). Ces recommandations ne se limitent pas aux pilules progestatives, mais concernent bien toutes les familles de pilule. Le questionnaire envisagé explore les contre-indications des œstroprogestatives (voir les références sur l’AAFP).

 

Pour le moment il n’y a pas de pilule en vente libre aux USA. Les associations et organisations militant pour une vente libre (OTC, over-the-counter) envisagent que la première pilule autorisée soit progestative, mais ont pour objectif affiché les deux familles, en se basant sur des études montrant qu’un questionnaire permet d’éviter les contre-indications connues des OP.

 

Dans certains États des US, comme l’Oregon, les pharmaciens ont une autorisation de prescription, qui repose sur un questionnaire rempli avec l’aide du pharmacien. Il ne s’agit pas d’une vente libre.

 

La lettre ouverte ne mentionne les pilules progestatives qu’à deux reprises : pour évoquer une demande d’autorisation d’un laboratoire français aux US (Rx-to-OTC switch), marché potentiellement très fructueux (voir plus bas partie 3), et à la fin, pour demander aux laboratoires de déposer une AMM.

 

Le texte demeure donc très ambigu sur l’objectif à terme, progestatives ou OP, très certainement à dessein. Si l’objectif était uniquement les progestatives, il aurait pu être beaucoup plus explicite sur l’absence de contre-indications cardiovasculaires, par exemple, et beaucoup plus convaincant.

 

Tout en gardant en tête cette ambiguïté, nous privilégierons dans la suite ce qui semble être l’objectif à court terme : une AMM pour une pilule progestative en vente libre.

 

2- Quels sont les bénéfices et risques d’un tel projet ?

 

La santé publique est faite de délicats équilibres, souvent difficile à quantifier, et une idée généreuse peut se révéler nuisible…

 

Il est sans doute impossible de quantifier les rapports bénéfices/risques de la mesure proposée, mais nous pouvons au moins qualitativement examiner ses effets positifs et négatifs.

 

L’effet positif est clairement identifiable : un nouveau canal de diffusion serait disponible pour les pilules progestatives, sans consultation médicale. Certaines femmes ne consultant pas pour une raison ou une autre pourront acheter un contraceptif oral en pharmacie. Cela pourrait être bénéfique dans certaines zones où l’accès à un médecin, une sage-femme ou un centre de planning familial est limité.

 

Du côté des effets négatifs, les effets indésirables d’une pilule progestative sont mineurs et les contre-indications limitées et bien identifiées, et même pour une œstroprogestative, des études qu’il faudrait compléter semblent indiquer qu’un questionnaire auto-administré suffit à les éviter largement.

 

Cependant :

  • Si la délivrance sans ordonnance se limite aux pilules progestatives, le nouveau canal offre un choix limité. Chez une femme jeune et fertile, sans contre-indication aux OP, ce n’est pas forcément le meilleur choix en raison principalement d’une moindre efficacité et d’une plus grande dépendance aux horaires de prise que pour une OP. Un DIU au cuivre ou hormonal, un implant, un anneau peuvent être aussi proposés… À noter qu’une extension aux pilules OP améliorerait ce point, à compenser par un risque peut-être accru d’effets indésirables sérieux, à quantifier.
  • La consultation de prescription de contraception peut être faite par un•e gynécologue, un•e généraliste, un•e sage-femme, en cabinet, au planning familial, etc. Le choix est vaste, et souvent méconnu. Cette consultation ne comporte pas d’examen gynécologique.
  • Cette consultation est l’occasion, en particulier pour la première prescription, d’aborder, outre les diverses options de contraception, divers sujets sur la sexualité, les IST, les violences… S’en dispenser prive de cette occasion.

 

Le choix de prescripteur est suffisamment large pour qu’il n’y ait en réalité guère d’obstacle de disponibilité ou de distance pour cette consultation, sauf peut-être dans certaines zones. Un généraliste qui ne fait pas de gynécologie saura fréquemment renvoyer vers un•e collègue proche. À l’échelle de la France, et en particulier en zone urbaine, c’est principalement l’information qui fait défaut.

 

3- Quels sont les coûts ?

 

Actuellement :

 

  • Pour une personne hors AME/CMU :

– La consultation revient à 6,90 euros (ticket modérateur).

– Un an de pilules = 4 boîtes à environ 3 euros remboursés à 65 %, donc environ 4 euros.

Soit au total environ 11 euros par an.

(en réalité un peu plus pour une OP et un peu moins pour une progestative, à 1-2 euros près).

 

  • Pour une personne bénéficiant de l’AME/CMU, c’est gratuit.

 

  • Pour une pilule en vente libre, si elle est proposée au même prix :

– 4 boîtes à 3 euros, non remboursés : 12 euros.

 

Pas de gain donc, au contraire, en particulier pour les personnes en AME/CMU.

 

MAIS, ce qui est proposé est une nouvelle AMM, pour une spécialité médicale qui sera en vente libre. Il est extrêmement probable que le prix sera différent. Aux USA, une boîte pour un mois coûte entre 20 et 50 dollars hors assurance (5-30 dollars après éventuel remboursement).

 

Si les prix français ne sont pas ceux des USA, tous les médicaments qui ont été déremboursés ces dernières années pour passer en vente libre (parfois du fait des autorités, parfois à la demande des industriels) ont vu leurs tarifs augmenter rapidement de 46% en moyenne et de plus de 90% dans un quart des cas.

 

Par ailleurs, on peut raisonnablement penser que le prix d’une pilule en vente libre serait aligné sur celui des pilules actuellement non remboursées, soit de l’ordre de 10 à 15 € par mois, 120 à 180 € par an.

 

Notons que la lettre ouverte aurait pu demander que l’AMM se fasse dans un cadre remboursable, donc à prix régulé via le dispositif des médicaments « à prescription facultative » (le paracétamol en est un exemple). C’est d’ailleurs ce qui était demandé par le « Collectif des Pharmaciens » dans leur proposition n°4.

Ce n’est pas le cas de Libérez ma pilule.

 

4- À qui profite le projet ?

 

Il est toujours indispensable d’explorer conflits d’intérêts et motivations. Les promoteurs d’un projet comme celui-ci ont toujours une diversité de motivations. La santé publique en sera une, en général, mais il faut se poser la question des autres.

 

Le nom de domaine liberezmapilule.com a été enregistré au nom de Karim Ibazatene, d’après les informations publiquement disponibles. Il s’agit donc visiblement d’un promoteur clé de l’initiative.

Actif sur les réseaux sociaux, blogueur, ce pharmacien de formation déclare travailler pour l’industrie pharmaceutique. Il est qualifié de « spécialiste marketing santé, président de LNA » sur ce site d’école de commerce. En parallèle, il est ou a été gérant d’une multitude de sociétés, ayant en général une activité de conseil auprès de l’industrie pharmaceutique, enregistrées à Paris (LNA, TIM), Londres (LNA Limited), Luxembourg (Kahena), Riga (SIA PLTCare), Chypre (CRT Cyprus Readability Test), Madrid (LNA)…

A noter que son blog et son compte Twitter ont été fermés simultanément dans la nuit du 21 au 22 avril. Le cache Google permet de retrouver la page de présentation et le dernier billet.

 

Une pilule en vente libre, commercialisée autour de 30 euros la boîte de trois plaquettes, représenterait un marché très important pour l’industrie pharmaceutique. Ce promoteur du projet est donc très certainement en conflit d’intérêts majeur, non déclaré sur le site.

 

5- Les procédés rhétoriques

 

Une fois ces points examinés, il est utile de revenir sur le texte même, et sur les annexes (FAQ et autres articles) proposées sur le site web.

 

Ce site, bien conçu, comporte en effet de nombreux articles périphériques, utilisés dans la campagne de presse, et souvent repris dans les articles mentionnant le projet. Les examiner permet de mieux comprendre l’origine de ce projet et ses divers objectifs.

 

On l’a vu, le texte lui-même reste ambigu dans son introduction sur la nature de la pilule concernée, et sur la situation aux US. On pourrait penser à sa lecture que la pilule progestative y est en vente libre. On a vu plus haut que ce n’est pas le cas. En outre, d’après ce qui est actuellement public, HRA Pharma, contrairement à ce qui est annoncé, n’a pas déposé une demande de switch, mais a créé un partenariat avec Ibis Reproductive Health, une association, pour effectuer les recherches permettant de soumettre un dossier « d’ici quelques années ».

 

Un argument utilisé, juste après avoir parlé des USA, est que la délivrance sans ordonnance est une réalité dans de nombreux pays. La carte jointe montre qu’en réalité il s’agit, pour la plupart, de pays où la vente de médicament n’est globalement pas régulée, y compris pour des médicaments tels que des antibiotiques. A l’inverse, les pays où la prescription est nécessaire sont, globalement, les pays les plus développés et offrant le maximum de garanties aux patients/consommateurs/citoyens.

 

Dans la partie « Pourquoi seulement une pilule progestative », le texte fait référence uniquement aux œstroprogestatives de 3e et 4e génération qui sont annoncées comme « délicates à manier« .

(« Pour nous, ces pilules [de 3e et 4e génération] ont encore vocation à être prescrites par un médecin ou une sage-femme », pardon mais, les signataires de la lettre ouverte, vous signez vraiment cette phrase ???)

Il est étonnant de ne pas mentionner ici les œstroprogestatives de 2e génération, les seules qui devraient être prescrites dans l’immense majorité des cas, et dont les effets indésirables sont bien moindres. Mais les laboratoires défendent farouchement ces pilules 3G et 4G, beaucoup plus rentables.

 

La partie « Quels avantages à ne pas imposer une consultation » entretient une confusion entre un suivi gynécologique (« frottis ») et prescription de pilule, deux actes sans aucun rapport en réalité. Elle annonce que le suivi « vise à repérer certaines pathologies particulièrement rares ». Le cancer du col de l’utérus n’est, hélas, pas une pathologie rare. La HAS recommande un suivi entre 25 et 65 ans avec (en simplifiant) un frottis tous les trois ans. Ce texte, tel qu’il est rédigé, peut avoir un effet dissuasif sur un suivi nécessaire, tout en poussant à ne pas consulter pour une prescription de contraception (quelle qu’elle soit) en s’appuyant sur cette confusion. Il s’agit d’un procédé rhétorique à la fois malhonnête et dangereux.

 

 

Conclusion

 

Cette initiative semble partir d’une belle intention et, au premier abord, elle est séduisante. L’accès à la contraception reste problématique pour certaines femmes en France et tout ce qui peut contribuer à l’améliorer sera bienvenu. Le libre accès à une pilule constitue une piste. Parmi d’autres.

 

Plusieurs éléments font cependant que nous ne pouvons pas soutenir la lettre ouverte de Libérez ma pilule :

  • Le caractère positif de l’impact global en termes de santé publique de l’initiative, telle qu’elle est présentée ici, est incertain.
  • Automédication, autonomie des patients qui payent pour obtenir ce qu’ils souhaitent, cette initiative est d’inspiration plutôt libérale, teintée d’une vision consumériste de la médecine que nous ne partageons pas. Ce qui nous semble devoir primer est la discussion lors de la consultation ; la prescription pourrait être renouvelable dix ans au lieu d’un si c’est justifié médicalement.
  • Financièrement, cette initiative profitera surtout à l’industrie pharmaceutique qui, par l’intermédiaire de son syndicat, semble regretter que les prix des médicaments continuent à être régulés.
  • Le texte est ambigu sur ses objectifs, peu informatif, passe sous silence des éléments sans doute pour ne pas se restreindre (ailleurs que dans la phrase finale) aux pilules progestatives.
  • Certains promoteurs semblent en situation de conflit d’intérêts majeur non déclaré.

 

Nous croyons à la sincérité de la grande majorité des signataires de la lettre ouverte mais nous craignons qu’ils n’aient été enrôlés, à leur insu, dans une opération de marketing commercial. Et nous nous interrogeons sur la genèse de ce projet. De qui, précisément, provient l’initiative ? Qui a effectué le travail de recherche, rédigé ces textes et fourni la logistique ?

 

Peut-être faudrait-il lancer une initiative réellement citoyenne, claire sur ses objectifs (éventuellement avec deux étapes, progestatifs puis oestroprogestatifs ?), exposant clairement les bénéfices de chaque option, et très explicite sur ce qui est demandé pour une éventuelle AMM, par exemple avec une AMM remboursable à prescription facultative, donc à prix régulé.

La campagne associée pourrait mettre l’accent sur le découplage entre la prescription d’un contraceptif oral et un suivi gynécologique conforme aux recommandations officielles, ainsi que sur la diversité des acteurs disponibles pour ces deux actes et des solutions disponibles.

 

Au travail !

 

Borée & Hipparkhos

#PrivésDeMG

Médecine générale :

dernier arrêt avant le désert

 

Comment sauver la médecine générale en France et assurer des soins primaires de qualité répartis sur tout le territoire ?

Certains d’entre nous avaient fait en 2012, un certain nombre de propositions dans le cadre de l’opération #PrivésDeDéserts.

Marisol Touraine présente ce lundi sa Stratégie nationale de santé. Cet évènement constitue l’occasion de nous rappeler à son bon souvenir, rappel motivé par l’extraordinaire enthousiasme qui avait accompagné nos propositions (voir plus bas les 600 commentaires) dont aucune n’a été reprise par la Ministre.

Nos idées sont concrètes et réalistes pour assurer l’avenir de la médecine générale et au-delà, des soins primaires de demain.

Notre objectif est de concilier des soins de qualité, l’éthique de notre profession, et les impératifs budgétaires actuels.

Voici une synthèse de ces propositions.

Sortir du modèle centré sur l’Hôpital

Depuis des décennies, l’exercice de la médecine ambulatoire est marginalisé, privé d’enseignants, coupé des étudiants en médecine. La médecine hospitalière et salariée est devenue une norme pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus un exercice ambulatoire qu’ils n’ont jamais (ou si peu) rencontré pendant leurs études.

Cette anomalie explique en grande partie les difficultés actuelles. Si l’hôpital reste le lieu privilégié d’excellence, de recherche et de formation pour les soins hospitaliers, il ne peut revendiquer le monopole de la formation universitaire. La médecine générale, comme la médecine ambulatoire, doivent disposer d’unités de recherche et de formation universitaires spécifiques, là où nos métiers sont pratiqués, c’est-a-dire en ville et non à l’hôpital.

La formation universitaire actuelle, pratiquée quasi-exclusivement à l’hôpital, fabrique logiquement des hospitaliers. Pour sortir de ce cercle vicieux, il nous semble nécessaire de réformer profondément la formation initiale des étudiants en médecine.

Cette réforme aura un double effet :

– Rendre ses lettres de noblesse à la médecine « de ville » et attirer les étudiants vers ce mode d’exercice. Nous ne pouvons reprocher aux étudiants en médecine de ne pas choisir une spécialité qu’ils ne connaissent pas.

–  Apporter des effectifs importants de médecins immédiatement opérationnels dans les zones sous-médicalisées.

Il n’est pas question dans ces propositions de mesures coercitives aussi injustes qu’inapplicables contraignant de jeunes médecins à s’installer dans des secteurs déterminés par une tutelle sanitaire.

Toute mesure visant à obliger les jeunes médecins généralistes à s’installer en zone déficitaire aura un effet repoussoir majeur. Elle ne fera qu’accentuer la désaffection pour la médecine générale, poussant les jeunes générations vers des offres salariées (nombreuses), voire vers un exercice à l’étranger.

Une véritable modernisation de la formation des médecins est nécessaire. Il s’agit d’un rattrapage accéléré d’opportunités manquées depuis 50 ans par méconnaissance de la réalité du terrain. Si la réforme Debré de 1958 a créé les CHU (Centres Hospitaliers et Universitaires), elle a négligé la création de pôles universitaires d’excellence, de recherche et de formation en médecine générale. Ces pôles existent dans d’autres pays, réputés pour la qualité et le coût modéré de leur système de soins.

Idées-forces

Les principales propositions des médecins généralistes blogueurs sont résumées ci-dessous. Elles sont applicables rapidement.

  • Enseignement de la Médecine Générale par des Médecins Généralistes, dès le début des études médicales
  • Construction par les collectivités locales ou les ARS de 1000 maisons de santé pluridisciplinaires qui deviennent aussi des maisons médicales de garde pour la permanence des soins, en étroite collaboration avec les professionnels de santé locaux.
  • Décentralisation universitaire qui rééquilibre la ville par rapport à l’hôpital :

Ces maisons de santé se voient attribuer un statut universitaire. Elles hébergent des externes, des internes et des chefs de clinique (3000 créations de postes). Elles deviennent des MUSt : Maisons Universitaires de Santé qui constituent l’équivalent du CHU pour la médecine de ville.

  • Attractivité de ces MUSt pour les médecins seniors qui acceptent de s’y installer et d’y enseigner :

Statut d’enseignant universitaire avec rémunération spécifique fondée sur une part salariée majoritaire et une part proportionnelle à l’activité.

  • Création d’un nouveau métier de la santé : “Agent de gestion et d’interfaçage de MUSt” (AGI).

Ces agents polyvalents assurent la gestion de la MUSt, les rapports avec les ARS et l’Université, la facturation des actes et les tiers payants. De façon générale, les AGI gèrent toute l’activité administrative liée à la MUSt et à son activité de soin. Ce métier est distinct de celui de la secrétaire médicale de la MUSt. Les nouveaux postes d’AGI pourraient être pourvus grâce au reclassement des visiteurs médicaux qui le souhaiteraient, après l’interdiction de cette activité. Ces personnels trouveraient là un emploi plus utile et plus prestigieux que leur actuelle activité commerciale. Il s’agirait d’une solution humainement responsable. Il ne s’agit en aucun cas de jeter l’opprobre sur les personnes exerçant cette profession.

  • Les « chèques-emploi médecin »

Une solution innovante complémentaire à la création du métier d’AGI pourrait résider dans la création de « chèques-emploi » financés à parts égales par les médecins volontaires et par les caisses.

Il s’agit d’un moyen de paiement simplifié de prestataires de services (AGI, secrétaires, personnel d’entretien). Il libérerait des tâches administratives les médecins isolés qui y passent un temps considérable, sans les contraindre à se transformer en employeur, statut qui repousse beaucoup de jeunes médecins.

Nos propositions et nos visions de l’avenir de la Médecine Générale, postées simultanément par l’ensemble des 86 participants, sur nos blogs et comptes Twitter, le 23 septembre 2013, sont des idées simples, réalistes et réalisables, et n’induisent pas de surcoût excessif pour les budgets sociaux.

L’ensemble des besoins de financement sur 15 ans ne dépasse pas ceux du Plan Cancer ou du Plan Alzheimer ; il nous semble que la démographie médicale est un objectif sanitaire d’une importance tout à fait comparable à celle de la lutte contre ces deux maladies.

Ce ne sont pas des augmentations d’honoraires que nous demandons, mais des réallocations de moyens et de ressources pour rendre son attractivité à l’exercice libéral.

Les participants à l’opération (Noms ou Pseudos Twitter) :

1.     Docteurmilie 2.     Dzb17 3.     Armance64
4.     Matt_Calafiore 5.     Docmam 6.     Bruitdessabots
7.     Ddupagne 8.     Souristine 9.     Yem
10.   Farfadoc 11.   SylvainASK 12.   Docteur Sachs Jr
13.   Méd Gé de L’Ouest 14.   Docteur Gécé 15.   DrKalee
16.   DrTib 17.   Gélule, MD 18.   DocAste
19.   DocBulle 20.   Docteur Selmer 21.   Dr Stephane
22.   Alice Redsparrow 23.   Docteur_V 24.   Dr_Foulard
25.   Kalindéa 26.   DocShadok 27.   Dr_Tiben
28.   Bismuth Philippe 29.   PerrucheG 30.   BaptouB
31.   Juste un Peu Sorcier 32.   Elliot Reid-like 33.   MimiRyudo
34.   SacroStNectaire 35.   DrGuignol 36.   DrLebagage
37.   Loubet Dominique 38.   CaraGK 39.   DocArnica
40.   Jaddo 41.   Acudoc49 42.   AnSo1359
43.   DocEmma 44.   DrPoilAGratter 45.   GrangeBlanche
46.   Docteur Pénurie 47.   Borée 48.   10Lunes
49.   Echocardioblog 50.   OpenBlueEyes 51.   nfkb
52.   Totomathon 53.   SophieSF 54.   SuperGélule
55.   BicheMKDE 56.   Knackie 57.   DocCapuche
58.   John Snow 59.   Babeth_Auxi 60.   Jax
61.   Zigmund 62.   DocAdrénaline 63.   DrNeurone
64.   Cris et chuchotements 65.   YannSud 66.   Nounoups
67.   MademoiselleAA 68.   Boutonnologue 69.   Françoise Soros
70.   Une pédiatre 71.   Heidi Nurse 72.   NBLorine
73.   Stockholm 74.   Qffwffq 75.   LullaSF
76.   DocteurBobo 77.   Martin Minos 78.   DocGamelle
79.   Dr Glop 80.   Ninou 81.   Martin Winckler
82.   UrgenTic 83.   Tamimi2213 84.   Doc L
85.   DrLaeti 86.   LBeu

Blog
/ Facebook / Twitter (@PrivesDeMG)

Académique


« L’Académie [nationale de Médecine] est naturellement placée au centre d’un réseau de réflexion et d’échanges où sa mémoire, la somme de ses travaux et sa vigilance permanente sur les sujets d’actualité font d’elle un lieu privilégié de diagnostic et de pronostic dans le domaine de la santé publique.

Au cœur de l’évolution médicale, l’Académie est un observatoire et un réseau d’expertise privilégié.

Le financement de l’Académie provient du budget de l’Etat et de ses fonds propres.

Chaque semaine, communications scientifiques et revues générales permettent d’entendre des spécialistes venus de toute la France et même de l’étranger sur les sujets les plus divers dans l’actualité de la santé. »

Vénérable institution dont la mission est de nous éclairer « dans un domaine – la santé – de plus en plus large, complexe, polémique où sa pluridisciplinarité et son expertise sont devenues indispensables. »

Que dire de plus ?

De fait, l’Académie, même si elle est parfois un peu à côté de la plaque, sait également être assez novatrice et intéressante lorsqu’elle propose la création d’un statut de « lanceur d’alerte », ou lorsqu’elle prend position sur le plan de vaccination H1N1 avec pas trop de retard sur la blogosphère médicale.

Remarquable quand on voit l’âge des membres qui la composent.

Ils en ont d’ailleurs conscience eux-mêmes puisque, en 2002, ils faisaient le constat que leur moyenne d’âge était de 76 ans, et prenaient la décision d’augmenter le nombre des « membres correspondants » (les « juniors »).

Mission accomplie ?

Aujourd’hui, la moyenne d’âge des 145 membres titulaires est de 83 ans. Le La plus jeune a 63 ans. Le plus âgé… 106.

Quant aux fameux membres correspondants, au nombre de 95 sur le site de l’Académie, ils sont âgés de 49 à 98 ans. Leur moyenne d’âge est de 76 ans.

Et si ce n’était qu’une question d’âge. Il y a aussi celle de la représentation des sexes.

Les femmes membres titulaires ? Elles sont quatre. Bravo à elles ! Et quatre aussi parmi les membres correspondant.

Ce qui donne des choses tout de même assez amusantes…

Les membres de la Commission « Maternité, enfance, adolescence » sont 13. Moyenne d’âge : 82 ans.

Et qui pour s’occuper de votre santé Mesdames ? Douze hommes. Sympathique, non ?

Il y a tout de même une femme, soyons justes : le Dr Marie-Odile Réthoré. Et vous allez aimer sa biographie.

Membre de l’Académie Pontificale pour la Vie. Une autre Académie, fondée en 1994 par le pape Jean-Paul II en collaboration avec le Pr Jérôme Lejeune, découvreur de l’origine de la Trisomie 21, qui en fut le premier président et célèbre pour être l’icône des « pro-vie » français, violemment opposés au droit à l’avortement. Cette Académie publiait ainsi en avril 2000 un avis mentionnant que « l’illégalité absolue de procéder à des pratiques d’avortement subsiste également pour la diffusion, la prescription et l’absorption de la pilule du lendemain. »

Le Pr Réthoré est d’ailleurs toujours Directrice médicale de l’Institut Jérôme Lejeune, dédié à la prise en charge de la Trisomie 21 mais intimement lié à la Fondation Jérôme Lejeune qui se situe au coeur de la mouvance opposée au droit à l’avortement, à la recherche sur l’embryon ou à la fécondation in vitro.

C’est ainsi que l’on peut lire dans ce document destiné à la jeunesse, émanant de la Fondation que « l’avortement est une atteinte à la nature même de la femme qui est d’être mère », que « la contraception favorise des relations sexuelles avec des partenaires multiples, dans des relations instables, ce qui multiplie de fait les occasions de grossesse, non assumées », qu’« accepter l’avortement est contraire à la paix », que « ces manipulations (de fécondation in vitro) ne sont pas éthiques car elles dissocient la procréation de la sexualité et transforment les gamètes en matériau de laboratoire. » Et que, de toute façon, « les lois injustes ne sont pas des lois. » (ça ne vous rappelle rien cet argument dans l’actualité récente ?)

Voilà de quoi vous faire une petite idée au sujet de la seule membre féminine de cette commission dédiée à la Maternité, à l’enfance et à l’adolescence.

Alors, certes, cet exemple caricatural ne préjuge pas de la qualité de l’ensemble des membres de l’institution. On y trouve des personnalités remarquables telles que Yves Coppens, Jean-Louis Montastruc, le défunt Georges Charpak, et bien d’autres.

Mais, tout de même, plus encore que le Conseil de l’Ordre ou que les syndicats médicaux, n’y a-t-il pas à s’interroger sur la représentativité d’une telle institution ?

Alors que, depuis des années, la majorité des nouveaux médecins sont des femmes, comment justifier une telle omnipotence masculine ?

Il ne s’agit pas de crier harro sur les vieux. Mon ami Jacques Lucas me corrigerait avec raison : nous sommes tous des vieux en puissance. La sagesse des anciens est précieuse et il semble logique qu’une certaine expérience et maturité soient nécessaires pour participer aux débats.

Avoir donc des anciens au sein de nos instances, oui, bien sûr ! Mais n’avoir que des anciens ?

Comment s’étonner que les jeunes générations aient du mal à se reconnaître dans ces institutions et qu’elles remettent en cause leur représentativité ?

C’est d’ailleurs vrai dans la plupart des domaines, bien au-delà du champ de la médecine, il en va ainsi de notre système politique au premier chef : la France se distingue par sa gérontocratie.

Difficile d’y voir des promesses d’avenir et un signe de dynamisme.

P.S. Malgré quelques recherches, je n’ai pas réussi à trouver les statuts de l’Académie de Médecine (contrairement à ceux de l’Académie de Chirurgie, qui paraît sensiblement plus jeune), ni le montant des subventions allouées chaque année par les pouvoirs publics.
Je n’ai pas trouvé non plus combien de généralistes siégeaient sur ces bancs. Mon petit doigt me dit qu’ils ne doivent pas être nombreux.
P.P.S. Merci à ma copine Stockholm d’avoir repéré l’anomalie sur la Commission Maternité et enfance et de m’avoir laissé le plaisir et l’honneur d’en faire un billet. Si ne vous connaissez pas son blog, allez y faire un tour, c’est remarquable de culture et d’intelligence. Une vraie féministe comme je les aime et, le croirez-vous, elle est chirurgienne !

Edition du 25/06 à 21h

Merci à Vincent Granier qui a retrouvé les statuts de l’Académie. C’est assez incroyable, je vous laisse aller voir. 😀

Médecine Générale 2.0

Le texte qui vous est présenté ici est issu d’une démarche collective.

Un ensemble de médecins « connectés », jeunes pour la plupart mais pas exclusivement, a souhaité prendre part au débat en cours sur l’avenir de la Médecine générale en France et formuler des propositions pour lutter contre les problèmes de désertification médicale.

Les signataires sont, symboliquement, les 24 médecins généralistes blogueurs (1) qui publient simultanément ces propositions sur leurs blogs respectifs. Cependant, la réflexion a associé des médecins issus d’autres spécialités ainsi que des jeunes confrères actifs sur le réseau Twitter.

Lorsque vous aurez lu ce texte (éventuellement dans sa version PDF), le débat et les remarques seront les bienvenus ici ou bien sur n’importe lequel de nos 24 blogs. Par ailleurs, si vous partagez nos positions, nous avons choisi de centraliser les soutiens au bas de la version du texte publiée sur Atoute.

***

Médecine générale 2.0

Les propositions des médecins généralistes blogueurs

pour faire renaître la médecine générale

Comment sauver la médecine générale en France et assurer des soins primaires de qualité répartis sur le territoire ? Chacun semble avoir un avis sur ce sujet, d’autant plus tranché qu’il est éloigné des réalités du terrain.

Nous, médecins généralistes blogueurs, acteurs d’un « monde de la santé 2.0 », nous nous reconnaissons mal dans les positions émanant des diverses structures officielles qui, bien souvent, se contentent de défendre leur pré carré et s’arc-boutent sur les ordres établis.

À l’heure où les discussions concernant l’avenir de la médecine générale font la une des médias, nous avons souhaité prendre position et constituer une force de proposition.

Conscients des enjeux et des impératifs qui sont devant nous, héritages d’erreurs passées, nous ne souhaitons pas nous dérober à nos responsabilités. Pas plus que nous ne souhaitons laisser le monopole de la parole à d’autres.

Notre ambition est de délivrer à nos patients des soins primaires de qualité, dans le respect de l’éthique qui doit guider notre exercice, et au meilleur coût pour les budgets sociaux. Nous souhaitons faire du bon travail, continuer à aimer notre métier, et surtout le faire aimer aux générations futures de médecins pour lui permettre de perdurer.

Nous pensons que c’est possible.

Sortir du modèle centré sur l’hôpital

La réforme de 1958 a lancé l’hôpital universitaire moderne. C’était une bonne chose qui a permis à la médecine française d’atteindre l’excellence, reconnue internationalement.

Pour autant, l’exercice libéral s’est trouvé marginalisé, privé d’enseignants, coupé des étudiants en médecine. En 50 ans, l’idée que l’hôpital doit être le lieu quasi unique de l’enseignement médical s’est ancrée dans les esprits. Les universitaires en poste actuellement n’ont pas connu d’autre environnement.

L’exercice hospitalier et salarié est ainsi devenu une norme, un modèle unique pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus un exercice libéral qu’ils n’ont jamais rencontré pendant leurs études.

C’est une profonde anomalie qui explique en grande partie nos difficultés actuelles.

Cet hospitalo-centrisme a eu d’autres conséquences dramatiques :

  • Les médecins généralistes (MG) n’étant pas présents à l’hôpital n’ont eu accès que tout récemment et très partiellement à la formation des étudiants destinés à leur succéder.
  • Les budgets universitaires dédiés à la MG sont ridicules en regard des effectifs à former.
  • Lors des négociations conventionnelles successives depuis 1989, les spécialistes formés à l’hôpital ont obtenu l’accès exclusif aux dépassements d’honoraires créés en 1980, au détriment des généralistes contraints de se contenter d’honoraires conventionnels bloqués.

Pour casser cette dynamique mortifère pour la médecine générale, il nous semble nécessaire de réformer profondément la formation initiale des étudiants en médecine.

Cette réforme aura un double effet :

  • Rendre ses lettres de noblesse à la médecine « de ville » et attirer les étudiants vers ce mode d’exercice.
  • Apporter des effectifs importants de médecins immédiatement opérationnels dans les zones sous-médicalisées.

Il n’est pas question dans ces propositions de mesures coercitives aussi injustes qu’inapplicables contraignant de jeunes médecins à s’installer dans des secteurs déterminés par une tutelle sanitaire.

Nous faisons l’analyse que toute mesure visant à obliger les jeunes MG à s’installer en zone déficitaire aurait un effet majeur de repoussoir. Elle ne ferait qu’accentuer la désaffection pour la médecine générale, poussant les jeunes générations vers des offres salariées (nombreuses), voire vers un exercice à l’étranger.

C’est au contraire une véritable réflexion sur l’avenir de notre système de santé solidaire que nous souhaitons mener. Il s’agit d’un rattrapage accéléré d’erreurs considérables commises avec la complicité passive de confrères plus âgés, dont certains voudraient désormais en faire payer le prix aux jeunes générations.

Idées-forces

Les idées qui sous-tendent notre proposition sont résumées ci-dessous, elles seront détaillées ensuite.

Elles sont applicables rapidement.

1) Construction par les collectivités locales ou les ARS de 1000 maisons de santé pluridisciplinaires qui deviennent aussi des maisons médicales de garde pour la permanence des soins, en étroite collaboration avec les professionnels de santé locaux.

2) Décentralisation universitaire qui rééquilibre la ville par rapport à l’hôpital : les MSP se voient attribuer un statut universitaire et hébergent des externes, des internes et des chefs de clinique. Elles deviennent des MUSt : Maisons Universitaires de Santé qui constituent l’équivalent du CHU pour la médecine de ville.

3) Attractivité de ces MUSt pour les médecins seniors qui acceptent de s’y installer et d’y enseigner : statut d’enseignant universitaire avec rémunération spécifique fondée sur une part salariée majoritaire et une part proportionnelle à l’activité.

4) Création d’un nouveau métier de la santé : « Agent de gestion et d’interfaçage de MUSt » (AGI). Ces agents polyvalents assurent la gestion de la MUSt, les rapports avec les ARS et l’Université, la facturation des actes et les tiers payants. De façon générale, les AGI gèrent toute l’activité administrative liée à la MUSt et à son activité de soin. Ce métier est distinct de celui de la secrétaire médicale de la MUSt.

1) 1000 Maisons Universitaires de Santé

Le chiffre paraît énorme, et pourtant… Dans le cadre d’un appel d’offres national, le coût unitaire d’une MUSt ne dépassera pas le million d’euros (1000  m2. Coût 900 €/m2).

Le foncier sera fourni gratuitement par les communes ou les intercommunalités mises en compétition pour recevoir la MUSt. Il leur sera d’ailleurs demandé en sus de fournir des logements à prix très réduit pour les étudiants en stage dans la MUSt. Certains centres de santé municipaux déficitaires pourront être convertis en MUSt.

Au final, la construction de ces 1000 MUSt ne devrait pas coûter plus cher que la vaccination antigrippale de 2009 ou 5 ans de prescriptions de médicaments (inutiles) contre la maladie d’Alzheimer. C’est donc possible, pour ne pas dire facile.

Une MUSt est appelée à recevoir des médecins généralistes et des paramédicaux. La surface non utilisée par l’activité de soin universitaire peut être louée à d’autres professions de santé qui ne font pas partie administrativement de la MUSt (autres médecins spécialistes, dentiste, laboratoire d’analyse, cabinet de radiologie…). Ces MUSt deviennent de véritables pôles de santé urbains et ruraux.

Le concept de MUSt fait déjà l’objet d’expérimentations, dans le 94 notamment, il n’a donc rien d’utopique.

2) L’université dans la ville

Le personnel médical qui fera fonctionner ces MUSt sera constitué en grande partie d’internes et de médecins en post-internat :

  • Des internes en médecine générale pour deux de leurs semestres qu’ils passaient jusqu’ici à l’hôpital. Leur cursus comportera donc en tout 2 semestres en MUSt, 1 semestre chez le praticien et 3 semestres hospitaliers. Ils seront rémunérés par l’ARS, subrogée dans le paiement des honoraires facturés aux patients qui permettront de couvrir une partie de leur rémunération. Le coût global de ces internes pour les ARS sera donc très inférieur à leur coût hospitalier du fait des honoraires perçus.
  • De chefs de clinique universitaire de médecine générale (CCUMG), postes à créer en nombre pour rattraper le retard pris sur les autres spécialités. Le plus simple est d’attribuer proportionnellement à la médecine générale autant de postes de CCU ou assimilés qu’aux autres spécialités (un poste pour deux internes), soit un minimum de 3000 postes (1500 postes renouvelés chaque année). La durée de ce clinicat est de deux ans, ce qui garantira la présence d’au moins deux CCUMG par MUSt. Comme les autres chefs de clinique, ces CCUMG sont rémunérés à la fois par l’éducation nationale (part enseignante) et par l’ARS, qui reçoit en retour les honoraires liés aux soins délivrés. Ils bénéficient des mêmes rémunérations moyennes, prérogatives et avantages que les CCU hospitaliers.

Il pourrait être souhaitable que leur revenu comprenne une base salariée majoritaire, mais aussi une part variable dépendant de l’activité (par exemple, 20 % du montant des actes pratiqués) comme cela se pratique dans de nombreux dispensaires avec un impact significatif sur la productivité des consultants.

  • Des externes pour leur premier stage de DCEM3, tel que prévu par les textes et non appliqué faute de structure d’accueil. Leur modeste rémunération sera versée par l’ARS. Ils ne peuvent pas facturer d’actes, mais participent à l’activité et à la productivité des internes et des CCUMG.
  • De médecins seniors au statut mixte : les MG libéro-universitaires. Ils ont le choix d’être rémunérés par l’ARS, subrogée dans la perception de leurs honoraires (avec une part variable liée à l’activité) ou de fonctionner comme des libéraux exclusifs pour leur activité de soin. Une deuxième rémunération universitaire s’ajoute à la précédente, liée à leur fonction d’encadrement et d’enseignement. Du fait de l’importance de la présence de ces CCUMG pour lutter contre les déserts médicaux, leur rémunération universitaire pourra être financée par des budgets extérieurs à l’éducation nationale ou par des compensations entre ministères.

Au-delà de la nouveauté que représentent les MUSt, il nous paraît nécessaire, sur le long terme, de repenser l’organisation du cursus des études médicales sur un plan géographique en favorisant au maximum la décentralisation hors CHU, aussi bien des stages que des enseignements.

En effet, comment ne pas comprendre qu’un jeune médecin qui a passé une dizaine d’années dans sa ville de faculté et y a construit une vie familiale et amicale ne souhaite bien souvent y rester ?

Une telle organisation existe déjà, par exemple, pour les écoles infirmières, garantissant une couverture assez harmonieuse de tout le territoire par cette profession, et les nouvelles technologies permettent d’ores et déjà, de manière simple et peu onéreuse, cette décentralisation pour tous les enseignements théoriques.

3) Incitation plutôt que coercition : des salaires aux enchères

Le choix de la MUSt pour le bref stage de ville obligatoire des DCEM3 se fait par ordre alphabétique avec tirage au sort du premier à choisir, c’est la seule affectation qui présente une composante coercitive.

Le choix de la MUSt pour les chefs de clinique et les internes se pratique sur le principe de l’enchère : au salaire de base égal au SMIC est ajouté une prime annuelle qui sert de régulateur de choix : la prime augmente à partir de zéro jusqu’à ce qu’un(e) candidat(e) se manifeste. Pour les MUSt « difficiles », la prime peut atteindre un montant important, car elle n’est pas limitée. Par rapport à la rémunération actuelle d’un CCU (45 000 €/an), nous faisons le pari que la rémunération globale moyenne n’excédera pas ce montant.

En cas de candidats multiples pour une prime à zéro (et donc une rémunération de base au SMIC pour les MUSt les plus attractives) un tirage au sort départage les candidats.

Ce système un peu complexe présente l’énorme avantage de ne créer aucune frustration puisque chacun choisit son poste en mettant en balance la pénibilité et la rémunération.

De plus, il permet d’avoir la garantie que tous les postes seront pourvus.

Ce n’est jamais que la reproduction du fonctionnement habituel du marché du travail : l’employeur augmente le salaire pour un poste donné jusqu’à trouver un candidat ayant le profil requis et acceptant la rémunération. La différence est qu’il s’agit là de fonctions temporaires (6 mois pour les internes, 2 ans pour les chefs de clinique) justifiant d’intégrer cette rémunération variable sous forme de prime.

Avec un tel dispositif, ce sont 6 000 médecins généralistes qui seront disponibles en permanence dans les zones sous-médicalisées : 3000 CCUMG et 3000 internes de médecine générale.

4) Un nouveau métier de la santé : AGI de MUSt

Les MUSt fonctionnent bien sûr avec une ou deux secrétaires médicales suivant leur effectif médical et paramédical.

Mais la nouveauté que nous proposons est la création d’un nouveau métier : Agent de Gestion et d’Interfaçage (AGI) de MUSt. Il s’agit d’un condensé des fonctions remplies à l’hôpital par les agents administratifs et les cadres de santé hospitaliers.

C’est une véritable fonction de cadre supérieur de santé qui comporte les missions suivantes au sein de la MUSt :

  • Gestion administrative et technique (achats, coordination des dépenses…).
  • Gestion des ressources humaines.
  • Interfaçage avec les tutelles universitaires
  • Interfaçage avec l’ARS, la mairie et le Conseil Régional
  • Gestion des locaux loués à d’autres professionnels.

Si cette nouvelle fonction se développe initialement au sein des MUSt, il sera possible ensuite de la généraliser aux cabinets de groupes ou maisons de santé non universitaires, et de proposer des solutions mutualisées pour tous les médecins qui le souhaiteront.

Cette délégation de tâches administratives est en effet indispensable afin de permettre aux MG de se concentrer sur leurs tâches réellement médicales : là où un généraliste anglais embauche en moyenne 2,5 équivalents temps plein, le généraliste français en est à une ½ secrétaire ; et encore, ce gain qualitatif représente-t-il parfois un réel sacrifice financier.

Directement ou indirectement, il s’agit donc de nous donner les moyens de travailler correctement sans nous disperser dans des tâches administratives ou de secrétariat.

Une formule innovante : les « chèques-emploi médecin »

Une solution complémentaire à l’AGI pourrait résider dans la création de « chèques-emploi » financés à parts égales par les médecins volontaires et par les caisses.

(À titre d’exemple, pour 100 patients enregistrés, la caisse abonderait l’équivalent de 2 ou 2,5 heures d’emploi hebdomadaires et le médecin aurait la possibilité de prendre ces « tickets » en payant une somme équivalente (pour arriver à un temps plein sur une patientèle type de 800 patients).)

Il s’agit d’un moyen de paiement simplifié de prestataires de services (AGI, secrétaires, personnel d’entretien) employés par les cabinets de médecins libéraux, équivalent du chèque-emploi pour les familles.

Il libérerait des tâches administratives les médecins isolés qui y passent un temps considérable, sans les contraindre à se transformer en employeur, statut qui repousse beaucoup de jeunes médecins.

Cette solution stimulerait l’emploi dans les déserts médicaux et pourrait donc bénéficier de subventions spécifiques. Le chèque-emploi servirait ainsi directement à une amélioration qualitative des soins et à dégager du temps médical pour mieux servir la population.

Il est beaucoup question de « délégation de tâche » actuellement. Or ce ne sont pas les soins aux patients que les médecins souhaitent déléguer pour améliorer leur disponibilité : ce sont les contraintes administratives !

Former des agents administratifs est bien plus simple et rapide que de former des infirmières, professionnelles de santé qualifiées qui sont tout aussi nécessaires et débordées que les médecins dans les déserts médicaux.

Aspects financiers : un budget très raisonnable

Nous avons vu que la construction de 1000 MUSt coûtera moins cher que 5 ans de médicaments anti-Alzheimer ou qu’une vaccination antigrippale comme celle engagée contre la pandémie de 2009.

Les internes étaient rémunérés par l’hôpital, ils le seront par l’ARS. Les honoraires générés par leur activité de soin devraient compenser les frais que l’hôpital devra engager pour les remplacer par des FFI, permettant une opération neutre sur le plan financier, comme ce sera le cas pour les externes.

La rémunération des chefs de clinique constitue un coût supplémentaire, à la mesure de l’enjeu de cette réforme. Il s’agit d’un simple rattrapage du retard pris dans les nominations de CCUMG chez les MG par rapport aux autres spécialités. De plus, la production d’honoraires par les CCUMG compensera en partie leurs coûts salariaux. La dépense universitaire pour ces 3000 postes est de l’ordre de 100 millions d’euros par an, soit 0,06 % des dépenses de santé françaises. À titre de comparaison, le plan Alzheimer 2008-2012 a été doté d’un budget de 1,6 milliard d’euros. Il nous semble que le retour des médecins dans les campagnes est un objectif sanitaire, qui justifie lui aussi un « Plan » et non des mesures hâtives dépourvues de vision à long terme.

N’oublions pas non plus qu’une médecine de qualité dans un environnement universitaire est réputée moins coûteuse, notamment en prescriptions médicamenteuses. Or, un médecin « coûte » à l’assurance-maladie le double de ses honoraires en médicaments. Si ces CCUMG prescrivent ne serait-ce que 20 % moins que la moyenne des  autres prescripteurs, c’est 40 % de leur salaire qui est économisé par l’assurance-maladie.

Les secrétaires médicales seront rémunérées en partie par la masse d’honoraires générée, y compris par les « libéro-universitaires », en partie par la commune ou l’intercommunalité candidate à l’implantation d’une MUSt.

Le reclassement des visiteurs médicaux

Le poste d’Agent de Gestion et d’Interfaçage (AGI) de MUSt constitue le seul budget significatif créé par cette réforme. Nous avons une proposition originale à ce sujet. Il existe actuellement en France plusieurs milliers de visiteurs médicaux assurant la promotion des médicaments auprès des prescripteurs. Nous savons que cette promotion est responsable de surcoûts importants pour l’assurance-maladie. Une solution originale consisterait à interdire cette activité promotionnelle et à utiliser ce vivier de ressources humaines libérées pour créer les AGI.

En effet, le devenir de ces personnels constitue l’un des freins majeurs opposés à la suppression de la visite médicale. Objection recevable ne serait-ce que sur le plan humain. Ces personnels sont déjà répartis sur le territoire, connaissent bien l’exercice médical et les médecins. Une formation supplémentaire de un an leur permettrait d’exercer cette nouvelle fonction plus prestigieuse que leur ancienne activité commerciale.

Dans la mesure où leurs salaires (industriels) étaient forcément inférieurs aux prescriptions induites par leurs passages répétés chez les médecins, il n’est pas absurde de penser que l’économie induite pour l’assurance-maladie et les mutuelles sera supérieure au coût global de ces nouveaux agents administratifs de ville.

Il s’agirait donc d’une solution réaliste, humainement responsable et économiquement neutre pour l’assurance maladie.

Globalement, cette réforme est donc peu coûteuse. Nous pensons qu’elle pourrait même générer une économie globale, tout en apportant plusieurs milliers de soignants immédiatement opérationnels là où le besoin en est le plus criant.

De toute façon, les autres mesures envisagées sont soit plus coûteuses (fonctionnarisation des médecins libéraux) soit irréalisables (implanter durablement des jeunes médecins là où il n’y a plus d’école, de poste, ni de commerces). Ce n’est certainement pas en maltraitant davantage une profession déjà extraordinairement fragilisée qu’il sera possible d’inverser les tendances actuelles.

Calendrier

La réforme doit être mise en place avec « agilité ». Le principe sera testé dans des MUSt expérimentales et modifié en fonction des difficultés rencontrées. L’objectif est une généralisation en 3 ans.

Ce délai permettra aux étudiants de savoir où ils s’engagent lors de leur choix de spécialité. Il permettra également de recruter et former les maîtres de stage libéro-universitaires ; il permettra enfin aux ex-visiteurs médicaux de se former à leurs nouvelles fonctions.

Et quoi d’autre ?

Dans ce document, déjà bien long, nous avons souhaité cibler des propositions simples et originales. Nous n’avons pas voulu l’alourdir en reprenant de nombreuses autres propositions déjà exprimées ailleurs ou qui nous paraissent dorénavant des évidences, par exemple :

  • L’indépendance de notre formation initiale et continue vis-a-vis de l’industrie pharmaceutique ou de tout autre intérêt particulier.
  • La nécessité d’assurer une protection sociale satisfaisante des médecins (maternité, accidents du travail…).
  • La nécessaire diversification des modes de rémunération.

Si nous ne rejetons pas forcément le principe du paiement à l’acte – qui a ses propres avantages –, il ne nous semble plus pouvoir constituer le seul socle de notre rémunération. Il s’agit donc de :

— Augmenter la part de revenus forfaitaires, actuellement marginale.

— Ouvrir la possibilité de systèmes de rémunération mixtes associant capitation et paiement à l’acte ou salariat et paiement à l’acte.

— Surtout, inventer un cadre flexible, car nous pensons qu’il devrait être possible d’exercer la « médecine de famille » ambulatoire en choisissant son mode de rémunération.

  • La fin de la logique mortifère de la rémunération à la performance fondée sur d’hypothétiques critères « objectifs », constat déjà fait par d’autres pays qui ont tenté ces expériences. En revanche, il est possible d’inventer une évaluation qualitative intelligente à condition de faire preuve de courage et d’imagination.
  • La nécessité de viser globalement une revalorisation des revenus des généralistes français qui sont aujourd’hui au bas de l’échelle des revenus parmi les médecins français, mais aussi en comparaison des autres médecins généralistes européens.

D’autres pays l’ont compris : lorsque les généralistes sont mieux rémunérés et ont les moyens de travailler convenablement, les dépenses globales de santé baissent !

Riche de notre diversité d’âges, d’origines géographiques ou de mode d’exercice, et partageant pourtant la même vision des fondamentaux de notre métier, notre communauté informelle est prête à prendre part aux débats à venir.

Dotés de nos propres outils de communication (blogs, forums, listes de diffusion et d’échanges, réseaux sociaux), nous ambitionnons de contribuer à la fondation d’une médecine générale 2.0.

(1)

AliceRedSparrowBorée – Bruit des sabots – Christian Lehmann – Doc Maman – Doc Souristine – Doc Bulle – Docteur Milie – Docteur V – Dominique Dupagne – Dr Couine – Dr Foulard – Dr Sachs Jr – Dr Stéphane – Dzb17 – Euphraise – Farfadoc – Fluorette – Gélule – Genou des Alpages – Granadille – Jaddo – Matthieu Calafiore – Yem

 ***

Post-scriptum du 04/09

Au lendemain du buzz qu’a suscité la publication de ce texte, Dominique Dupagne fait une brève et utile mise au point « #PrivésDeDéserts Le buzz, et après ? ».

Rameur certifié

Il y a quelque temps, j’ai participé à un séminaire sur la formation des internes qui viennent en stage dans nos cabinets (enfin… quand ils viennent parce que j’ai beau avoir le cabinet le plus génial de France, je suis loin de la Fac et ils ont apparemment un peu de mal à trouver le chemin.)

C’était intéressant.

On a eu de chouettes exposés par des pros de l’encadrement des étudiants. On a fait des mises en situation avec jeux de rôles. On nous a donné de très utiles outils pour nous guider dans notre mission de maîtres de stages.

Il y avait en particulier une grille en 25 points pour suivre le déroulé de la consultation lorsque l’on observe l’interne faire. C’est vraiment intéressant, car ça permet de formaliser les choses, de ne pas totalement oublier tel ou tel aspect même si, bien sûr, le but n’est pas de compléter les 25 points à chaque consultation.

Bon, il y a bien eu quelques éléments qui m’ont un peu chiffonné, je n’ai pas pu m’empêcher de l’ouvrir, mais ce n’était que des détails.

Jusqu’à la dernière session.

Celle où l’on nous a expliqué que cette grille en 25 points n’était pas qu’un outil pédagogique, mais qu’elle pourrait aussi servir pour la « certification » des internes.

Car, en effet, désormais les internes devront être « certifiés ». Les copains, professeurs de Médecine générale qui exposaient ces projets avaient des airs enthousiastes. D’ailleurs, tout ceci s’inscrit dans un grand mouvement « d’uniformisation » de la formation et de notre métier grâce, par exemple, à notre tout nouveau « référentiel métier ».

Moi, quand j’entends « uniformisation », j’entends d’abord « uniforme ».

Je me demande, dans cette logique, quelle est la place des électrons libres, des défricheurs, des empêcheurs de tourner en rond. Est-ce que je pourrais écrire ma « trilogie gynécologique » si je me pliais à l’uniformisation ? Est-ce que Dominique Dupagne aurait pu diffuser sa petite vidéo au sujet des PSA des années avant que les médias et les autorités ne se décident à ouvrir les yeux ?

Dominique Dupagne, justement.

Ça tombait bien, lors de ce séminaire, je commençais tout juste la lecture de son livre La Revanche du rameur.

Ça tombait mal, je n’en avais lu que cinquante pages.

Je sentais que quelque chose clochait dans ce qu’on nous exposait. Mais j’avais du mal à le mettre en mots et je manquais d’arguments.

Je sais bien que la situation actuelle n’est pas très satisfaisante. Tant chez les médecins installés que parmi les internes nouvellement formés, il y a des individus incompétents ou même dangereux. Ce n’est pas faute d’avoir dénoncé les méfaits du Dr Moustache.

Mais est-ce qu’il faut vraiment commencer à nous mettre dans des cases pour faire le tri ? Est-ce qu’il y a besoin d’avoir « juste » à 15 points sur 25 pour être un bon médecin ? Alors qu’en fait, lorsque j’étais étudiant, tout le monde savait qui étaient les quelques cas à problèmes, ceux qui étaient trop à côté de la plaque, mais qui, malgré tout, finissaient par valider leurs années parce que le système est ainsi fait qu’une fois la première année passée, plus rien n’empêche d’aller jusqu’au bout et parce que les profs finissent toujours par valider les stages, ne serait-ce que pour se débarrasser des cas à problèmes et les refiler au copain du service d’à côté.

De même, lorsque je discute avec des confrères actuellement, nous savons parfaitement qui sont les honnêtes médecins, qui sont les véreux, les incompétents ou les alcooliques. Nous n’avons pas besoin de grilles de certification pour ça.

Et puis, c’est bien connu, parmi les incompétents et les salauds, beaucoup restent très doués pour rentrer dans les cases et simplement contourner ces nouveaux obstacles.

Par ailleurs, n’y a-t-il pas un contresens terrible à vouloir utiliser un outil pédagogique pour le transformer en outil d’évaluation ? N’est-ce pas confondre la fin et les moyens ? Si le chemin devient lui-même le but à atteindre, on a vite fait de tourner en rond.

Après coup, je me suis dit qu’il était bien dommage de ne pas avoir terminé cette lecture avant ce séminaire. J’aurais eu davantage de billes.

Mais est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Pétris de bonnes intentions, convaincus de bien faire et d’aller dans la bonne direction, celle d’une « démarche qualité », ces responsables de l’enseignement de la Médecine générale pouvaient-ils entendre quelque chose ? Pouvaient-ils entendre que si nous voulions vraiment défendre notre discipline, nos confrères et, au-delà, nos patients, il y a sûrement mieux à faire que de singer le système hospitalo-universitaire ? Ou, ce qui est peut-être pire, s’inspirer des « démarches managériales » pour inventer de nouvelles usines à gaz qui se voudraient modernes, mais qui sont déjà terriblement archaïques ?

Je n’ai pas toujours été d’accord avec Dominique, mais la lecture de son ouvrage m’a largement convaincu.

Convaincu par exemple, qu’il n’était pas nécessaire de vouloir nous enfermer dans des grilles pour nous certifier, que l’intelligence collective pouvait avantageusement remplir cette fonction. À condition d’accepter de revoir largement nos systèmes de pensées, de remettre en cause nos dogmes et nos classiques hiérarchies.

À condition d’avoir du courage. Et de se battre pour avancer.

Les conseilleurs et les payeurs

Bon. Mon ami Dominique Dupagne s’est fendu, comme pour le CAPI, d’une nouvelle affiche pour dénoncer l’intégration d’une « Prime à la performance » dans la nouvelle convention des Syndicats médicaux.

Bien sûr, lorsque j’ai découvert cette affiche, j’ai un peu grincé des dents. Cette manière angélique de présenter les médecins qui refuseraient cette nouvelle disposition mène forcément à présenter en négatif ceux qui l’accepteraient.

Parler de « commissionnement » est peut-être juste sur le plan étymologique, mais c’est un peu comme si je parlais de rémunération « à la passe » pour le système actuel. Pas très élégant.

Bref, je m’étais dit que je n’allais pas refaire le débat du CAPI puisque, pour l’essentiel, les arguments et contre-arguments sont les mêmes.

Je pensais qu’on allait rester sur une belle déclaration de principe.

Quoi qu’on en pense, ceux qui refuseront la rémunération à la performance seront extrêmement minoritaires. D’une part, parce que l’acceptation est tacite et que c’est la renonciation qui demande une démarche volontaire. D’autre part, parce que cette renonciation représenterait un gros sacrifice financier pour beaucoup de médecins (et, j’en suis sûr, en particulier pour ceux qui pourraient se retrouver dans les arguments de Dominique Dupagne ou du SMG).

Je pensais donc, qu’on allait en rester à un de ces coups de gueule, le plus souvent salutaires, auxquels Dominique nous a habitués.

Et, finalement, je me retrouve à écrire ce billet et à endosser, parce qu’il en faut bien un, le mauvais rôle pour m’opposer à ceux qui aspirent à la béatification.

Car je viens de découvrir, un peu stupéfait, que deux jeunes consoeurs, pour qui j’ai amitié et estime, ont vraiment cru à ce combat et s’apprêtaient à faire leur lettre de renonciation.

Comme si ça allait changer quoi que ce soit pour les caisses.

Comme si les quelques âmes pures et admirables (sans ironie) et autres militants chevronnés allaient faire changer la convention signée entre l’assureur maladie et des syndicats médicaux ultra-majoritaires.

Je ne vais même pas parler du bien fondé ou non de cette rémunération à la performance. Mes arguments ne sont pas fondamentalement différents de ceux portant sur le CAPI.

Je n’ai (plus) aucune tendresse ni aucune naïveté vis-a-vis des Caisses maladies. J’ai pu expérimenter personnellement combien leurs statistiques pouvaient, à l’occasion, être fantaisistes, combien les critères choisis pouvaient, pour certains, être discutables, combien les médecins étaient mal armés pour se défendre, pots de terre contre marmite de fer.

Je n’en ai pas davantage vis-a-vis des syndicats médicaux dits représentatifs. Syndicats qui sont marqués, à des degrés divers, par un épouvantable conservatisme et une absence dramatique de capacités d’imagination, sans même parler de l’orientation politique de certains d’entre eux qui me révulse.

Mais ce sont aussi les principes de la démocratie. Je suis syndiqué, je vote à toutes les élections professionnelles, mais ensuite j’accepte d’être minoritaire.

Cette nouvelle convention, contrairement au CAPI, elle a été négociée entre nos syndicats « représentatifs » et l’Assurance maladie.

Il est totalement illusoire d’imaginer qu’on va la faire changer. C’est elle qui constituera dorénavant notre cadre professionnel.

Et il faut quand même souligner que cette nouvelle prime va constituer une importante avancée financière pour les généralistes alors que nous sommes habitués, depuis vingt ans, à péniblement quémander des revalorisations de 5 F ou d’1 € qui mettent des années à venir. Nous n’avons pas à nous excuser de cette revalorisation. A moins d’être des ça-fait-rien, la seule comparaison avec les pays étrangers pourrait suffire à clore le débat.

Il n’y aura pas, à court ou moyen terme, d’autre revalorisation que cette nouvelle prime et y renoncer représente donc un gros sacrifice.

(Pour parler en toute transparence, le montant de cette prime pourrait s’échelonner de zéro, si on s’acharne vraiment à travailler comme le Docteur Moustache, à 7 ou 8 000 euros pour un médecin dans mon genre. Et je rappelle que c’est une somme brute, et non pas du net qui tombe dans notre poche.)

Reste donc la seule question qui vaille : accepter cette prime constitue-t-il une telle atteinte à ma déontologie qu’il mérite que je renonce à ces x milles euros ?

On peut estimer que oui, et je le respecte.

J’aurais cependant tendance à penser que notre déontologie subit bien d’autres menaces probablement plus inquiétantes (parmi lesquelles le principe même du paiement à l’acte qui est, en soi, un sacré conflit d’intérêts). Mais, admettons.

Ce que je sais, c’est que n’iront au bout de cette démarche que quelques militants acharnés pour lesquels j’ai la plus sincère amitié et admiration, et ceux qui, installés depuis longtemps ou travaillant en secteur 2 avec dépassements d’honoraires, auront les reins financiers assez solides pour passer ce sacrifice par pertes et profits. Bravo à eux d’aller ainsi au bout de leurs convictions. Tant mieux pour eux d’avoir les moyens de se le permettre.

Ce seront là des démarches individuelles, personnelles. Comme pourrait l’être le fait de percevoir cette prime pour la reverser à MSF ou à la Cimade.

Faire croire que ça puisse déboucher sur un mouvement collectif qui ferait changer les choses est une escroquerie.

C’est pourquoi je trouve quand même un peu scandaleux qu’en se donnant ainsi en exemple et en prenant une telle posture, ils entraînent de jeunes confrères, justement parmi les plus sincères et les plus engagés, dans cette lutte de principe, perdue d’avance.

Car ceux-là n’ont certainement pas les réserves financières pour pouvoir se permettre un tel sacrifice.

Et quand je parle de sacrifice, je ne parle pas forcément de renoncer à acheter « des sacs à main ou des playmobils » mais, par exemple, d’investir dans leur matériel et l’aménagement de leur cabinet afin d’offrir les meilleures conditions d’accueil à leurs patients. Ou bien encore de pouvoir embaucher une secrétaire. Et de la rémunérer correctement.

Culpabiliser de jeunes médecins sincères et dévoués en les invitant à se pénaliser aussi considérablement me pose un vrai problème.

J’ai décidément toujours un peu de mal quand les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

Business as usual

Le médicament n’est pas un produit anodin. Il répond à une définition précise, obéit à une réglementation très stricte, et s’inscrit dans un circuit hautement qualifié et surveillé. (1)

 

« Allo Dr Borée ? Bonjour, c’est la pharmacie PiluleDorée.

– Oui, bonjour.

– Dites-voir, Melle Sophie, pour sa pilule… Vous lui avez renouvelé sa Varnoline continue mais elle est en rupture ? Je peux lui mettre quoi à la place ? »

Ce genre de coups de fils n’est pas rare. Je dirais même qu’il semble être de plus en plus fréquent. C’est pénible et, parfois, ça peut carrément poser problème dans le cadre d’un traitement chronique précis.

Naïvement, je me disais que c’était ce qui arrivait dans le cadre d’une industrie de haute technologie. D’autant plus que la mode est aux flux tendus et que, du coup, chaque grain de sable peut gripper la machine.

Je savais bien que, parfois, ce n’était pas très clair. Ainsi du vaccin DTPolio© qui, avant d’être retiré pour des raisons un peu mystérieuses, a été chroniquement en rupture, ne nous laissant que le Revaxis© qui n’est pourtant pas officiellement indiqué chez l’enfant et qui, surtout, vaut presque deux fois plus cher. Mais je pensais que c’était une exception.

Benêt que j’étais !

Les pharmaciens sont informés par leurs grossistes, en temps réel grâce à l’informatique, ou sous format papier chaque semaine, de la liste des médicaments « en rupture ». Cette liste est impressionnante : il y a en permanence plusieurs centaines de produits sur la liste. Pas que des produits de première nécessité, souvent des génériques du laboratoire A alors que le laboratoire B continue à fournir, mais quand même, ça fait du monde.

Dans le tas, il s’agit en effet parfois de problèmes de fabrication :

PRIMPERAN GTT BUV EN FL60ML => Etat : PROBLEME DE FABRICATION

On se dit que c’est bien dommage de payer aussi cher des armées de chercheurs, de chimistes et de techniciens pour se retrouver avec ce genre de difficultés. Mais on peut le comprendre.

Parfois, le motif de rupture nous ramène à l’époque de la Roumanie de Ceausescu :

XANAX CPR SECA 0MG25 BT30 => Etat : PENURIE

CELESTENE AMP INJ 4MG 1ML BT3 => Etat : RUPTURE DE STOCK

Ça, c’est quand le laboratoire a tellement bien serré ses lignes de production, qu’il se retrouve à essayer de compenser en livrant un peu chaque répartiteur et chaque région à tour de rôle.

Mais pas toujours.

1. L’exportation (illégale) des stocks français

L’Europe étant un marché unique où la concurrence est « libre et non faussée », certains font le choix de privilégier tel ou tel marché au gré de la concurrence et des prix proposés. C’est ainsi que des médicaments prévus pour le marché français sont exportés vers des pays où les tarifs sont plus intéressants (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas…).

Si les grossistes français sont autorisés à exporter légalement une partie de leurs stocks, ils sont également tenus de respecter certaines obligations de service public et de ne pas toucher à un stock réservé au marché national. Mais comme leur calculettes ne marchent pas toujours très bien, c’est pas de chance, il leur arrive de dépasser leurs quotas d’exportations et de puiser dans le stock théoriquement réservé à la France pour augmenter leur marges en les vendant à l’étranger. Voilà qui ne fait pas nos affaires.

Mais il y a plus amusant.

2. Les labos se défendent et créent la pénurie

Car, bien souvent, ces ruptures de stocks sont parfaitement voulues par le laboratoire.

CELEBREX GEL 200MG BT30 => Etat : MANQUE QUOTA FOURNISSEUR

Bien plus agressifs que les classiques grossistes-répartiteurs, et jouant aux marges de la légalité, de nouveaux acteurs  sont apparus pour profiter de ce marché ouvert : les short liners qui se spécialisent sur des gammes restreintes de produits et qui pratiquent des exportations à « prix cassé » d’un pays à l’autre.

C’est pourquoi les laboratoires, pour se défendre contre ces pratiques et maintenir leurs marges bénéficiaires, vont fréquemment limiter volontairement les quantités fournies afin d’assécher ces filières parallèles (qui ne représentent en fait guère plus de 2 ou 3% du marché).

Un autre exemple ?

3. Se passer du grossiste et se répartir les bénefs

Le Crestor© (un traitement contre le cholestérol) est actuellement en « rupture quota fournisseur » chez plusieurs des sept grossistes français et, donc, chez leurs clients pharmaciens. Mais pour les pharmacies qui s’adressent directement à AstraZenecca, pas de problème, il y en a ! Cette manoeuvre permet de zapper le grossiste-répartiteur et de se partager sa marge habituelle de 1,57 € par boîte. Généralement, 40% de cette économie va au pharmacien et 60% au laboratoire. Pour les patients de ces pharmaciens malins, et la Sécu, bien sûr, ça ne change rien.

Quant aux clients des pharmaciens plus « honnêtes », tant pis pour eux.

Encore un exemple ?

4. La pénurie pour orienter la demande

Le Plavix© est une molécule phare de Sanofi-Aventis, un chiffre d’affaire énorme, un blockbuster comme on dit dans le milieu du cinéma ou de ceux qui s’occupent de votre santé. Le brevet arrivant sur la fin en 2009, Sanofi Aventis a logiquement décidé de… mettre le Plavix© en rupture de stock.

Heureusement, un génériqueur, le laboratoire Winthrop, était prêt avant tous ses concurrents (qui attendaient bien sagement que le brevet soit vraiment tombé dans le domaine public) et a pu alors inonder le marché de Clopidogrel Winthrop©.

Mais Sanofi-Aventis n’a-t-il pas fait un procès à Winthrop qui mettait ainsi sur le marché un produit aussi incontournable que breveté pour encore quelques semaines ? Non, bien sûr, puisque Winthrop (qui vient de changer de nom pour devenir Zentiva) est la filiale générique de Sanofi et qu’il s’agissait simplement de lui donner une longueur d’avance sur ses concurrents.

Un dernier pour la route ?

5. La pénurie plutôt que les taxes

Je dois avouer que c’est la situation qui me scandalise le plus car il s’agit d’une stratégie pile-je-gagne-face-tu-perds de la part de l’industrie.

En France, le prix des médicaments remboursés est fixé par le Comité économique des produits de santé, dans le cadre de négociations avec les industriels. Au-delà du prix, le comité détermine des garde-fous en négociant également un volume maximum annuel de vente afin que les laboratoires ne soient pas tentés de promouvoir leurs produits plus que de raison. Au-delà de ce volume annuel, les industriels sont lourdement taxés.

C’est pourquoi, chaque fin de trimestre (l’évaluation suivant ce rythme), certains préfèrent se mettre en rupture de stocks plutôt que de payer les taxes. Malin, non ?

6. Déshabiller Paul pour rhabiller Jean

Enfin, bon, on pleure sur ces situations de pénurie mais heureusement, le génie français n’est jamais pris au dépourvu pour trouver des solutions. Et pour faire avancer la construction européenne par la même occasion.

C’est ainsi qu’un grand laboratoire français dont le nom commence par S. commercialisant un célèbre antidiabétique organise son propre marché parallèle afin de contourner ce système de quotas.

Un partenaire italien (histoire que ça ne se voit pas de trop), « vend » ainsi du Diabicon LP, fabriqué dans le sud de la France, en Bulgarie, pour le ré importer immédiatement en France. C’est dans une entreprise de la région parisienne que des petites mains retirent la notice bulgare, la remplacent par la notice française et changent les vignettes qui portent la discrète mention « IP » (pour Importation Parallèle).

L’avantage pour le labo, c’est qu’il empoche une grande partie de la marge du grossiste-répartiteur (qui est contourné dans la manœuvre). L’avantage pour le pharmacien qui se fournit dans cette filière, c’est qu’il empoche lui aussi une partie de cette marge.

Quant à la Sécu, elle ne dit trop rien puisqu’elle a le droit de piocher aussi un peu dans le pot de miel, la vignette « IP » étant 5% moins cher que la vignette France.

L’inconvénient, c’est que, pour le coup, ce sont les Bulgares qui n’auront pas assez de Diabicon cette année, mais on s’en fout, ce sont des pauvres…

Au final, je me dis que c’est presque rassurant de constater que si : le médicament est quand même un peu un produit comme tous les autres. Business as usual.

 

(1) Cette belle déclaration de principe est issue du site du LEEM, le syndicat de l’industrie pharmaceutique.
Merci à P. de m’avoir ouvert des fenêtres méconnues.
P.S. Varnoline, Celebrex, Crestor : on est bien d’accord que ne sont pas forcément les médicaments les plus utiles qui sont cités mais ce sont des exemples puisés dans la situation actuelle lors de la rédaction de ce billet.

Expertise 2.0

Après le cinglant rapport de l’IGAS, voici donc un nouveau rapport au vitriol concernant le système français de contrôle de l’efficacité et de la sécurité des médicaments.

Un rapport offensif, parfois proche du pamphlet, décrit une situation à l’évidence désastreuse.

Alors que nos gouvernants répètent à l’envi qu’ils ont le meilleur système de santé du monde, il apparaît clairement que notre système de contrôle du médicament, qualifié dans le rapport de l’IGAS de « bureaucratie sanitaire », souffre d’archaïsmes dramatiques.

Il en va de même pour l’industrie hexagonale du médicament dont la survie tient essentiellement à la mise sur le marché de produits de second ordre ou de « me-too » (médicaments nouveaux sur le plan chimique mais sans avancée thérapeutique), bref sans intérêt. Tout ceci, en bénéficiant selon les auteurs de la complicité d’autorités qui, trop fréquemment, confondent enjeux de santé publique et enjeux économiques.

Ce rapport pointe la consternante insuffisance de l’éducation des médecins français en matière de pharmacologie et rappelle ainsi l’un des aspects de l’inadéquation entre la formation, tant initiale que continue, des praticiens et la réalité de leur métier.

Les auteurs dénoncent vigoureusement les relations troubles entre les autorités de régulation, les « experts » de tout poil et l’industrie pharmaceutique. Relations d’autant plus problématiques qu’elles sont largement minorées et dissimulées, profitant d’une culture du compromis quand les Anglo-saxons ont su développer, bien qu’imparfaitement, celle de la transparence.

Des propositions concrètes sont formulées. Beaucoup sont intéressantes, notamment la nécessité pour les experts travaillant pour les agences de régulation de ne présenter aucun conflit d’intérêt.

Et pourtant.

Et pourtant, ce qui frappe à la lecture du rapport Debré-Even, c’est sa vision très élitiste et « hospitalo-universitaire » du système. Les personnalités auditionnées ? Quasiment toutes sont issues du sérail des CHU, de l’industrie pharmaceutique ou des agences.

La langue utilisée fleure bon le paternalisme du début du XXème siècle, et malheureusement, certaines solutions proposées, également.

Les auteurs semblent accrochés à un modèle où la valeur des « experts » se mesure au nombre de publications et citations scientifiques. Encore faudrait-il démontrer que la maîtrise de la méthodologie des études médicales va nécessairement de pair avec de bonnes connaissances cliniques, ce qui est loin d’être le cas.

La qualification hospitalo-universitaire apparaît comme l’alpha et l’oméga de la compétence, ce qui est tout de même surprenant pour qui connaît le système français, lui-même porteur de nombre des travers dénoncés dans le rapport.

Ainsi on peut y lire qu’ « il suffit pour ce travail d’expert d’être travailleur, informé et critique, avec une vraie expérience clinique, de savoir lire entre les lignes et de ne pas méconnaître les pièges et chausse-trappes (sic) des stratégies statistiques et des stratifications, justifiables ou non, appliquées aux essais, pour décoder aisément le message apparent et le message réel des essais cliniques et de leurs limites. »

Ce rapport dénonce très justement une situation archaïque et formule des propositions utiles pour certaines et radicales pour la plupart, mais nous conservons le sentiment qu’il reste figé dans le XXème siècle, trop inspiré de l’existant, et notamment de la FDA qui serait un organisme de régulation parfait selon les auteurs. Pourtant, le Congrès américain, a ajouté le 22 janvier 2009 cette agence présentée comme un modèle à suivre dans sa liste de programmes gouvernementaux à haut-risque de fraudes, dysfonctionnement ou non-optimisation des budgets de l’Etat. Mais ne dit-on pas que l’herbe paraît toujours plus verte chez le voisin ?

Plus grave, ce rapport semble complètement passer à côté de la révolution en cours, celle qui ouvre pourtant des chemins pour l’avenir.

Les auteurs louent par exemple la « méthode Prescrire » en ces termes :

« Ils sauvent l’honneur de l’évaluation française des médicaments. On peut, pour l’essentiel, les croire les yeux fermés. L’Agence du Médicament, ce sont eux et ils ne sont pas 1.000 avec un budget de 110 M€. Il leur a fallu pour cela, pour ne jamais dévier, ne jamais se décourager, beaucoup de travail, de rigueur, et aller sans cesse, sans relâche, à contre-courant du buzz-marketing des firmes et de l’indifférence de l’establishment médical, qui les ignore, ne les cite ni ne les aide jamais et qui est de facto complice de l’industrie, et finalement aussi aveugle que l’AFSSAPS. »

Pourtant, leurs propositions pour faire évoluer l’AFSSAPS se situent à l’exact contraire de ce qui se fait chez Prescrire. La lecture des ours de chaque numéro et des noms des relecteurs, renouvelés chaque année met en évidence :

  • L’absence de « prima donna » : le travail est collectif, comme la signature.
  • Un mélange homogène d’universitaires et de praticiens de terrain.
  • Un nombre assez important d’intervenants, qui permet de tempérer la réponse de l’expertise, et d’être au plus près de la vérité.

Ainsi, l’une des mesures mises en avant dans ce rapport vise à l’établissement d’un petit groupe de « super-experts ».

Mais, quelles que soient ses compétences et son intégrité, il existera toujours, pour un expert isolé, le risque de se tromper ou d’avoir une approche biaisée, bref une subjectivité.

Nous faisons également l’analyse que l’une des causes des dérives actuelles est la déconnexion qui existe entre les experts d’un côté – au-delà de leurs qualités personnelles – et les malades de l’autre lorsque ceux-ci s’incarnent dans l’abstraction de tableaux statistiques.

Si nous pouvons accueillir favorablement la désignation d’un petit nombre de personnalités – pas nécessairement issues du sérail universitaire – exemptes de tout conflit d’intérêt et engageant clairement leur responsabilité propre sur les décisions prises in fine, cela ne peut toutefois suffire.

Pour limiter les risques de dérives, il s’agit de faire le pari de l’intelligence collective en s’appuyant, par exemple, sur d’authentiques conférences de consensus qui regroupent des personnalités issues d’horizons les plus divers avec, précisément, des non spécialistes du sujet.

Pour être constructifs, quelques mesures nous semblent prioritaires et dont certaines rejoignent les 57 propositions publiées par La Revue Prescrire le 8 mars :

  • Mener une simplification et une rationalisation profonde des structures de régulation et de décision.
  • Mettre en place une méthode de travail fondée sur la collégialité, en s’inspirant de l’expérience réussie de La Revue Prescrire, qui associe les points de vue et les qualifications les plus diverses. Il nous semble en effet primordial de confronter les compétences des chercheurs les plus pointus avec l’expérience de praticiens de terrain, d’autres professionnels du soin, de représentants de patients, d’associations de consommateurs, de personnalités qualifiées en matière d’éthique, etc…
  • Désigner un corps d’excellence qui serait chargé d’organiser et de synthétiser ce travail en réseau et dont les responsabilités seraient clairement identifiées et assumées pour chaque décision prise.
  • Donner aux débats une totale publicité et aux votes qui devront être filmés et publiés en ligne, d’une manière complète et transparente.
  • Apporter la garantie d’une absence totale de conflits d’intérêts pour les décideurs dans chaque dossier traité.

Nous partageons bien l’idée que l’ère des agences aussi multiples qu’inefficaces est révolue. Mais n’envisager que de leur substituer un groupe d’élite, aussi qualifié et indépendant soit-il, c’est s’arrêter au milieu du gué.

Car nous sommes déjà dans l’ère de l’expertise partagée et du travail en réseau.

Il est temps pour l’expertise de passer au 2.0.

Jean-Marie Vailloud, cardiologue, administrateur de grangeblanche.com

Borée, médecin généraliste, administrateur de boree.eu

***

Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement les relectrices et relecteurs de ce texte pour l’ensemble de leurs suggestions et le temps qu’ils et elles ont bien voulu nous consacrer.

Cher ami hospitalier

Oui, Cher ami hospitalier,

J’opte donc pour la forme écrite afin de te faire part de mon, petit, agacement.

Je te l’aurais bien dit de vive voix, mais, justement, ta secrétaire, ou une infirmière du service, m’a une nouvelle fois expliqué que je ne pouvais pas, mais alors vraiment pas, te parler parce que (au choix) :

  • tu n’étais pas encore arrivé
  • tu étais en « staff »
  • tu faisais la visite
  • tu n’étais pas dans le service
  • tu étais en train de manger
  • tu étais en consultation
  • tu étais parti, merci de rappeler demain « en journée » parce que, là, il est déjà 16 h 58.

Et, vraiment, vraiment, je dois te dire que lorsqu’on me soutient qu’on ne PEUT pas te déranger quand tu es en consultation, mais qu’on peut noter mon numéro et que tu me rappelleras « plus tard », ça m’énerve.

Oui, je sais, ce n’est jamais agréable d’être interrompu en cours de consultation ou de visite. Moi-même, ça me pèse quand le téléphone sonne et que je suis avec un patient.

Mais, en général, quand je cherche à te joindre et que j’insiste un peu, c’est vraiment que j’ai un problème. Avec un patient, qui est bien souvent le tien aussi d’ailleurs. Et qui est en face de moi.

Et quand tu me rappelleras « plus tard », l’ennui, c’est que ce sera à mon tour d’être « en consultation ».

Je sais bien que mes consultations de généraliste n’en sont pas des vraies et que c’est beaucoup moins important de les interrompre que celles des spécialistes, mais quand même. Et puis le souci, c’est que le patient qui me posait problème, lui, il sera reparti, que j’aurai peut-être son voisin ou sa belle-sœur en face de moi et que ce sera beaucoup plus compliqué de se parler tranquillement.

Et si, après notre discussion, il faut que je dise quelque chose à mon patient, si je dois le réexaminer, ou lui faire une lettre ou une ordonnance, il va falloir que je le rappelle, peut-être que je le fasse revenir. Ça ne sera pas très confortable pour lui et probablement pas tellement pour moi non plus.

Donc voilà, si tu pouvais faire passer un petit message à ta secrétaire pour lui dire que, quand un généraliste te téléphone et qu’il insiste en semblant avoir un problème, ça mérite, sauf impossibilité absolue, qu’on vienne te déranger. Ce serait vraiment, vraiment sympa. Merci d’avance.

Bisous,

Borée

P.-S. Ça m’ennuie un peu de dire ça par rapport à mes convictions personnelles, mais ça se passe quand même différemment avec les spécialistes libéraux. Eux, sauf absence ou intervention en cours, ils répondent toujours. Quand ils disent qu’ils rappellent, eh bien… ils rappellent. Ils ne font jamais sentir qu’on les emmerde même quand c’est pour une question idiote. Et ils sont souvent joignables même à ces heures extravagantes où il m’arrive d’être encore en consultation et d’avoir des problèmes à gérer, du genre 18h30 ou même 19h passées !

P.-P.-S. Que ce billet soit aussi l’occasion de rendre un hommage sincère aux confrères hospitaliers, modestes assistants ou chefs de services de CHU,  qui me répondent systématiquement quand je les appelle et qui acceptent de prendre un peu de leur temps pour m’aider.

Très franchement, sachez combien je vous en suis reconnaissant et que je vous apprécie pour ça. Comme il n’y a pas de hasard, vous êtes aussi bien souvent ceux qui sont les plus disponibles pour vos/nos patients. Honneur à vous.

Faut-il me déCAPIter ?

Me voilà donc taxé de lemming et de « médecin commissionné »

Bon, ce n’est pas la première fois que je me fais ainsi, indirectement, mettre au pilori, par des amis. De manière plus (ici ou ici) ou moins (ici) respectueuse.

Car, oui, je l’avoue : j’ai signé un CAPI.

Circonstance aggravante : je ne l’ai pas signé de manière honteuse, un peu à la sauvette. Je l’ai fait avec enthousiasme.

Et évacuons d’emblée un questionnement : je l’ai fait pour l’argent.

Au passage, si vous connaissez un médecin qui travaille gratuitement en France, merci de m’indiquer son nom. J’aimerais savoir comment il fait pour payer ne serait-ce que ses charges personnelles et professionnelles. Et puis aussi, je lancerai une souscription pour lui ériger une statue.

Donc, déjà, si votre argumentation c’est de dire « Ouh le vilain médecin vénal qui accepte du vilain argent qui sent pas bon de la part des caisses », sauf si vous êtes LE médecin qui travaille gratuitement, passez votre chemin. Merci.

Car, désolé, mais je ne vis pas que d’amour et d’eau fraîche. Je ne pense pas être particulièrement attiré par l’argent mais il en faut quand même un minimum pour vivre.

Il est vrai que certains qualifient la médecine générale de sacerdoce sans qu’on sache trop si c’est un hommage sincère ou un piège tendu. Car qui dit sacerdoce dit dévouement désintéressé. Je veux bien être dévoué mais je laisse le dénuement total, et ma considération, aux ecclésiastiques et aux humanitaires.

Bref, postulat n°1 : un médecin comme tout travailleur, doit gagner un minimum sa vie. Parler de ses revenus n’est donc pas illégitime et ne mérite pas d’être taxé de vénalité.

Traditionnellement, il existe trois modes de rémunération des médecins intervenant en soins primaires :

  • Le paiement à l’acte, bien connu des Français : chaque acte médical (intellectuel ou technique) constitue en soi un mini-contrat de prestation appelant une rémunération de la part du patient/client. Ce paiement peut se faire de manière directe, avec ou sans remboursement de la part d’un tiers (assureur), ou bien indirectement, du tiers au professionnel.
  • La capitation : le médecin touche une certaine somme forfaitaire pour prendre en charge un patient de manière globale pendant une certaine durée. Cette capitation est généralement affinée afin de permettre de rémunérer différemment la prise en charge de certaines catégories de population aux besoins de santé spécifique (personnes âgées, secteurs en difficulté, …)
  • Le salariat. Tout le monde connaît.

Les systèmes de santé « purs » existent de moins en moins. En effet, chaque mode de rémunération présente des avantages et des inconvénients. Chacun est susceptible de générer des effets pervers.

C’est pourquoi, de plus en plus, se développent des systèmes associant divers modes de rémunération, généralement paiement à l’acte et capitation. Toutes les études démontrent en effet que c’est en diversifiant ainsi les sources de revenus des médecins que l’on limite le mieux les dérives potentielles.

Pour ceux que ça intéresse, ils pourront consulter cette très intéressante étude canadienne de 2002 ainsi que cette thèse de master hollandaise (écrite en anglais) de 2006.

En France, après un système de paiement à l’acte pur, on a assisté ces dernières années à un début de diversification des modes de rémunération. Il y a eu tout d’abord l’expérience du médecin référent, sabordée il y a 5 ans. Puis on a vu la mise en place de forfaits rémunérant les astreintes de garde ambulatoire et le versement d’un forfait annuel de 40 € pour chaque patient en ALD. Au final, même dans un contexte rural (gardes nombreuses, beaucoup de personnes âgées en ALD), ces forfaits ne dépassent pas aujourd’hui 15 à 20% au grand maximum des revenus d’un généraliste, qui reste donc très largement « payé à l’acte ».

En complément de ces trois modes de rémunération possibles, se sont progressivement développées certaines rémunérations « à la performance ». Il s’agit d’incitations financières à atteindre des objectifs donnés : respect des recommandations, tenue des dossiers, transmission des informations, …

En plus des deux textes déjà cités, on pourra consulter à ce sujet le très intéressant rapport de l’IGAS de 2008 sur les expériences anglaises et américaines.

Postulat n°2 (enfin… ce n’est pas vraiment un postulat puisque toutes les études le démontre)

Tout échange financier est potentiellement générateur de conflits d’intérêt. Sans exception.

A priori, pour une somme donnée, l’intérêt du « client » est d’en avoir le plus possible, celui du « fournisseur » d’en donner le moins possible.

Pointer les risques de conflits d’intérêt inhérents au CAPI, c’est montrer la paille dans l’œil de son voisin. Le paiement à l’acte est un puissant générateur de conflits d’intérêt.

J’ai déjà eu l’occasion d’en parler dans « Les mamelles de la Médecine ».

Quel est l’intérêt d’un patient diabétique ? Etre vu correctement pendant 30 minutes une fois par trimestre avec examen des pieds, discussion diététique, etc… Ou bien être vu 10 minutes chaque mois, ce qui ne laisse guère le temps que des politesses d’usage, d’une prise de tension, d’une rédaction d’ordonnance et de passer la carte Vitale. Le paiement à l’acte, lui, il a choisi son option.

Il est important de noter ici que, d’après toutes les études, la médecine générale présente cependant de grandes singularités par rapport aux systèmes économiques classiques. On s’en serait douté.

A cela, plusieurs raisons :

  • Le « client » n’a généralement pas les connaissances nécessaires pour apprécier réellement la qualité de la « prestation santé » qui lui est proposée.
  • Le patient est donc obligé de déléguer très largement la gestion de sa santé au médecin, au nom de la confiance qu’il lui fait. Cette confiance repose sur des données diverses telles que la réputation du médecin, sa présentation, l’histoire familiale, etc… Nous connaissons tous des médecins notoirement médiocres qui ne manquent pourtant pas de patients.
  • Le médecin, du fait de ce rapport inégal, peut assez aisément moduler la « demande » de ses patients (en jouant sur la réalisation ou non de visites de contrôles, les durées de prescription, …).
  • Changer de médecin comporte une charge émotionnellement lourde qui est prise en compte par les sociologues de la santé. C’est une décision beaucoup plus difficile à prendre que de changer de boulanger.
  • Il est quasiment impossible de mesurer objectivement le résultat de l’acte de soins. Il n’est pas possible de mesurer dans quelle proportion le bon ou mauvais état de santé d’un patient résulte spécifiquement de l’action de son généraliste. On peut en revanche évaluer un certain nombre de « critères intermédiaires » déjà  évoqués : respect des bonnes pratiques, suivi de formations, tenue des dossiers, transmission des informations, disponibilité, …
  • Les spécialistes de la santé ont identifié de nombreux facteurs non strictement économiques et qui rentrent en ligne de compte dans l’activité d’un médecin et la satisfaction qu’il en retire : des considérations éthiques, l’estime de soi et la considération sociale, le cadre de travail, l’amplitude horaire, etc… Ceci peut paraître une évidence mais il n’est certainement pas inutile de rappeler qu’il s’agit d’éléments scientifiquement établis.

Bref, il est tout aussi idiot et réducteur de ramener l’acte médical à une banale transaction financière que de négliger cette composante et les conflits d’intérêts potentiels qui vont avec, quelle que soit sa forme.

Postulat n°3 : un financeur a un droit de regard sur ce qu’il finance.

Moi je les aime beaucoup mes confrères médecins qui se clament « libéraux ». Je ne connais pas beaucoup d’autres professions libérales où les « clients » sont systématiquement solvabilisés par un tiers qui assure, in fine, le paiement des actes.

Même si ça peut être désagréable, il n’est donc pas illégitime que le financeur (qui représente ici, au moins en théorie, les intérêts de la société) demande à avoir un droit de regard.

Certes, ses intérêts ne sont pas les miens en tant que médecin. Mais de la même manière que les intérêts d’un salarié et d’un patron ne sont pas les mêmes, ils ne sont pas non plus nécessairement antinomiques et peuvent se rejoindre. C’est à ça que sert la négociation et c’est pour ça que je suis syndiqué.

Que ceux qui se plaignent du « pouvoir de la CNAM » aillent voir du côté des HMO étatsuniennes (privées et à but lucratif).

Que ceux qui exigent de travailler en toute indépendance et sans avoir de comptes à rendre à personne sur leur activité poussent la logique jusqu’au bout. La seule alternative logique, c’est en effet le déconventionnement : médecine libérale pure, on choisit nos honoraires, on fait tout ce qu’on veut sans aucun contrôle (en bien ou en mal), les patients ne sont pas remboursés et on applique la logique de l’offre et de la demande.

Pas sûr que les médecins y gagnent, leurs patients encore moins et il ne faut vraiment pas croire que ça préserve de tout risque de conflits d’intérêt.

Mais revenons-en au CAPI.

S’il y a bien une chose qui me frustre dans le système de soins actuels et dans la manière dont nous sommes rémunérés, c’est qu’il n’y a aucune prise en compte de critères qualitatifs.

De ce point de vue là, d’ailleurs, paiement à l’acte ou capitation, c’est kif-kif. On reste dans du quantitatif pur : plus d’actes ou plus de patients enregistrés.

Tout ce qu’on nous propose, c’est de travailler plus pour gagner plus.

Certes. Et pourquoi, ne pourrait-on pas envisager aussi de travailler mieux pour gagner plus ?

En réalité, aujourd’hui, c’est même totalement l’inverse. Faire de la qualité, c’est faire le choix de gagner moins. Obligatoirement. Et ça m’énerve.

On peut travailler comme un sagouin et tourner à 50 actes par jour car on ne manque pas de patients. Et dans le contexte  actuel de pénurie médical, il ne faut pas compter que ça change.

Pour moi, s’il doit y avoir un scandale, il est du côté du Docteur Moustache. Et c’est une réalité d’aujourd’hui, pas une hypothèse pour le futur.

C’est en ce sens que le CAPI me semblait être, enfin, un commencement de début d’introduction de critères qualitatifs. Et c’est pour cette raison que je l’avais signé avec enthousiasme.

Ensuite, reste à discuter de l’architecture du dispositif, de la qualité de « l’instrument de mesure » et du choix des critères et, là, la discussion est ouverte.

Le problème, c’est que Dominique Dupagne a beau jeu de me répondre « Il n’y aura pas de négociations sur les indicateurs : la CNAM dictera sa loi, point. »

Ça c’est sûr que jusqu’à présent, vu la position de tous les syndicats médicaux « représentatifs », engoncés dans leur conservatisme, il n’y avait pas grand-chose à négocier puisque c’était le principe même d’une rémunération « à la performance » individuelle qui était contesté.

Alors, oui, certaines critiques du CAPI sont parfaitement recevables et je suis le premier à souhaiter des évolutions.

Certains critères retenus ne paraissent pas très pertinents, voire carrément contestables.

Qu’on en discute ! Qu’on les enrichisse !

Les critères des « QOF » (Quality and Outcomes Framework = Grilles de qualité et de résultats) britanniques évoluent d’année en année. Pourquoi les nôtres seraient-ils gravés dans le marbre ?

Plus les critères pris en compte seront nombreux et diversifiés, et mieux ce sera. Il suffit de regarder la liste actuelle des critères « QOF » (ficher Excel) : 130 critères différents dont aucun ne représente plus de 30 / 1000 du score global. Dans un tel contexte, même si l’un ou l’autre critère est contestable, il se retrouve noyé dans la masse et on peut le négliger sans grande conséquence. C’est d’ailleurs la meilleure garantie contre le risque de conflits d’intérêts.

Les instruments de mesure des caisses ne sont visiblement pas au point.

Quand je vois parfois certaines statistiques me concernant dans mon RIAP, je n’ai pas des doutes mais des certitudes. Il y a 3 ans j’avais d’ailleurs décidé de prendre le temps de demander les listings de mes arrêts de travail prescrits : les statistiques étaient bien erronées.

Alors, oui, exigeons un droit de regard sur ces instruments de mesure et sur leur qualité !

Le CAPI est individuel, le médecin est seul face aux Caisses.

Pour ma part, en ce qui concerne la rémunération, j’ai beaucoup de mal à me sentir inconditionnellement solidaire de certains confrères. De toute manière, les études démontrent que ce type d’incitations financières n’a d’effet que lorsqu’il est proposé à des individus ou à des petits groupes (cabinet de groupe par exemple). Les incitations collectives sont sans portée en raison de « l’effet passager clandestin ».

Par contre, bien évidemment, le cadre, le choix des critères, les modes d’évaluation doivent être négociés collectivement. Que ce soit par les syndicats, par l’Ordre ou par les sociétés savantes.

D’autres critiques ne sont pas recevables à mes yeux.

La motivation première est celle de la Sécu.

Mais pourquoi faudrait-il nécessairement que la Sécu ne soit motivée que par des économies faites sur le dos des patients ? (au demeurant, c’est peut-être le cas mais alors nous n’avons que ce que nous méritons en tant que citoyens)

Je pense aussi que dans bien des cas, les intérêts de tous peuvent être convergents. Prescrire moins de benzo de longue durée à des personnes âgées, ça intéresse peut-être la Sécu pour avoir moins d’hospitalisations pour des fractures. Et alors ? C’est surtout bien pour nos patients âgés.

La Sécu va dicter sa loi.

Peut-être. Mais ni plus ni moins que déjà aujourd’hui dans le cadre de la convention médicale. Si elle le fait, elle ne le pourra que grâce aux divisions de la profession, au conservatisme médical qui lui autorise le passage en force, et à l’anesthésie de l’opinion publique.

Capi ou pas Capi, ça ne change donc rien et ce n’est certainement pas en boudant la table des négociations qu’on pourra obtenir les évolutions que l’on veut.

L’exercice libéral est, par essence, au-dessus de toute évaluation et n’a de compte à rendre à personne sinon au patient.

J’ai déjà dit ce que j’en pensais : que ceux qui veulent rester dans cette illusion essaient encore d’y croire un peu, le réveil va être douloureux. Par ailleurs, j’y vois surtout la revendication pour certains de pouvoir continuer à faire tout, et surtout n’importe quoi dans leurs cabinets.

La médecine générale a pour spécificité de prendre en charge des patients dans leur globalité. De ce point de vue, appliquer des « critères intermédiaires » et saucissonner notre activité est incompatible avec notre exercice.

Cette critique peut s’entendre. Le souci, c’est qu’elle revient tout simplement à refuser toute appréciation qualitative. Nous l’avons vu, il est impossible d’apprécier de manière globale si un médecin « soigne bien » ses patients, c’est une question beaucoup trop complexe et multifactorielle.

Il s’agit d’un contrat standard, sans reconnaissance de la spécificité dans la pratique de chaque médecin.

J’entends deux choses derrière cet argument. Côté noir, j’entends derrière la « spécificité » la revendication éventuelle de continuer certaines pratiques non évaluées.

Côté blanc, j’y vois un vrai questionnement et on pourrait, en effet imaginer que les objectifs soient adaptés à certaines spécificités géographiques et sociologiques. Il est certainement plus simple d’atteindre les objectifs quand on travaille dans des beaux quartiers que dans une banlieue chaude.

Là encore, plus les critères seront nombreux et diversifiés, moins sera importante l’éventuelle inadéquation avec les réalités du terrain.

On n’a pas besoin de ce CAPI pour faire de la médecine de qualité.

C’est vrai. En partie. Je suis sûr qu’il y a des tas de confrères qui n’ont pas attendu le CAPI pour se former et privilégier une médecine de qualité. Nous l’avons vu : les considérations éthiques et la satisfaction du travail bien fait au service du patient sont de puissants moteurs dans l’exercice de la médecine générale.

Ce qui est vrai au niveau des individus, l’est beaucoup moins de manière collective.

L’expérience montre, même si on peut le déplorer, que le levier financier est le plus puissant pour induire des changements de comportements. Compter sur la prise de conscience et la bonne volonté, c’est bien, ça peut marcher un peu mais très lentement. La plupart des êtres humains, dans tous les domaines, se bougent vraiment quand on touche à leur portefeuille

Plutôt que la prise de conscience de l’état de la planète, c’est bien la hausse du prix des carburants qui sera la plus efficace pour modérer nos appétits énergivores.

Les médecins signataires du CAPI sont des médecins sous influence qui vont privilégier leurs revenus au détriment de leurs patients.

C’est bien le cœur du problème. C’est vraiment l’argument que je ne peux pas accepter car il est un pur procès d’intention.

Oh je ne m’illusionne pas ! Je sais que lorsque l’ont dit « Ouais, moi je regarde la pub à la télé mais ça ne m’influence pas du tout. », on se met le doigt dans l’œil.

Je sais que les confrères qui prétendent qu’ils reçoivent les visiteurs médicaux sans que ça influence leurs prescriptions se font de douces illusions. L’investissement financier que ça constitue pour les firmes et de multiples expériences scientifiques le démontrent largement.

Sous influence, donc ? Oui. Indubitablement et je n’entends pas le nier.

Mais une influence parmi de multiples autres.

Une influence parmi celle des autres modes de rémunération, parmi mes lectures médicales, parmi mes recherches personnelles, parmi mes opinions politiques et philosophiques, parmi mes considérations éthiques et la relation que j’ai avec mes patients.

Je ne me sens pas du tout tenus par certains objectifs du CAPI : je continue à prescrire de l’Hydrochlorothiazide en première ligne même si ce n’est pas un « générique ».

Pour d’autres, je n’avais pas besoin du CAPI pour être à 100% de l’objectif fixé.

Pour d’autres, ça m’a peut-être incité à davantage de vigilance (traquer les 2% de benzo à demi-vie longue qu’il reste).

Pour d’autres, parfois, peut-être à la marge, ça a pu faire pencher une balance incertaine « Son hémoglobine glyquée, je la fais maintenant ou dans deux mois ? Atorvastatine ou Simvastatine ? Va pour simva, de toute façon, c’est ce que dit Prescrire. »…

Mais de la même manière que le paiement à l’acte, que je déteste, a déjà fait pencher d’autres balances « Ce sont des consultations simples, tous les 3 mois ça suffirait, je l’ai proposé. Mais lui-même veut venir tous les mois, allez… je me laisse faire. » ; « Elle appelle pour une rhino banale. Un autre jour, je lui aurais simplement donné des conseils par téléphone mais aujourd’hui c’est calme alors je vais le lui donner le rendez-vous qu’elle demande. Et puis moi ça me fera pour une fois une consultation rapide. » ; « J’ai vacciné les trois gamins, est-ce que je vais demander trois consultations… ? Oh ben allez, ils ont la CMU… »

Et pourtant, j’ai l’immodestie de prétendre que je ne suis pas trop porté sur l’argent, que j’ai des valeurs éthiques assez solides et que je suis suffisamment lucide sur mes propres tentations pour y résister le plus souvent.

Alors, cher Dominique Dupagne avec ton affiche, cher Docteurdu16 quand tu écris « Donc, cher patient, cher malade, il faut demander à votre médecin s’il a signé car, en signant, il a adhéré à l’idéologie entrepreneuriale de la santé (il vaut mieux le savoir), il vous fera pratiquer (car il en aura un bénéfice monétaire) des examens qui, parfois, ne servent à rien, il vous fera pratiquer des examens dangereux sans vous prévenir qu’ils le sont, et il prescrira des médicaments dont la seule preuve d’efficacité résidera dans leur ancienneté. Est-ce que vous recherchez cela chez votre médecin traitant ? Ne préférez-vous pas un médecin traitant qui s’occupe de vous et prend en compte vos valeurs, vos préférences, vos agissements et votre mode de vie ? », vous venez me faire la leçon et un procès d’intention ?

Faut-il entendre que vous avez la prétention, vous, d’être des êtres purs et immaculés, parfaitement à l’abri de tout conflit d’intérêt ?

Vous prétendez que c’est le CAPI qui sera à l’origine de dérives alors que le système actuel en permet bien d’autres.

Et au fait, d’ailleurs, je ne suis pas sûr d’avoir bien compris. Vous proposez quoi comme système ?

Le statu quo, on ne fait rien, on ne bouge pas ? On reste sur le travailler plus pour gagner plus ?

Ou alors on essaie d’imaginer qu’il serait peut-être possible de gagner plus (ou, en tout cas, pas moins) en travaillant mieux ?

Et dans ce cas on fait comment ?

Car la question est bien de savoir si on accepte le principe de critères qualitatifs et si on doit alors discuter ces critères et leurs modes d’évaluation. Si nous en avons la volonté, nous en aurons les moyens. Ou bien si on refuse tout simplement ce principe.

Moi j’ai mis mes cartes sur la table. Je suis peut-être un lemming qui court vers la mer mais au moins j’avance.