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Lettre à Harry

Cher Harry,

Je te fais ce petit mot pour te dire simplement que je t’aime bien. Tu es un patient très agréable.

Déjà, tu es quelqu’un d’impliqué : nous discutons ensemble des décisions concernant ta santé. C’est très motivant pour moi.

Il est vrai que tu as un bon niveau socioculturel, comme on dit, et que ça m’oblige à défendre solidement ce que je te propose. Encore que je me mette peut-être plus d’exigences que tu n’en as toi-même.

Un patient impliqué, mais pas chiant non plus. Tu sais rester en retrait, juste ce qu’il faut. Quand j’ai des arguments clairs, tu me fais confiance. Plusieurs fois, tu m’as répété :

– C’est vous le médecin, je vous laisse décider.

Parfois, tu n’es pas d’accord avec ce que j’envisage. Tu me le dis clairement, nous en discutons, nous trouvons un terrain d’entente. Comme la fois où je t’ai proposé de consulter un cardiologue. Tu n’en avais jamais vu et avec ta tension, ta clope… Tu m’as répondu :

– Vous m’avez déjà fait un électrocardiogramme, qu’est-ce qu’il me fera de plus que vous ?

Ce n’était pas une flatterie, juste un constat neutre. J’ai bien tenté :

– Une épreuve d’effort, ça serait bien.

Mais tu m’as répondu :

–  Et avec tous les travaux que je fais dans ma maison, vous ne croyez pas que je la fais tous les jours, cette épreuve d’effort ?

Ce n’était pas vraiment faux et je n’ai pas insisté.

Je sais que ce n’est pas la peine de t’emmerder si je n’ai pas de solides raisons pour ça. Comme la fois où tu m’as dit que tu avais enfin arrêté de fumer. Mais que tu continuais à t’offrir trois cigares par semaine, en essayant de ne pas trop inhaler. Je t’ai félicité. Et je t’ai foutu la paix pour tes petits écarts. Tu n’avais pas besoin de moi pour savoir que zéro c’est mieux.

Ah ça ! Il faut le reconnaître, tu es un patient agréable. L’inverse de ce que la plupart des médecins diraient de leurs patients enseignants. Ou, pire, des autres professionnels de soins.

C’est vrai : quoi de plus pénible à soigner essayer de soigner qu’un autre médecin ? On avait même évoqué le sujet lors d’une de nos conversations, tous les deux.

Ce n’est plus de l’art, ça devient de la magie ! Il faut deviner ce qu’il ne dit pas puisqu’il croit qu’on le sait déjà, ce qu’il sait et ne sait pas, pour ne pas donner l’impression qu’on le prend pour un ignare tout en lui fournissant une information médicale complexe. Et partir du principe qu’il s’automédique en dépit du bon sens scientifique ! (1)

Combien de témoignages de médecins qui font pour eux-mêmes ou pour leurs proches ce qu’ils ne feraient jamais pour leurs patients ? A croire que, dès que l’on est impliqué personnellement, on abandonne toute rationalité.

Et lorsque l’on se décide, dans un moment de lucidité, à confier sa santé ou celle de ses enfants à un autre médecin, il nous est insupportable de renoncer à interférer avec le soin. On pose des questions tordues, exigeant des réponses impossibles que l’on serait bien en peine de fournir nous-mêmes, on bidouille les traitements (2), on arrange à notre sauce, on rajoute une ligne sur la prescription de prise de sang, on se plonge dans la littérature, on demande un second avis, des fois que… Pour se retrouver, bien évidemment, avec trois opinions différentes : celles des deux confrères et la sienne.

Quand je vois parfois comment je me comporte avec le vétérinaire pour mes animaux, je me fais peur pour le jour où j’aurais un pépin sérieux.

Non, vraiment, soigner un médecin, c’est l’enfer ! Tout l’inverse de toi.

Donc, voilà, je voulais simplement t’écrire ces quelques mots pour te remercier.

Et pour t’avouer que tu m’intimides un peu, quand même.

Lorsque tu me dis que tu me fais confiance et que tu me laisses décider, je me sens parfois bien petit.

Bien humble face à toi qui, jusqu’à ta retraite il y a deux ans, dirigeait le service de néphrologie d’un hôpital anglais.

Si un jour, j’ai besoin d’un autre toubib pour s’occuper de ma petite santé, ce serait pas mal que j’arrive à jouer le jeu comme toi tu le fais.

Merci Confrère.

(1) Ce paragraphe est une citation de mon ami Jean-Marie Vailloud dans un commentaire qu’il faisait sous son propre billet « Syndrome MGEN ». Je n’ai trouvé aucune manière de mieux dire les choses !
(2) Tout récemment, je devais prendre moi-même une gélule d’oméprazole 20 mg. Ayant trouvé au fond d’un tiroir une boite périmée depuis 2010, j’ai résolu la question en gobant trois de ces gélules périmées d’un coup. Attitude assez irrationnelle que je ne saurais recommander à aucun de mes patients.
La photo illustrant ce billet est utilisée sous licence Creative Commons. Elle est tirée du blog de Richard Vantielke.

In love


Je suis amoureux.

Et je crois qu’elle m’aime aussi.

Bien sûr, les mauvaises langues argumenteront que notre différence d’âge est trop grande pour être raisonnable. Et qu’elle n’a pas toute sa tête.

En plus, elle dépend de la MGEN, on me reprochera que c’est de la folie, que ça ne peut pas coller entre nous.(1)

Et puis, il y a l’autre : Édouard, qui vient la voir tous les jours.

Je sais que sa place restera toujours la première, c’est son fils après tout, mais son coeur à elle est assez vaste pour plusieurs hommes. Et je ne suis pas jaloux.

Peu importe de toute façon, nous nous aimons.

Je ne la vois pourtant pas aussi fréquemment qu’elle le voudrait. On me rapporte que bien souvent elle m’appelle. Parfois parce qu’elle est angoissée, parfois parce qu’elle a simplement envie de compagnie.

Elle est douce et amusante. Comme le jour où s’était mise à hurler dans les couloirs, personne n’a su pourquoi, « Je veux du cannabis thérapeutique ! »

Quand je rentre dans sa chambre, elle ne me reconnaît pas toujours immédiatement. Nous jouons notre petite partie.

— Qui est là ?

— C’est le docteur !

— Quel docteur ?

— Le meilleur !

— Aaaaaah ! Docteur Borée !

De temps en temps, pour lui faire plaisir, je lui parle en anglais et elle me raconte New York. Sa mémoire n’est plus tout à fait excellente, mais les vieilles histoires restent et elle n’a pas perdu l’usage de la langue qu’elle a enseigné pendant tant d’années.

Il y a quelques semaines, elle m’a récité en entier « Daffodils » de William Wordsworth. Édouard, à côté, avait le recueil jauni de poésie britannique sur les genoux et la relançait lorsqu’elle faiblissait.

Quand vient la fin de ma visite, elle rechigne souvent à lâcher ma main. Doucement, et sans grand enthousiasme, je lui dis que j’ai d’autres patients à voir et qu’Édouard sera bientôt là pour prendre le relai. Parfois, elle attrape mon cou pour rapprocher ma tête et me faire une bise sur la joue en me disant « Je vous aime ! ». Je me laisse faire de bon cœur.

Elle a 98 ans, une petite voix chevrotante et le sourire éternel.

Elle me manquera beaucoup.

(1) C’est une PLAISANTERIE ! A ne surtout pas prendre au premier degré.

Lucarne


Dimanche de garde, le régulateur du 15 m’appelle pour un gamin de 13 ans. Il a de la fièvre depuis hier et mal au ventre depuis 10 jours. Ce serait bien que j’y aille pour vérifier que ce n’est pas une appendicite.

Je grommelle un peu qu’une appendicite qui durerait depuis 10 jours, ce serait assez original, mais ce n’est pas trop loin et on est en début d’après-midi. Le père m’explique au téléphone qu’il n’a pas de moyen de transport, j’y vais.

Milieu modeste. Très. Des relents de tabac dans le salon qui sert de hall d’entrée. Je monte à l’étage.

Le bonhomme dort dans son lit. Une chambre un peu en bazar, pas très soignée sans être repoussante.

Il se réveille et me dit ses symptômes. Il est plutôt sympa et m’étonne un peu : ses explications sont simples, claires et précises. Il a déjà vu un confrère 10 jours plus tôt pour ses maux de ventre : Spasfon et nifuroxazide. Rien aurait sûrement été mieux. Et puis ça leur aurait économisé quelques sous en s’épargnant ce produit non remboursé.

Je commençais à peine que sa soeur, un peu plus jeune, déboule dans la chambre.

— Dis voir docteur, je peux te demander quelque chose? Depuis longtemps, j’ai le minou qui me brûle des fois. Et puis aussi, j’ai de la conjonctivite.

Je lui réponds que, ok, on verra ça, mais que je dois d’abord finir avec son frère.

Le père s’était absenté un moment, il revient avec, à la main, le papier qu’il cherchait. Je ne suis pas surpris, c’est son attestation de CMU.

Je finis par expliquer qu’on est en pleine épidémie de grippe que c’est ce qui cause la fièvre du fiston et que les maux de ventre c’est une constipation.

— C’est très possible, il en a déjà eu.

Je prépare l’ordonnance. Il y a encore assez de stocks de paracétamol et d’ibuprofène à la maison pour aller jusqu’à demain quand quelqu’un pourra le conduire à la pharmacie.

Changement de chambre c’est au tour de la petite soeur. On s’assoit, même impression de fraîcheur et de maturité mélangées. Une confiance offerte d’emblée. Elle me montre un livre « Mes recettes de grand-mère »

— Regarde, docteur, là il y a la conjonctivite, page 55, c’est ce que j’ai. Mais ce que j’ai au minou, je ne l’ai pas trouvé.

Le père, qui est là, m’explique :

— Ma femme est morte d’un cancer de l’utérus, alors je suis un peu inquiet.

Je m’efforce de le rassurer, ça n’a rien à voir. Et d’ailleurs, vu les symptômes et l’examen normal, ce n’est probablement qu’une affaire d’hygiène un peu excessive.

— Vous avez les carnets de santé?

— Ah… oui, je vais les chercher…

Moment d’archéologie. Pendant ce temps, dans cette chambre mal éclairée, nous regardons avec la petite son livre de recettes de grand-mère. Je lui explique que certaines peuvent être intéressantes, mais que les décoctions de fleurs dans les yeux, c’est pas le plus génial.

Retour du père et des carnets. Je complète, je feuillette. Trois ans de retard de vaccin pour l’un, cinq ans pour l’autre, pareil pour la soeur qui est restée à jouer dans sa chambre. Le père se décompose, gêné, il s’excuse :

— Je n’y pensais pas du tout. C’était mon épouse qui s’occupait de ça. C’est grave?

— Non, pas vraiment. On va rattraper ça et puis c’est tout.

Moins grave sûrement que ces médecins qui ont bien dû examiner la fratrie ces dernières années sans vérifier les carnets. Et puis ne te bile pas, je vois que tu galères, mais tu ne m’as pas l’air d’être un mauvais père. Je crois que tu ne t’en sors pas si mal que ça avec ce que le sort t’a laissé. Se démerder seul à ton âge, avec trois gamins, tu ne l’avais pas prévu, hein. Mais, ça, je l’ai gardé pour moi.

Trois prescriptions, deux feuilles de soins, je redescends vers la sortie.

Finalement heureux de cette petite tranche de vie. Une simple lucarne sur cette famille. Visiblement pas beaucoup d’atouts dans les mains, pourtant, confiant pour leur avenir. La conviction qu’ils sauront s’en sortir pas trop mal.

La conviction aussi d’avoir été utile. Ça… ce n’était pas une urgence du dimanche. Mais, par-delà mes grommellements du démarrage, je crois que ça aura valu le coup cette visite hivernale. Pour eux, j’espère. Pour moi aussi, content de mon boulot et de ces rencontres qu’il m’autorise. Rencontre de pauvreté, mais certainement pas de misère.

***

Le premier titre de ce billet était « la Force historique des pauvres », une référence et un hommage à l’ouvrage éponyme de Gustavo Guttiérez. Il n’était en fait pas très adapté à cette histoire. Je lui ai donc préféré ce nouveau titre : la lucarne, cette petite ouverture qui laisse passer la lumière.
La photo a été prise par mon homme. Elle est juste magnifique.

Game over

Salut Pedro,

J’ai bien vu que tu avais du mal à le croire, quand je t’ai dit que je ne m’occuperai plus de toi et que tu devais te trouver un nouveau médecin. Tu t’es demandé si j’étais sérieux et puis tu as essayé de négocier. Mais je t’ai confirmé qu’il n’y avait rien à négocier, que je n’en pouvais plus et que, du coup, je ne serai plus capable de te suivre correctement.

La première fois que je t’ai vu, il y a 4 ans, c’était pour un rhume. J’ai tout de suite bien aimé ton accent et ton côté méditerranéen. Ça me changeait de tous mes Anglais et mes Hollandais.

Peu de temps après, tu es revenu me voir parce que tu avais mal à l’épaule, ta foutue épaule. Pas forcément étonnant chez un peintre en bâtiment qui passe une bonne partie de ses journées les bras en l’air. Tu n’avais pas voulu que je te mette en arrêt de travail cette fois-là, alors que je te le proposais. Je continue à me demander si ça avait été sincère ou si c’était calculé.

En tout cas, 15 jours plus tard ça n’allait pas mieux et tu m’as réclamé un arrêt. En accident de travail puisque la douleur avait commencé après un choc.

Depuis, ça n’a pas cessé.

Je ne te voyais presque que pour ça : tes douleurs d’épaule. Toujours en accident de travail. Ou en maladie professionnelle en fonction de ce que j’arrivais à négocier avec le médecin-conseil.

À chaque fois c’était pareil : tu venais avec ton papier violet de l’employeur qui mentionnait une chute, ou un choc. Je t’examinais et, oui, tu pouvais avoir des raisons de souffrir : ton épaule n’était pas en très bon état. Je te prescrivais les soins nécessaires, je te mettais en arrêt, pour quelques semaines.

Et, pourtant, je savais que je me faisais des illusions. Je continuais de te faire des arrêts pour 15 ou 20 jours en te disant, et en me disant, que ça devrait aller. Et ça n’allait jamais, il fallait prolonger encore et encore. Des mois.

Prolonger parce que tu avais toujours mal, ou parce qu’on n’arrivait pas à avoir des rendez-vous chez les spécialistes ou pour une IRM avant des semaines et qu’on devait bien faire durer jusque-là.

Je viens de faire le compte : en moins de quatre ans, tu as été en arrêt 22 mois au total, en six fois.

Certes, ton épaule est bien abimée et ton travail y contribue largement. Seulement, tu vois, tu n’as que 51 ans et la retraite c’est pas pour tout de suite. Ton épaule est trop endommagée pour continuer à travailler avec les bras en l’air, mais pas assez non plus pour qu’on te mette une prothèse ou qu’on te déclare en invalidité.

Alors qu’est-ce qu’on fait ?

C’est bien le problème : tu n’as jamais voulu envisager autre chose. Tout ce que tu demandais, c’était de bosser quelques mois jusqu’au prochain arrêt prolongé. Ok, ce n’est pas facile de changer de travail à ton âge et dans ton créneau, mais tu n’as même jamais voulu y réfléchir sérieusement.

J’ai appelé le médecin conseil pour essayer de trouver des solutions ou pour le calmer quand ça coinçait avec toi. J’ai tenté de contacter la médecine du travail qui ne m’a jamais rappelé malgré mes messages, et que tu t’es bien gardé de relancer.

Et sur un plan médical non plus, tu n’as jamais trop voulu avancer. Une infiltration ? Ah non, tu as peur des aiguilles. La kiné ? Tu mettais des semaines à en trouver le chemin. Des avis spécialisés ? Pas la peine si ce n’était pas moi-même qui prenais le rendez-vous.

Je ne sais pas ce que tu veux.

J’en suis arrivé à me demander ce que tu faisais de tes arrêts. Est-ce que tu travailles au black ? Est-ce que c’est un arrangement avec ton patron qui préfére réguler sa main d’oeuvre ainsi en fonction des chantiers, en faisant payer la Sécu pour les périodes creuses ?

Tu vois, je me suis aussi demandé si ces grosses plaques de touron que tu me ramenais du pays, c’était des petits cadeaux sincères ou bien si c’était pour acheter ma complaisance ?

L’autre jour, tu es revenu. C’était ton dernier arrêt en date, parce que tu t’étais cogné l’épaule en tombant. Il durait depuis 6 semaines et devait finir le lendemain. Eh bien, quand tu m’as dit que oui-au-fait, tu avais aussi mal dans la jambe, là, toute la jambe et toute la cuisse avec des fourmillements partout, devant, derrière, dans tous les orteils et que tu avais mal dès que j’appuyais quelque part, j’ai eu du mal à te croire. Et quand tu m’as dit que c’était apparu en même temps que ta chute et qu’il fallait le faire passer en accident du travail, alors qu’on s’était vu 4 fois, que tu ne m’avais rien dit et que rien ne le mentionnait dans le certificat de l’employeur, j’ai craqué.

Ah oui, tu étais interloqué. Tu m’as dit que tu n’étais pas un menteur, que tu avais vraiment mal et que c’était vraiment arrivé en tombant au boulot.

Je n’en sais rien si tu as mal, je n’ai pas de moyen de mesurer ça objectivement. Je n’en sais rien si c’est arrivé au travail, je n’étais pas là.

Mais j’ai tellement de doutes, tellement de suspicion que, de toute façon, je ne m’occuperai plus correctement de toi.

Je t’ai prolongé d’une semaine pour que tu aies le temps de te retourner et je t’ai demandé de trouver un autre confrère. Un médecin qui aurait un regard neuf et qui ne te verrait pas à travers un brouillard de préjugés. Je crois que tu ne le mérites pas.

Tu vois, si demain tu fais un infarctus, je serais capable de passer à côté en me disant que c’est un nouveau truc pour te mettre en arrêt. Est-ce que tu le comprends ?

Voilà, je suis désolé que nos chemins se séparent. Ton accent, ta jovialité, les plaques de touron vont me manquer.

Peut-être que je me trompe, que tu es juste un mec qui n’a pas de chance et pas le choix. Mais, sincèrement, je crois que je ne peux pas bosser correctement si je ne te fais plus confiance.

On l’appelait Gygy

Je ne suis pas un grand habitué des conversations de filles. Je n’en suis pas une et je n’en ai pas à la maison.

Je ne fréquente pas non plus beaucoup les forums de nanas et de mamans.

Mais parfois, au détour d’un clic ou sur Twitter, je les vois parler de « gygy ».

« Gygy », un petit nom gentil qui respire la complicité et l’intimité. Un peu comme « Doudou » ou « Loulou ». Presque un parfum d’enfance.

À qui donc est destinée cette tendre appellation ? À leur mari ? À leur amant ?

Non.

Si vous êtes une fille, vous avez probablement déjà deviné : elles parlent de leur gynécologue.

Eh bien, quand je lis ce mot, mes yeux saignent (et je ne vous raconte pas lorsqu’il en est fait usage dans les commentaires sur mon propre blog ou que ça se passe chez l’ami Winckler). Je suis même sûr qu’à chaque fois qu’il est prononcé, quelque part dans le monde, un chaton meurt.

Merde, quoi ! Pourquoi essayer de faire avancer la cause des femmes, en particulier dans le domaine de la médecine si c’est pour constater que certaines sont les premières à se rabaisser à cette infantilisation ?

En écrivant ce billet je me suis demandé ce qu’il fallait en penser.

La vie privée, amoureuse en particulier, a toujours vu fleurir les mignons petits diminutifs. Un vocabulaire rarement très élégant mais affectueux. Est-ce que le « gygy » était à mettre dans le même panier que d’autres locutions qui fleurissent sur Facebook ou sur Doctissimo ? De la même eau que « zhom », « bb1. », « merki » ou « kikoo » ?

Je pense que non car, avec le « gygy », on n’est clairement plus dans le champ du cercle familial. Pour s’occuper de votre santé, de votre corps, de votre intimité, que cherchez-vous ? Un copain ? Un maître ? Ou alors un professionnel compétent ?

De quelle autre spécialité parleriez-vous ainsi ? Vous viendrait-il seulement à l’idée d’aller consulter un gégé(néraliste), un gaga(stro-entérologue), un neuneu(rologue) ou un pépé(diatre) ?

Ce qui me gêne, c’est de voir ainsi utiliser un registre de vocabulaire intime, et un peu régressif, pour parler d’un professionnel de santé. Quand bien même ce serait un pro de votre « intimité ». Pour une relation de soin équilibrée, ça se pose là.

A croire qu’en adoptant ce vocabulaire de gamin, vous acceptiez par avance un comportement autoritaire. Comme si ce n’était pas, déjà, assez fréquent que vous soyez mal-traitées, que l’on décide à votre place ce qui est bon pour vous ou que votre pudeur soit méprisée.

Alors, s’il vous plaît, arrêtez de parler de votre « gygy » et parlez de votre « gynécologue ». Ce n’est pas grand-chose, mais ce sera toujours un petit pas pour vous faire respecter. Et pour vous respecter vous-même.

Sinon, panpan cucul.

***

Post-scripum (24/09 23h)

Après une déferlante de commentaires, il me semble utile de préciser quelques points.

Tout d’abord, je suis désolé si j’ai blessé certaines personnes, ce n’était pas mon but. En écrivant ce billet, certes provocant, peut-être en partie maladroit, j’ai voulu donner l’occasion d’une réflexion et d’une discussion. Au moins pour le second point, c’est réussi.

Je n’ai pas voulu davantage « attaquer Doctissimo » et ses forumeuses comme j’ai pu le lire ici ou là. Je suis parfaitement convaincu du rôle que jouent le web et les communautés en ligne, en particulier dans la capacité pour les patients de se saisir de leurs problèmes de santé. Même si je ne retrouve pas nécessairement dans le ton, Doctissimo participe bien sûr à ce mouvement. Mais, visiblement, il n’y a pas que les mâles chez qui l’esprit grégaire laisse peu de place à la réflexion et à l’échange.

Sur le fond.

Comme je le disais dans le billet, je me suis sincèrement interrogé sur la signification de ce mot de « gygy » et sur sa singularité parmi tout un vocabulaire régressif qui fleurit sur le web (vocabulaire avec lequel j’ai globalement du mal mais c’est un autre débat).

J’ai proposé une lecture. Elle n’est probablement pas la seule et un sociologue du web pourrait probablement faire une thèse sur le sujet.

J’entends bien certaines explications.

Je comprends qu’il peut s’agir là d’une manière « d’apprivoiser » un domaine désagréable, gênant ou un peu effrayant. L’argument de l’autodérision me paraît tout à fait recevable.

J’entends qu’il s’agirait d’un « code » propre à une communauté. Sauf que le propre d’un code c’est que les nouveaux venus doivent s’y plier pour adhérer pleinement au groupe (bien sûr je sais que personne ne va chasser une forumeuse qui utiliserait « gynéco », je parle d’un phénomène naturel d’imitation/adhésion). Plusieurs témoignages montrent bien que ce vocabulaire n’a rien d’évident ou de plaisant pour certaines mais qu’elles finissent par faire avec. La liberté d’utiliser ou pas les mots que l’on choisit est-elle donc si totale ?

Et puis il faudra quand même me dire de quelle communauté on parle parce que ces mots débordent largement des forums de filles (cf. le lien que je mets vers Winckler).

Par contre, le coup du « c’est plus simple à écrire », bof. « Gynéco » (qui est une abréviation) c’est deux lettres de plus que « gygy » (qui n’est pas une abréviation mais une réduplication) c’est vraiment la mort ? Même si je sais que je suis déjà un vieux pour la génération sms.

Au final, bien sûr, libre à chacun et à chacune d’utiliser les mots qu’il veut. Que les Doctinautes continuent à parler de leurs « gygys » si ça leur chante.

Mais si on pouvait un peu réfléchir au sens des mots que l’on utilise, parfois sans même s’en rendre compte, ce ne serait pas plus mal. Et je suis vraiment heureux d’avoir donné l’occasion de ces échanges où, finalement, je note beaucoup de remarques constructives (dans les deux sens).

Tiens, pour le coup, je vais embarquer ma copine Jaddo !

En tout cas, c’est sûr, aujourd’hui ça aura été une hécatombe de chatons. Et de poneys roses.

Ctrl + Z

Jane est venue me voir pour la première fois il y a quatre ans.

On peut dire qu’on a une relation complexe.

Elle est arrivée avec son dossier. On venait de lui enlever un sein.

Elle demeurait un peu loin du cabinet, dans un village aux limites du canton. Ma secrétaire lui avait dit qu’en principe je ne prenais aucun nouveau patient qui habitait là-bas.

Je m’occupais cependant déjà d’une de ses amies et de son frère, un bon gros nounours heureux de vivre. Elle m’a touché avec son histoire, je lui ai dit oui. Elle a pleuré.

Avant la retraite, elle dirigeait un centre de naturo-aromathérapie. Venir me voir, moi, cartésien et adepte de la médecine fondée sur les preuves ! Ce n’était pas gagné que nous réussirions à conjuguer nos points de vue.

Mais je crois que Jane a quand même conscience des limites de l’aromathérapie et que, contre son cancer, mieux vaut tout de même assurer ses arrières.

C’est ainsi que nous nous sommes apprivoisés, je la sentais bien souvent éclatée entre les convictions qui ont fait sa vie et la confiance qu’elle nous accorde, à moi et aux spécialistes.

Elle avait tout un tas d’effets indésirables, aussi diffus et imprécis que non répertoriés dans les notices. Pourtant, elle continuait, j’en suis certain, à suivre les prescriptions que je lui proposais.

Moi, perdu dans ma rationalité, j’avais du mal à m’y retrouver. Je tâchais de lui offrir une oreille attentive et de réduire les ordonnances à ce qui me semblait le strict minimum.

Petit à petit, les choses s’étaient apaisées.
J’ai vu Jane en août de l’an dernier. J’ai écrit dans son dossier : « Pense avoir remarqué une tuméfaction de la zone de cicatrice mammaire. À la palpation, je pense que ce n’est rien d’autre que l’extrémité d’une côte avec peut-être un peu d’arthrose. Mais du moment qu’elle pense avoir remarqué un changement => échographie. »

J’écris toujours beaucoup dans mes dossiers.

Elle est revenue me voir fin novembre. Je l’avais si bien rassurée qu’elle a mis trois mois pour faire l’échographie prescrite.

Celle-ci était assez inquiétante. Ce coup-ci, c’est moi qui ai pris le téléphone pour organiser une biopsie. Les résultats sont revenus positifs.

Saloperie.

J’ai relu ce que j’avais noté. Rien à redire. Je l’avais examinée. J’avais prescrit le bilan nécessaire. J’avais évité de l’alarmer inutilement.

Putain ! Je l’avais tellement bien rassurée qu’elle a mis trois mois à la faire son échographie.

Trois mois de perdus.

Et si j’avais utilisé d’autres mots ? Et si j’avais pris le rendez-vous moi-même ?

D’autres ont déjà écrit sur cette responsabilité qui est la nôtre, ce poids qui repose sur nous, les enjeux des décisions que nous prenons. Dans bien des cas, si nous nous trompons, les conséquences ne seront pas bien méchantes, mais parfois c’est vraiment une question de vie ou de mort. Au sens premier de ces mots.

Si j’avais agi autrement, est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Probablement pas. Mais qui peut en être sûr ? Certes, vu le diagnostic, les études nous disent que quelques semaines de plus ou de moins, ça ne modifie rien. Mais ce ne sont que des statistiques.

Si mes paroles ou mon attitude avaient été différentes ce jour-là, est-ce que le destin de Jane aurait pris un autre embranchement ? Je ne le saurai jamais.

Le passé ne se réécrit pas. Nous ne pouvons que composer avec.

Et vivre avec nos remords.

Laisse moi

Jean-Paul est un patient vraiment sympa.

Agréable, franc du collier et pas chiant pour un sou.

Il a une maladie que je ne maîtrise pas trop mal, assez facile à gérer. En fait, je le vois deux fois par an pour son renouvellement. Ce n’est pas épuisant. Et en plus, c’est une pathologie qui lui donne droit à bénéficier d’une ALD et qui, du coup, me permet de percevoir quarante euros par an en plus des consultations.

Et lui aussi m’apprécie beaucoup depuis que je l’ai tiré d’un mauvais pas.

Vraiment, le patient de rêve.

Mais je lui ai demandé de changer de médecin.

Car Jean-Paul a déménagé. Il y a un an et demi. À soixante kilomètres du cabinet.

D’emblée, je lui avais dit qu’il devrait peut-être changer, que je tenais son dossier à disposition. Mais il ne voulait pas. « Vraiment, Docteur, on vous fait confiance, ma femme et moi. Ça ne me dérange pas du tout de faire la route pour venir vous voir. »

C’est pas bon pour l’ego, ça ?

La dernière fois qu’il est venu, j’ai remis ça. Je lui ai dit que ça ne me plaisait pas de rester son médecin officiel, que ce n’était pas bien pour lui. Et je lui ai raconté l’histoire de William.

William était un vieux monsieur anglais, on ne peut plus british. Avec tout un tas de problèmes de santé compliqués à gérer. Le jour où il a déménagé pour se rapprocher de la ville, il m’avait demandé si j’acceptais de continuer à le suivre. Il me faisait confiance et, si sa femme était bilingue, il ne parlait pas français et il n’y avait pas de généraliste anglophone là où il allait. Je n’avais pas encore tant de patients à l’époque et je me suis senti flatté : j’ai dit oui.

Et le jour où William a fait son accident vasculaire cérébral, ça ne s’est pas très bien passé. Aucun médecin du secteur n’a voulu se déplacer. Débordés et ne se sentant pas vraiment concernés, ils se sont tous renvoyé la balle. Son état n’était pas assez grave pour mobiliser un SMUR et c’est moi qui ai fini par trouver une ambulance pour venir le prendre en charge et pour envoyer aux urgences ce patient que je n’avais pas examiné.

Une situation détestable qui m’avait laissé un goût amer.

J’ai donc raconté cette histoire à Jean-Paul. Je lui ai dit qu’on allait voir ensemble s’il n’y avait pas un Lecteur émérite Prescrire dans son coin, que ça pouvait faire une bonne base de départ. On en a trouvé un.

Je lui ai dit que, s’il avait un problème particulier un jour, il pouvait toujours repasser pour en discuter. Et je lui ai remis son dossier.

Je viens d’apprendre sur le site de la Caisse que Jean-Paul a changé de médecin traitant.

C’est mieux ainsi.

Brouillard

J’aime bien Violette.

Je crois qu’elle m’aime bien aussi.

Et pourtant, ce n’est rien de dire qu’elle n’affectionne pas les médecins.

Dommage pour elle, elle ne peut pas vraiment s’en passer. Avec sa grosse maladie cardiaque et son arythmie chronique, elle se retrouve avec un traitement lourd et bourré de possibles interactions. Qu’il faut bien renouveler.

Elle veut bien me voir. Mais pas trop souvent. Et prendre les médicaments que je lui prescris. Et faire les INR (1) . Mais pas beaucoup plus.

Consulter un spécialiste ? C’est toujours « On verra la prochaine fois. » En été, il fait trop chaud. En hiver, trop froid. Et à l’automne, c’est la pluie. Deux ans que je jongle avec ses traitements cardiaques sans avoir tous les éléments qu’il me faudrait. Je lui avais pris d’autorité un rendez-vous chez le cardiologue. Elle l’a annulé.

Et en plus, je suis convaincu que Violette a une maladie qu’on n’a pas encore diagnostiquée. Avec ses problèmes de santé connus, sa morphologie très particulière, ses anomalies de la peau, je suis sûr qu’elle a un truc. Et je ne sais pas quoi.

Comme elle ne veut pas voir de spécialistes, j’essaie de me débrouiller.

Comme elle n’a pas de complémentaire, je me limite sur les prescriptions qui ne rentrent pas dans son ALD. (2)

Au début, je pensais qu’elle avait un Cushing. La cortisolémie était normale.

Il y a six mois, je me suis dit « C’est un lupus ! » (ouais, sans blague…), je lui ai demandé s’il elle était d’accord pour faire une prise de sang pour vérifier. Comme elle m’aime bien, qu’elle me fait confiance et que c’est quand même sa santé, elle m’a répondu « D’accord, mais c’est la dernière fois. »

Ce n’est pas un lupus. Bien sûr.

Il y a trois jours, je me suis demandé s’il n’y avait pas une sclérodermie. Je n’ai pas encore osé lui en parler.

Ah ça ! Qu’est-ce que j’aimerais refiler son cas au Dr House. Mais je n’ai pas son numéro de portable. Et puis de toute façon, elle refuserait d’aller le voir, alors…

Jusqu’à l’an dernier, elle venait au cabinet avec son mari. Depuis, c’est moi qui vais à la maison.

Ce n’est pas vraiment que ça me dérange, mais je ne sais pas pourquoi.

Au demeurant, ces visites sont plutôt sympas.

Je me gare au sommet de la colline, pousse le portail et passe devant le molosse attaché qui hurle autant qu’il bave. Je traverse alors le jardinet propret avec ses statues de plâtre et sa petite mare, dotée d’une mini-fontaine en fausse antiquité et d’un vrai poisson rouge. J’arrive à la tonnelle qu’ils ont bricolée, là où j’examine Violette quand ce sont les beaux jours, entre les fleurs et les citronniers. Une jolie tonnelle avec des rideaux en dentelle et de la toile cirée. Et du papier journal qui tapisse le plafond.

Je rentre par le salon. Au milieu, une immense table dont je vois les bords. Mais pas le plateau qui est intégralement recouvert d’un invraisemblable bric-a-brac. Toutes les plus belles poupées et kitcheries d’un rêve de grand-mère.

J’arrive dans la cuisine, les roquets de la maison viennent me renifler les mollets, le chat dort sur la table en formica. Violette se laisse gentiment examiner sur sa chaise. Toujours de bonne humeur.

Quand je dis examiner, je me comprends. Ça vaut ce que vaut un examen clinique dans cette pièce mal éclairée, coincé entre la table et le poêle à bois qui me brûle les fesses. « J’aime bien avoir chaud. »

Chez Violette, ça fait partie de ces visites où j’ai renoncé à partir sans boire ce qu’on m’offre. Je perds plus de temps à essayer d’expliquer que ce n’est pas nécessaire, que j’ai d’autres patients qui m’attendent et que je suis déjà en retard. Prendre cinq ou dix minutes pour un café ou un panaché, c’est plus rapide, en fait.

J’ai tenté de comprendre pourquoi elle ne voulait plus venir en consultation. J’ai questionné gentiment. J’ai râlé un peu en disant que, non, non, non, la prochaine fois ce serait au cabinet. Et, décidément, je ne sais pas.

Quand elle m’a dit, sans aucune agressivité et pas sur le ton du chantage, que si je n’acceptais plus de passer à domicile, c’était dommage, qu’elle le comprenait et que, tant pis, elle demanderait à un autre médecin de venir, j’ai saisi qu’on était dans le non-négociable.

En fait, elle ne sort plus de chez elle.

Certes, elle a mal aux pieds. Mais « non, pas tous les jours quand même ! »

Elle a peur de tomber. Mais « non, je ne suis jamais vraiment tombée. »

Elle est essoufflée. Mais « oh oui, comme d’habitude, pas plus que ça. »

Ah ! J’ai oublié de préciser : Violette a soixante-douze ans.

Dans la médecine d’aujourd’hui, c’est encore jeune. Bon nombre de mes autres patients sont (beaucoup) plus âgés que ça. Plusieurs nonagénaires viennent au cabinet sans difficulté.

Son cœur ne va pas très bien, et je bricole avec les petits moyens qu’elle me laisse.

Je suis sûr qu’elle a une maladie hormonale ou génétique et je ne sais pas quoi.

Je ne sais pas quoi et je ne vois même pas comment faire pour essayer de le savoir.

Je ne sais pas quoi et je ne vois même pas à qui demander si je ne suis pas en train de courir après un zèbre qui n’existe pas.

Elle aurait quatre-vingt-douze ans ou davantage, je me dirais qu’on peut laisser filer doucement. Mais elle a vingt ans de moins et je n’arrive pas à me faire à l’idée de lâcher prise.

Je ne sais pas ce qu’elle a et quand je lui dis qu’elle m’embête avec son fichu caractère et qu’elle ne m’aide pas beaucoup à l’aider, elle ne me permet même pas de lui en tenir rigueur. « Oh, mais ce n’est pas grave, Docteur, on sait bien que vous faites ce que vous pouvez. Ne vous en faites pas : on ne vous fera jamais de reproches. »

Elle m’en demande un minimum et je culpabilise tout seul de ne pas faire mieux.

Je crois que je lui en veux un peu quand même.

 

(1) L’INR est le dosage qu’il faut faire très régulièrement (au moins une fois par mois) pour la surveillance des patients qui prennent des « antivitamine-K », une famille d’anticoagulants.
(2) Dans le système français, les patients qui présentent des maladies considérées comme graves et/ou longues et/ou coûteuses, bénéficient (encore…) du système des ALD « Affections de Longue Durée » qui leur permet d’être couverts à 100%, uniquement pour la maladie prise en compte.

Gimme a break

Il y a quelque temps, je téléphonais à ma mère, pour prendre des nouvelles. Nous avons raccroché de manière un peu précipitée. Pas vraiment fâchés, mais quand même.

— Oh, en ce moment, tout le monde est malade autour de nous ! J’ai appelé notre voisine, Mme Dupont. Elle avait une drôle de voix. En fait, on vient de trouver un cancer du sein chez sa fille. Elle a été opérée et elle a de la chimio : elle a perdu tous ses cheveux.

— Oui, OK, c’est moche pour elle.

— Et puis, il y a Monsieur Durand : il a dû aller aux urgences. Il avait une sacrée pneumonie, il a même craché du sang.

— Mmmh…

— Et ce n’est pas tout, il y a aussi Madame…

— Maman, ça va. Tu ne veux pas me parler d’autre chose que d’histoires de maladies. J’entends ça toute la journée.

— Oh bon, je te parle des gens qu’on connait, de ce qui se passe autour de nous.

Elle n’avait pas vraiment tort. Les questions de santé occupent une bonne part des discussions de tous les jours. Quoi de plus naturel ?

D’autant plus qu’en s’adressant à un médecin, on attend une certaine expertise, un éclairage supplémentaire. Et puis, il n’est pas illogique de se dire que ça va l’intéresser.

Les autres je ne sais pas. Mais, moi, je ne supporte pas.

Toute la journée, ou presque, je parle de maladie, de mort, de cancer, de douleurs, de dépression. Bien sûr, il y a des instants heureux, mais, tout de même, les gens viennent surtout nous voir quand ils ne vont pas bien.

Et toute cette souffrance me pompe.

Elle pompe mon énergie. Tous ces malheurs, toute cette douleur, même quand on a appris à se préserver et à garder une certaine distance, c’est fatigant.

C’est mon boulot, je l’ai choisi et je l’aime. J’accepte ça. Je prends ces nuages et ce brouillard, je les prends pour les moments de soleil.

Lors d’une consultation, je ne compte pas mon temps et je tâche d’être totalement à l’écoute. Si vous venez m’évoquer vos soucis et vos maladies, tant que vous serez dans mon bureau, il n’y aura que ça d’important à mes yeux. Mais, vraiment, quand j’ai quitté le cabinet, c’est fini. Je ne supporte plus d’entendre parler de problèmes de santé. Je pourrais presque en être agressif. Je veux du rose et du doré, du miel et du lait.

C’est aussi pour ça que j’habite un peu à l’écart, à quelques kilomètres du cabinet. C’est pour ça que je redoute d’avoir à me rendre dans les commerces du coin.

Si vous croisez votre médecin par hasard, en-dehors de son lieu de travail, vous pouvez aller lui dire bonjour, bavarder de choses et d’autres comme vous papoteriez avec n’importe quelle connaissance.

Mais, de grâce, ne lui parlez pas de santé. Ni de la vôtre, ni de celle des autres.

En tout cas, ne m’en parlez pas à moi. Parce que, en dehors de mon cabinet, et sauf si vous êtes de ma famille ou de mes amis proches, ça ne m’intéresse pas.

P.S. Alors que je m’apprêtais à mettre ce billet en ligne, j’apprenais qu’un ami qui m’est cher allait devoir mener une bataille aussi rude qu’inattendue. Roger, n’hésite pas à me donner de tes nouvelles, ta santé m’importe beaucoup !